République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 26/01/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 21/01741 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TQ3Z
Jugement (N° 19/01292)
rendu le 16 février 2021 par le tribunal judiciaire de Dunkerque
APPELANTE
Madame [L] [X] veuve [R] agissant tant pour elle-même qu'en qualité de représentant légal de son fils mineur, [D] [I] [R], né le 09 mai 2015
née le 05 juin 1987 à Bimbo (République Centrafricaine)
demeurant [Adresse 2]
[Adresse 2]
bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178/002/2021/003933 du 15/04/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)
représentée par Me François Rosseel, avocat au barreau de Dunkerque, avocat constitué
INTIMÉS
Monsieur [N] [R] en son nom personnel et venant aux droits de Madame [G] [R] décédée le 8 août 2022
né le 16 mars 1964 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 1]
[Adresse 1]
Monsieur [F] [R] en son nom personnel et venant aux droits de Madame [G] [R] décédée le 8 août 2022
né le 24 novembre 1966
demeurant [Adresse 4]
[Adresse 4]
Madame [V] [R] épouse [H] en son nom personnel et venant aux droits de Madame [G] [R] décédée le 8 août 2022
née le 12 décembre 1968
demeurant [Adresse 3]
[Adresse 3]
représentés par Me Anne-Laurence Delobel Briche, avocat au barreau de Lille, avocat constitué
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
DÉBATS à l'audience publique du 19 septembre 2022.
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 janvier 2023 après prorogation du délibéré en date du 1er décembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : 02 septembre 2022
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 septembre 2022
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EXPOSÉ DU LITIGE
M. [S] [R], né le 28 avril 1963 à [Localité 5] (Nord), exploitant des terres agricoles de l'indivision [R], et Mme [L] [X], née le 5 juin 1987 à Bimbo (République Centrafricaine), étudiante, se sont mariés le 14 février 2015 à l'ambassade de Centrafrique à Rabat (Maroc).
Un enfant a été déclaré comme issu de cette union, [D] [I] [R], né le 19 mai 2015 à [Localité 7] (Maroc).
M. [S] [R] est décédé le 7 décembre 2016.
Mme [G] [R], mère de celui-ci, ainsi que M. [N] [R], M. [F] [R] et Mme [V] [R], ses frères et s'ur, ont fait assigner Mme [L] [X] devant le tribunal judiciaire de Dunkerque afin, principalement, de voir déclarer nul le mariage susvisé.
Par jugement contradictoire du 16 février 2021, le tribunal a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [L] [X], déclaré nul le mariage en question pour défaut de consentement, ordonné la transcription de sa décision sur les registres de l'état civil et condamné la défenderesse aux dépens.
Par déclaration du 24 mars 2021, Mme [L] [X] a interjeté appel de ce jugement. Il s'agit de la présente instance.
Par un jugement distinct, également du 16 février 2021, le tribunal judiciaire de Dunkerque a ordonné une mesure d'investigation concernant la paternité d'[D] [R]. Mme [L] [X] a également interjeté appel de cette décision et la procédure est actuellement pendante devant la cour d'appel de Douai sous le numéro RG 21/01742.
Mme [L] [X], aux termes de ses dernières conclusions remises le 31 août 2021, demande à la cour d'infirmer le jugement précité, de déclarer irrecevable l'action en nullité de mariage engagée par les consorts [R], de les débouter de toutes leurs demandes et de les condamner aux dépens ainsi qu'à lui payer 2 000 euros à titre de dommages et intérêts et 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que les intimés n'ont ni intérêt ni droit à l'action en annulation du mariage et, au fond, que le défaut de consentement n'est pas démontré.
Mme [G] [R], M. [N] [R], M. [F] [R] et Mme [V] [R], par conclusions remises le 4 novembre 2021, demandent à la cour de confirmer le jugement, de débouter Mme [X] de toutes ses demandes plus amples ou contraires et de la condamner aux dépens et à leur payer, chacun, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir à cette fin, sur le fondement des articles 3, 146 et 180 du code civil et des articles 242 et 244 du code de la famille centrafricain, que Mme [X] a contracté mariage avec [S] [R] sans intention matrimoniale ; ils contestent parallèlement la paternité de ce dernier à l'égard de l'enfant né pendant le mariage.
Le procureur général demande la confirmation de la décision.
Mme [G] [R] est décédée le 8 août 2022. Par correspondance du 9 septembre 2022, le conseil des intimés a indiqué que le notaire chargé de la succession de celle-ci ne pouvait dresser d'acte de notoriété compte tenu de la procédure engagée contre [D] [R], officiellement fils du défunt. Quoi qu'il en soit, l'action engagée par Mme [G] [R] n'est pas transmissible. La présente instance d'appel se poursuit à l'égard des autres intimés.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 202-1 du code civil dispose que les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle ; que quelle que soit la loi personnelle applicable, le mariage requiert le consentement des époux, au sens de l'article 146 et du premier alinéa de l'article 180.
La loi de la République Centrafricaine est applicable au litige en ce qui concerne le consentement de Mme [X].
Aux termes de l'article 242 du code de la famille de la République de Centrafrique, la nullité absolue doit être prononcée lorsqu'il y a défaut du consentement de l'un des époux.
L'article 244 alinéa 1 du même code dispose que l'action en nullité peut être exercée par les époux eux-mêmes, par toute personne qui y a intérêt et par le ministère public.
Mme [X] déclare (page 3 de ses conclusions) n'avoir cause d'opposition à l'application de ces dispositions.
L'article 146 du code civil français, évoqué par l'article 202-1 précité, dispose également qu'il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement.
Pour obtenir l'annulation du mariage, le demandeur doit apporter la preuve de l'absence d'intention conjugale du conjoint, entendue intuitu personae, celle-ci pouvant se déduire d'un faisceau d'indices.
Le fait pour l'un des conjoints de contracter mariage dans le seul but d'appréhender le patrimoine de son époux ou d'acquérir un titre de séjour sur le sol français, notamment, équivaut à un défaut de consentement induisant l'autre en erreur sur la sincérité de l'intention matrimoniale qui constitue une condition essentielle du mariage.
La réalité de l'intention matrimoniale doit s'apprécier au moment du mariage.
Sur l'intérêt à agir des consorts [R]
Les consorts [R] justifient d'un intérêt à agir en annulation du mariage dès lors que la qualité d'épouse confère à Mme [L] [X] la qualité d'héritière de ce dernier et donc des droits potentiels sur les terres qu'il exploitait, dépendant de l'indivision familiale, à propos desquelles elle a exprimé des revendications devant le tribunal paritaire des baux ruraux.
Bien que le mariage soit dissout par le décès de M. [S] [R], l'annulation du mariage étant d'effet rétroactif, il y a lieu de se placer au moment du mariage pour en évaluer la portée.
L'action en nullité est donc recevable.
Sur l'annulation du mariage
Il ressort des pièces versées aux débats :
- que la rencontre de Mme [L] [X], âgée de 25 ans et habitant au Maroc, avec M. [S] [R], âgé de 49 ans et habitant le village français de [Localité 6], est intervenue fin 2012 après un projet de mariage, non concrétisé, de celle-ci avec un autre agriculteur du village voisin dont les bans avaient été publiés en juillet 2012 ; que la relation s'est engagée par des échanges téléphoniques, suivis de voyages de [S] [R] au Maroc : du 19 au 21 mai 2013 (trois jours) et à l'occasion de la célébration du mariage en février 2015 ;
- que le mariage a été célébré le 14 février 2015 dans le pays de résidence de Mme [L] [X], hors la présence de la famille et des amis de [S] [R], lesquels attestent qu'ils n'en ont pas été informés, Mme [B] [R], belle-s'ur du couple, déclarant par exemple avoir découvert la relation de [S] [R] avec Mme [L] [X] « fortuitement, en se promenant dans [Localité 5] » ;
- qu'entre 2014 et septembre 2015, [S] [R] a envoyé à Mme [L] [X], par Western Union, 22 646 euros alors qu'il se trouvait dans des difficultés financières justifiant de créer une entreprise d'assainissement en plus de son emploi d'exploitant agricole ;
- que Mme [L] [X] a obtenu un titre de séjour sur le fondement du mariage et des attestations d'hébergement de M. [S] [R] et est arrivée en France avec [D] en septembre 2015 ;
- que les proches de Mme [L] [X] attestant avoir rencontré le couple ne décrivent que des situations très ponctuelles ;
- que le couple a pris en location un appartement dans un village proche de l'exploitation agricole de la famille de [S] [R] mais que ce dernier passait ses journées de travail, parfois ses week-ends, sur l'exploitation, de 7h30-8h jusqu'à après le dîner qu'il prenait souvent avec sa mère, alors que Mme [L] [X] n'y était jamais vue ; qu'il lui arrivait de travailler également les week-end sur des chantiers ;
- que [S] [R] fréquentait peu ses frères et s'ur en dehors de l'exploitation familiale, qu'il ne parlait ni de sa femme ni de son fils, y compris à sa famille qui ne les connaissait pas ;
- que lorsqu'il dînait dans son restaurant habituel, il était seul et disait ne pas être attendu en rentrant ;
- que hormis quatre photographies du mariage des époux, et alors que Mme [L] [X] est familière du dépôt de messages et photographies sur les réseaux sociaux, aucune photographie du couple n'est produite pour la période précédant le mariage ou la vie commune après le mariage ; qu'aucun souvenir familial au cours de la vie de couple n'est relaté.
Il en ressort que [S] [R] était seul la plupart du temps et la démonstration, par l'appelante, d'une communauté de vie fait défaut, dès le début du mariage.
Par ailleurs, l'enfant [D] est né au Maroc le 19 mai 2015, soit trois mois après le mariage, hors la présence de M. [S] [R] qui l'a cependant reconnu, et Mme [X] ne démontre pas, ni n'allègue d'ailleurs, la présence avec elle, au Maroc, de [S] [R] pendant la période légale de conception de l'enfant (été 2014).
Ainsi que l'a justement relevé le premier juge, [D] porte comme deuxième prénom [I] qui est le troisième prénom de M. [K] [A], lequel s'est présenté dans de nombreux messages délivrés sur Facebook, accompagnés de photographies, comme étant le père de l'enfant [D], en faisant état de sa relation avec la mère, et indiquant notamment, en parlant de lui et d'[D] : « je te dis : la copie conforme ». Des messages déclarent : « je vous aime les mamans de ma vie et en particulier ma Mamou, la mère de mon bien-aimé [O] (surnom d'[D]) » ou, en commentaire d'une photographie d'[D] : « les cheveux de mon fils ont poussé OHHH, faut que je vienne les coiffer ».
De même, des proches de Mme [L] [X] félicitent M. [A] et Mme [L] [X] comme « les parents d'[D] », écrivent « cool, Wahoo, la famille au complet » en commentaire d'une photographie de Mme [L] [X], M. [A] et [D].
Si Mme [L] [X] explique que dans la coutume de son pays, on emploie, dans le cadre de relations autres que filiales, des appellations réservées dans la culture française aux pères et mères, les publications sur les réseaux sociaux de Mme [L] [X] et de ses proches dépassent ce cadre et les démentis des proches de Mme [L] [X] n'emportent pas la conviction.
Alors que par jugement distinct du 16 février 2021, le tribunal judiciaire de Dunkerque a ordonné une mesure d'investigation concernant la paternité d'[D] [R], Mme [L] [X] a interjeté appel de cette décision, s'opposant ainsi à ce que la filiation biologique de l'enfant soit établie.
La présence de cet enfant officiellement commun n'est donc pas un indice d'un lien affectif et d'une intimité du couple.
Enfin, la belle-s'ur de [S] [R] atteste qu'il s'est plaint auprès d'elle de ce que Mme [L] [X] « ne travaillait pas, qu'il en avait marre et qu'elle dépensait tous ses sous » ; un ami d'enfance de [S] [R] et un voisin agriculteur attestent pour leur part avoir reçu ses confidences concernant son regret de s'être marié et l'hypothèse d'un divorce.
Dans ce contexte, le fait que Mme [L] [X] ait débuté une relation avec [S] [R], âgé de 23 ans de plus qu'elle, immédiatement après un projet de mariage non concrétisé avec un autre agriculteur français, le rapport de dépendance administrative et économique entre les époux et les itératives et circonstanciées références à la paternité de M. [K] [A] à l'égard d'[D] sont autant d'indices démontrant que le désir de mariage de Mme [L] [X] avec [S] [R] était davantage motivé par le profit qu'elle pouvait tirer de ce mariage, que ce soit sur le plan administratif ou sur le plan patrimonial, que par une intention matrimoniale, ce qui est corroboré par l'absence de réelle communauté de vie des époux après son arrivée en France.
L'absence d'intention matrimoniale, et donc de consentement valable, de Mme [L] [X] est établie et le jugement entrepris doit être confirmé.
Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive
Dès lors que le jugement est confirmé, Mme [L] [X] ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée à l'encontre des consorts [R].
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
confirme le jugement entrepris,
condamne Mme [L] [X] aux dépens et au paiement à M. [N] [R], M. [F] [R] et Mme [V] [R], ensemble, d'une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet