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16/12/2022 | FRANCE | N°20/00955

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 2, 16 décembre 2022, 20/00955


ARRÊT DU

16 Décembre 2022







N° 2106/22



N° RG 20/00955 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S45X



BF/AA

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Tourcoing

en date du

03 Février 2020

(RG 18/00299 -section )





































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GROSSE :



aux avocats



le 16 Décembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT E :



Mme [S] [D]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Alexandre CHABEAUD, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



S.A.R.L. LESAFFRE INTERNATIONAL

[...

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 2106/22

N° RG 20/00955 - N° Portalis DBVT-V-B7E-S45X

BF/AA

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Tourcoing

en date du

03 Février 2020

(RG 18/00299 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT E :

Mme [S] [D]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Alexandre CHABEAUD, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

S.A.R.L. LESAFFRE INTERNATIONAL

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI,

assistée de Me Weena LAIGLE, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l'audience publique du 20 Septembre 2022

Tenue par Frédéric BURNIER

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaetan DELETTREZ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Olivier BECUWE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Frédéric BURNIER

: CONSEILLER

Isabelle FACON

: CONSEILLER

Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 25 novembre 2022 au 16 décembre 2022 pour plus ample délibéré

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 15/03/2022

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [S] [D] a été engagée par la société Lesaffre International, pour une durée indéterminée à compter du 2 mars 2009, en qualité de juriste en droit des sociétés, avec le statut de cadre.

Madame [D] fait état d'une dégradation de ses conditions de travail à compter de l'année 2015.

Par lettre du 16 octobre 2017, Madame [D] a été convoquée pour le 26 octobre suivant, à un entretien préalable à son licenciement.

Par lettre du 13 novembre 2017, la société Lesaffre a notifié à Madame [D] son licenciement pour négligences répétées et manquements délibérés à ses obligations professionnelles.

Le 9 novembre 2018, Madame [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Tourcoing et a formé des demandes afférentes à un licenciement nul ainsi qu'à l'exécution de son contrat de travail.

Par jugement du 3 février 2020, le conseil de prud'hommes de Tourcoing a :

- dit le licenciement irrégulier;

- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- condamné la société Lesaffre International à payer à Madame [D] les sommes de:

- 5 596,51 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité du licenciement;

- 2 429,96 euros à titre de rappel de primes sur objectifs pour l'année 2017;

- 243,00 euros au titre des congés payés afférents;

- 44 712,08 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté Madame [D] du surplus de ses demandes (dommages et intérêts pour harcèlement moral, manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, licenciement brutal et vexatoire);

- condamné la société Lesaffre International aux dépens.

Madame [S] [D] a régulièrement interjeté appel de ce jugement par déclaration du 14 février 2020, en visant expressément les dispositions critiquées.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 25 février 2022, Madame [D] demande à la cour de:

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Lesaffre International à lui payer les sommes de:

- 5 596,51 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité du licenciement;

- 2 429,96 euros à titre de rappel de primes sur objectifs pour l'année 2017;

- 243,00 euros au titre des congés payés afférents;

-infirmer le jugement pour le surplus;

-statuant de nouveau, condamner la société Lesaffre International à lui payer les sommes de:

-134 316,24 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul;

à titre subsidiaire:

-134 316,24 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse;

en tout état de cause:

- 30 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral;

- 30 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité;

- 15 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire;

- 6 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses demandes, Madame [D] expose que :

- elle a subi une surcharge de travail, puis les pressions et humiliations de ses supérieurs hiérarchiques, Monsieur [A] et Madame [T]; ces agissements ont altéré son état de santé;

- l'employeur, qu'elle a informé à plusieurs reprises de la situation de harcèlement, n'a pas pris les mesures nécessaires et immédiates pour mettre un terme à cette situation de souffrance au travail;

- elle avait l'obligation de mettre Madame [T] en copie sur chacun de ses courriels ; il s'agissait d'une discrimination (étant le seule concernée) et d'un harcèlement ; la lettre de licenciement reprend son refus de s'y soumettre et la dénonciation de cette inégalité de traitement, de sorte que le licenciement est nul;

- les autres motifs visés dans la lettre de licenciement ne sont pas fondés ;

- une réunion à l'origine prévue pour parler de développement s'est transformé en un entretien préalable au licenciement ; une dispense d'activité non justifiée relève d'un procédé brutal et vexatoire;

- les griefs figurant sur la lettre de licenciement n'ont pas tous été discutés lors de l'entretien préalable;

- il ne peut lui être reproché de ne pas avoir rempli les objectifs au titre de l'année 2017 alors que, malgré son insistance, ceux-ci ne lui ont été notifiés qu'en octobre 2017, peu avant son licenciement.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 mars 2022, la société Lesaffre International, qui a formé appel incident, demande l'infirmation du jugement en ce qui concerne les condamnations prononcées, sa confirmation en ce qu'il a débouté Madame [D] de ses autres demandes, et la condamnation de cette dernière à lui verser une indemnité pour frais de procédure de 5 500 euros.

La société Lesaffre International fait valoir que :

- Madame [D] n'a pas eu à souffrir d'une surcharge de travail; aucun agissement de harcèlement n'est imputable à Monsieur [A] et Madame [T] ;

- Madame [D] n'a pas évoqué de harcèlement moral mais des difficultés au travail; la société Lesaffre a tout mis en 'uvre pour qu'elle puisse accomplir ses missions;

- aucun harcèlement, aucune discrimination ne sont suceptibles d'entraîner la nullité du licenciement; les griefs retenus dans la lettre de licenciement sont corroborés par les pièces versées au dossier;

- une remise en main propre de la convocation à l'entretien préalable n'est en rien vexatoire ou brutale ; la dispense d'activité a été convenue entre les deux parties afin de préserver la salariée;

- tous les griefs visés dans la lettre de licenciement ont bien été abordés lors de l'entretien préalable;

- la salariée a pris connaissance des objectifs pour l'année 2017 lors de l'entretien professionnel organisé en mars 2017, de sorte qu'elle était en mesure de les remplir.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 mars 2022 .

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'allégation de harcèlement

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Conformément aux dispositions de l'article L.1154-1 du même code, il appartient au salarié d'établir des faits permettant de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces faits ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il juge utiles.

En l'espèce, Madame [D] soutient que sa charge de travail s'est considérablement alourdie à compter du mois de janvier 2015 et que ses supérieurs hiérarchiques, Monsieur [A], puis Madame [T], ont adopté à son égard un comportement inacceptable avant de multiplier les reproches infondés. Elle fait état d'une dégradation de son état de santé, marquée par plusieurs arrêts de travail.

Il n'est pas contesté que le périmètre d'intervention de Madame [D] a évolué en janvier 2015 à la faveur d'une réorganisation de son service, s'enrichissant du suivi de nouvelles filiales étrangères du groupe tout en se déchargeant du soutien jusqu'alors apporté aux filiales françaises. Toutefois, une intensification corrélative et significative de la charge de travail de l'intéressée n'est pas objectivée. Aucun élément d'ordre quantitatif ou qualitatif, relatif à l'activité effective de la salariée et à son évolution, n'est versé au dossier. La seule évocation par cette dernière, lors de l'entretien annuel d'évaluation tenu le 17 juin 2016, d'une surcharge importante de travail, nullement explicitée, ne peut suffire à établir la réalité d'un dysfonctionnement préjudiciable du service susceptible de contribuer à un harcèlement.

En outre, Madame [D] ne peut valablement faire grief à l'employeur de l'avoir privée du soutien d'une assistante alors qu'il est établi que ce dernier a entamé sans tarder les démarches pour assurer le remplacement de Madame [Y] [C], dès l'annonce du départ de celle-ci en juin 2016, et que le poste n'a été vacant, en raison des aléas inhérents au recrutement, que de septembre à novembre 2016.

Par ailleurs, il ne peut être déduit du rapport d'expertise remis au CHSCT en avril 2015 la réalité d'une surcharge de travail affectant personnellement Madame [D] dans la mesure où les investigations menées par les auditeurs n'ont pas concerné la direction l'employant et ont couvert une période au cours de laquelle la réorganisation litigieuse commençait seulement à être mise en place.

Enfin, le certificat médical détaillé, établi le 9 août 2016, qui évoque une souffrance au travail en lien avec l'attitude du supérieur hiérarchique, ne mentionne pas l'incidence d'une éventuelle surcharge de travail.

Il s'ensuit que la matérialité d'une surcharge de travail, potentiellement constitutive d'un harcèlement moral, n'est pas matériellement établie.

Concernant les agissements reprochés à Monsieur [A], Madame [D] les évoque, dans ses conclusions comme dans les pièces produites, en des termes généraux. Ainsi, par courriel du 27 novembre 2015, la salariée signale que celui-ci agit 'de manière agressive et déplacée à mon égard au vue de toute l'équipe qui en est témoin: cris, humiliations, dénigrements ...', sans apporter la moindre description de faits manifestant la réalité de ces agissements. De même, dans son attestation, Madame [W] [Y] [C] indique que l'intéressée subissait 'une pression et des intimidations de la part de son supérieur hiérarchique, Monsieur [I] [A], qui n'hésitait pas à hausser le ton pour s'adresser à elle. Cette situation me choquait et me mettait mal à l'aise. D'autant plus que cette situation et ce comportement étaient récurrents'. Elle ne fournit toutefois aucune précision quant aux faits dont elle allègue avoir été témoin.

Dans ses écritures, l'appelante ne fait état que d'un seul événement circonstancié, survenu le 20 juillet 2016, au cours duquel Monsieur [A] serait venu dans son bureau 'pour la menacer en l'accusant d'être à l'origine de la mauvaise ambiance qu régnait dans le service' et 'en annonçant qu'il s'occuperait d'elle à la rentrée'. La réalité de cet agissement n'est toutefois pas suffisamment démontrée par la production du seul courriel adressé le 16 août suivant par Madame [D] à la responsable des ressources humaines, indiquant : '[I] a employé à mon égard tous les moyens de pression possibles et imaginables pour me pousser à bout, le dernier datant du 20 juillet, jour de mon départ en vacances', alors que, pour sa part, Monsieur [A] a donné, à l'occasion de son entretien d'évaluation tenu le 17 janvier 2017, une version diamétralement opposée de cet entretien : 'lorsque HNI me dit avant son départ en vacances qu'elle 'me fera la guerre' si je ne lui donne pas le poste de responsable de service, un dû pour elle, je prends cela pour un chantage'.

Il s'ensuit que la matérialité d'agissements imputables à Monsieur [A] et susceptibles de participer d'un harcèlement moral à l'encontre de Madame [D] n'est pas suffisamment étayée.

Il ressort des pièces versées au dossier que le changement de bureau, présenté par Madame [D] comme une humiliation, n'a été qu'envisagé (et aucunement mis en oeuvre) par Monsieur [A], qui devait trouver une solution d'aménagement des locaux suite au recrutement d'une nouvelle responsable du service, Madame [T]. Il apparaît que la direction des ressources humaines a réagi dès le lendemain de l'alerte émanant de Madame [D], le 5 avril 2017 et qu'une solution a été immédiatement trouvée au sein de l'équipe, satisfaisant l'intéressée qui a relevé, dès le 6 avril, que '[I] était à l'écoute et je m'en réjouis'. Dès lors, il n'est établi, en l'occurrence, la matérialité d'aucun agissement effectif susceptible de caractériser un harcèlement moral.

En revanche, il est démontré par la production d'échanges de courriels que Madame [T] a demandé à Madame [D], avec insistance, d'être mise en copie de tous les courriels envoyés par celle-ci.

L'appelante montre également que des reproches dans la gestion de dossiers lui ont été adressés par courriel après qu'elle a manifesté, une dernière fois le 3 octobre 2017, avec fermeté, sa désapprobation concernant cette pratique et son sentiment d'être soumise à cette règle avec plus de rigueur que sa collègue assistante.

Cette pratique a persisté malgré les protestations de la salariée. Ainsi, dès le 27 avril 2017, Madame [D] a indiqué être défavorable à la mise en copie systématique de sa supérieure hiérarchique de tous les mails envoyés en relevant, d'une part, qu'aucun autre juriste du département n'était tenu à une telle obligation, et d'autre part, que cette pratique était de nature à porter atteinte à sa crédibilité vis-à-vis des destinataires de ses courriels. Elle a alors rappelé qu'il existait d'autres moyens pour s'informer mutuellement de l'état des dossiers.

Alors qu'en avril 2017, la mesure était présentée comme pouvant avoir un caractère temporaire, le temps de permettre à la nouvelle responsable du service de prendre connaissance des dossiers,

Madame [T] a renouvelé expressément sa consigne par courriel du 28 septembre 2017 : 'je constate de l'échange de mails ci-dessous que tu ne me mets toujours pas en copie de tous tes mails. J'ai pourtant rappelé à plusieurs reprises la règle, mise en place dès mon arrivée, selon laquelle je souhaite être mise en copie de tous les mails que toi et [M] vous envoyez (sauf mails personnels et administratifs), notamment pour des raisons d'efficacité de pilotage. J'avoue ne pas comprendre pourquoi tu n'appliques toujours pas cette règle'.

Ces derniers faits étaient de nature à dégrader les conditions de travail de la salariée, cadre dans l'entreprise depuis 8 années, puisqu'ils pouvaient avoir pour objet ou pour effet de marquer un défaut de confiance, être légitimement perçus comme une mesure de contrôle permanent et susciter indiscutablement le discrédit auprès des partenaires destinataires.

S'il n'est pas démontré que ces derniers faits ont altéré l'état de santé de Madame [D] et qu'ils sont à l'origine de l'arrêt maladie (qui ne mentionne pas les motifs d'ordre médical) de deux jours délivré le 12 octobre 2017, il apparaît qu'ils pouvaient avoir pour objet ou pour effet de compromettre l'avenir professionnelle de l'intéressée dans cette entreprise, dans la mesure où ils ont été invoqués dans le cadre de la procédure de licenciement initiée le 16 octobre suivant.

Ces derniers éléments, pris dans leur ensemble, laissent donc supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Pour sa part, l'employeur soutient que cette mesure avait pour seul objectif de permettre à Madame [T] de prendre connaissance des dossiers et d'améliorer et fiabiliser la circulation d'information.

Cependant, l'employeur ne démontre pas, en l'absence d'antécédents témoignant de difficultés de communication, que ces objectifs n'auraient pas pu être raisonnablement atteints en utilisant d'autre méthodes de partage d'informations ou de reporting, moins intrusives et attentatoires au crédit d'une cadre expérimentée.

Il ne justifie pas de la nécessité de maintenir cette pratique malgré les objections manifestées par la cadre ainsi que les risques encourus de déstabiliser l'intéressée et d'engendrer une situation de souffrance au travail alors qu'une évaluation du profil professionnel de la salariée (assessment), réalisée le 5 mai 2017, a souligné que Madame [D] souhaitait 'fonctionner de manière autonome et indépendante', qu'elle pouvait 'vivre toute demande de reporting de manière intrusive', qu'elle cherchait à 'fonctionner en confiance dans son rapport aux autres', qu'elle attendait 'de sa hiérarchie une confiance a priori' éprouvant 'du mal à gérer la relation confiance/défiance que demande les rapports humains professionnels' (l'évaluateur préconisant d''encourager les modes de travail collaboratifs' et d''éviter les modes de communication directifs').

Il s'ensuit que la société Lesaffre International n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, que cette pratique était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Dès lors, par infirmation du jugement entrepris, la cour retient que Madame [D] a subi des agissements relevant d'un harcèlement moral et évalue le préjudice en résultant à la somme de 3 000 euros.

Sur le manquement allégué à l'obligation de sécurité

Il résulte des articles L. 4121-1 et L.4121-2 du code du travail que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, que ces mesures comprennent des actions de préventions des risques professionnels, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés dans l'optique d'éviter les risques, d'évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités, de combattre les risques à la source, d'adapter le travail, de tenir compte de l'état d'évolution de la technique, de remplacer ce qui est dangereux par ce qui ne l'est pas ou ce qui l'est moins, de planifier la prévention, de prendre des mesures de protection collective et de donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Il est constant que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les textes susvisés.

Si les agissements attribués à Monsieur [A] ne sont pas suffisamment étayés pour être retenus comme constitutifs d'un harcèlement moral, il est certain qu'ils ont été signalés par Madame [D] à la directrice administrative par courriel du 27 novembre 2015.

S'il est établi par un bref courriel que la directrice administrative a eu un entretien avec Monsieur [A] immédiatement après avoir reçu ce signalement, il n'est nullement fait état de la moindre enquête ou action d'évaluation d'une possible situation de souffrance au travail. Il n'est rapporté aucune action corrective effective visant à apaiser une relation possiblement conflictuelle.

La salariée a été placé en arrêt de travail du 9 août au 4 septembre 2016 pour 'souffrance au travail', le médecin traitant précisant, dans un courrier du 8 août 2016 adressé au médecin du travail : 'signes caractéristiques d'une souffrance au travail, se manifestant depuis plusieurs mois, liée semble-t-il à une attitude de son supérieur hiérarchique évoquant un harcèlement. Actuellement la situation d'épuisement devient critique. A noter l'absence d'antécédent de trouble psychique'.

Par courriel du 16 août 2016, Madame [D] a indiqué à Madame [X], directrice des ressources humaines, que son arrêt maladie était en lien avec les agissements de Monsieur [A].

Si l'employeur justifie avoir demandé des explications à Monsieur [A] et s'être rapproché du médecin du travail, qui a confirmé a minima l'existence de difficultés ressenties par la salariée, il n'est pas suffisamment établi par la production d'un échange de courriels du 20 septembre 2016 que l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour faire cesser la situation litigieuse alors que celle-ci a perduré.

Le fait que la salariée n'a pas évoquée explicitement un harcèlement moral n'est pas de nature à exonérer l'employeur de ses obligations en matière de sécurité.

Enfin, il a été jugé que malgré les protestations de la salariée et les conclusions de l'évaluation du profil professionnel de la salariée (assessment), réalisée le 5 mai 2017, qui auraient dû susciter la vigilance de l'employeur, aucune mesure n'a été prise pour faire cesser une pratique pouvant engendrer une souffrance au travail.

Il résulte de l'ensemble de ces considérations que la société Lesaffre International n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, d'avoir engagé toutes les actions d'évaluation, de prévention et de prise en charge de la situation de souffrance au travail dénoncée à plusieurs reprises par la salariée.

Le préjudice qui en résulte pour Madame [D] sera évalué à la somme de 3 000 euros.

Sur les demandes afférentes au licenciement

Il résulte des dispositions des articles L.1152-2 et L.1152-3 du code du travail qu'est nul le licenciement prononcé au motif que le salarié a subi ou a refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral.

En l'espèce, la lettre de licenciement du 13 novembre 2017 mentionne, au nombre des multiples griefs retenus à l'encontre de Madame [D], le refus d'appliquer systématiquement la consigne, donnée à compter d'avril 2017, de mettre sa supérieure hiérarchique en copie de tous ses courriels.

Or, il a été jugé que cette pratique relevait d'un harcèlement moral.

Le licenciement prononcé au motif, notamment, que la salarié a refusé de se soumettre à cette consigne, et dès lors, de subir ces agissements de harcèlement moral, encourt la nullité.

En présence d'un motif de nullité du licenciement, il n'y a pas lieu d'examiner les autres reproches contenus dans la lettre de licenciement.

La cour retient donc, par réformation du jugement entrepris, que le licenciement de Madame [D] est nul.

En application des dispositions de l'article L.1235-3-1 du code du travail, Madame [D] est en droit de se voir allouer une indemnité, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, et qui sera fixée à la somme de 60 000 euros.

En revanche, l'indemnité pour irrégularité de procédure ne se cumulant pas avec l'indemnité pour licenciement nul, le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué à madame [D] une dommages et intérêts pour irrégularité du licenciement sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le bien-fondé de cette demande.

Enfin, la remise de la convocation à un entretien préalable à l'issue d'un entretien avec la direction des ressources humaines et la dispense d'activité prononcée à l'occasion de la notification du licenciement, ne sont pas de nature à donner à cette mesure un caractère brutal et vexatoire. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Madame [D] de sa demande à ce titre.

Sur le fondement de l'article L.1235-4 du code du travail, il convient de condamner l'employeur à rembourser les indemnités de chômage dans la limite de six mois.

Sur le rappel de salaire au titre du bonus 2017

Il n'est pas contesté que la salariée percevait chaque année une prime annuelle correspondant à 6,5% de son salaire annuel en cas de d'atteinte des objectifs fixés.

Au titre de l'année 2017, l'entretien professionnel s'est tenu le 23 mars 2017. Toutefois, malgré les demandes réitérées de la salariée, le compte rendu d'entretien formalisé par écrit ne lui a été communiqué que par courriel du 2 octobre 2017. Ce n'est qu'à cette date que la salariée a effectivement et définitivement pris connaissance des objectifs qui lui étaient fixés au titre de l'année 2017.

L'employeur qui a tardé à notifier à l'intéressée ses objectifs (14 jours seulement avant la remise de la convocation à l'entretien préalable au licenciement) ne peut utilement invoquer une prétendue absence d'atteinte de ces objectifs pour s'opposer au paiement de la part variable de rémunération afférente.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Lesaffre International à verser à Madame [D] la sommes de 2 429,96 euros à titre de rappel de prime sur objectifs pour l'année 2017 , outre la somme de 243 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente.

Sur les autres demandes

Sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Lesaffre International à payer à Madame [D] une indemnité de 2 000 euros destinée à couvrir les frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager pour assurer la défense de ses intérêts et y ajoutant, de la condamner au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la SARL Lesaffre International à payer à Madame [S] [D] les sommes de:

- 2 429,96 euros à titre de rappel de primes sur objectifs pour l'année 2017,

- 243,00 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente,

- 2 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Madame [S] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

- condamné la SARL Lesaffre International aux dépens de première instance,

Infirme le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant :

Dit le licenciement de Madame [S] [D] nul,

Condamne la SARL Lesaffre International à payer à Madame [S] [D] les sommes de:

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

Déboute Madame [S] [D] de sa demande de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement,

Ordonne le remboursement par la SARL Lesaffre International des indemnités de chômage versées à Madame [S] [D] dans la limite de six mois d'indemnités,

Rappelle qu'une copie du présent arrêt est adressée par le greffe à Pôle emploi,

Condamne la SARL Lesaffre International à payer à Madame [S] [D] la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la SARL Lesaffre International de sa demande d'indemnité pour frais de procédure formée en cause d'appel,

Condamne la SARL Lesaffre International aux dépens d'appel.

LE GREFFIER

Gaetan DELETTREZ

LE PRESIDENT

Olivier BECUWE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 2
Numéro d'arrêt : 20/00955
Date de la décision : 16/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-16;20.00955 ?
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