République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 19/01/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/03149 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TESP
Jugement (N° 19/00900)
rendu le 07 juillet 2020 par le juge aux affaires familiales de Boulogne-sur-Mer
APPELANTE
Madame [O] [W]
née le 1er août 1946 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Sophie Tricot, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué
INTIMÉ
Monsieur [I] [C]
né le 15 septembre 1941 à [Localité 7] (Maroc)
demeurant [Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Isabelle Pauwels, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer
DÉBATS à l'audience publique du 31 octobre 2022 tenue par Céline Miller magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 04 avril 2022
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M. [I] [C] et Mme [O] [W] se sont mariés le 22 octobre 1968 sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts.
A la suite d'une ordonnance de non-conciliation du 24 juin 2013, le juge aux affaires familiales de Boulogne-sur-Mer a prononcé le divorce des époux par jugement définitif du 15 septembre 2017 et a ordonné l'ouverture des opérations de liquidation et de partage de leurs intérêts patrimoniaux.
Par acte du 15 mai 2018, Me [F] a dressé un procès-verbal d'ouverture des opérations de comptes, liquidation et partage du régime matrimonial ayant existé entre les époux. Puis, le 24 janvier 2019, il a dressé un procès-verbal de reprise et de poursuite des opérations de comptes, liquidation et partage du régime matrimonial constatant un accord transactionnel.
Les époux ont été convoqués le 25 février 2019 aux fins de signature de l'acte authentique mais M. [C] a refusé la signature de cet acte. Me [F] a dès lors dressé un procès-verbal de difficultés. Les parties ont été convoquées devant le juge du partage qui a constaté l'absence de conciliation et les a renvoyés au tribunal.
Par jugement en date du 7 juillet 2020, le tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer a notamment :
- qualifié l'acte du 24 janvier 2019 d'accord transactionnel sur le partage des intérêts patrimoniaux entre M. [C] et Mme [W] ;
- débouté M. [C] de sa demande à titre principal tendant à annuler l'acte du 24 janvier 2019 ;
- condamné Mme [W] à verser à M. [C] un complément de part de 46 207,41 euros ;
- homologué l'accord transactionnel du 24 janvier 2019 pour le surplus ;
- fixé la date de jouissance divise au 24 janvier 2019 ;
- ordonné le partage conformément au jugement et renvoyé les parties devant Me [L] [F], notaire à [Localité 5], aux fins de dresser l'acte de liquidation partage conformément à la décision.
Mme [W] a interjeté appel de ce jugement et aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 novembre 2020, demande à la cour de :
- homologuer l'accord transactionnel de partage signé le 24 janvier 2019 entre les parties ;
- dire que la date de jouissance divise est fixée au 24 janvier 2019 ;
- dire que la demande de comblement de part est irrecevable ;
- débouter M. [C] de ses demandes ;
- le condamner à la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 05 janvier 2021, M. [C] demande à la cour de :
- juger que la cour n'est pas saisie de prétentions de la part de Mme [W] l'invitant à infirmer le jugement de première instance ;
- le recevoir en son appel incident et infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a écarté sa demande sur l'indemnité d'occupation et condamné Mme [W] à payer la somme de 46 207,41 euros ;
- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 53 219,91 euros en complément de part ;
- confirmer pour le surplus le jugement entrepris en ce qu'il a qualifié l'acte du 24 janvier 2019 d'accord transactionnel, homologué l'accord transactionnel du 24 janvier 2019 pour le surplus, fixé la date de jouissance divise au 24 janvier 2019 et ordonné le partage ;
- condamner Mme [W] aux entiers frais et dépens en cause d'appel ainsi qu'à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour l'exposé détaillé des moyens des parties, il sera renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l'étendue de la saisine de la cour
M. [I] [C] demande à la cour de juger qu'elle n'est pas saisie par Mme [W] de prétentions l'invitant à infirmer le jugement de première instance. Il fait valoir que les conclusions d'appelante de Mme [W] du 12 novembre 2020 sont en tout point similaires à celles déposées devant le premier juge, ne détaillent en rien les points querellés du jugement entrepris, ne formulant aucune critique sur ledit jugement et que leur dispositif ne conclut ni à l'infirmation ni à la confirmation du jugement entrepris.
Mme [W] n'a pas conclu en réplique sur ce point.
Ceci étant exposé, dans son arrêt en date du 17 septembre 2020, la Cour de cassation (2e Civ., pourvoi n°18-23.626) a énoncé qu'il résulte des articles 542 et 954 du code de procédure civile que lorsque l'appelant ne demande, dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation, ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement.
Cependant, la haute juridiction a précisé que l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'avait jamais été affirmée par la Cour dans un arrêt publié, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de l'arrêt, de sorte que pour les déclarations d'appel formées à compter du 1er septembre 2017 et avant le 17 septembre 2020, la confirmation du jugement ne pouvant être prononcée, la cour d'appel doit statuer sur les prétentions qui lui sont soumises.
En l'espèce, la déclaration d'appel de Mme [W] a été enregistrée le 11 août 2020, soit antérieurement à l'arrêt précité, de sorte qu'il convient de statuer sur les prétentions formulées dans le dispositif de ses conclusions d'appelante.
La cour constate cependant qu'alors que Mme [W] avait formé appel de l'ensemble des dispositions du jugement entrepris, celui-ci n'est désormais contesté par aucune des parties en ce qu'il a qualifié l'acte du 24 janvier 2019 d'accord transactionnel sur le partage des intérêts patrimoniaux entre M. [I] [C] et Mme [O] [W], débouté M. [C] de sa demande à titre principal tendant à l'annulation de l'acte du 24 janvier 2019, fixé la date de la jouissance divise au 24 janvier 2019, et ordonné le partage.
Il ne sera donc statué que sur les dispositions du jugement ayant condamné Mme [W] à verser à M. [C] un complément de part de 46 207,41 euros et homologué l'accord transactionnel pour le surplus.
Sur la demande de complément de part
* Sur la recevabilité de la demande
Aux termes de l'article 1373 du code de procédure civile, en cas de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier transmet au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d'état liquidatif. Le greffe invite les parties non représentées à constituer avocat. Le juge commis peut entendre les parties ou leurs représentants et le notaire et tenter une conciliation. Il fait rapport au tribunal des points de désaccord subsistants. Il est, le cas échéant, juge de la mise en état.
L'article 1374 dudit code ajoute que toutes les demandes faites en application de l'article 1373 entre les mêmes parties, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, ne constituent qu'une seule instance. Toute demande distincte est irrecevable à moins que le fondement des prétentions ne soit né ou ne soit révélé que postérieurement à l'établissement du rapport par le juge commis.
C'est par de justes motifs, que la cour adopte, que le premier juge a écarté la fin de non-recevoir soulevée par Mme [W] sur le fondement des articles précités dès lors que le rapport du juge commis mentionnait clairement que M. [C] s'était réservé le droit de contester tous les points évoqués par l'accord transactionnel du 24 janvier 2019.
* Sur le bien-fondé de la demande en complément de part
Aux termes de l'article 889 du code civil, lorsque l'un des copartageants établit avoir subi une lésion de plus du quart, le complément de sa part lui est fourni, au choix du défendeur, soit en numéraire, soit en nature. Pour apprécier s'il y a eu lésion, on estime les objets suivant leur valeur à l'époque du partage. L'action en complément de part se prescrit par deux ans à compter du partage.
L'article 890 dudit code ajoute que l'action en complément de part est admise contre tout acte, quelle que soit sa dénomination, dont l'objet est de faire cesser l'indivision entre copartageants.
Pour fixer le complément de part dû par Mme [W], le premier juge a repris les droits des parties tels qu'ils auraient été calculés sans la transaction, aboutissant au versement d'une soulte de 139 207,41 euros par Mme [W], pour souligner ensuite que dans la transaction, il a été tenu compte du fait que la prestation compensatoire due par M. [C] à Mme [W] était capitalisée pour un montant de 18 000 euros et du fait que celui-ci avait déjà perçu 25 000 euros sur sa part de communauté, de sorte qu'en intégrant ces éléments, la soulte aurait dû être de 96'207,41 euros et non de 139 207,41 euros. Le juge a alors estimé que la soulte de 50 000 euros attribuée à M. [C] dans la transaction le lésait de plus du quart de ce à quoi il avait droit, de sorte qu'il lui a attribué la somme de 46 207,41 euros en complément de part.
M. [C] sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il a écarté sa demande au titre de l'indemnité d'occupation et condamné Mme [W] à lui payer la somme de 46 207,41 euros en complément de part. Il demande à la cour, statuant à nouveau sur ce point, de condamner l'intimée à lui payer la somme de 53 219,91 euros en complément de part correspondant à la somme retenue par le premier juge (46 207,41 euros) à laquelle il convient d'ajouter la somme de 7 012,50 euros au titre de la part lui revenant dans les indemnités d'occupation dues par Mme [W] pour son occupation privative de l'immeuble commun sis au [Adresse 1] depuis le jugement définitif de divorce du 15 septembre 2017 jusqu'au 24 janvier 2019.
