République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 12/01/2023
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N° de MINUTE :
N° RG 20/05184 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKXH
Jugement (N° 18/02820)
rendu le 05 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Valenciennes
APPELANTE
La SARL Nord Pesse Diffusion
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Armand Audegond, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué
INTIMÉE
Madame [W] [F] épouse [O]
née le 03 novembre 1965 à [Localité 5] ([Localité 5])
demeurant [Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Hélène Dorchie-Cauchy, avocat au barreau de Valenciennes, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 20 octobre 2022 tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2023 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 29 septembre 2022
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Le 28 janvier 2010, Mme [W] [O], épouse [F], a conclu avec la SARL Nord Presse Diffusion (ci-après « la société'») un contrat de vendeur colporteur de presse en vertu duquel elle était chargée de vendre et de distribuer les journaux et magazines qui lui étaient remis par celle-ci, moyennant une commission.
Le 13 février 2014, alors qu'elle se rendait vers 3 heures du matin, au volant de sa voiture, à l'entrepôt de la société pour y prendre livraison des journaux à distribuer, elle a heurté un piéton fortement alcoolisé qui a surgi inopinément sur la chaussée et a succombé au choc. Mme [O], non blessée mais conduite à l'hôpital pour y subir des examens, a été placée en arrêt de travail pour deux semaines, arrêt renouvelé par la suite, et, le lendemain, s'est vu notifier le retrait de son permis de conduire pour six mois.
Par courrier du 15 février 2014, la société lui a notifié la rupture de leur relation contractuelle.
Le 17 novembre 2015, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Valenciennes d'une requête tendant principalement à obtenir la requalification de ce contrat en contrat de travail et la condamnation de la société à lui payer la somme de 20'000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif.
Par jugement du 12 juin 2018, le conseil des prud'hommes a écarté la requalification demandée et s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Valenciennes.
Par jugement du 5 novembre 2020, ce dernier a :
- dit que la société avait commis une faute de nature contractuelle en abusant de son droit de résilier unilatéralement le contrat conclu le 28 janvier 2010 avec Mme [W] [O] épouse [F],
- condamné ladite société à payer à Mme [O] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et financier,
- rappelé que cette somme porterait intérêts au taux légal à compter de la date de la décision en application de l'article 1231-7 du code civil,
- débouté Mme [O] de ses demandes présentées au titre de la perte de revenus et de l'atteinte portée à son image,
- débouté la société de sa demande présentée au titre de l'abus du droit d'agir en justice,
- condamné cette dernière aux dépens et à payer à Mme [O] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société a interjeté appel de ce jugement et, par conclusions remises le 12 mars 2021, demande à la cour, abstraction faite de demandes de « dire et juger'» qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile mais le rappel de ses principaux arguments, de :
- réformer la décision entreprise en ce qu'elle a dit qu'elle avait commis une faute de nature contractuelle en abusant de son droit de résilier unilatéralement le contrat, l'a condamnée à payer à Mme [O] 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et 2'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a déboutée de ses demandes,
- débouter Mme [O] de ses prétentions,
- condamner celle-ci à lui payer 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour abus du droit d'agir et une indemnité de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 susvisé au titre des frais irrépétibles exposés devant le conseil de prud'hommes, le tribunal de grande instance de Valenciennes et la cour d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions remises le 10 juin 2021, Mme [O] demande pour sa part à la cour de :
- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que la rupture du contrat était abusive, débouté la société de ses demandes et condamné celle-ci à lui régler 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,
- infirmer la décision pour le surplus et condamner la société à lui régler la somme totale de 40'000'euros à titre de dommages et intérêts, soit 12 200 euros au titre de la perte subie, 20'000 euros au titre du préjudice moral et 7'800 euros au titre de l'atteinte à son image,
- en toute hypothèse, condamner la société aux dépens d'appel et à lui régler 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de ses frais irrépétibles d'appel.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'exigence de principe du respect d'un délai de préavis raisonnable avant la résiliation unilatérale d'un contrat à durée indéterminée, dont se prévaut Mme [O], supporte des exceptions en raison de circonstances particulières.
Ainsi, l'article L 442-6 du code de commerce cité par celle-ci, qui dispose notamment qu'« engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale'» ajoute-t-il que cette disposition ne fait pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
En l'espèce, le contrat ayant uni les parties stipule notamment en son article 8 que le dépositaire central se réserve le droit de mettre fin à tout moment, sans préavis, au présent contrat en cas de faute grave ou de défaut de paiement.
La société rappelle, d'une part, qu'à la suite de l'accident du 13 février 2014, Mme [O] s'est trouvée immédiatement et pour au moins six mois dans l'impossibilité d'exécuter sa prestation en raison de son arrêt de travail et surtout du retrait de son permis de conduire ; d'autre part, que le contrat comporte également un article 7 aux termes duquel, dans le cas où, pour une durée limitée ou à titre exceptionnel, le vendeur-colporteur ne pourrait procéder lui-même à la fourniture à domicile, il devra prendre toutes dispositions nécessaires pour que cette fourniture soit assurée, sous sa responsabilité, par le prestataire de son choix ; que si le mari de Mme [O], M. [K] [F], qui avait été vendeur colporteur pour son compte antérieurement, a accepté d'assurer les tournées des 13 et 14 février 2014, il n'a pas souhaité poursuivre et que personne ne s'est présenté le 15 février. Elle soutient en conséquence que le fait, pour Mme [O], de ne pas exécuter sa prestation et de s'abstenir de se faire remplacer constituait une faute grave justifiant qu'il soit mis fin au contrat sans préavis le 15 février 2014.
Mme [O] fait valoir que l'enquête ayant suivi son accident a démontré qu'elle n'avait aucune part de responsabilité dans la survenance de celui-ci, lequel n'a pas donné lieu à poursuites pénales et a été pris en charge comme accident de travail, et que cet accident ne pouvait constituer une faute grave autorisant la rupture du contrat de travail ; que par ailleurs, le refus de son mari, donc un tiers au contrat, de la remplacer au-delà du 14 février ne peut caractériser un manquement de sa part à son engagement contractuel de prendre les dispositions nécessaires pour que sa prestation soit assurée, dispositions qu'on ne lui a pas laissé le temps de prendre.
Toutefois, si toute responsabilité de Mme [O] dans la survenance de l'accident a effectivement été ultérieurement écartée, il ressort des pièces du dossier qu'à la date à laquelle la société a pris sa décision de rompre le contrat, le 15 février 2014, celle-ci était informée de ce que Mme [O] était impliquée dans un accident de la circulation mortel, ayant donné lieu à l'établissement d'une procédure pour délit de fuite et non assistance à personne en danger, qui n'a fait l'objet d'un classement sans suite que le 13 novembre suivant, et à un retrait immédiat, pour six mois, de son permis de conduire, indispensable à l'exercice de sa mission. La société a pu légitimement considérer alors l'absence de Mme [O] et l'impossibilité où elle se trouvait de remplir sa mission par l'effet de telles circonstances comme constitutive d'une faute grave, suffisante pour justifier la rupture unilatérale et immédiate du contrat en application de l'article 8 de celui-ci, indépendamment de la question du remplacement de l'intéressée, et c'est bien au visa de cet article 8 qu'elle a notifié sa décision à Mme [O] le 15 février 2014.
Mme [O] peut d'autant moins dénoncer un motif fallacieux de rupture et une mauvaise foi de l'employeur que dans sa lettre du 15 février 2014 et après avoir notifié sa décision de mettre fin au contrat, la société ajoutait « Toutefois, nous pourrons étudier une éventuelle demande de votre part pour un nouveau contrat dès que vous aurez récupéré votre permis de conduire'» et que, par un courrier du 17 février suivant, elle lui conseillait, puisqu'elle déclarait prétendre à la reconnaissance d'un accident de travail ou de trajet, de prendre contact de toute urgence avec l'ASEPQN qui a pour mission d'aider les vendeurs colporteurs de presse, travailleurs indépendants, dans leurs démarches administratives auprès des organismes sociaux.
Il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a fait droit partiellement aux demandes de Mme [O].
Pour autant, le rejet des prétentions de cette dernière ne suffit pas pour caractériser un abus de sa part du droit d'agir en justice, qui n'est pas autrement démontré, de sorte que la demande de dommages et intérêts de la société de ce chef a été rejetée à juste titre par le premier juge.
Vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour
confirme le jugement en ce qu'il a :
- débouté Mme [O] de ses demandes présentées au titre de la perte de revenus et de l'atteinte portée à son image,
- débouté la société de sa demande présentée au titre de l'abus du droit d'agir en justice,
l'infirme en ses autres dispositions et, statuant à nouveau,
déboute Mme [O] de ses demandes de dommages et intérêts pour préjudice matériel et moral et d'indemnité pour frais irrépétibles,
la condamne aux dépens de première instance et d'appel et au paiement à la société Nord Presse Diffusion d'une indemnité de 2 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet