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16/12/2022 | FRANCE | N°21/01012

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale e salle 4, 16 décembre 2022, 21/01012


ARRÊT DU

16 Décembre 2022







N° 1813/22



N° RG 21/01012 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TVPQ



PL/VM

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY

en date du

02 Juin 2021

(RG F 19/00199 -section 4)






































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GROSSE :



aux avocats



le 16 Décembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



S.A. QUADIENT FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI, assistée de Me Jérôme DANIEL, avocat au ...

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 1813/22

N° RG 21/01012 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TVPQ

PL/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LANNOY

en date du

02 Juin 2021

(RG F 19/00199 -section 4)

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

S.A. QUADIENT FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI, assistée de Me Jérôme DANIEL, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Nathalie DAUXERRE, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE :

Mme [J] [U]

[Adresse 1]

[Localité 6]

représentée par Me Aude WALLON-LEDUCQ, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 19 Octobre 2022

Tenue par Philippe LABREGERE

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Philippe LABREGERE

: MAGISTRAT HONORAIRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 28 Septembre 2022

EXPOSE DES FAITS

 

[J] [L] épouse [U] a été embauchée par contrat de travail à durée indéterminée par la société NEOPOST à compter du 1er mars 2008 en qualité d'assistante commerciale.

A la date de son licenciement, elle occupait l'emploi d'ingénieur commercial office, statut cadre, position II, coefficient 108 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie et percevait un salaire mensuel brut moyen de 3798,66 euros. L'entreprise employait de façon habituelle au moins onze salariés.

En vertu d'un avenant à son contrat de travail prenant effet à compter du 1er septembre 2016, la salariée a bénéficié d'un congé parental à temps partiel à 80% et a repris ses fonctions. Elle a été placée en arrêt maladie du 5 mai au 6 novembre 2017. Le 7 novembre 2017, à l'issue de la première visite médicale de reprise, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son emploi d'ingénieur commercial dans les termes suivants : «Inapte en un seul examen (art. R4624-42 CT) L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.»

Après avoir été informée, par courrier du 9 novembre 2017, de l'impossibilité de son reclassement au sein de l'entreprise, elle a été convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 novembre 2017 à un entretien le 27 novembre 2017 en vue d'un éventuel licenciement. Cet entretien n'ayant pas lieu du fait de l'absence de la salariée, son licenciement pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 décembre 2017.

 

Les motifs du licenciement tels qu'énoncés dans la lettre sont les suivants :

«Nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement en raison de votre inaptitude physique médicalement constatée et de l'impossibilité de vous reclasser.

En effet lors de la visite du 7 novembre 2017, qui faisait suite à l'étude de poste du 18 octobre 2017, de l'étude des conditions de travail en date du 18 octobre 2017, de l'échange avec l'employeur en date du 18 octobre 2017, le Docteur [P] [C], médecin du travail, vous a déclarée inapte à votre poste d'Ingénieur Commercial dans les termes suivants : « Inapte en un seul examen (art. R. 4624-42 CT) L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ». Cette mention exclut toute possibilité de reclassement. Nous vous précisions que votre contrat de travail prend fin à la date de première présentation du présent courrier, aucun préavis ne pouvant être effectué suite à la déclaration d'inaptitude vous concernant »

Par requête reçue le 2 décembre 2019, la salariée a saisi le Conseil de Prud'hommes de Lannoy afin d'obtenir des rappels de salaire et de prime, de faire constater l'existence d'un harcèlement moral, d'obtenir la nullité de son licenciement et le versement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.

 

Par jugement en date du 9 juin 2021, le conseil de prud'hommes a condamné la société QUADIENT FRANCE, substituée dans les droits de la société NEOPOST France, à lui verser

- 5000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral

- 10000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention et de sécurité

- 11395,97 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1139,59 euros bruts au titre des congés payés y afférents

- 25000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 5000 euros bruts à titre de rappel de salaire sur impression directe

- 500 euros bruts au titre des congés payés y afférents

- 1542,88 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les objectifs

- 154,28 euros bruts à titre de congés payés y afférents

- 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

a débouté la salariée du surplus de sa demande et condamné la société aux dépens.

Le 14 juin 2021, la société QUADIENT FRANCE a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance en date du 28 septembre 2022 ; la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 19 octobre 2022.

Selon ses écritures récapitulatives reçues au greffe de la cour le 5 janvier 2022, la société QUADIENT FRANCE appelante sollicite de la cour l'infirmation du jugement entrepris, conclut au débouté de la demande et à la condamnation de l'intimée à lui verser 3500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

L'appelante expose que l'intimée se trouve dans l'incapacité de caractériser des pratiques ou agissements fautifs dont elle aurait eu personnellement à souffrir de la part de son employeur, que s'agissant de la discrimination qu'elle aurait subie, elle se contente de présumer que le prétendu refus de celui-ci de proratiser ses objectifs n'existerait que parce qu'elle a été en situation de maternité et en congé parental, qu'elle n'est pas en mesure de caractériser ce prétendu refus et le lien entre celui-ci et une volonté de lui reprocher sa situation personnelle en rapport avec sa maternité et son congé parental, que la dégradation de son état de santé est totalement étrangère à l'exercice de son contrat de travail et échappe à la responsabilité de son ex-employeur, que le médecin du travail n'a, à aucun moment, signalé des faits de harcèlement moral directement ou indirectement, qu'il n'y a aucun lien d'imputabilité entre la dégradation de l'état de santé de l'intimée et son environnement de travail, faute de toute reconnaissance d'accident du travail ou de maladie professionnelle, que le certificat du médecin psychiatre produit se contente de relater les seuls propos de la salariée concernant une prétendue dégradation de ses conditions de travail depuis l'arrivée de son supérieur hiérarchique, qu'elle ne rapporte pas la preuve de faits de harcèlement commis par [O] [K] son supérieur hiérarchique, que l'unique attestation produite, émanant d'un ex-salarié de la société Neopost France, est particulièrement contestable, que le constat de la non-atteinte d'objectifs acceptés sans aucune réserve et la mise en 'uvre de règles commerciales internes s'appliquant à tous ne suffit pas à caractériser un harcèlement, que lors de la fixation de ses objectifs au titre de l'exercice 2017, l'intimée avait déjà bénéficié d'une proratisation à la baisse de ses objectifs en corrélation avec son temps partiel de 80%, que l'entreprise a parfaitement satisfait à son obligation de sécurité en procédant chaque année avec la médecine du travail et les représentants du personnel à l'évaluation des risques en son sein, que l'intimée ne rapporte aucunement la preuve qu'à son retour de maternité, elle a fait l'objet d'un traitement discriminatoire de la part de sa hiérarchie qui aurait eu une incidence sur son évolution professionnelle ou sa rémunération, que le seul fait qu'elle ne soit pas d'accord avec les modalités de proratisation de ses objectifs ne justifie pas qu'elle aurait été victime de discrimination, qu'elle ne verse aux débats aucun élément permettant de justifier le quantum du préjudice de rupture dont elle entend se prévaloir, que les éventuelles difficultés qu'elle aurait rencontrées, au cours de l'année 2018, pour retrouver un nouvel emploi ne sont nullement imputables à la société dès lors que la salariée a fait le choix de ne pas poursuivre son métier mais de s'orienter vers le secteur de l'esthétique, qu'elle ne justifie pas en quoi les objectifs fixés qu'elle a acceptés sans aucune réserve n'étaient pas réalisables ou inatteignables.

Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 2 novembre 2021, [J] [U], intimée, sollicite de la Cour la réformation du jugement entrepris et la condamnation de la société à lui verser

- 10000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et discrimination

- 10000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention et de sécurité

- 11395,97 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 1139,59 euros bruts au titre des congés payés y afférents

- 46000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 5000 euros bruts à titre de rappel de salaire sur impression directe

- 500 euros bruts au titre des congés payés y afférents

- 1542,88 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les objectifs

- 154,28 euros bruts à titre de congés payés y afférents

- 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée soutient qu'elle a été victime d'un harcèlement moral imputable à [O] [K], directeur de l'agence de [Localité 5], qu'il avait déjà agi de la sorte avec un autre salarié qui a également été licencié, que la société a mis plus de trois mois à apporter une réponse au courrier qu'elle lui avait adressé sans jamais avoir mené d'enquête adaptée, que la situation personnelle de l'intimée s'est donc dégradée jusqu'à aboutir à son licenciement pour inaptitude, qu'après la naissance de son troisième enfant, et à la suite de son congé maternité, les relations de travail se sont rapidement dégradées, qu'à compter de l'année 2017, et alors même qu'elle était en congé parental, son employeur a maintenu la fixation d'objectifs sur la base d'un temps plein, qu'[O] [K] lui reprochait de ne pas atteindre les objectifs fixés, qu'ils n'ont jamais été proratisés conformément à son temps de travail, que la direction des ressources humaines de la société a reconnu d'ailleurs elle-même dans son courriel en date du 20 avril 2017 que les objectifs chiffrés étaient fixés sur une base de 100%, qu'en réalité la société ne souhaitait pas la conserver dans ses effectifs en raison de son congé parental et essayait de la déstabiliser et de la pousser à bout en lui fixant des objectifs irréalisables, qu'en outre, à son retour de congé maternité, elle n'a bénéficié d'aucun accompagnement alors que des changements importants étaient intervenus puisque deux agences Neopost avaient fusionné au mois de février 2016, qu'[O] [K] n'a eu de cesse de la pressuriser par le biais de courriels ou de reproches verbaux afin de la réprimander sur la-non atteinte de ses objectifs, que la société lui a fait illégitimement perdre des primes variables en lui retirant de son portefeuille le client Impression directe [Localité 6] juste avant la signature de la vente, qu'[O] [K] ne répondait pas à ses sollicitations, que [T] [R], ancien salarié de la société Neopost, atteste du changement considérable et de la dégradation significative des conditions de travail depuis l'arrivée d'[O] [K], que l'ensemble des agissements de la société a eu pour conséquence directe d'altérer sa santé, qu'à compter du 5 mai 2017, elle a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail en raison d'un grave syndrome anxio-dépressif et d'un suivi psychologique, qu'elle a subi également une discrimination, que la société a continuellement et sciemment refusé de prendre en compte le congé parental de l'intimée, qu'elle a déjà fait l'objet de condamnations pour discrimination en raison d'une situation de grossesse ou d'une situation de famille, qu'elle n'a effectué aucune réelle démarche concernant les risques psychosociaux au sein de l'entreprise, qu'aucune action d'information et de formation afin de prévenir la survenance de faits de harcèlement moral n'a été mise en place, qu'aucune régularisation du paiement des primes dues n'est intervenue au mois d'avril 2017, que l'intimée a subi un préjudice considérable par suite de la perte de son emploi, qu'elle avait une ancienneté de près de

dix ans et un salaire moyen de 3798,66 euros bruts, que la somme sollicitée représentant douze mois de salaire est fondée, qu'elle n'a pas perçu l'intégralité de la rémunération variable qui lui était due, qu'il ne lui a été versé que 4514,21 euros sur la période correspondant au premier trimestre 2017.

 

MOTIFS DE L'ARRÊT

 

Attendu en application de l'article L1154-1 du code du travail que les éléments de fait que présente l'intimée, laissant supposer l'existence d'un harcèlement, sont le maintien de la fixation de ses objectifs sur la base d'un temps plein alors qu'ils devaient être proratisés en tenant compte d'un temps de travail réduit de 20 %, le comportement de son supérieur, [O] [K], lui adressant des injonctions ou ne lui répondant pas, le retrait d'un client de son portefeuille se répercutant sur la perception de certaines primes, un effondrement anxio-dépressif ayant entraîné un arrêt de travail continu à partir du 5 mai 2017 ; que ces éléments de fait pris dans leur ensemble sont de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Attendu que pour prouver que ces agissements ne peuvent être ainsi qualifiés et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la société affirme que l'intimée ne peut assimiler d'éventuelles difficultés relationnelles avec son supérieur hiérarchique, qui était également représentant du personnel élu et délégué syndical actif au sein de l'entreprise, à des agissements constitutifs de harcèlement moral ; qu'elle ajoute s'être livrée à une enquête au sein de l'entreprise ; que par ailleurs elle produit un courrier adressé le 25 octobre 2017 au conseil de l'intimée dans lequel elle affirme avoir mené des investigations en vue de s'assurer qu'[O] [K] n'avait pas adopté à l'égard de sa cliente un comportement générant une dégradation des conditions de travail, deux fiches d'entreprise établies respectivement les 18 octobre 2017 et 9 janvier 2019 par le médecin du travail dans lesquelles sont relevés les différents risques professionnels auxquels sont exposés les salariés, des rapports sur l'hygiène, la sécurité et les conditions de travail pour les années 2015 à 2018, le programme de prévention des risques professionnels pour l'année 2018, l'arrêt en date du 29 mai 2020 de la cour de céans statuant sur le litige entre la société et [T] [R] à la suite du licenciement de celui-ci et des échanges de courriels du 11 au 20 avril 2017 entre [O] [K], [F] [M], directrice des opérations commerciales, et [G] [W], directeur de région ;

Attendu toutefois qu'il résulte du courriel de [A] [B], responsable du service études, que les objectifs de chiffre d'affaires qui avaient été fixés à l'intimée pour le premier trimestre 2017 continuaient d'être calculés sur une base de 100 % du temps de travail de cette dernière malgré les dénégations répétées d'[O] [K] ; que l'intimée produit une simulation de calcul des primes 1 et 2A effectuée par la société pour le trimestre considéré sur la base d'objectifs à 80 et 100 % du temps de travail ; que l'objectif qui lui avait été assigné correspondait à la seconde estimation et donc sur la base d'un travail à plein temps ; qu'enfin, il n'est pas contesté par l'appelante que [V] [Y], lui aussi ingénieur commercial office et employé à l'agence de [Localité 4] à plein temps, devait atteindre des objectifs similaires ; qu'à la réception de son état de commandes pour mois de février 2017, l'intimée avait demandé le 10 mars 2017 à [O] [K] s'il avait bien tenu compte de ce que ses objectifs devaient être proratisés ; qu'aucune réponse ne lui a été apportée, son supérieur se bornant à lui adresser un courriel le 13 mars 2017, dans lequel il lui reprochait la faiblesse de ses résultats et l'invitait à réagir ; qu'il en résulte que l'intimée était bien soumise à une charge de travail excédant celle qui était convenue conformément à l'avenant en date du 31 août 2016 ; que le compte Impression Directe a été arbitrairement retiré à l'intimée et attribué à une autre salariée alors qu'il lui était affecté jusqu'au moment de la signature du contrat; que ce retrait inopiné a entraîné la perte d'une prime variable de 5000 euros ; qu'alors que l'intimée avait interrogé [O] [K] sur cette décision, celui-ci s'est limité à lui répondre laconiquement le 27 mars 2017 qu'après arbitrage et analyse, le compte était passé en ICP ; que dans ses écritures, la société n'apporte pas davantage d'explications, se bornant à affirmer que la salariée n'avait pas été victime d'un retrait délibéré de primes ; que dans la fiche d'entreprise du 18 octobre 2017, le docteur [P] [C], médecin du travail, a signalé, s'agissant de la charge mentale, l'existence d'un risque professionnel lié au rythme de travail et aux relations « aux autres » ; que ce risque était encouru par les dix-neuf salariés de l'entreprise ; que la fiche établie l'année suivante fait apparaître que ce risque subsistait ; qu'à l'occasion de l'étude de poste de l'intimée, lors d'un entretien le 18 octobre 2017, le docteur [C] a éprouvé le besoin de rappeler à [E] [Z], responsable des ressources humaines, et [O] [K] les obligations de l'entreprise en matière de prévention des risques psycho-sociaux, compte tenu de la multiplication, depuis l'année 2016, du nombre de salariés se plaignant auprès d'elle des difficultés relationnelles qu'ils rencontraient au sein de l'agence à laquelle l'intimée était rattachée ; que la société n'apporte aucune preuve de l'enquête qu'elle prétend avoir conduite à la suite du courrier du 18 juillet 2017 du conseil de l'intimée dans lequel ce dernier déplorait les conditions de travail de sa cliente et dénonçait les manquements de son employeur à ses obligations ; que selon le courrier du docteur [H] [N], psychiatre, adressé le 21 septembre 2017 au docteur [C] à la suite de la consultation, l'intimée qui se trouvait en arrêt de travail depuis le 5 mai 2017 en raison d'un effondrement anxio-dépressif, présentait toujours une symptomatologie dépressive la conduisant à être suivie par un psychologue ; qu'il résulte en conséquence de l'ensemble de ces éléments que le harcèlement moral est bien caractérisé ; qu'il a provoqué une dégradation de l'état de santé de la salariée entraînant son inaptitude définitive à son emploi occupé au sein de la société NEOPOST France ; qu'il s'ensuit que son licenciement est bien nul ;

Attendu en application de l'article 27 alinéa 3 de la convention collective des ingénieurs et cadres de la métallurgie que les premiers juges ont exactement évalué l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés y afférents ;

Attendu en application de l'article L1235-3-1 du code du travail que l'intimée était âgée de quarante ans et jouissait d'une ancienneté de neuf années au sein de l'entreprise à la date de son licenciement ; qu'elle se borne, dans ses écritures, à faire état d'un préjudice qu'elle qualifie de considérable sans étayer ses affirmations du moindre élément de fait ; qu'en conséquence il convient d'évaluer le préjudice subi à la somme de 22792 euros ;

Attendu que le harcèlement qu'a subi l'intimée a provoqué chez cette dernière une dépression, dont les symptômes sont décrits par le docteur [N] dans son courrier, à savoir un manque de goût et d'envie, une tristesse de l'humeur, un ralentissement psycho moteur ; que cette situation était d'autant plus invalidante que l'intimée était mère de plusieurs enfants dont un en bas âge et qu'en raison de sa maternité, elle avait bénéficié d'une réduction de son temps de travail ; qu'elle a donc subi, du fait du harcèlement moral, un préjudice qui a été exactement évalué par les premiers juges ;

Attendu que l'intimée ne sollicite pas, au titre de la discrimination en raison de sa situation de grossesse et de sa situation de famille, une réparation distincte de celle résultant du harcèlement moral subi ; qu'au demeurant elle ne présente aucun élément de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte comme exigé par l'article L1134.1 du code du travail ;

Attendu en application de l'article L4121-1 du code du travail, sur les manquements de l'employeur à son obligation de sécurité, qu'il résulte des pièces versées aux débats et précédemment citées, que le docteur [C] a relevé dans la fiche d'entreprise, établie par ses soins le 18 octobre 2017 et produite par la société, l'existence des risques psycho-sociaux encourus par les salariés en raison de la charge mentale provoquée par le rythme de travail et la « relation aux autres » ; que par ailleurs à l'occasion de l'étude du poste et des conditions de travail de l'intimée, le médecin du travail, après un constat portant sur l'augmentation du nombre de salariés faisant état de leurs difficultés relationnelles au sein de l'agence de [Localité 7] d'Asq, a rappelé aux deux représentants de la société l'obligation par celle-ci d'identifier et prendre en compte les risques psycho sociaux ; que malgré cette ferme exhortation, la société n'a adopté aucune mesure adéquate puisque dans la fiche d'entreprise établie le 9 janvier 2019, le médecin du travail relevait à nouveau l'existence de risques liés à des situations de travail résultant notamment de la hausse de la charge de travail en fin de mois liée au rythme de travail et encore des « relations aux autres » ; qu'il s'ensuit que la société a manqué à son obligation de sécurité ; que ce manquement est, lui aussi, à l'origine de la dégradation de l'état de santé de la salariée et lui a donc occasionné un préjudice qu'il convient d'évaluer à 5000 euros ;

Attendu que la société est bien redevable de la prime due à l'intimée au titre du compte Impression Directe qui lui a été retiré sans justification par la société ; que les premiers juges ont exactement évalué cette prime et les congés payés y afférents ;

Attendu que les primes variables qui ont été versées à l'intimée pour les mois de mars, avril et mai 2017 et dont le montant total non contesté s'élevait à 4514,21 euros ont été calculées sur une assiette de réalisation d'objectifs à 100 % du temps de travail, au lieu de 80 % ; qu'elles ont donc été nécessairement minorées ; que de ce fait, il est bien dû à l'intimée un reliquat de 1542,88 euros et de 154,28 euros au titre des congés payés afférents, correspondant à la somme allouée par les premiers juges ;

Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'intimée les frais qu'elle a dû exposer en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme complémentaire de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

REFORME le jugement déféré ;

CONDAMNE la société QUADIENT FRANCE à verser à [J] [L] épouse [U]

- 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention et de sécurité

- 22792 euros au titre de la nullité du licenciement,

CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris,

 

ET Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société QUADIENT FRANCE à verser à [J] [U] 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société QUADIENT FRANCE aux dépens.

LE GREFFIER

G. DELETTREZ

LE PRÉSIDENT

P. LABREGERE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale e salle 4
Numéro d'arrêt : 21/01012
Date de la décision : 16/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-16;21.01012 ?
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