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12/01/2023 | FRANCE | N°20/05138

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 12 janvier 2023, 20/05138


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 12/01/2023



****





N° de MINUTE :

N° RG 20/05138 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKT3



Jugement (N° 19/09121)

rendu le 03 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANTS



Madame [Y] [P] épouse [K]

née le 25 juillet 1956 à [Localité 12]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 13]




>Madame [E] [P] épouse [M]

née le 30 décembre 1958 à [Localité 15]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 9]





Monsieur [W] [P]

né le 28 mars 1955 à [Localité 15]

demeurant [Adresse 6]

[Localité 8]



représentés par Me Sylviane Maz...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 12/01/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 20/05138 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TKT3

Jugement (N° 19/09121)

rendu le 03 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTS

Madame [Y] [P] épouse [K]

née le 25 juillet 1956 à [Localité 12]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 13]

Madame [E] [P] épouse [M]

née le 30 décembre 1958 à [Localité 15]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 9]

Monsieur [W] [P]

né le 28 mars 1955 à [Localité 15]

demeurant [Adresse 6]

[Localité 8]

représentés par Me Sylviane Mazard, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [O] [G]

né le 05 septembre 1944 à [Localité 14] (Algérie)

Madame [X] [L] épouse [G]

née le 03 novembre 1947 à [Localité 7]

demeurant ensemble [Adresse 5]

[Localité 7]

représentés par Me Christophe Everaere, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

Monsieur [S] [N]

né le 26 avril 1966 à [Localité 18]

demeurant [Adresse 4]

[Localité 10]

Madame [T] [G]

née le 25 novembre 1971 à [Localité 16]

demeurant [Adresse 3]

[Localité 11]

représentés par Me Vincent Bué, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

---------------------

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

DÉBATS à l'audience publique du 17 octobre 2022 tenue en double rapporteur par Bruno Poupet et Camille Colonna après accord des parties.

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 12 janvier 2023 après prorogation du délibéré en date du 15 décembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 26 septembre 2022

****

[B] [C], veuve [P], est décédée le 2 avril 2014, laissant pour lui succéder ses quatre enfants, à savoir :

d'un premier lit :

- Mme [X] [L], épouse de M. [O] [G],

d'un second lit :

- Mme [Y] [P], épouse [K],

- Mme [E] [P], épouse [M],

-M. [W] [P].

Par actes d'huissier des 11 et 17 janvier 2018, Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] ont fait assigner Mme [X] [L], M. [O] [G], son époux, ainsi que M.'[S] [N] devant le tribunal de grande instance de Lille afin, notamment, de les voir condamner à payer la somme de 297 127 euros avec intérêt au taux légal à compter du 20 mai 2015. Mme [T] [G], fille de Mme [X] [L], est intervenue volontairement aux débats.

Par jugement du 3 novembre 2020, le tribunal a notamment :

- rejeté «'la demande de Mme [T] [G] et de M. [S] [N] en irrecevabilité de l'action des consorts [P] pour cause de prescription'»,

- rejeté les demandes de Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] à l'encontre de M. [S] [N], de Mme [T] [G] et de M. [O] [G],

- constaté le recel successoral commis par Mme [X] [L] sur la somme de 54 351 euros,

- condamné Mme [X] [L] à restituer à la succession la somme de 54 351 euros avec intérêt au taux légal à compter du 20 mai 2015, sans pouvoir prétendre à aucune part sur cette somme,

- rejeté la demande de Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] au titre de dommages et intérêts,

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties,

- condamné Mme [X] [L] aux dépens et à payer à Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] in solidum à payer Monsieur [S] [N] la somme de 1 000 euros au titre dudit article 700.

Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] (les consorts [P]) ont interjeté appel de cette décision et, aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 25 septembre 2021, demandent à la cour de :

- infirmer le jugement,

- condamner solidairement Mme [X] [L] (sic) à rembourser à la succession de Mme [B] [P] la somme de 297 127 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2015,

- dire et juger que Mme [X] [L], ayant recelé l'intégralité de l'actif successoral de sa mère au préjudice de ses frères et s'urs, est :

* réputée avoir accepté purement et simplement la succession et devra en conséquence régler l'intégralité des dettes afférentes,

* privée de l'intégralité de ses droits sur les biens recélés dans ladite succession,

* condamnée à payer en sus l'intégralité des intérêts produits par les biens recelés depuis l'ouverture de la succession le 20 mai 2015,

- constater la nullité du règlement de la somme de 40 000 euros fait au profit de M. [N],

- condamner solidairement M. [N] et Mme [T] [G] à rembourser à la succession de Mme [B] [P] la somme de 40 000 euros avec intérêts légaux courant à compter de la décision de première instance,

- condamner solidairement les intimés à payer à chacun des appelants la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article 1240 du code civil,

- débouter les intimés de toutes leurs demandes,

- les condamner solidairement, en application de l'article 700 du code de procédure civile, à leur payer la somme de 5 000 euros pour la première instance et la même somme pour la procédure d'appel, outre les entiers dépens des deux procédures, en ce compris l'intégralité des sommes dépensées pour obtenir copie des documents administratifs et financiers de la défunte (copie de chèques, de relevés de compte, de factures etc') permettant la manifestation de la vérité et tous les frais de saisie conservatoire.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 27 avril 2021, Mme [X] [L] et M.'Jean [R] [G] demandent à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes des consorts [P] à l'encontre de M. [N], de Mme [T] [G] et de M. [O] [G] et au titre des dommages et intérêts,

- l'infirmer pour le surplus,

- débouter Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner solidairement ces derniers aux entiers frais et dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à leur payer 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [S] [N] et Mme [T] [G] demandent pour leur part à la cour, par leurs dernières conclusions notifiées le 26 mai 2021, de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

* rejeté leur demande en irrecevabilité de l'action des consorts [P] pour cause de prescription,

* rejeté les demandes de Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] à leur encontre,

* constaté le recel successoral commis par Mme [X] [L] sur la somme de 54 351 euros,

* condamné cette dernière à restituer à la succession la somme de 54 351 euros avec intérêt au taux légal à compter du 20 mai 2015, sans pouvoir prétendre à aucune part sur cette somme,

* rejeté toutes demandes plus amples ou contraires des parties,

*condamné Mme [X] [L] aux dépens, dont distraction au bénéfice de Me Vincent Bué,

* condamné Mme [X] [L] à payer à Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] in solidum à payer à M. [S] [N] la somme de 1 000 euros au titre dudit article 700,

y ajoutant en cause d'appel :

- débouter Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] de leurs demandes,

- les condamner à payer à M. [N] la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Me Vincent Bué pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.

Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé de leur argumentation.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les demandes dirigées par les consorts [P] contre Mme [X] [G]-[L]

Aux termes de l'article 843 du code civil, tout héritier, même ayant accepté à concurrence de l'actif, venant à une succession, doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu'il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement ; il ne peut retenir les dons à lui faits par le défunt, à moins qu'ils ne lui aient été faits expressément hors part successorale.

L'article 778 du code civil dispose pour sa part que sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés ; que lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.

Il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

***

Les consorts [P] soutiennent que Mme [X] [G]-[L], qui a assuré seule la gestion des affaires administratives et financières de leur mère, diminuée par la maladie d'Alzheimer à compter de 2004, et disposait de procurations sur les comptes de celle-ci, a détourné l'intégralité de son patrimoine.

Il ressort des pièces d'ordre médical versées aux débats que [B] [P]-[C] a présenté dès 2002 des troubles de la mémoire et a été suivie à partir de 2004 pour une pathologie neuro-dégénérative nécessitant déjà à cette époque une aide, accrue progressivement par la suite, pour les questions financières et administratives. Elle a intégré un établissement d'hébergement pour personnes âgées au cours de l'année 2007.

Il n'est pas contesté que c'est Mme [X] [G]-[L] qui a pris en charge avec l'accord de ses frère et soeurs la gestion des affaires de sa mère, et ce au moins dès 2007.

