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16/12/2022 | FRANCE | N°21/01002

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale e salle 4, 16 décembre 2022, 21/01002


ARRÊT DU

16 Décembre 2022







N° 1811/22



N° RG 21/01002 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TVMO



PL/VM













AJ



















Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lille

en date du

06 Mai 2021

(RG F19/00300 -section 3)






































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GROSSE :



aux avocats



le 16 Décembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



M. [Y] [T] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Jean-Pierre GLINKOWSKI, avocat au barreau de LILLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro...

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 1811/22

N° RG 21/01002 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TVMO

PL/VM

AJ

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lille

en date du

06 Mai 2021

(RG F19/00300 -section 3)

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

M. [Y] [T] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Jean-Pierre GLINKOWSKI, avocat au barreau de LILLE

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 59178/02/21/005958 du 03/06/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI)

INTIMÉE :

S.A.R.L. TRYOM

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Sophie POTIER, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS : à l'audience publique du 19 Octobre 2022

Tenue par Philippe LABREGERE

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Philippe LABREGERE

: MAGISTRAT HONORAIRE

Pierre NOUBEL

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 28 Septembre 2022

EXPOSE DES FAITS

 

[Y] [T] [U] a été embauché à compter du 25 janvier 2010 par contrat de travail à durée déterminée d'usage, converti en contrat à durée indéterminée en qualité d'enquêteur pour le compte de la CUDL par la société TRYOM [Localité 3]. Il était assujetti à la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils, sociétés de conseil.

Il a été élu délégué du personnel le 24 octobre 2011.

Il a été convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception à un entretien le 29 juillet 2014 en vue d'un éventuel licenciement pour motif économique.

Par décision du 27 mai 2015, le ministre du travail a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique et a autorisé le licenciement pour motif économique du salarié qui lui a été notifié par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 10 juin 2015.

Par ordonnance de référé du 20 octobre 2015 du Conseil de Prud'hommes de Lille, la société a été condamnée à payer à [Y] [T] [U] 1150 euros au titre de ses droits à la portabilité santé.

Par requête reçue le 24 mars 2017, le salarié a de nouveau saisi cette juridiction afin d'obtenir des rappels de salaire, de faire constater l'existence d'un harcèlement moral, l'illégitimité de son licenciement et d'obtenir le versement d'indemnités de rupture et de dommages et intérêts.

 

Par jugement en date du 6 mai 2021, le conseil de prud'hommes a condamné la société à lui verser

- 123,45 euros à titre de rappel de salaire pour douze heures d'absence non justifiée du 14 au 17 mars 2015

- 1562,20 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage,

a débouté le salarié du surplus de sa demande et a laissé les dépens à la charge de chaque partie.

Le 11 juin 2021, [Y] [T] [U] a interjeté appel de ce jugement.

Par ordonnance en date du 28 septembre 2022, la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 18 octobre 2022.

Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 8 septembre 2021, [Y] [T] [U] appelant, sollicite de la Cour la réformation du jugement entrepris et la condamnation de la société à lui verser

- 9373,20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 9373,20 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de reclassement

- 6000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage

- 12000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et exécution fautive

- 3176,91 euros bruts à titre de rappel de salaire de février 2010 à juin 2014

- 123,45 euros bruts à titre de rappel de salaire correspondant à la retenue injustifiée

- 4632,40 euros au titre de la perte de salaire,

- 2163 euros au titre de 30 jours de congés payés

le tout avec intérêts aux taux légal.

L'appelant expose que son licenciement pour motif économique n'est pas justifié, que les difficultés économiques alléguées sont inexistantes, le chiffre d'affaires de la société durant la période du marché avec la Communauté urbaine de [Localité 3] Métropole s'élevant à plus d'un million d'euros, que la société n'a pas respecté son obligation de reclassement, qu'il a manifesté auprès de son employeur son souhait de bénéficier de sa priorité de réembauchage par lettre du 29 juillet 2014, que la société a refusé de le réembaucher, que les différentes demandes de rappel de salaires qu'il présente ne sont pas prescrites, qu'aucune prescription n'est encourue, que sur la période de février 2010 à juin 2014, 301,74 heures à 10,30 euros ne lui ont pas été payées, que sur celle du 14 au 17 mars 2015, la société a retenu douze heures pour absence non justifiée alors qu'il n'avait jamais été absent, qu'au regard de sa fiche de paie du mois de juin 2015, il a droit à soixante-trois heures de congés payés alors qu'il n'a été payé que trente-cinq heures, que la comparaison des fiches de salaire entre 2014 et 2015, fait apparaître une différence en sa défaveur de 4 632,40 euros, que depuis qu'il était devenu délégué du personnel, le harcèlement dont il était victime s'est amplifié, que son dévouement pour la défense de la cause des salariés lui a valu de nombreuses critiques et railleries ainsi que le fait d'être « pris en grippe » par la hiérarchie de l'entreprise, que [R] [V], responsable de la société, considérait qu'il était dangereux à cause de ses revendications salariales et syndicales et qu'il était «fou et irresponsable», qu'en janvier 2014, [B] [K] a tenu des propos mensongers à son égard pour nuire à sa réputation de délégué du personnel, qu'il a connu les pires difficultés à exercer ses fonctions dans lesquelles il s'était beaucoup investi, que la direction de la société a cherché à l'atteindre par tous moyens en tentant de le sanctionner notamment pour des faits qu'il n'avait pas commis, qu'il a été menacé et injurié par [A] [L], ce qui a contribué à le déstabiliser psychologiquement et à entraver ses responsabilités de délégué du personnel, qu'il a dû s'adresser aux services de l'inspection du travail le 22 mars 2012 pour les alerter sur la situation que lui-même et d'autres salariés subissaient au sein de la société et sur le fait que ses heures de délégation étaient problématiques, qu'il a été victime de harcèlement moral de la part de [C] [D], qu'il a déposé plainte pour les faits survenus le 9 juin 2012, que l'ensemble des faits qu'il invoque sont établis par les nombreuses attestations qu'il produit, que la dispense de se rendre au travail que lui accordée son employeur est consécutive au harcèlement moral subi.

Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 6 décembre 2021, la société TRYOM intimée sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris, la constatation que les demandes sont prescrites et la condamnation de l'appelant à lui verser 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'intimée soutient que le licenciement ayant été autorisé par l'autorité administrative, sa demande au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse est irrecevable et tardive, que le motif économique du licenciement est caractérisé, que dans la décision de l'autorité administrative il a bien été relevé que le reclassement de l'appelant s'avérait impossible, que cette dernière n'aurait jamais autorisé le licenciement si l'appelant avait été victime de harcèlement, que les rappels de salaire sont prescrits et ne sont pas justifiés.

 

MOTIFS DE L'ARRÊT

 

Attendu en application de l'article 954 alinéa 3 du code de procédure civile, que la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions des parties ; que la société intimée y sollicite la confirmation du jugement entrepris qui l'a condamnée au versement d'un rappel de salaire pour douze heures d'absence et de dommages-intérêts pour non-respect de la priorité de réembauchage ;

Attendu en conséquence qu'il n'y a pas lieu d'analyser la légitimité de la demande de rappel de salaire pour douze heures d'absence non justifiée, du 14 au 17 mars 2015, à laquelle a fait droit le conseil de prud'hommes dans les termes sollicités par l'appelant ; que par ailleurs ce dernier ne démontre pas qu'il ait subi un préjudice par suite du non-respect de la priorité de réembauchage lui permettant de solliciter une indemnité d'un montant supérieur à celui qui lui a été alloué par les premiers juges ;

Attendu en application des lois des 16-24 août 1790 que lorsque le licenciement économique d'un salarié protégé a été autorisé par l'inspecteur du travail à qui il appartient de vérifier le respect de l'obligation individuelle de reclassement pour apprécier le caractère réel et sérieux de la cause du licenciement, le juge judiciaire ne peut, sans violer le principe de la séparation des pouvoirs, contrôler le respect de cette obligation ; que toutefois, il reste compétent pour apprécier les fautes commises par l'employeur pendant la période antérieure au licenciement ; qu'ainsi le salarié n'est pas privé du droit de solliciter réparation du préjudice qui est résulté du harcèlement moral ;

Attendu qu'en l'espèce, l'autorisation de licencier l'appelant émane d'une décision du ministre du travail qui se substitue à celle de l'inspecteur du travail ; que dans cette décision, la réalité du motif économique du licenciement et l'impossibilité de reclasser l'appelant ont été constatées ; qu'en conséquence la décision ministérielle s'imposant à la cour, celle-ci ne peut sans porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs se prononcer sur la réalité du motif économique allégué à l'appui du licenciement de l'appelant ni sur le respect par l'employeur de son obligation de reclassement ;

Attendu que l'exécution fautive par l'employeur du contrat de travail alléguée par l'appelant est fondée sur les mêmes faits que ceux que l'appelant présente dans le cadre de sa demande du chef de harcèlement moral ;

Attendu en application de l'article L1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Attendu en application de l'article L1154-1 du code du travail que les éléments de fait que présente l'appelant pour présumer l'existence d'un harcèlement moral sont les pressions, les moqueries et les critiques rapportées par [J] [H], enquêteur, les propos tenus en juin 2012 par [R] [V], la responsable, sur la dangerosité de l'appelant en raison de ses revendications salariales et syndicales et une agression commise sur la personne de l'appelant par [A] [L], un autre responsable, en novembre 2012, l'ensemble de ces faits étant relatés par [N] [X], stagiaire de la formation professionnelle, des propos tenus par [R] [V] et [B] [K], chef de l'agence de [Localité 3], dénigrant l'appelant et entendus en 2012 et 2014 par [E] [O], salarié, un avertissement infligé sans respect de la procédure disciplinaire pour des faits survenus le 9 juin 2012 et contestés, des propos tenus par [A] [L] sur l'honnêteté intellectuelle de l'appelant et une invitation à se battre, rapportés dans un courriel adressé le 25 novembre 2012 à [P] [S], la directrice, et transmis en copie à l'inspection du travail, l'état dans lequel se trouverait la société relaté dans un courriel du 20 novembre 2012 de [P] [I] adressé aux dirigeants et aux salariés de la société, remerciant les délégués du personnel pour leur travail et dénonçant «l'irrespect, la discrimination, le favoritisme et l'indifférence» qui régneraient au sein de la société, des rapports conflictuels avec [C] [D] ayant donné lieu à divers incidents rapportés par l'appelant dans un courrier adressé à [Z] [G] et qualifié de plainte pour harcèlement moral ; que ces éléments pris dans leur ensemble ont eu pour effet d'entraîner une dégradation des conditions de travail de l'appelant et de porter atteinte à sa dignité ; qu'ils laissent donc présumer l'existence d'un harcèlement moral ;

Attendu que pour prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, la société se borne à soutenir que l'appelant avait le loisir d'évoquer la situation dont il se plaignait dans le cadre de la procédure d'autorisation administrative de licenciement, que les attestations produites par lui sont de pure complaisance et qu'il entretenait des relations professionnelles difficiles avec ses collègues de travail ; que toutefois l'intimée ne se fonde sur aucun élément objectif de nature à démontrer l'absence de tout harcèlement ; qu'elle se borne à des simples affirmations ; qu'il résulte par ailleurs des pièces produites par l'appelant qu'il régnait bien au sein de la société un climat délétère ; qu'à cet égard, le long courriel de [P] [I], précédemment cité, est particulièrement éloquent ; que la salariée le conclut en espérant que son témoignage puisse être utile à ses collègues pour améliorer leur qualité de vie au travail et en annonçant la présentation prochaine d'une demande de rupture conventionnelle en raison de l'humiliation, du harcèlement et de la discrimination subies et du favoritisme ambiant ; qu'en conséquence le harcèlement subi par l'appelant est caractérisé ;

Attendu, compte tenu de la durée et de la multiplicité des agissements dont l'appelant a été la victime, qu'il convient d'évaluer le préjudice qu'il a subi de ce fait à la somme de 8000 euros ;

Attendu, selon l'article 21 de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, que les nouvelles dispositions modifiant l'article L3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit en l'espèce cinq années ; qu'il s'ensuit que l'appelant disposait d'un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi pour saisir la juridiction prud'homale de rappels de salaire éventuellement dus au cours des cinq années précédant ladite saisine, soit au plus tard le 14 juin 2015 ; que si la demande d'aide juridictionnelle présentée le 5 août 2016 était susceptible d'interrompre les prescriptions en cours, celles-ci étaient néanmoins acquises à cette date pour les salaires exigibles antérieurement au 5 août 2013 ;

Attendu que l'appelant produit un tableau faisant apparaître que 29 heures 27, en octobre et novembre 2013 et 27 heures 33, en juin 2014, ne lui auraient pas été payées ; que la société intimée ne démontre pas qu'elle a bien procédé au règlement du reliquat d'heures de travail dues, soit la somme totale de 502,97 euros ;

Attendu qu'il apparait des pièces produites que la société restait redevable en juin 2015 de 28 jours de congés payés, correspondant à 2163 euros ;

Attendu qu'il résulte des bulletins de paye produits que la rémunération mensuelle brute de l'appelant s'élevait au mois de juin 2014 à 1562,20 euros ; que pour la période 2014-2015, il apparaît qu'il a bien perçu sa rémunération mensuelle brute habituelle ; que sur certains mois, des heures supplémentaires et des heures de nuit lui ont également été rémunérées ; qu'il ne démontre pas qu'il aurait été victime durant cette période d'une perte de salaire qu'il évalue à 4632,40 euros ;

PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

REFORME le jugement déféré,

CONDAMNE la société TRYOM [Localité 3] à verser à [Y] [T] [U]

- 502,97 euros à titre de rappel de salaire pour la période 2014-2015

- 2163 euros à titre de rappel de congés payés

- 8000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral subi,

CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris à l'exception des dépens,

CONDAMNE la société TRYOM [Localité 3] aux dépens.

LE GREFFIER

G. DELETTREZ

LE PRÉSIDENT

P. LABREGERE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale e salle 4
Numéro d'arrêt : 21/01002
Date de la décision : 16/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-16;21.01002 ?
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