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01/12/2022 | FRANCE | N°21/01150

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 01 décembre 2022, 21/01150


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 01/12/2022





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N° de MINUTE :

N° RG 21/01150 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TPDP



Jugement (N° 20/05223)

rendu le 30 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANTE



Madame [E] [W] épouse [C]

née le 28 novembre 1995 à [Localité 5] (Sénégal)

demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]




bénéficie d'une aide juridictionnelle partielle numéro 59178/002/20021/001966 du 23/02/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai



représentée par Me Sanjay Navy, avocat au barreau de Lille, avocat consti...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 01/12/2022

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/01150 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TPDP

Jugement (N° 20/05223)

rendu le 30 novembre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTE

Madame [E] [W] épouse [C]

née le 28 novembre 1995 à [Localité 5] (Sénégal)

demeurant [Adresse 2]

[Localité 4]

bénéficie d'une aide juridictionnelle partielle numéro 59178/002/20021/001966 du 23/02/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai

représentée par Me Sanjay Navy, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉ

Monsieur le procureur général près la cour d'appel de Douai

représenté par Monsieur Olivier Declerck, substitut général

DÉBATS à l'audience publique du 29 septembre 2022 tenue par Camille Colonna magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 08 septembre 2022

****

EXPOSE DU LITIGE

Mme [E] [W], épouse [C], est née le 28 novembre 1995 à [Localité 5] (Sénégal).

Le 14 février 2013, elle s'est vu opposer un refus de délivrance d'un certificat de nationalité et par jugement contradictoire du 30 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Lille l'a déboutée de sa demande tendant à se voir reconnaître la nationalité française au motif que la preuve n'était pas rapportée que M. [M] [W], père de la requérante, avait établi son domicile de manière stable et permanente, le 20 juin 1960, en dehors d'un ancien territoire d' Outre-mer.

Par déclaration reçue au greffe le 19 février 2021, Mme [E] [W] a interjeté appel de ce jugement et au terme de ses conclusions remises le 5 août 2022, demande à la cour d'infirmer la décision entreprise et, statuant à nouveau, de dire et juger qu'elle est de nationalité française, d'ordonner la mention du jugement en marge de son acte de naissance et de condamner le Trésor Public en tous les dépens.

Au soutien de ses prétentions, sur le fondement de l'article 18 du code civil, Mme [W] fait valoir qu'elle tient sa nationalité française de son père, M. [M] [W], ce dernier ayant conservé la nationalité française pour avoir été domicilié en France au jour de l'accession à l'indépendance du Sénégal, ce qu'attestent les certificats de nationalité française de ce dernier délivrés les 21 avril 1961, 7 novembre 1977 et 29 janvier 1992. Elle précise que pour apprécier si M. [W] avait sa résidence en France le 20 juin 1960, il convient de se situer à cette date alors qu'il y résidait depuis 1956, travaillant de manière continue en France entre 1959 et 1967 et qu'il était célibataire et sans enfant, de sorte qu'il ne peut être prétendu que ses attaches familiales auraient été fixées ailleurs qu'en France.

Au terme de ses conclusions remises le 15 juillet 2021, M. le procureur général près la cour d'appel de Douai demande à la cour de constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré, confirmer le jugement entrepris, débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes, dire qu'elle n'est pas de nationalité française et ordonner la mention prévue par les articles 28 du code civil.

Il fait valoir que la présomption de vérité attachée aux certificats de nationalité française dont se prévaut M. [M] [W], père de l'appelante, n'opère pas en faveur de cette dernière et que la résidence effective en France de M. [M] [W] au jour de l'accession à l'indépendance du Sénégal n'est pas suffisamment démontrée. Par ailleurs, il soutient que n'est pas établi le lien de filiation entre l'intéressée et M. [M] [W] dont les documents relatifs à la vie professionnelle sont produits.

Pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens développés par chacune des parties, il convient de se référer à leurs dernières écritures.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour constate qu'il a été satisfait aux formalités prévues par l'article 1043 du code de procédure civile.

En vertu de l'article 30 du code civil, la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause. Toutefois, cette charge incombe à celui qui conteste la qualité de Français à un individu titulaire d'un certificat de nationalité française délivré conformément aux articles 31 et suivants.

Le refus de délivrance d'un certificat de nationalité française à Mme [W] étant à l'origine de son action, la charge de la preuve du bien fondé de son action lui incombe. Cette preuve ne peut résider dans les certificats de nationalité française délivrés à son père dès lors qu'il est constant que seul le titulaire d'un tel certificat peut s'en prévaloir.

Aux termes de l'article 18 du code civil, est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français.

Les effets sur la nationalité de l'accession à l'indépendance des anciens territoires d'Outre-mer de la République française ont été organisés par la loi n° 60-752 du 28 juillet 1960 et sont actuellement régis par le chapitre VII du titre Ier bis du livre premier du code civil qui dispose qu'ont conservé de plein droit la nationalité française à l'indépendance de ces territoires, si elles la possédaient à cette date, les personnes originaires du territoire de la République française tel qu'il restait constitué le 28 juillet 1960, ainsi que les personnes originaires de ces territoires qui avaient, à la date de l'indépendance, établi leur domicile hors de ces territoires.

Le domicile, au sens du droit de la nationalité, s'entend d'une résidence présentant un caractère stable et effectif coïncidant avec le centre des attaches familiales et des occupations de l'intéressé.

Sur la filiation entre la requérante et le titulaire des pièces produites

Selon la copie littérale de l'acte de naissance de Mme [W], son père, M. [M] [W], est né à [Localité 5] le 10 octobre 1935.

Les certificats de nationalité de M. [M] [W] présentent les mentions suivantes :

- certificat de nationalité française du 21 avril 1961: délivré à M. [M] [W], né à [Localité 5] (Sénégal) en 1935 de [W] [Z] [P] et [N],

- certificat de nationalité française du 7 novembre 1977: délivré à M. [M] [W], né à [Localité 5] (Sénégal) en 1935 et demeurant [Adresse 3],

- certificat de nationalité française du 29 janvier 1992: délivré à M. [M] [W], né à [Localité 5] (Sénégal) le 10 octobre 1935 de [P] [W] et [N] [Z] et demeurant [Adresse 3] à [Localité 6].

Ces documents visent tous le jugement supplétif de l'acte de naissance de M. [W] ou son acte de naissance, lequel atteste sa date de naissance le 10 octobre 1935 et l'identité de ses parents.

La similarité entre ces documents concernant les nom et prénom, lieu de naissance, ascendants et adresse de leur titulaire démontrent qu'ils concernent une unique personne dénommée M. [M] [W] bien que les mentions de sa date de naissance, tantôt « 1935 » tantôt « 10 octobre 1935 », sans être contradictoires, ne soient pas identiques.

L'appelante produit par ailleurs des documents relatifs à la carrière professionnelle de M. [M] [W] :

- les relevés de l'assurance retraite de Normandie et de l'ARCCO concernent M. [M] [W] né en 1935 et affilié à la sécurité sociale sous le numéro [XXXXXXXXXXX01],

- le relevé de la direction du personnel militaire de l'armée de terre (DPMAT), partiellement lisible, fait état des services de M. [M] [W] né à [Localité 5] le 31 décembre 1935.

La possession de ces documents administratifs, qui s'obtiennent sur demande de l'administré concerné, constitue un indice de la relation entre la requérante et leur titulaire.

En outre, le relevé d'assurance retraite de Normandie susvisé est adressé à M. [M] [W], chez [R] [W], qui se trouve être la s'ur de la requérante, et il n'est pas contesté que le numéro d'affilié à la sécurité sociale est celui du père de la requérante, de sorte qu'il est démontré que le titulaire de ces relevés est M. [M] [W], père de cette dernière.

Enfin, il apparaît que la période de service militaire est la même sur le relevé de la DPMAT et sur le relevé de carrière ARCCO, ce dont il se déduit que M. [M] [W], affilié à la sécurité sociale sous le numéro [XXXXXXXXXXX01], père de la requérante, est également le titulaire du relevé de carrière militaire produit.

Il est ainsi suffisamment démontré que les relevés de carrière produits concernent une unique personne, M. [M] [W], père de l'appelante, malgré les incertitudes concernant les mentions relatives à la date de naissance.

Sur la résidence en France du père de la requérante lors de l'indépendance du Sénégal

M. [M] [W] a effectué des périodes de travail en France entre le 28 août 1956 et le mois d'octobre 1988 (relevés de l'assurance retraite de Normandie et de l'ARCCO). Le relevé de l'ARCCO est corroboré par le certificat de travail du 28 décembre 1959 au 28 janvier 1960 émis par la société ERAMET et par l'attestation de travail de la société Van Leer pour la période du 02 mars au 08 juin 1960.

Le relevé de la Direction du personnel militaire de l'armée de terre démontre qu'il a servi au sein des forces françaises du 13 juillet 1959 au 2 novembre 1967, de manière discontinue.

Il est notamment démontré qu'il a eu un emploi en France du 2 mars au 8 juin 1960 (relevé de l'ARCCO et attestation de travail de la société Van Leer) et du 8 juillet 1960 au 2 novembre 1960 (relevé de la DPMAT).

Il est dès lors acquis qu'il a connu une situation professionnelle stable et durable en France du 28 août 1956 au 16 octobre 1988, période pendant laquelle est intervenue l'indépendance du Sénégal (juin 1960), peu important les courtes périodes de vacance entre deux emplois.

Or, à cette dernière date, il était célibataire et rien n'établit qu'il aurait eu alors une résidence, au sens du droit de la nationalité, distincte de son lieu de travail. Il est indifférent, à cet égard, qu'il ait ultérieurement contracté mariage dans son pays d'origine et que ses enfants y soient nés.

L'engagement militaire de M. [W] démontre un attachement patriotique à la France sur la période visée. Enfin, le fait qu'il se soit vu délivrer trois certificats de nationalité (dont le premier le 21 avril 1961, ce qui témoigne de son intention de conserver la nationalité française juste après l'indépendance de son pays d'origine), corrobore les éléments apportés par l'appelante.

Mme [W] apporte donc la preuve de ce que le dénommé [M] [W], titulaire des attestations de travail en France, est son père, qu'il travaillait en France au jour de l'indépendance du Sénégal et qu'il y avait son domicile au sens du droit de la nationalité.

Démontrant ainsi que son père est français, elle est fondée à se prévaloir de la nationalité française.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement entrepris.

PAR CES MOTIFS

La cour

constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré,

infirme le jugement entrepris et, statuant à nouveau,

dit que Mme [E] [W], née le 28 novembre 1995 à [Localité 5] (Sénégal), est de nationalité française,

ordonne la mention du présent arrêt en marge de son acte de naissance,

condamne le Trésor Public aux dépens.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 21/01150
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;21.01150 ?
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