Maître [J] [A], notaire à [Localité 13], a établi le 30 mai 2015 un compte rendu de la réunion d'ouverture de la succession qui s'était tenue le 20 mai précédent en son étude, dans lequel elle indique qu'elle est étonnée de l'absence d'actifs (220,29 euros sur un livret A et un compte courant débiteur de 267,48 euros), qu'elle a interrogé les héritiers sur le produit de la vente de la maison d'habitation de la défunte à l'occasion de laquelle cette dernière avait touché 116'000 euros le 12 février 2007, que Mme [X] [G] a alors déclaré avoir reçu 12'000 euros sur ce prix et a accepté, sur observation du notaire, de rapporter cette somme à la succession, que Mme [G] a également déclaré que sa fille [T] [G] avait reçu de la défunte un prêt de 40'000 euros dont le remboursement devait intervenir sous peu grâce à la vente d'un bien à [Localité 17], que malgré les indications de Mme [G] relatives à ces deux sommes, un doute persistait sur le sort des actifs de la succession.

Il est produit également trois courriers des 2 septembre, 16 septembre et 1er octobre 2015 par lesquels maître [A] relance Mme [X] [G], censée lui fournir les éléments nécessaires à l'établissement des comptes de la succession, et déplore l'absence de réponse de sa part comme l'absence d'informations de la part de Mme [T] [G].

Les consorts [P], pour leur part, après s'être procuré les pièces nécessaires auprès de divers établissements bancaires et financiers, livrent une analyse de ces pièces de laquelle il ressort que Mme [X] [G], avec son mari ainsi que la complicité de sa fille, Mme [T] [G], et d'un parent du conjoint de celle-ci, M. [S] [N], au moyen de chèques, de paiements par carte bleue et de retraits d'espèces, aurait profité et fait profiter les siens des fonds de [B] [P] à concurrence de 297'127 euros.

Les consorts [P] ne fournissent pas de décompte détaillé de ce montant.

Parmi les opérations recensées comme douteuses par les consorts [P], le tribunal n'a retenu comme ayant avec certitude bénéficié à Mme [X] [G]-[L] et à son époux que 43 chèques de plus de 1000 euros chacun à l'ordre de [G] émis depuis le compte de [B] [P]-[C] entre le 14 février 2007 et le 2 juin 2011, pour un total de 66'351 euros.

Parmi ces chèques, se trouve un chèque de 12'000 euros, somme que [B] [P]-[C] aurait donnée à sa fille [X] [G], selon celle-ci, pour compenser le fait qu'elle l'avait délaissée dans son enfance lorsqu'elle avait décidé de se remarier et de construire une nouvelle famille. Cette explication, que les consorts [P] estiment dénuée de fondement et de vraisemblance, est en tout cas indifférente puisque Mme [G] a reconnu, devant le notaire, avoir reçu cette somme et devoir la rapporter à la succession. Le tribunal a pu retenir valablement que le recel n'était pas caractérisé en ce qui concerne cette somme dès lors que l'intéressée, même si c'est sur interrogation du notaire, avait déclaré ce don, reçu de sa mère, lors de la réunion susvisée.

La cour relève que Mme [G] ne conteste pas avoir bénéficié du surplus de la somme représentée par les 43 chèques de plus de 1 000 euros, soit 54'351 euros, puisqu'elle affirme (voir notamment page 10 de ses conclusions) qu'il s'agit d'une donation rémunératoire et donc non rapportable, représentant finalement, sur la période de 2007 à 2011, un versement mensuel très raisonnable de 905,85 euros, dont sa mère l'a gratifiée en contrepartie de l'ensemble des services, soins et attentions qu'avec son mari elle lui a prodigués, versement mensuel représentant même moins de 650 euros si l'on considère la période de 2007 à avril 2014 pendant laquelle ces services ont été assurés.

Toutefois, une donation rémunératoire, qui est en réalité un acte onéreux échappant à l'obligation de rapport à la succession, est une somme accordée par le «'donateur'» en contrepartie d'un service que le «'donataire'» lui a rendu antérieurement.

Or, en premier lieu, Mme [X] [G] ne peut déclarer valablement qu'elle s'occupait «'intégralement'» de sa mère depuis 2007, même si elle lui rendait probablement divers services (courses, lessive, repassage), comme elle l'affirme, dès lors que [B] [P]-[C] était alors dans un établissement. En second lieu, son affirmation selon laquelle elle accueillait sa mère chez elle tous les dimanches et à l'occasion des anniversaires, l'emmenait également chez ses petits-enfants et en vacances, n'est pas mise en doute et est confirmée par quelques attestations, émanant essentiellement de ses enfants, et un certain nombre de photographies. Mais elle n'apporte nullement la preuve de la volonté qu'aurait eue sa mère de la rémunérer pour ces attentions, naturelles, et pour la gestion de ses affaires, ni antérieurement à sa maladie, de manière préventive et pour le cas où une telle situation se produirait, ni ultérieurement alors qu'il est acquis que la mémoire et le discernement de [B] [P] étaient altérés ; à fortiori, elle ne peut justifier du montant de la rémunération que celle-ci aurait entendu lui verser. Or ce n'est que parce que le tribunal a jugé qu'il était établi qu'elle avait perçu 54 351 euros en plus des 12'000 euros évoqués ci-dessus qu'elle prétend à la reconnaissance d'une donation rémunératoire, et d'une donation rémunératoire de ce montant.

C'est dès lors à bon droit que les premiers juges ont exclu l'existence d'une donation rémunératoire et retenu une volonté de Mme [X] [G] de faire échapper la somme en question à l'actif successoral, caractérisant ainsi un recel.

Il ressort en outre des pièces versées aux débats :

- que les revenus mensuels de [B] [P] s'élevaient à 1 800 euros environ, que ses frais d'hébergement et de nourriture étaient facturés en moyenne 1 200 euros (cf pièce 1 des époux [G]), ce qui laissait un disponible mensuel de 600 euros pour faire face à d'autres dépenses,

- qu'au mois de janvier 2007, elle disposait au moins d'une somme de 30'000 euros sur un compte d'épargne, qui a été virée le 23 janvier 2007 sur son compte courant dont le solde était au 31 janvier 2007 de 32'312,54 euros,

- que le 19 février 2007, le produit de la vente de sa maison, soit 115'864 euros, a également alimenté son compte,

- qu'indépendamment de ses revenus, elle disposait donc alors d'une épargne d'au moins 145'864 euros,

- qu'à l'ouverture de sa succession, il n'en restait rien.

Si l'on déduit des 145'864 euros d'épargne existant au 19 février 2007 les 66'351 euros évoqués ci-dessus, constitués par les 43 chèques de plus de 1'000 euros, ce sont encore 79'513 euros dont l'utilisation reste à expliquer, outre les 600 euros pouvant être dégagés chaque mois.

Mme [X] [G] fait état de dépenses effectuées par [B] [P]-[C] elle-même ou exposées à son profit pour satisfaire ses divers besoins de la vie courante.

Toutefois, elle rappelle, dans ses écritures, ce que les consorts [P] exposaient dans leurs conclusions de première instance, à savoir : «'[X] [G] étant la seule de ses enfants à ne plus travailler et située géographiquement la plus proche, un consensus familial s'est dégagé pour confier à cette dernière l'aide et la surveillance de leur mère dont les pertes de mémoire étaient devenues permanentes'». Elle admet, ce faisant, d'une part, que la dégradation des facultés de sa mère ne lui permettait plus de gérer par elle-même ses affaires et rendait une surveillance nécessaire, d'autre part qu'elle était en quelque sorte investie d'un mandat. Elle est pourtant dans l'incapacité de fournir le moindre compte rendu de sa gestion et d'expliquer l'utilisation des importantes sommes précitées.

Il n'est pas contesté qu'elle disposait de procurations sur les comptes de [B] [P] et de ses moyens de paiement, chéquiers et carte bleue.

Or, au-delà des 66'351 euros examinés ci-dessus, on relève sur les comptes de la défunte':

- un chèque de 40'000 euros à l'ordre de M. [S] [N],

- des chèques de moins de 1 000 euros,

- des retraits et des paiements par carte bancaire.

Il sera revenu ultérieurement sur le chèque de 40'000 euros à l'ordre de M. [N].

En ce qui concerne les chèques de moins de 1 000 euros, ils sont libellés à l'ordre de [G] ou des enfants de Mme [G] et sont de la même main que les chèques de plus de 1000 euros qui ont été admis comme établis par Mme [G], étant rappelé que cette dernière était seule détentrice des moyens de paiement de sa mère. Ils se monteraient au total à près de 70'000 euros selon les appelants mais ceux dont la copie est versée aux débats (pièce 44 de ces derniers) représentent 13'526 euros.

Une bonne partie des paiements par carte bancaire, carte dont il sera rappelé que seule Mme [G] en disposait, ont à l'évidence profité aux époux [G], s'agissant de frais de restaurant, de carburants ou autres, à des dates et en divers lieux de France où il n'est nullement démontré par Mme [G] que sa mère les accompagnait et entendait participer à la dépense commune. Par ailleurs, les appelants démontrent, par la comparaison des relevés de compte de [B] [P] et de relevés du compte des époux [G] dont ils ont pu disposer, que des retraits au distributeur opérés avec la carte de [B] [P] étaient aussitôt suivis de dépôts en espèces du même montant sur le compte des époux [G].

S'agissant des 600 euros disponibles chaque mois, une fois payée la facture d'hébergement et de repas, ils ont été utilisés pour régler divers frais évalués à 200 euros (téléphone, abonnement à un journal, mutuelle, etc.) et Mme [G] ne justifie pas de l'usage du surplus. Il est néanmoins raisonnable de retenir que 200 autres euros ont pu permettre de faire face à diverses dépenses nécessaires ou non (habillement, extras, participation ponctuelle aux repas auxquels était invitée [B] [P], présents d'usage aux uns et aux autres), de sorte que 200 euros n'avaient pas d'affectation et auraient dû se retrouver dans sa succession, ce qui, de janvier 2007 à mars 2014, représente 17'400 euros.

En définitive, les pièces versées aux débats permettent de retenir :

- que le patrimoine de [B] [P] aurait dû comporter à son décès au moins les 145'864 euros d'épargne dont elle disposait au mois de février 2007, dont elle n'avait pas besoin pour faire face aux frais de la vie courante entendus largement, et 17'400 euros dont il n'est pas justifié de l'usage de janvier 2007 à mars 2014, soit 163'264 euros,

- que 66'351 euros ont déjà été jugés par le tribunal comme devant être rapportés à la succession pour 12'000 euros et ayant été recelés par Mme [X] [G] pour 54'351,

- que 40'000 euros font l'objet des demandes dirigées contre Mme [T] [G] et M. [S] [N] et seront examinés ci-dessous,

- qu'il reste 56'913 euros dont la disparition est inexpliquée par Mme [G] mais dont il est avéré qu'elle a bénéficié, de sorte qu'elle doit se voir appliquer la sanction du recel à concurrence de cette somme pour avoir tenté de la faire échapper au partage,

- que c'est donc 123'264 euros (66'351 + 56'913) que Mme [X] [G] doit à la succession, dont 111'264 euros sur lesquels elle n'aura droit à aucune part.

C'est à bon droit que les appelants demandent qu'il soit dit que Mme [X] [G] est réputée avoir accepté purement et simplement la succession, conformément à l'article 778 du code civil. En revanche, cela n'entraîne pas qu'elle doive régler l'intégralité des dettes de la succession auxquelles elle ne sera tenue que dans la proportion de ses droits théoriques.

Sur les demandes dirigées contre Mme [T] [G] et M. [S] [N] et relatives à une somme de 40'000 euros

Le 5 juin 2008, un chèque de 40'000 euros a été tiré sur le compte de [B] [P] à l'ordre de M. [S] [N], oncle par alliance de Mme [T] [G].

Ces derniers soutiennent aujourd'hui que cette somme solde un prêt que M. [N] avait consenti à Mme [T] [G] et constitue un don de [B] [P] à sa petite-fille, don non rapportable à la succession puisque Mme [T] [G] n'est pas héritière de [B] [P].

Ils soulèvent toutefois en premier lieu la prescription de l'action des consorts [P] sur le fondement de l'article 2224 du code civil.

Or, ledit article dispose, depuis le 19 juin 2008, que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Mme [T] [G] et M. [S] [N] ne démontrent pas que les consorts [P] aient eu connaissance du versement de cette somme avant les déclarations de Mme [X] [P] en l'étude du notaire le 20 mai 2015 ni qu'ils auraient dû en avoir connaissance, cette dernière hypothèse étant exclue compte tenu de la dissimulation par Mme [X] [G], caractérisée supra, de l'utilisation faite par elle des fonds de sa mère.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée de la prescription.

Sur le fond, il est constant que l'intention libérale ne se présume pas. Or, Mme [T] [G] ne démontre nullement l'intention qu'aurait eue sa grand-mère de la gratifier de 40'000 euros. De surcroît, il ressort du compte rendu fait par le notaire de la réunion du 20 mai 2015 en son étude que Mme [X] [G] a alors déclaré que [B] [P] avait consenti à sa petite-fille un prêt de 40'000 euros que celle-ci devait rembourser grâce à la vente d'un bien qu'elle possédait à [Localité 17], et il doit être accordé crédit à cette première déclaration faite spontanément, avant élaboration d'une défense autre dans le cadre de la procédure qui a suivi. Les courriers de relance subséquents du notaire démontrent que ni Mme [X] [G] ni Mme [T] [G] n'ont apporté d'informations complémentaires.

Dès lors qu'il s'agit d'un prêt, les consorts [P] sont bien fondés à demander la condamnation de Mme [T] [G] à rembourser cette somme à l'indivision successorale, sans qu'il soit nécessaire d'examiner leur demande d'annulation de l'acte (donation ou prêt) qu'ils présentent sur le fondement de l'article 1128 du code civil, autrement dit, semble-t-il, l'absence de consentement éclairé de [B] [P].

Leur demande de remboursement dirigée contre M. [N], qui n'est pas le bénéficiaire du prêt, ne peut en revanche prospérer.

Sur les autres demandes

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Les consorts [P], qui ont fait confiance à Mme [X] [G] en considération du fait qu'elle était la mieux placée pour s'occuper des affaires de leur mère, sont bien fondés à déclarer subir un préjudice moral résultant des agissements de celle-ci et leur demande dirigée contre elle doit être accueillie.

Il n'en va pas de même en ce qui concerne M. [O] [G], Mme [T] [G] et M. [N] dont l'implication n'est pas clairement définie.

Il appartient à Mme [X] [G], partie perdante, de supporter la charge des dépens tels qu'ils sont définis par l'article 695 du code de procédure civile, ne comprenant donc pas «'l'intégralité des sommes dépensées pour obtenir copie des documents administratifs et financiers de la défunte (copie de chèques, de relevés de compte, de factures etc') permettant la manifestation de la vérité et tous les frais de saisie conservatoire'» demandées par les appelants.

Vu l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour

confirme le jugement en ce qu'il a :

- rejeté la fin de non-recevoir opposée par Mme [T] [G] et M. [S] [N] aux demandes des consorts [P] à leur encontre,

- condamné Mme [X] [L] aux dépens et à payer à Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] in solidum à payer Monsieur [S] [N] la somme de 1 000 euros au titre dudit article 700,

l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau,

condamne Mme [X] [L] à restituer à la succession de [B] [P]-[C], indépendamment de la donation de 12'000 euros qu'elle a admis devoir y rapporter, la somme de 111'264 euros avec intérêt au taux légal à compter du jugement sur 54'351 euros et à compter de ce jour sur le surplus, sans pouvoir prétendre à aucune part sur cette somme,

condamne Mme [T] [G] à payer à l'indivision successorale consécutive au décès de [B] [P]-[C] la somme de 40'000 euros avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

condamne Mme [X] [L] à payer à Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] la somme de 5 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts,

déboute Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] de leur demande en paiement de la somme de 40'000 euros dirigée contre M. [S] [N],

les déboute de leurs demandes de dommages et intérêts dirigées contre M. [O] [G], Mme [T] [G] et M. [S] [N],

déboute Mme [X] [L], M. [O] [G] et Mme [T] [G] de leurs demandes,

condamne Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P], ensemble, à payer à M. [S] [N] la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

condamne Mme [X] [L] aux dépens, qui ne comprennent pas les sommes dépensées pour obtenir copie des documents administratifs et financiers de la défunte (copie de chèques, de relevés de compte, de factures etc') ni les frais de saisie conservatoire avec droit de recouvrement direct au profit de Me'Bué en ce qui concerne les dépens exposés par son client,

la condamne à payer à Mme [E] [P], Mme [Y] [P] et M. [W] [P] ensemble une indemnité de 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 20/05138
Date de la décision : 12/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-12;20.05138 ?
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