Mme [W], qui sollicite le débouté des demandes de M. [C], ne critique pas le calcul effectué par le premier juge pour déterminer le montant du complément de part mis à sa charge et se contente d'indiquer dans des termes généraux que 'les comptes proposés sont établis au mépris des dires du procès-verbal d'ouverture de septembre 2013", que 'M. [C] présente une vision tronquée des droits de chacun', qu'il 'omet de prendre en compte les biens propres reçus par Mme [W]' et qu'il 'fixe une indemnité d'occupation sans explication alors que le bien a été attribué à titre gratuit', sans pour autant proposer de calcul alternatif des droits respectifs des parties.
La cour constate donc que le débat utile des parties se concentre sur l'indemnité d'occupation réclamée par M. [C] au titre de l'occupation privative par Mme [W] de l'immeuble commun postérieurement au jugement de divorce et jusqu'au 24 janvier 2019.
A cet égard, les règles relatives à l'occupation privative par l'un des ex-époux du logement commun postérieurement au divorce relèvent du régime de l'indivision et sont fixées par l'article 815-9 du code civil aux termes duquel l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
La circonstance que le juge aux affaires familiales ait attribué à l'épouse, dans l'ordonnance de non-conciliation, la jouissance à titre gratuit du domicile conjugal, est sans incidence pour la période postérieure au divorce, l'ordonnance de non-conciliation ayant seulement vocation à régir à titre provisoire les rapports entre les époux avant que le divorce ne soit prononcé.
Il n'est pas contesté en l'espèce que Mme [W] a occupé l'immeuble commun à titre privatif pour la période du 15 septembre 2017, date du jugement définitif de divorce, au 24 janvier 2019.
Par ailleurs, il résulte du projet d'acte notarié établi par Me [F] en février 2019 à la suite de l'accord transactionnel du 24 janvier 2019 que 'Lors du procès-verbal d'ouverture, Mme [W] a indiqué qu'elle souhaiterait rester dans l'immeuble : Me [J] aurait évalué l'immeuble à 280 000 euros. (...) Dires du notaire : Mme [R], négociatrice à l'étude, s'est déplacée à [Localité 6] afin de procéder à l'évaluation dudit immeuble : il a été proposé aux époux de retenir une valeur de l'ordre de 220 000 euros.'
Or, Mme [W] ne produit aucun élément de nature à contredire cette évaluation faite par le notaire chargé de la liquidation des intérêts patrimoniaux des ex-époux.
Dès lors, le calcul de l'indemnité d'occupation due par Mme [W] à la communauté peut s'établir selon la formule suivante :
Valeur de l'immeuble x 5 % = valeur locative/12 x 80 % d'abattement au titre de la précarité de l'occupation des lieux
Soit : 220 000 x 5 % = 11 000/12 = 916,66 x 80 % = 733,33 euros par mois pendant 17 mois (du 15 septembre 2017 au 24 janvier 2019), soit 12 466,66 euros.
La part de M. [C] dans cette indemnité d'occupation s'élève à la moitié de cette somme, à savoir 6 233,33 euros.
En conséquence, il convient d'infirmer la décision entreprise en ce qu'elle a fixé le complément de part dû par Mme [W] à M. [C] à la somme de 46 207,41 euros et statuant à nouveau, de condamner Mme [W] à verser à M. [C] la somme de 52 440,74 euros (46'207,41 + 6 233,33) en complément de part.
L'accord transactionnel du 24 janvier 2019 sera homologué pour le surplus.
Sur les demandes accessoires
Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens.
Les dépens d'appel seront de même employés en frais privilégiés de partage.
Par ailleurs, compte tenu de la nature du litige, il convient de débouter les parties de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de l'appel,
Infirme la décision entreprise en ce qu'elle a condamné Mme [O] [W] à verser à M. [I] [C] un complément de part de 46 2017,41 euros,
La confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur le chef de jugement infirmé,
Condamne Mme [O] [W] à verser à M. [I] [C] un complément de part de 52'440,74 euros ;
Dit que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de partage et supportés par les parties à proportion de leur part dans l'indivision ;
Déboute Mme [O] [W] et M. [I] [C] de leurs demandes respectives sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet