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16/12/2022 | FRANCE | N°19/02131

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 1, 16 décembre 2022, 19/02131


ARRÊT DU

16 Décembre 2022







N° 1997/22



N° RG 19/02131 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SVJE



SHF/CH

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

26 Septembre 2019

(RG F18/00123 -section )



































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GROSSE :



aux avocats



le 16 Décembre 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Mme [U] [W] épouse [D]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Jérôme GUILLEMINOT, avocat au barreau de VALENCIENNES





INTIMÉE :



S.A.S. EURO...

ARRÊT DU

16 Décembre 2022

N° 1997/22

N° RG 19/02131 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SVJE

SHF/CH

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VALENCIENNES

en date du

26 Septembre 2019

(RG F18/00123 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 16 Décembre 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [U] [W] épouse [D]

[Adresse 2]

[Localité 4]

représentée par Me Jérôme GUILLEMINOT, avocat au barreau de VALENCIENNES

INTIMÉE :

S.A.S. EUROSTYLE SYSTEMS [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Aude WALLON-LEDUCQ, avocat au barreau de LILLE, assistée de Me Catheline MODAT, avocat au barreau de PARIS

DÉBATS : à l'audience publique du 19 Octobre 2022

Tenue par Soleine HUNTER-FALCK

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Gaetan DELETTREZ

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 16 Décembre 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Gaetan DELETTREZ, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 05 janvier 2022

La SAS Eurostyle Systems [Localité 5], venant aux droits de la société SAS Mollertech Vallenplast, a une activité d'équipementier automobile, spécialisé dans la vente et le développement de pièces plastiques pour l'intérieur des automobiles ; elle est soumise à la convention collective de la plasturgie ; elle comprend plus de 10 salariés.

Mme [U] [W] épouse [D], née en 1967, a été engagée par contrat à durée indéterminée le 23.06.2003 par la société SAS Mollertech Vallenplast en qualité d'agent de fabrication, niveau I, échelon C au coefficient 145 à temps plein (35 h par semaine). Par avenant du 26.08.2013, l'article 10 de ce contrat relatif au port d'un uniforme a été résilié.

Au mois d'avril 2009, dans le cadre d'un plan de cession, la société SAS Mollertech Vallenplast a été cédée au Groupe GMD et a été renommée Eurostyle Systems [Localité 5].

En dernier lieu, Madame [D] occupait les fonctions d'agent de production, qualification ouvrier coefficient 700 pour un horaire mensuel de 162 heures.

La moyenne mensuelle des salaires de Mme [U] [D] s'établit à

1.918,22 €.

Le 11.05.2010, la société a notifié à Madame [D] un avertissement en raison de son refus de signer un bon d'absence concernant deux jours de congés payés imposés aux salariés.

Le 10.01.2011, Mme [U] [D] a saisi le conseil des prud'hommes de [Localité 5] à l'encontre de son employeur en nullité de l'avertissement du 11.05.2010, demande complétée par la suite ; le 28.02.2013 la juridiction prud'homale l'a déboutée de ses prétentions tout en constatant que la société avait réglé à la salariée deux jours de RTT le 24.07.2012. Dans un arrêt rendu le 30.09.2015, la cour d'appel de Douai a confirmé cette décision en toutes ses dispositions. La cour de cassation a par arrêt du 09.03.2017 rejeté le pourvoi formé par Mme [U] [D] à l'encontre de cette décision.

Une mise en garde lui a été adressée le 16.09.2011 à la suite d'une exécution fautive de ses prestations de conditionnement, qu'elle a contestée.

Une observation orale a été effectuée à l'égard de la salariée le 03 puis le 10.04.2012 du fait du non-respect des procédures.

Une nouvelle mise en garde lui a été notifiée le 23.04.2012 en raison du non-respect des procédures de fabrication, qu'elle a contestée.

Le 12.06.2012, Madame [D] s'est vue notifier une nouvelle sanction, soit un avertissement, en raison du non-respect des procédures applicables ayant conduit à un incident de production ; la salariée a contesté la sanction qui a été maintenue le 12.07.2012.

Mme [U] [D] a été placée en arrêt de travail du 25.06 au 07.07.2012, arrêt prolongé jusqu'au 31.08.2012, puis à nouveau du 29.11.2012 au 01.01.2013 avec prolongations jusqu'au 14.02.2013.

Une contre-visite a été réalisée le 11.12.2012 que Mme [U] [D] a contesté le 15.12.2012 ; lors d'une nouvelle contre-visite en date du 21.01.2013, l'arrêt de travail a été médicalement confirmé.

L'employeur suspendu le règlement du complément employeur à compter du 12.12.2012, ce qui a été contesté par Mme [U] [D].

La salariée a été convoquée à un entretien préalable à une sanction disciplinaire fixé le 03.12.2013 et une mise à pied disciplinaire lui a été notifiée le 12.12.2013 en raison de son comportement et de son insubordination lors d'une formation qui était intervenue du 28 au 30.10.2013.

La salariée a bénéficié d'un arrêt maladie du 05.12.2013 au 16.12.2013.

Lors d'une contre-visite organisée le 10.12.2013, le bien fondé de cet arrêt maladie a été confirmé.

Mme [U] [D] a à nouveau été convoquée le 16.12.2013 à un entretien préalable, et un avertissement lui a été notifié le 23.01.2014 en raison d'un incident qualité et d'une absence non justifiée le 05.12.2013. Mme [U] [D] a contesté cette sanction par LRAR mais la sanction a été maintenue le 20.03.2014.

Le 04.03.2014 le médecin du travail a délivré un avis d'aptitude à la salariée.

Madame [W] épouse [D] a fait une tentative de suicide dans la nuit du 07.05.2014 ; elle a été hospitalisée du 08 au 15.05.2014 puis placée en arrêt maladie jusqu'au 16.06.2014, date d'une visite de pré-reprise, avec prolongations successives jusqu'au 31.12.2016.

Mme [U] [D] a fait une demande de déclaration d'accident du travail auprès de la CPAM le 25.05.2014, adressée également à son employeur, concernant l'accident intervenu le 07.05.2014. Une déclaration en vue de la reconnaissance de l'accident du travail a été faite auprès de la CPAM le 30.06.2014 par M [Y] [D], mari de Mme [U] [D].

Le 01.07.2014 la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] a fait savoir à la salariée qu'elle ne reconnaissait pas l'accident du travail en date du 08.05.2014 et a à nouveau contesté cet accident du travail dans un courrier du 24.07.2014.

Une contre-visite réalisée le 10.07.2014 a confirmé le bien fondé de l'arrêt de travail en cours.

La CPAM a refusé la prise en charge de l'accident au titre des accidents du travail le 16.09.2014 en ne reconnaissant pas l'existence de fait accidentel daté et précis le 07.05.2014 pouvant être considéré comme générateur d'un trouble psychosocial.

La commission de recours amiables a rejeté la requête en contestation le 05.02.2015. Mme [U] [D] a saisi le TASS de [Localité 5] qui l'a déboutée dans un jugement rendu le 24.02.2016.

Par arrêt du 30.11.2017, la cour d'appel de Douai a réformé le jugement rendu en décidant notamment que, dans les rapports entre la caisse et Mme [U] [D], celle ci était fondée à se prévaloir d'une décision implicite de prise en charge au titre de la législation professionnelle de la tentative de suicide du 07.05.2017, mais par ailleurs que, dans les rapports entre la salariée et l'employeur, le caractère professionnel de cet accident n'était pas constitué.

Dans un arrêt rendu le 14.02.2019, la cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 30.11.2017 entre les parties par la cour d'appel de Douai, mais seulement en ce qu'il avait dit que dans les rapports entre Mme [U] [D] et la caisse, cette dernière était fondée à se prévaloir de la décision implicite de prise en charge au titre de la législation professionnelle de sa tentative de suicide du 07.05.2014 ; elle a déclaré par conséquent non fondée la décision du 16.09.2014 de refus de prise en charge par la caisse et la décision de la commission de recours amiables de la CPAM du Hainaut du 05.02.2015, et dit irrecevable la demande de Mme [U] [D] au titre de la prise en charge des soins et arrêts consécutifs à son accident du travail.

Madame [W] a été placée sous le régime de l'invalidité 2ème catégorie (réduction des 2/3 de sa capacité de travail) à compter du 01.01.2017, ce dont elle a informé son employeur le 28.12.2016.

Le 06.01.2017, Madame [D] a été déclarée inapte en une seule visite à tous postes par le médecin du travail qui a précisé que l'état de santé de la salariée faisait obstacle à tout reclassement dans l'entreprise et ne permettait pas actuellement de déterminer les capacités restantes à exercer une activité salariée et ses capacités à suivre une formation, avis que la société a contesté dans une lettre du 19.01.2017.

Le 07.02. 2017, la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] a saisi la formation de référé d'une demande de contestation de l'avis d'inaptitude du médecin du travail en date du 06.01.2017 ; la demande de la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] a été déclarée irrecevable par ordonnance rendue le 17.05.2017 par la formation de référé.

Le 31.05.2017, la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] a informé la salariée de l'impossibilité de la reclasser après recherche de reclassement et compte tenu de l'avis du médecin du travail.

Mme [U] [D] a été convoquée par lettre du 02.06.2017 à un entretien préalable fixé le 13.06.2017, puis licenciée par son employeur le 16.06.2017 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d'appel de Douai le 30.10.2019 par Mme [U] [L] à l'encontre du jugement rendu le 26.09.2019 par le conseil de prud'hommes de Valenciennes section Industrie, notifié le 04.10.2019, qui a :

Déclaré irrecevables au titre de l'unicité de l'instance les demandes relatives aux sanctions et

complément maladie de Madame [W] [U] épouse [D].

Débouté Madame [W] [U] épouse [D] de l'intégralité de ses demandes.

Condamné Madame [W] [U] épouse [D] à payer à la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] prise en la personne de son représentant légal, la somme de CINQ CENTS EUROS (500 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Vu les conclusions transmises par RPVA le 16.04.2021 par Mme [U] [D] qui demande à la cour de :

INFIRMER le jugement déféré.

DIRE nul ou à tout le moins sans cause réelle ni sérieuse le licenciement de Madame [W]

épouse [D]

CONDAMNER la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] à payer à Madame [W] épouse [D] les sommes suivantes :

- indemnité de préavis (3.836,44€ + 383,61 € + 3.836,44€) 8.056,49 €

- indemnité de licenciement : 7.037,00 €

- dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité : 50.000 €

- dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle ni sérieuse 100.000 €

CONDAMNER la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] à payer à Madame [W] épouse [D] la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions transmises par RPVA le 25.05.2021 par la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] qui demande de :

RECEVOIR la société Eurostyle Systems [Localité 5] dans ses prétentions et écritures,

CONSTATER que Madame [D] a abandonné ses demandes en annulation des avertissements des 12 juin 2012 et 23 janvier 2014 et de la mise à pied du 14 janvier 2014, ses demandes de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés afférentes et sa demande du complément maladie (et congés payés afférents)

CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Valenciennes en ce qu'il a débouté Madame [D] de sa demande de harcèlement moral

CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Valenciennes en ce qu'il a débouté Madame [D] de l'ensemble de ses demandes chiffrées

DECLARER IRRECEVABLES les demandes de Madame [D] relative au licenciement sans cause réelle et sérieuse car il s'agit de demandes nouvelles présentées pour la première fois en cause d'appel

EN TOUT ETAT DE CAUSE :

DEBOUTER purement et simplement Madame [D] de l'ensemble de ses demandes ;

CONFIRMER le jugement du conseil de prud'hommes de Valenciennes en ce qu'il a condamné Madame [D] à verser à la société Eurostyle Systems [Localité 5] la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et, y ajoutant

- CONDAMNER Madame [D] à payer à la société Eurostyle Systems [Localité 5] la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 Code de procédure civile ;

CONDAMNER Madame [D] aux entiers dépens ;

Vu l'ordonnance de clôture en date du 05.01.2022 prise au visa de l'article 907 du code de procédure civile ;

Vu l'arrêt désignant un médiateur a été rendu le 26.01.2022 ; cependant aucun accord n'ayant pu être trouvé, l'affaire a été reprise à l'audience le 19.10.2022 sur réouverture des débats avec dépôt de dossiers, et mise en délibéré ;

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

A l'issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION :

Au préalable il convient de constater que Madame [D] a abandonné ses demandes en annulation des avertissements des 12.06.2012 et 23.01.2014 et de la mise à pied du 14.01.2014, ses demandes de rappel de salaire et d'indemnité de congés payés afférentes et sa demande du complément maladie et des congés payés afférents.

Par ailleurs, la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] soulève l'irrecevabilité de la demande subsidiaire pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui n'apparaît pas dans la saisine de première instance ni dans la déclaration d'appel, la salariée s'étant bornée à solliciter la nullité de son licenciement pour des faits de harcèlement moral en estimant que la nullité d'un licenciement entraîne sa disparition rétroactive ce qui n'est pas la conséquence d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme [U] [D] pour sa part déclare que si elle maintient sa demande de nullité du licenciement, si cette demande n'est pas retenue elle est en droit de se prévaloir des mêmes faits professionnels qui ont induit son inaptitude professionnelle.

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Cependant l'article 565 précise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent ; et l'article 566 indique que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l'espèce, une demande en vue de voir prononcer à titre subsidiaire le caractère sans cause réelle et sérieuse d'un licenciement est le complément procédural nécessaire d'une demande tendant à voir prononcer la nullité d'un licenciement.

Ce moyen sera écarté.

Sur l'exécution du contrat de travail :

A l'appui de sa demande au titre du harcèlement moral, Mme [U] [D] invoque différents incidents qui ont émaillé sont parcours professionnel au sein de la SAS Eurostyle Systems [Localité 5].

- Un changement de management :

Mme [U] [D] met en cause l'attitude depuis 2009 de M. [P], son superviseur d'atelier de production, alors qu'un incident les avait opposés le 20.09.2005, et qu'il en a conservé du ressentiment à son égard ; elle produit le courrier dénonçant le comportement de son responsable et la lettre de la société du 04.10.2005 constatant que ce dernier n'avait pas nié les propos incorrects qui lui étaient reprochés à son égard, et les engageant à la reprise du dialogue.

La SAS Eurostyle Systems [Localité 5] réplique qu'il s'agit de faits anciens et restés sans suite, la société ayant privilégié la voie de la conciliation entre les protagonistes.

Il est constant qu'un différend a existé entre ces deux salariés en 2005 et que la société les a incités à renouer le dialogue.

- La suppression de deux jours de RTT :

Mme [U] [D] justifie avoir sollicité et obtenu 12 jours d'absence au titre d'un congé principal et de RTT du 17.12.2009 au 06.01.2010 ; le 15.12.2009, la société a rappelé à la salariée la mise en place d'une formation 'gestion du stress' fixée les 21 et 22.12.2009 et lui a proposé, par l'intermédiaire de M. [P], de repositionner son congé RTT en lui faisant savoir que l'absence à cette formation constituerait une faute passible de sanction disciplinaire ; le formulaire de mise en oeuvre de cette formation a été signé pour son compte ('PO') le 09.12.2009 et non par elle-même ; le 29.12.2009 Mme [U] [D] a demandé à se voir compenser et replanifier les deux jours de RTT qu'elle n'a pas été en mesure de prendre du fait de cette formation ce qui lui a été refusé le 13.01.2010, la société estimant qu'ils étaient 'perdus' car non pris avant le 31 décembre de l'année précédente. Ayant saisi la juridiction prud'homale de cette question notamment, la salariée constate que le jugement rendu le 28.02.2013 mentionne que la société lui a finalement payé le 24.07.2012 ces deux jours de RTT non pris.

La société indique que c'est à sa demande que la salariée avait été inscrite à la formation litigieuse et qu'elle devait s'y rendre.

Cependant c'est à tort que la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] réplique en évoquant un litige distinct concernant les conditions d'application de la journée solidarité du 24.05.2010 et le congé pour événement familial le 11.12.2010 soit le mariage de la salariée, alors qu'elle a accepté en cours de procédure prud'homale de régler la somme de 140 € 'à titre de dommages intérêts en réparation de la perte de deux jours de congés payés', la société ayant en outre dans ses conclusions précisé qu'elle demandait de voir constater à titre liminaire que la demande de dommages intérêts au titre de deux jours de RTT perdus n'avait plus lieu d'être compte tenu du règlement intervenu le 24.07.2012. Par suite, la société avait implicitement reconnu ses torts dans ce conflit.

Le jugement rendu le 28.02.2013 fait état des autres demandes de la salariée auxquelles il n'a pas été fait droit : la nullité de l'avertissement du 11.05.2010 concernant le lundi de Pentecôte, et le congé pour événement familial réclamé trop tard, et a condamné Mme [U] [D] à payer la somme de 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il en résulte qu'un contexte conflictuel s'est installé entre Mme [U] [D] et son employeur.

- L'information par écrit de l'existence de pressions :

Une mise en garde a été adressée à la salariée le 16.09.2011 en raison d'erreurs dans le conditionnement de pièces ce qui a été constaté par M [P] le 08.09.2011 et qu'il a dénoncé le lendemain ; Mme [U] [D] a contesté ce grief le 06.10.2011 en relevant qu'il lui était demandé d'emballer 10 et non plus 9 pièces à son poste de conditionnement en raison d'une nouvelle organisation du travail mais qu'elle avait démarré la formation préalable nécessaire en septembre sans avoir encore obtenu le temps nécessaire à cette adaptation, son superviseur exerçant sur elle des pressions inadaptées.

La SAS Eurostyle Systems [Localité 5] fait valoir son pouvoir de direction et de sanction, et observe que la salariée qui avait saisi la juridiction prud'homale n'en n'a pas fait état.

Il s'agissait d'une simple mise en garde ; la société ne conteste pas la nouvelle organisation du travail évoquée par la salariée et ne donne aucune information sur les conditions de mise en place, alors que Mme [U] [D] déclare qu'elle était en cours de formation ; la sanction a été donnée prématurément.

- Une nouvelle lettre confirmant l'existence d'un conflit récurrent :

Une nouvelle mise en garde lui a été notifiée le 13.04.2012 qu'elle conteste en indiquant avoir averti le régleur du changement d'ordre de fabrication en relevant que le panneau 'accord série à réaliser' avait bien été retourné ainsi que le mentionne le formulaire d'observations qui précise que le régleur n'avait pas regardé ce panneau.

La société lui oppose que la salariée n'avait pas informé sa hiérarchie d'un changement d'ordre de fabrication conformément à la procédure en vigueur ce qui a eu pour incidence le blocage de la production.

Néanmoins, les seuls documents produits ne permettent pas de déterminer les responsabilités respectives entre la salariée qui a bien retourné le panneau accord saisie et qui a contesté par écrit la sanction, et le régleur qui, s'il n'a pas été informé par elle, n'a pas regardé ni vérifié ce panneau ; la faute n'est dans ces conditions pas établie.

- L'avertissement du 12.06.2012 :

Un incident 'client' est intervenu le 25.04.2012 alors que la malfaçon avait été réalisée sur le poste de Mme [U] [D] le 03.04.2012 ; un avertissement lui a été notifié. Celle ci a été placée en arrêt de travail le 25.06.2012 pour dépression réactionnelle, jusqu'au 31.08.2012. Une visite de reprise a été organisée le 13.09.2012 qui mentionne un 'état dépressif origine professionnelle'.

La société fait valoir une erreur d'assemblage au cours de la production ayant motivé la sanction, la commande du client n'ayant pas été respectée ; elle a dans le courrier du 12.07.2012 confirmé le dysfonctionnement constaté et elle conteste l'acharnement dont la salariée serait victime et qu'elle dénonçait dans son courrier du 01.07.2012. Elle estime que la contestation est tardive.

Il apparaît que, peu de temps après le litige survenu à l'occasion de la mise en garde du 13.04.2012, Mme [U] [D] a fait l'objet d'un avertissement en raison d'une erreur de production ; la sanction était légitime, elle a été déclarée proportionnée par le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de [Localité 5] le 26.09.2019, décision qui sur ce point n'est pas remise en cause en appel.

- L'alerte sur une situation de harcèlement ayant des incidences sur l'état de santé de la salariée :

Il est exact que dans son courrier de contestation de l'avertissement du 01.07.2012, Mme [U] [D] a dénoncé faire l'objet d'un harcèlement moral ; elle vise la récurrence des reproches, des brimades incessantes et déclare faire l'objet d'une cabale et d'un harcèlement moral depuis qu'elle a saisi la juridiction prud'homale.

- Le refus de versement du complément maladie :

Mme [U] [D] constate qu'après une intervention chirurgicale, elle a été contrainte de s'aliter à son retour à domicile ; un contrôle médical a été réalisé le 11.12.2012 et elle n'a pas pu se lever pour y répondre ; l'arrêt de travail a été prolongé et un nouveau contrôle a été opéré le 21.01.2013 qui a permis de confirmer la nécessité de cet arrêt. Cependant par courrier du 12.12.2012, la société a décidé de suspendre le versement du complément employeur, ce que Mme [U] [D] a contesté par lettre du 18.01.2013 en se prévalant des certificats médicaux qui avaient été adressés régulièrement tout en rappelant que son employeur n'avait pas sollicité un nouvel examen avant cette suspension et que le service du contrôle médical avait confirmé la légitimité de son arrêt maladie ; elle justifie d'un manque à gagner de 1.542,60 € entre décembre et février outre les congés payés.

La SAS Eurostyle Systems [Localité 5] a contesté cette perte de droits.

L'arrêt maladie ayant pour effet de suspendre le contrat de travail, le salarié qui n'exécute plus sa prestation de travail n'a pas droit au paiement de son salaire. Ce sont les organismes de sécurité sociale qui prennent le relais, par le versement d'indemnités journalières (IJSS). Toutefois, lorsque le minimum de rémunération n'est pas atteint au titre des IJSS, le salarié a droit en outre au versement d'un complément de salaire à la charge de l'employeur.

Si la Sécurité sociale suspend le versement des IJSS à l'issue d'un contrôle, elle a l'obligation d'en informer l'employeur qui peut donc, de son côté, suspendre le versement du complément de salaire.

Il n'est pas démontré en l'espèce de la suspension des IJSS par la Sécurité sociale alors même que dans son courrier de contestation du 18.01.2013 la salariée indique que la caisse avait maintenu le versement de l'intégralité des indemnités journalières ce qui ressortait de l'attestation de paiement du 01.12.2012 au 13.01.2013. Dans ces conditions la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] a à tort suspendu le versement du complément employeur à partir de décembre 2012.

- La mise à pied disciplinaire de trois jours du 12 .12.2013 :

Mme [U] [D] conteste le bien fondé de cette sanction qui lui a été notifiée en raison de son comportement à l'égard du formateur, et de son indiscipline ; elle déclare avoir bien participé à la formation ayant été organisée du 28 au 30.10.2013 avec 9 autres salariés dont certains ont également été sanctionnés par une mise à pied de trois jours pour avoir perturbé son bon déroulement ; M. [X] a contesté judiciairement la sanction qui a été jugée disproportionnée par le conseil des prud'hommes de [Localité 5] le 24.09.2015 et ramenée à une journée, de même en ce qui concerne Mme [S] ; elle relève que les salariés concernés n'ont pas été satisfaits de cette formation.

La société communique le rapport du formateur, M. [E], qui met en cause le comportement de quatre salariés sur les 10 suivant la formation, et qui mentionne le désinvestissement de Mme [U] [D].

Le conseil des prud'hommes a relevé dans ses jugements que la société s'était bornée à se fonder sur le rapport du formateur qui n'en n'a pas informé sur le moment l'employeur et qui a conservé les éléments perturbateurs dans le groupe ; en ce qui concerne Mme [U] [D], il lui est reproché de ne pas avoir fait preuve d'intérêt et d'en avoir gêné le déroulement en bavardant à voix haute avec Mme [S] ; les questionnaires de fin de stage ne font pas référence à ces difficultés ; la salariée produit les rapports de fin de stage de certains participants qui dénoncent le fait que ce stage ne leur avait rien appris. Dans ces conditions la cour estime également que la sanction qui était justifiée était disproportionnée ; il n'en n'a pas été demandé l'annulation.

- La perte de trois jours de salaire au lieu d'un seul :

Mme [U] [D] dénonce le fait que la société lui ait imposé 3 jours de congés sans solde et 3 jours de chômage partiel fin décembre 2013.

La SAS Eurostyle Systems [Localité 5] ne s'est pas expliquée sur la raison pour laquelle cette solution a été adoptée alors que le chef d'atelier, M. [V], avait proposé le 03.12.2013 un congé anciennet2, une 1/2 journée RTT complétée de crédit d'heures, et un congé sans solde outre 3 jours de RTT, pour pallier le ralentissement de la production en fin d'année.

- Le nouvel arrêt pour dépression réactionnel et le nouveau contrôle médical :

Le médecin traitant de Mme [U] [D] l'a placée en arrêt de travail pour 'épisode dépressif dépression réactionnelle à un harcèlement au travail anxiété majeure' le 05.12.2013 ; elle a fait l'objet d'un contrôle médical le 10.12.2013, le médecin contrôleur confirmant le bien fondé de cet arrêt.

- L'avertissement du 23.01.2014 injustifié et discriminatoire :

Mme [U] [D] dénonce cette sanction qui est intervenue en raison du non-respect de consignes, soit la mention d'un incident consistant au dysfonctionnement de la machine MP6025 qu'elle utilisait ce qui a entraîné l'absence de sertissage d'un écrou ; elle indique s'être absentée de son poste pour des pauses habituelles et son remplaçant ne lui a pas signalé d'incident, mais aussi qu'aucun incident n'a été mentionné sur le journal de procédé.

La société précise que l'avertissement litigieux correspond à deux manquements : l'absence de contrôle de conformité de la pièce défectueuse non signalée dans le journal de procédé, ce qui a des incidences en termes financiers et d'image ; elle a retranscrit l'historique du poste de travail qui démontre la présence de la salariée au moment du dysfonctionnement. En outre, Mme [U] [D] n'a pas informé son employeur de son absence le 06.12.2013 à l'issue d'une visite à son médecin traitant qui l'a placée en arrêt maladie jusqu'au 16.12.2013, ce qui contrevient aux dispositions du règlement intérieur.

Il ressort des documents produits et des explications des parties que la salariée n'a en effet pas signalé un incident de production le 08.11.2013 et que par ailleurs elle n'a pas avisé en temps utile son employeur de l'arrêt maladie dont elle a bénéficié. La sanction était donc justifiée ; elle n'a pas pu être examinée par le conseil des prud'hommes de [Localité 5] qui le 26.09.2019 a déclaré la contestation irrecevable en vertu de l'unicité de l'instance.

- Des pratiques douteuses et discriminatoires :

Mme [U] [D] verse aux débats l'attestation de M. [G], un ancien collègue, qui affirme que lorsque les agents étaient en pause, cela n'était pas noté dans le journal de procédé ; il fait état d'actes de malveillance pour avoir retrouvé dans son propre bac des pièces non conformes qu'il avait placées au rebut ; il invoque la charge de travail, un agent de production devant fabriquer en moyenne entre 800 à 1400 pièces par jour, des défauts pouvant intervenir également en raison de défaillances de machines ; il déclare que Mme [U] [D] faisait son travail avec concentration et application en indiquant : 'je précise que le chef d'atelier M. [P] avait ses préférés et ses protégés, il y avait des salariés qui étaient dans son collimateur et qu'il n'hésitait pas à brimer'. Il s'agit d'une explication générale du contexte de travail.

- Les pressions psychologiques pendant l'arrêt de travail :

Le 28.12.2016, Mme [U] [D] a notifié à la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] la décision de la CPAM de la placer en invalidité 2è catégorie à concurrence des 2/3 ; elle avait été placée en arrêt maladie longue durée jusqu'au 31.12.2016 ; elle dénonce le fait que son employeur lui a enjoint de prendre contact avec la médecine du travail pour organiser une visite de reprise qui doit l'être par la société ; le médecin du travail a, dans un certificat du 22.03.2017, alors que la société avait contesté son avis d'invalidité du 06.01.2017, déclaré que son comportement 'risquait d'aggraver l'état de santé de Mme [D]'.

La SAS Eurostyle Systems [Localité 5] a répondu qu'elle avait voulu vérifier que la nouvelle procédure applicable avait été utilisée pour l'avis rendu le 6 janvier.

Au vu de ces éléments Mme [U] [D] invoque un acharnement de son employeur à son encontre qui a eu des répercussions son état de santé physique et moral ; elle rappelle les différents arrêts maladie qu'elle a subis, dont le bien fondé a été contrôlé ; lors de l'examen ayant constaté son aptitude professionnelle le 04.03.2014, le médecin du travail a noté en ce qui concerne son psychisme : 'dysthymie boule d'angoisse en arrivant à l'usine' ; elle déclare que son supérieur lui a adressé un nouveau reproche au travail le 07.05.2014 devant se traduire par une procédure disciplinaire et c'est dans ces conditions qu'elle a fait à son retour chez elle une tentative de suicide ; son état d'esprit a été relevé lors de l'enquête menée par la CPAM et lors de son audition elle a expliqué son geste par 'un mal être et une souffrance au travail, conséquence d'une ambiance et de rapports dégradés avec sa hiérarchie', elle a déclaré se sentir toujours dévalorisée, toujours menacée de licenciement, 'elle souhaiterait simplement travailler dans de bonnes conditions sans ressentir continuellement une pression psychologique' ; ce jour là elle a décidé de 'fuir à tout prix cette pression en se supprimant' ; ses collègues craignent trop pour leur avenir pour apporter leur témoignage ; l'enquêteur a conclu : 'le ressenti de mal être et de la souffrance au travail dont est victime l'assurée, caractérisée par une tentative de suicide, trouve son origine dans ses relations de travail plus précisément avec sa hiérarchie et dans la perception de manque de reconnaissance du travail accompli et de la compétence. A cela vient également s'ajouter l'insatisfaction de son employeur sur la qualité du travail, concrétisée par de nombreux courriers (lettres d'avertissement)'.

Elle s'appuie sur les témoignages de ses collègues de travail : M. [G] déjà cité, mais également, Mme [S], déléguée syndicale, qui confirme la discrétion de la salariée mais aussi que 'j'ai constaté qu'elle était anxieuse et dépressive à cause des problèmes qu'elle rencontrait au travail suite aux reproches incessants et aux pressions continuelles de la hiérarchie' ; et M. [M] magasiner et délégué du personnel qui l'a assistée en entretien et qui confirme son anxiété face aux multiples procédures disciplinaires.

Le médecin psychiatre le Dr [K] a fait état de l'état dépressif de la salariée s'étant traduit notamment par une dépression d'épuisement avec symptomatologie obsessionnelle, qui aurait été déclenchée par une situation conflictuelle.

Enfin, Mme [U] [D] a été examinée par le Dr [J], psychiatre, dans le cadre de l'instance devant le TASS, qui le 24.01.2019 note que la salariée décrit sa situation de travail faite de contraintes, pression, disqualification et remise en cause quasi permanente de la qualité de son travail ; elle s'estimait victime d'injustices répétées et avoir reçu nombre de sanctions ce qui est le contexte de cette tentative de suicide.

La SAS Eurostyle Systems [Localité 5] conteste tout lien de causalité entre la dégradation de l'état de santé de Mme [U] [D] et ses conditions de travail dans l'entreprise. Elle observe que le médecin du travail déclarait la salariée apte sans réserve en particulier en mars 2014 soit avant la tentative de suicide de mai 2014 ; les juridictions de sécurité sociale n'ont pas retenu de lien de causalité et la cour de cassation a retenu le 14.02.2019 que cette tentative de suicide ne revêtait pas le caractère d'accident du travail, s'étant produite chez elle dans la soirée ; le certificat médical du Dr [K] a été établi sur les seuls dires de la salariée ; celle ci produit des arrêts maladie déjà anciens établissant un état dépressif ; elle n'a pas saisi les institutions représentatives de ses difficultés ni exercé son droit de retrait.

Sur ce, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral. Le juge ne doit pas seulement examiner chaque fait invoqué par le salarié de façon isolée mais également les analyser dans leur ensemble, c'est-à-dire les apprécier dans leur globalité, puisque des éléments, qui isolément paraissent insignifiants, peuvent une fois réunis, constituer une situation de harcèlement.

Si la preuve est libre en matière prud'homale, le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral est tenu d'établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations afin de mettre en mesure la partie défenderesse de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés.

Les éléments précis et concordants invoqués par la salariée et tels que décrits précédemment sont matériellement établis et peuvent laisser présumer, pris dans leur ensemble, l'existence d'un harcèlement moral.

La société fournit des éléments de preuve fournis tendant à démontrer que certaines mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral tel l'avertissement du 23.01.2014 qui a été judiciairement confirmé.

Cependant Mme [U] [D] invoque une succession de faits qui sont intervenus depuis fin 2019 pour lesquels la société n'apporte pas d'éléments justificatifs bien au contraire. Il en est ainsi des deux jours de RTT supprimés avant le 31.12.2009 alors que la société avait antérieurement validé ces congés ; des pressions répétées exercées par son responsable hiérarchique, M. [P], alors que les parties avaient été confrontées à un incident en septembre 2005 dont celui ci pouvait avoir conservé du ressentiment ; du bien fondé de la mise en garde du 23.04.2012 qui n'est pas avéré ; dans sa lettre du 01.07.2012 la salariée a invoqué l'existence d'un harcèlement moral dont la société aurait dû tenir compte dans la gestion des conflits qui ont perduré ; la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] a refusé à tort de verser un complément maladie alors que Mme [U] [D] était en arrêt maladie médicalement justifié ce qu'elle avait fait contrôler ; une mise à pied de trois jours a été notifiée le 12.12.2013 dont le quantum était disproportionné ; lors du nouvel arrêt maladie de décembre 2013 la société a estimé à nouveau devoir contrôler l'état de la salariée ce qui était certes son droit ; l'employeur a induit en erreur la salariée en lui indiquant de prendre rendez-vous avec le médecin du travail en janvier 2017. Il en résulte que l'employeur a exercé des pressions réitérées sur la salariée sans démontrer la volonté de dialogue te de conciliation qui existait auparavant ; les positions de part et d'autre se sont crispées puis figées.

Il convient en outre de tenir compte de la constante dégradation de l'état de santé de Mme [U] [D] dont il n'est aucunement justifié qu'elle résulterait d'une fragilité personnelle, les certificats médicaux émis par le médecin traitant faisant référence à dépression réactionnelle ; le médecin du travail a effectivement constaté le 04.03.2014 l'angoisse vécue par la salariée à son arrivée à l'usine.

Il est constant que le caractère professionnel de l'accident survenu dans la nuit du 07 au 08.05.2014 n'a pas été reconnu judiciairement ; pour autant, la juridiction prud'homale conserve sa liberté d'appréciation dans le cadre du litige qui lui est soumis.

Il est constant en outre que l'enquêteur de la CPAM a retenu la souffrance au travail exprimée par Mme [U] [D] ; et que cette souffrance au travail a été perçue par ses collègues de travail, Mme [S] et M. [M], chacun de leur côté.

Par suite, le harcèlement moral est démontré ; le jugement sera infirmé.

Sur la nullité et les conséquences du licenciement :

Les très nombreux certificats et avis médicaux produits justifient de la réalité de faits récurrents survenus au sein de la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] et ayant porté atteinte à l'intégrité physique et morale de Mme [U] [D] qui se sont traduit par un conflit étalé dans le temps ayant eu nécessairement des répercussions sur l'état de santé de Mme [U] [D], et ayant par suite déterminé son inaptitude à son poste.

En conséquence la cour dit que le licenciement de Mme [U] [D] par la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] est nul du fait du harcèlement moral qui a été subi par la salariée, et condamne la société au paiement de la somme de 40.000 € outre les indemnités de rupture. Le jugement sera infirmé.

Au surplus, la salariée se prévaut du caractère professionnel de l'inaptitude dès lors que cette inaptitude résulte au moins partiellement de son activité professionnelle et que la société avait connaissance de cette origine au moment de la notification du licenciement.

Eu égard aux circonstances de la cause, il convient de constater l'origine professionnelle de l'inaptitude liée au harcèlement moral subi sur le lieu de travail.

Dès lors en application des dispositions de l'article L 1226-14 du code du travail, la salariée a droit à une indemnité de préavis de deux mois (3.836,44 €) outre le congés payés afférents, et au double de l'indemnité de licenciement s'agissant d'une indemnité spéciale dont une partie a déjà été payée.

Dans les cas de nullité du licenciement prévus aux articles L. 1132-4 (discrimination), L. 1134-4 (action du salarié fondée sur les dispositions du principe de non-discrimination), L. 1144-3 (égalité professionnelle hommes/femmes), L. 1152-3 (harcèlement moral), L. 1153-4 (harcèlement sexuel), et lorsque le licenciement illégitime est indemnisé en application L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

(Après le 01.01.2019) Dans les cas de nullité du licenciement prévus aux articles L. 1132-4 (discrimination), L. 1134-4 (action du salarié fondée sur les dispositions du principe de non-discrimination), L. 1144-3 (égalité professionnelle hommes/femmes), L. 1152-3 (harcèlement moral), L. 1153-4 (harcèlement sexuel), et lorsque le licenciement illégitime est indemnisé en application L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité

Mme [U] [D] fait également valoir le manquement de l'employeur au titre du non-respect de l'obligation de sécurité d'une manière générale en se fondant sur les dispositions de l'article L 4121-1 du code du travail en opposant le harcèlement moral dont elle a été victime. Elle observe en outre que la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] n'a pas tenu compte de sa situation de stress et de souffrance dont elle avait été tenue informée ; en septembre 2005 la société avait pris acte de l'emportement de M. [P] à son égard ; Mme [U] [D] a dénoncé les reproches infondés de son responsable hiérarchique à la suite de la mise en garde du 16.09.2011, et de celle du 13.04.2012, mais aussi les brimades incessantes dont elle était l'objet à la suite de l'avertissement du 12.06.2012 ; elle rappelle ses arrêts maladie répétés, en concluant que la société n'avait pas pris la mesure du problème ni les moyens de le résoudre, ni même de l'épuisement de la salariée ; celle ci pourtant se réfère aux entretiens annuels de 2012 et 2013.

La société se borne à déclarer que le harcèlement moral qui lui est reproché n'est pas démontré et que la salariée ne justifie pas de son préjudice.

L'employeur prend, en application de l'article L 4121-1 du code du travail, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : des actions de prévention des risques professionnels ; des actions d'information et de formation ; la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En conséquence la responsabilité de l'employeur est engagée sauf à prouver : la faute exclusive de la victime ou l'existence de circonstances relevant de la force majeure, imprévisibles, irrésistibles et extérieures. Il suffit que l'employeur manque à l'une de ses obligations en matière de sécurité pour qu'il engage sa responsabilité civile même s'il n'en est résulté ni accident du travail ni maladie professionnelle. Pour satisfaire à son obligation de résultat l'employeur doit vérifier : les risques présentés par l'environnement de travail, les contraintes et dangers liés aux postes de travail, les effets de l'organisation du travail, la santé des salariés, les relations du travail.

La simple constatation du manquement à l'obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l'employeur. Mais encore faut-il que la victime apporte la preuve de l'existence de deux éléments : la conscience du danger qu'avait ou aurait dû avoir l'employeur (ou son préposé substitué) auquel il exposait ses salariés ; l'absence de mesures de prévention et de protection.

Il s'agit d'une demande distincte de la demande de reconnaissance d'un harcèlement moral, mais qui trouve sa justification dans l'existence de ce harcèlement.

La société ne démontre pas la faute exclusive de la victime ou l'existence de circonstances relevant de la force majeure, imprévisibles, irrésistibles et extérieures ; en revanche Mme [U] [D] apporte des éléments venant justifier que la société devait avoir conscience du danger auquel elle était exposée de son fait et qu'elle n'a pas pris de mesure de protection la concernant dans l'organisation du travail.

Ce manquement est justifié. La SAS Eurostyle Systems [Localité 5] sera condamnée au paiement de la somme de 5.000 € en réparation du préjudice subi.

En conséquence le jugement rendu sera infirmé.

Il serait inéquitable que Mme [U] [D] supporte l'intégralité des frais non compris dans les dépens tandis que la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] qui succombe doit en être déboutée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement contradictoirement :

Déclare l'appel recevable ;

Confirme le jugement rendu le 26.09.2019 par le conseil de prud'hommes de Valenciennes section Industrie, sauf en ce qu'il n'a pas reconnu le harcèlement moral, et a rejeté la demande au titre du manquement à l'obligation de sécurité avec les conséquences de droit ;

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que Mme [U] [D] a subi un harcèlement moral de la part de la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] dans l'exécution de son contrat de travail ainsi qu'un manquement à l'obligation de sécurité ;

Dit que l'inaptitude a une origine professionnelle ;

Condamne en conséquence la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] à payer à Mme [U] [D] les sommes de :

- indemnité de préavis 3.836,44 €

- congés payés afférents 383,64 €

- indemnité spéciale de licenciement (complément) : 7.037 €

- dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité : 5.000 €

- dommages et intérêts pour licenciement nul ou sans cause réelle ni sérieuse : 40.000 €

Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter du présent arrêt ;

Ordonne, dans les limites de l'article L 1235-4 du code du travail, le remboursement par la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] à l'organisme social concerné des indemnités de chômage payées à Mme [U] [D] à concurrence de six mois de salaire ;

Rejette les autres demandes ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] à payer à Mme [U] [D] la somme de 5.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;

Condamne la SAS Eurostyle Systems [Localité 5] aux dépens d'appel.

LE GREFFIER

Gaetan DELETTREZ

LE PRESIDENT

Soleine HUNTER-FALCK


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 1
Numéro d'arrêt : 19/02131
Date de la décision : 16/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-16;19.02131 ?
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