ARRÊT DU
27 Janvier 2023
N° 126/23
N° RG 20/01603 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TDB6
FB/SST
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
30 Juin 2020
(RG F18/01272 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 27 Janvier 2023
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [J] [F]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représenté par Me Frédéric PAU, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A.S. RAMERY RÉSEAUX
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Hugues MAQUINGHEN, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS : à l'audience publique du 14 Juin 2022
Tenue par Frédéric BURNIER
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Gaetan DELETTREZ
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Stéphane MEYER
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER
: CONSEILLER
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Le prononcé de la décision a été prorogé du 30 septembre 2022 au 27 janvier 2023 pour plus ample délibéré
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Frédéric BURNIER, Conseiller et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 24 mai 2022
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [J] [F] a été engagé par la société LCH, devenue Ramery Réseaux, à compter du 2 novembre 2005, par contrats à durée indéterminée puis pour une durée indéterminée, en qualité de terrassier.
Monsieur [F] a été victime d'un premier accident du travail le 16 juin 2014, puis d'un second le 14 décembre 2017.
Le 29 juin 2018, le médecin du travail a déclaré Monsieur [F] inapte à son poste de travail.
Par lettre du 13 août 2018, Monsieur [J] [F] a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement.
Par lettre du 27 août 2018, la société Ramery Réseaux a notifié à Monsieur [J] [F] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Le 28 décembre 2018, Monsieur [J] [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille et formé des demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail.
Par jugement du 30 juin 2020, le conseil de prud'hommes de Lille a débouté Monsieur [J] [F] de ses demandes et l'a condamné au paiement d'une indemnité de 1 euro pour frais de procédure et aux dépens.
Monsieur [J] [F] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 22 juillet 2020, en visant expressément les dispositions critiquées.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 20 octobre 2020, Monsieur [J] [F] demande à la cour d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de condamner la société Ramery Réseaux à lui payer les sommes de :
- 7 849,82 euros à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement;
- 4 954,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis;
- 495,46 euros au titre des congés payés afférents;
- 3 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement et exécution déloyale du contrat;
- 27 200,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;
- 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour sa part, aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 19 janvier 2021, la société Ramery Réseaux demande la confirmation du jugement, excepté en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée pour frais de procédure, et la condamnation de Monsieur [J] [F] à lui verser la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des procédures de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 mai 2022.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'application des dispositions protectrices en faveur des victimes d'accident du travail
Il est constant que les règles protectrices applicables aux victimes d'accidents du travail s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié a, au moins partiellement, pour origine un accident du travail et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle au moment du licenciement.
En l'espèce, il n'est pas contesté que Monsieur [F] a été victime de deux accidents du travail, le premier survenu le 16 juin 2014, et le second le 14 décembre 2017.
Si les documents versés au dossier n'apportent aucune information concernant les circonstances de l'accident du travail du 16 juin 2014, il est établi que le médecin du travail a, le10 juillet 2014, déclaré le salarié apte tout en émettant des réserves : 'apte avec aménagement du poste de travail: éviter les travaux de terrassement, pas d'emploi du marteau piqueur; reclassement à prévoir: conducteur d'engin avec siège adapté'.
Lors de la visite périodique du 23 juillet 2015, le médecin du travail a rappelé ces réserves d'aptitude : 'éviter les travaux de terrassement, pas d'emploi du marteau piqueur; prévoir un poste exclusif de conducteur d'engin avec siège adapté'.
Les circonstances du second accident du travail ne sont pas documentées.
Il ressort de l'arrêt de travail délivré le 14 décembre 2017 que les lésions en résultant ont affecté le dos de Monsieur [F] (lumbago).
Suite à cet accident du travail, Monsieur [F] n'a pas repris son activité professionnelle avant les visites de reprise des 18 et 29 juin 2018 au terme desquelles le médecin du travail a déclaré le salarié inapte à son poste de travail en décrivant les capacités restantes suivantes : 'travail ne nécessitant pas de port de charge ' 10 kg; pas de postures contraignantes pour le dos (fléchie, accroupie ou agenouillée); pas d'exposition aux vibrations du corps entier; voir pour travail sédentaire ou à hauteur d'homme, type administratif, metreur, magasinier'.
Toutefois, entre la survenue de l'accident du travail et la délivrance de l'avis d'inaptitude, une décision de la CPAM, datée du 26 février 2018, a relevé que Monsieur [F] souffrait alors de plusieurs lésions dorsales, dont toutes n'étaient pas imputables à l'accident du travail du 14 décembre 2017.
Puis, par décision du 30 avril 2018, la CPAM a fixé au 26 avril 2018 la guérison des lésions identifiées comme occasionnées par l'accident du travail du 14 décembre 2017.
Monsieur [F] a, à compter du 26 avril 2018, bénéficié d'arrêts de travail de droit commun. Les avis versés au dossier ne portent pas mention du motif médical de ces arrêts. Il est plausible que ces arrêts soient en lien avec l'hernie discale dont la CPAM n'a pas reconnu le caractère professionnel.
Aucun document, notamment d'ordre médical, n'est versé au dossier pour permettre à la cour de porter sur la situation de Monsieur [F] une appréciation distincte de celle de la CPAM.
Il s'ensuit que l'existence d'un lien de causalité, même partiel, entre l'accident du travail du 14 décembre 2017, voire celui du 16 juin 2014, et l'inaptitude de Monsieur [F] n'apparaît pas suffisamment caractérisée.
Surtout, il n'est nullement démontré que l'employeur avait connaissance, au moment du licenciement, de ce supposé lien entre les accidents du travail et l'avis d'inaptitude alors que celui-ci avait été informé de la décision de guérison des lésions consécutives à l'accident du travail du 14 décembre 2017.
Dès lors, Monsieur [F] ne peut prétendre au bénéfice des règles protectrices applicables aux victimes d'accidents du travail. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de rappel d'indemnité spéciale de licenciement.
Sur le manquement allégué à l'obligation de sécurité et le licenciement
Il résulte des articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ces mesures comprennent des actions de préventions des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés dans l'optique d'éviter les risques, d'évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités, de combattre les risques à la source, d'adapter le travail, de tenir compte de l'état d'évolution de la technique, de remplacer ce qui est dangereux par ce qui ne l'est pas ou ce qui l'est moins, de planifier la prévention, de prendre des mesures de protection collective et de donner les instructions appropriées aux travailleurs.
Il est constant que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.
En l'espèce, la société Ramery Réseaux n'établit pas avoir procédé à la moindre évaluation des risques professionnels auxquels Monsieur [F] était exposé dans l'exercice de son activité de terrassier.
Elle ne justifie pas avoir pris des mesures pour éviter ou limiter l'exposition aux risques alors qu'il ressort d'un courriel du médecin du travail, daté du 22 août 2018, que l'activité de terrassier impose des postures en déséquilibre, des fléchissements fréquents, des manutentions quotidiennes.
Elle ne fait pas état d'actions visant à prévenir la survenance des deux accidents du travail dont Monsieur [F] a été victime.
Elle ne présente pas les raisons pour lesquelles elle n'a pas répondu aux préconisations du médecin du travail qui, en juin 2014, puis en juillet 2015, a demandé que Monsieur [F] soit affecté, de manière exclusive, sur un poste de conducteur d'engin avec un siège adapté.
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité.
Il est constant qu'est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que cette inaptitude était consécutive à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
L'employeur n'a pris aucune mesure pour empêcher la réalisation de deux accidents du travail qui ont atteint le dos du salarié. Il a maintenu pendant plusieurs années le salarié exposé à des risques pour sa santé, notamment pour son dos, malgré les préconisations d'aménagement du poste de travail émises par le médecin du travail.
Ces manquements de l'employeur à son obligation de sécurité ont contribué à dégrader l'état de santé de Monsieur [F], notamment en affectant et fragilisant son dos.
Il s'ensuit que les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité sont, au moins pour partie, à l'origine de l'inaptitude du salarié à son emploi, motivée, notamment, par une altération du dos ('pas de postures contraignantes pour le dos (fléchie, accroupie ou agenouillée)').
Dès lors, le licenciement pour inaptitude s'avère dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Lorsque le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, le salarié peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis.
Par infirmation du jugement déféré, Monsieur [F] se verra allouer la somme de 4 954,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 495,46 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente.
Au moment de la rupture, Monsieur [F], âgé de 41 ans, comptait plus de 12 ans d'ancienneté.
Au vu de cette situation, du montant de la rémunération et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d'évaluer son préjudice à la somme de 15 000 euros.
Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement et exécution déloyale du contrat
Monsieur [F], qui ne peut prétendre au bénéfice des dispositions protectrices applicables aux victimes d'accidents du travail, ne saurait valablement faire grief à son employeur de ne pas lui avoir versé l'indemnité spéciale de licenciement prévue à l'article L.1226-14 du code du travail.
En conséquence, il convient de débouter l'appelant de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement et exécution déloyale du contrat.
Sur les autres demandes
Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de condamner la société Ramery Réseaux à payer à Monsieur [F] une indemnité destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'il a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et qu'il y a lieu de fixer à 2 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [J] [F] de sa demande de rappel d'indemnité spéciale de licenciement et de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive au paiement et exécution déloyale du contrat,
Infirme le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :
Dit le licenciement de Monsieur [J] [F] sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Ramery Réseaux à payer à Monsieur [J] [F] les sommes suivantes :
- 4 954,56 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 495,46 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente,
- 15 000,00 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Condamne la SAS Ramery Réseaux à payer à Monsieur [J] [F] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la SAS Ramery Réseaux de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel,
Condamne la SAS Ramery Réseaux aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Annie LESIEUR
POUR LE PRESIDENT
EMPÊCHÉ
Frédéric BURNIER