ARRÊT DU
27 Janvier 2023
N° 183/22
N° RG 21/00231 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TOSH
PN/VM
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
04 Février 2021
(RG 18/00431 -section 2)
GROSSE :
Aux avocats
le 27 Janvier 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [V] [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me Stéphane DUCROCQ, avocat au barreau de LILLE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 591780022021003146 du 13/04/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)
INTIMÉE :
S.A.R.L. TRANSPORTS MDS
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Fabien CHIROLA, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Pierre NOUBEL
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Virginie CLAVERT
: CONSEILLER
Laure BERNARD
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Gaetan DELETTREZ
DÉBATS : à l'audience publique du 24 Novembre 2022
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Pierre NOUBEL, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 03 Novembre 2022
EXPOSE DU LITIGE ET PRÉTENTIONS RESPECTIVES DES PARTIES
Après une succession de contrats à durée déterminée, M. [V] [B] a été engagé par la société TRANSPORTS MDS dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée le 27 décembre 2014 en qualité d'ouvrier professionnel chauffeur.
Le 21 avril 2017, il a été déclaré inapte à son poste avec impossibilité de reclassement.
Le 16 mai 2017, l'employeur a adressé au salarié un courrier recommandé le convoquant à un entretien préalable à son éventuel licenciement pour le 27 mai 2017.
Le 13 mai 2017, la direction du travail des hauts de France a autorisé le licenciement de M. [V] [B], salarié protégé, pour inaptitude.
Le 15 juin 2017, ce dernier a été licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.
Le 23 avril 2018, il a saisi le conseil de prud'hommes de Lille afin de contester son licenciement d'obtenir paiement des conséquences financières de la rupture de son contrat de travail, outre une indemnité en raison d'un préjudice distinct , de voir annuler 4 sanctions disciplinaires et de voir l'employeur condamner au paiement d'une indemnité totale de 3000 €, outre un rappel de salaire au titre du repos compensateur, un rappel de prime de nuit ainsi qu'une somme au titre des repos compensateurs sur le travail de nuit
Vu le jugement du 4 février 2021, le conseil de prud'hommes de Lille, lequel a :
- annulé l'avertissement prononcé à l'encontre du salarié le 29 mai 2015,
- débouté M. [V] [B] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [V] [B] au paiement de 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu l'appel formé par M. [V] [B] le 22 février 2021,
Vu l'article 455 du code de procédure civile,
Vu les conclusions de M. [V] [B] transmises au greffe par voie électronique le 27 octobre 2022 et celles de la société TRANSPORTS MDS transmises au greffe par voie électronique le 28 octobre 2022,
Vu l'ordonnance de clôture du 10 novembre 2022,
M. [V] [B] demande :
-de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a fait droit à sa demande d'annulation d'un avertissement et en ce qu'il a débouté l'employeur de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
-d'infirmer la décision déférée pour le surplus,
- Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- de dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, et de la faute de l'employeur ayant concouru à son inaptitude
- de condamner la société TRANSPORTS MDS à lui payer :
- une indemnité compensatrice de préavis à hauteur de 3527,20 €
- 15 000 € à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 10 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct
- 3.000 euros à titre de dommages intérêts en raison de l'annulation des sanctions disciplinaires que la cour prononcera,
- 1075,01 euros à titre de repos compensateurs
- 1103,48 € au titre de la prime de nuit,
- 796,20 € à titre de repos compensateurs sur travail de nuit
- 3000 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
La société TRANSPORTS MDS demande :
- de confirmer le jugement entrepris hormis en ce qu'il a annulé l'avertissement notifié au salarié le 29 septembre 2015,
-de débouter M. [V] [B] de l'ensemble de ses demandes,
- de condamner M. [V] [B] à lui payer 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Sur la demande de rappel de salaire
Attendu que selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié;
Qu'au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles;
Qu'il résulte de ces dispositions qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments;
Que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées;
Attendu qu'en l'espèce, pour justifier de sa demande, le salarié présente aux débats des décomptes portant sur rappels de salaire " après incorporation des heures de nuit ;
Que toutefois, ces décomptes portant sur des données mensuelles non détaillées, ne sont pas plus explicitées, alors que pour sa part, l'employeur verse aux débats les relevés précis des heures effectuées par le salarié ;
Que dans ces conditions, au vu des éléments de preuves produites par l'une et l'autre partie, la cour considère qu'aucune heure supplémentaires ou repos compensateur n'est due ;
Sur les sanctions disciplinaires notifiées à M. [V] [B]
Attendu que le salarié s'est vu notifier un avertissement le 29 septembre 2015, au motif que dans le cadre d'une discussion avec son employeur, il avait adopté un comportement à la fois colérique et menaçant envers Madame [S] [T], à telle enseigne que ses " hurlements " l'ont empêchée de parler ;
Que pour sa part, M. [V] [B] a, dans un courrier du 4 octobre 2015 a reconnu en filigrane le caractère excessif de son comportement en reconnaissant son mécontentement et en déclarant " j'ai manifesté mon mécontentement, comme vous l'avez signalé ";
Qu'il s'ensuit que cet avertissement est justifié ;
Que s'agissant de l'avertissement notifié le 11 février 2016, le salarié s'est présenté chez un client avec deux heures de retard, sans même en aviser son employeur, qui s'est vu contraint d'avoir recours à un intérimaire en urgence afin de pallier cette absence ;
Que la fatigue de M. [V] [B] ne justifie pas pour autant son attitude, de sorte que la sanction est fondée ;
Que s'agissant du courrier du 1er mars 2016, l'employeur reproche à M. [V] [B] de s'être embourbé, occasionnant ainsi des frais de dépannage et un retard de livraison ;
Que compte tenu de l'expérience professionnelle du salarié, la mise en garde opérée par la société TRANSPORTS MDS, se voyait justifiée, compte tenu au surplus du ton employé par l'appelant à cette occasion ;
Attendu que les demandes de dommages-intérêts formés par M. [V] [B] en réparation des mesures disciplinaires prises par l'employeur doivent par voie de conséquence être rejetées ;
Sur le bien-fondé du licenciement
Sur le bien-fondé du licenciement au regard de l'obligation de reclassement de l'employeur
Attendu qu'aux termes de l'article L 1226-2-1 du code du travail, " lorsqu'il est impossible à l'employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s'opposent à son reclassement.
L'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
L'obligation de reclassement est réputée satisfaite lorsque l'employeur a proposé un emploi, dans les conditions prévues à l'article L. 1226-2, en prenant en compte l'avis et les indications du médecin du travail. " ;
Qu' en application de l'article R.4624-42 du code du même code, " Le médecin du travail ne peut constater l'inaptitude médicale du travailleur à son poste de travail que :
1° S'il a réalisé au moins un examen médical de l'intéressé, accompagné, le cas échéant, des examens complémentaires, permettant un échange sur les mesures d'aménagement, d'adaptation ou de mutation de poste ou la nécessité de proposer un changement de poste ;
2° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude de ce poste ;
3° S'il a réalisé ou fait réaliser une étude des conditions de travail dans l'établissement et indiqué la date à laquelle la fiche d'entreprise a été actualisée ;
4° S'il a procédé à un échange, par tout moyen, avec l'employeur.
Ces échanges avec l'employeur et le travailleur permettent à ceux-ci de faire valoir leurs observations sur les avis et les propositions que le médecin du travail entend adresser.
S'il estime un second examen nécessaire pour rassembler les éléments permettant de motiver sa décision, le médecin réalise ce second examen dans un délai qui n'excède pas quinze jours après le premier examen. La notification de l'avis médical d'inaptitude intervient au plus tard à cette date.
Le médecin du travail peut mentionner dans cet avis que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. " ;
Attendu que par courrier du 16 juin 2017, M. [V] [B] a été licencié pour inaptitude, en précisant que le médecin du travail a considéré que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise, et que l'employeur a souligné qu'aucune solution de reclassement n'était envisageable ;
Que cette décision fait suite à un avis de la médecine du travail en date du 21 avril 2017 rédigé en ces termes :
" Inaptitude confirmée (article R4624-42 CT) contre-indication médicale à la conduite de poids lourds et d'engins. Ne peut pas occuper un poste de sécurité. Éviter les activités générant une charge mentale importante. L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise. " ;
Que cet avis n'a pas été contesté par le salarié ;
Que dans le cadre d'un courrier du 10 mai 2017, le médecin du travail, sur interpellation de l'employeur, a déclaré :" au vu de l'état de santé du salarié, à reclassement au sein de votre entreprise n'était pas envisageable "
Que la lecture de cet avis confirmé, en substance dans le cadre du courrier susvisé, fait très clairement état du lien entre la santé du salarié et l'impossibilité de reclassement ;
Que cette seule mention autorisait l'employeur à licencier le salarié sans avoir effectué préalablement une tentative de reclassement :
Que dès lors, les arguments avancés par le salarié relatif au manquement de la société TRANSPORTS MDS à ce titre n'ont pas pour effet d'invalider son licenciement, observation étant faite que l'incidence de l'autorisation de licenciement par l'inspection du travail n'a pas été soumise à l'appréciation de la cour par les parties ;
Sur le bien-fondé du licenciement au regard de la faute de l'employeur à son obligation de sécurité
Attendu que M. [V] [B] conteste, dans un second temps, le bien-fondé de son licenciement au motif que son employeur a manqué à son obligation de sécurité et de protection de sa santé physique et mentale au sens de l'article L4121-1 du code du travail ;
Qu'à cet égard, il fait valoir en substance que l'employeur a eu un rôle déterminant et exclusif dans la dégradation de son état de santé ;
Qu'ainsi, il soutient essentiellement:
-que les sanctions disciplinaires infondées à répétition n'avaient pour objet que de le pousser à la démission ;
-que son rythme de travail était épuisant ;
-qu'il n'a eu de cesse d'interpeller son employeur aux fins d'obtenir des documents relatifs à son temps de travail, et tout dans le cadre de l'irrespect par l'employeur de la législation propre au transport ,
-qu'il n'était destinataire de ses plannings que très tardivement ;
Attendu que la cour les sanctions dont le salarié a fait l'objet se voient justifiées par des motifs réels et sérieux ;
Que les pièces produites par l'appelant ne suffisent pas à établir qu'il s'est vu remettre régulièrement ses plannings à la dernière minute ;
Qu'il n'est aucunement démontré que l'employeur a fait 'uvre des pressions à son encontre, pas plus qu'il n'est établi que le salarié a dû personnellement souffrir d'horaires excessifs, le conduisant à des situations de fatigue en lien avec le non-respect des règles en matière de repos ;
Que les réponses apportées par l'employeur aux interpellations de M. [V] [B] n'ont jamais été inappropriées ;
Que M. [V] [B] a fait l'objet d'un avis d'inaptitude suite à des arrêts maladies de droit commun ;
Que le fait que son médecin traitant ait considéré que l'état de son patient était en lien avec son activité professionnelle ne suffit pas à établir que les maux soient le fait de l'employeur ;
Attendu que pour sa part, l'employeur démontre, par un mail détaillé de Mme [S] [T], assorti de son attestation, que celle-ci a dû subir le comportement des plus négatifs du salarié à son égard, à telle enseigne qu'elle dit s'être trouvée en état de souffrance ;
Que dans ces conditions, les pièces produites au dossier ne permettent pas de déterminer de façon circonstanciée en quoi face l'état de santé su salarié, l'employeur a manqué son obligation de sécurité, alors qu'il est établi que la société TRANSPORTS MDS a fait des réponses appropriées aux revendications du salarié ;
Qu'en conséquence le lien entre un éventuel manquement de l'employeur à son obligation de sécurité et l'inaptitude de M. [V] [B] n'est pas établi ;
Que son licenciement repose donc sur une cause réelle et sérieuse ;
Qu'en conséquence, le salarié doit être débouté de ses demandes afférentes à la rupture de son contrat de travail ;
Sur les demandes fondées en application de l'article 700 du code de procédure civile
Attendu qu'à cet égard, les parties seront déboutées de leurs demandes au titre de leurs frais irrépétibles ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement entrepris hormis en ce qu'il a :
- annulé l'avertissement prononcé contre M. [V] [B] le " 29 mai 2015 ",
- condamné M. [V] [B] à payer à la société TRANSPORTS MDS 1500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
STATUANT à nouveau sur ce point,
DIT bien-fondé l'avertissement notifié à M. [V] [B] le 29 septembre 2015,
CONDAMNE M. [V] [B] aux dépens,
VU l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes au titre de leurs frais irrépétibles.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
LE PRÉSIDENT
Pierre NOUBEL