République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 24/11/2022
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N° de MINUTE :
N° RG 20/04408 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TIJO
Jugement (N° 18/00342)
rendu le 26 août 2020 par la juridiction de proximité de [Localité 6]
APPELANTE
Madame [O] [W] veuve [H]
née le 21 juillet 1955 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 2]
bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178/002/20/010642 du 05/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai
représentée par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai, avocat constitué
INTIMÉE
La SARL T.E.A
prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social [Adresse 3]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Sophie Graux, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer, avocat constitué
DÉBATS à l'audience publique du 26 septembre 2022 tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Bruno Poupet, président de chambre
Céline Miller, conseiller
Camille Colonna, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 24 novembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 05 septembre 2022
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Mme [O] [W], veuve [H], était propriétaire d'un terrain situé [Adresse 1] qu'elle a fait diviser en trois parcelles destinées à l'édification de maisons d'habitation, dont deux ont été vendues et la troisième conservée par elle pour accueillir son habitation.
Elle a confié à la SARL T.E.A. les travaux de raccordement général de ce terrain au tout-à-l'égout et de raccordement de son immeuble à ce raccordement général mais, considérant que celle-ci n'avait pas rempli l'intégralité de ses obligations contractuelles, s'est opposée au règlement des factures correspondantes.
Le 23 avril 2018, le juge du tribunal d'instance de Montreuil a rendu une ordonnance lui enjoignant de payer à la SARL T.E.A. la somme de 7 107,60 euros en principal avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2018, outre 5 euros au titre de frais accessoires.
Par jugement contradictoire du 26 août 2020, le tribunal de proximité de Montreuil a :
- déclaré recevable l'opposition formée par Mme [H] à l'encontre de cette ordonnance,
- constaté en conséquence la mise à néant de celle-ci et, statuant à nouveau,
- condamné Mme [H] à payer à la SARL T.E.A. la somme de 3 553,80 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification dudit jugement,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL T.E.A. et Mme [H] aux dépens.
Mme [H] a relevé appel de cette décision et, par conclusions remises le 30 juillet 2021, demande à la cour de :
- infirmer ledit jugement en ce qu'il :
* l'a déboutée de ses demandes,
* l'a condamnée à payer à la SARL T.E.A. la somme de 3 553,80 euros avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,
* a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
* a condamné la SARL T.E.A. et elle-même aux dépens,
statuant à nouveau de ces chefs,
- ordonner à la SARL T.E.A. de procéder à la remise en état de la voirie avec achèvement dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 250 euros par jour de retard,
- lui ordonner également de passer les câbles basse tension dans la tranchée qu'elle avait ouverte, de la fin du terrain de M. [C] aux dépendances du fond, conformément à son obligation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 250 euros par jour de retard,
- la dire bien fondée à suspendre son obligation de paiement du prix jusqu'à la bonne exécution de ses obligations par la SARL T.E.A.,
- à défaut, condamner ladite société à lui payer une somme correspondant au montant des travaux à réaliser pour remédier aux désordres et qui ont été évalués en 2018 par la Société V2R à la somme de 9 858 euros, ce montant devant être réactualisé à la date la plus proche de l'arrêt à intervenir,
- débouter la SARL T.E.A. de l'ensemble de ses demandes,
- condamner celle-ci à lui régler les sommes de :
* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive à l'exécution de son obligation de remise en état,
* 1 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et 2500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
ainsi qu'aux dépens.
Par conclusions remises le 30 avril 2021, la SARL T.E.A. demande pour sa part à la cour de :
- débouter Mme [H] de l'ensemble de ses prétentions,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [H] de ses demandes,
- dire recevable son appel incident,
- infirmer le jugement en ce qu'il :
* a condamné Mme [H] a lui payer la somme de 3 553,80 euros avec intérêts au taux légal a compter de la signification dudit jugement,
* a dit n'y avoir lieu a application de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a condamnée aux dépens,
- à titre principal, condamner Mme [H] à lui payer la somme de 7 107,60 euros au titre des trois factures émises et demeurant impayées, outre intérêts au taux légal a compter du 27 mars 2018,
- à titre subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné Mme [H] à lui payer 3 553,80 euros au titre des travaux réalisés,
- en toute hypothèse, condamner Mme [H] :
* aux dépens de première instance, en ce compris les frais de signification de l'ordonnance portant injonction de payer, de l'ordonnance revêtue de la formule exécutoire et du commandement de payer, et aux dépens d'appel,
* à lui payer, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, 1 500 euros pour la procédure de première instance et 2 500 euros pour la procédure d'appel.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour l'exposé détaillé de leur argumentation.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le présent litige appelle une observation liminaire.
En effet, le premier juge a fait application des articles 1217 et 1219 du code civil qui permettent à une partie à un contrat envers laquelle l'engagement de l'autre partie n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, de refuser d'exécuter ou de suspendre l'exécution de sa propre obligation.
Ces dispositions ont été créées par l'ordonnance n°'2016-131 du 10 février 2016 et, conformément à l'article 9 de cette ordonnance, ne sont applicables qu'aux contrats conclus à partir du 1er octobre 2016. La date de conclusion du contrat en l'espèce n'est pas précisée mais semble antérieure à cette dernière date au vu du devis daté du 10 juin 2015, portant la signature de Mme [H] sous la mention «'bon pour accord'» mais sans date, et du complément à ce devis, daté du 16 avril 2016.
Quoi qu'il en soit, l'exception d'inexécution était admise antérieurement dans le cadre des contrats synallagmatiques comme celui dont il s'agit au cas présent dès lors que la créance du créancier était certaine et exigible.
Mme [H], pour s'opposer au règlement des factures de la société T.E.A, soutient que celle-ci n'a pas achevé la prestation convenue faute d'avoir :
- remis dans son état antérieur, c'est-à-dire couvert de blocs de bétons, la voie desservant le terrain dont il s'agit depuis la rue,
- passé les câbles basse tension dans la tranchée qu'elle avait ouverte.
Il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
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En ce qui concerne l'enfouissement des câbles basses tensions, les devis versés aux débats ne prévoient pas cette prestation, de sorte qu'aucune inexécution ne peut être reprochée à la société T.E.A. et que le tribunal a écarté à juste titre l'exception d'inexécution soulevée à ce titre.
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En revanche, l'obligation contractuelle de la société T.E.A. de remettre en état le chemin n'est pas contestée par celle-ci et ressort des devis susvisés.
La société soutient toutefois que la voie en question n'était qu'un chemin en herbe avec du sable et plusieurs plaques de béton, qu'elle l'a bien remblayé et remis dans son état antérieur et qu'il a été dégradé par le passage des camions des entreprises ayant participé à la construction des maisons, notamment un camion qui s'est embourbé en période de grosses pluies.
Mme [H] verse aux débats une attestation en bonne et due forme de M. [Y] [U], qui lui a vendu le terrain, ainsi rédigée : «'Avant moi, mes parents possédaient depuis 1960 tout ce lot ainsi qu'un restaurant attenant. Ils avaient fait aménager l'accès actuel par une entreprise avec des gros blocs de béton armé afin de faciliter l'accès jusqu'aux dépendances pour les camions de livraison et le parking. Depuis toutes ces années, rien n'a changé. (...) Je passe souvent devant chez Mme [H] et j'ai pu constater après la mise en 'uvre et l'installation du tout-à-l'égout qu'au fil des jours ce passage était dégradé, avec des ornières encore plus visibles par temps de pluie. Il y a même un camion livrant du ciment qui s'est enfoncé jusqu'à l'essieu. Ce camion livrait les maisons en construction'».
Mme [H] se prévaut également d'une lettre d'un bureau d'études, V2R, du 22 février 2018 rédigée en ces termes :
«'Nous avons bien noté que cette voirie, constituée de plaques de béton solidaires entre elles avant travaux, a supporté depuis plus de 25 années, sans dommages, le passage quotidien de poids lourds type 38 tonnes mais également des camions citernes à l'occasion des livraisons de fuel par la société Lamour.
Nous avons eu l'occasion également de constater dans le cadre de visites avant travaux du parfait état de cette voirie.
Lors de notre dernière visite sur place, samedi 3 février, nous avons constaté que la chaussée, constituée de blocs de béton à l'origine solidaires entre eux, avaient été découpés par l'entreprise TEA lors de l'enfouissement des réseaux par cette dernière, de plus, comme nous vous l'avons précisé, cette entreprise aurait dû conformément aux règles de l'art combler les tranchées, pour la partie liée à la fondation de la chaussée, avec des matériaux spécifiques et non pas avec le sable provenant de ces mêmes tranchées, ce que ne pouvait ignorer cette entreprise'».
Enfin, M. [X] [P], acquéreur de l'une des parcelles de Mme [H], témoigne le 20 septembre 2018 en ces termes : «'J'ai emménagé il y a trois mois sur la parcelle achetée à Mme [H]. J'ai voulu faire déblayer les gravats et autres accumulés au cours de la construction par le constructeur. Ce dernier a refusé car les blocs de béton dans mon terrain provenaient de la servitude de Mme [H] et mis par la société T.E.A. lors de la viabilisation. J'ai également retrouvé des morceaux enfouis sous ma bute de sable'».
La date d'exécution des travaux de l'intimée n'est pas connue précisément mais il peut être déduit de ses factures, datées du 12 octobre 2017, qu'ils ont été réalisés dans les semaines précédentes.
On retiendra du témoignage de M. [U] que le chemin litigieux a été recouvert de plaques de béton au début des années 1960 pour être carrossable.
Le bureau d'études V2R fait à l'évidence état de dires de Mme [H] [«'Nous avons bien noté que ...»] en ce qui concerne l'existence d'une chaussée constituée à l'origine de blocs de béton solidaires entre eux. S'il dit avoir constaté avant travaux le parfait état du chemin, il ne précise pas son aspect.
La société T.E.A. déclare pour sa part que lors de son intervention, la voie en question se présentait comme un chemin en herbe avec du sable et plusieurs plaques de béton. Elle produit un constat d'huissier du 28 septembre 2018 qui expose que le chemin est partiellement carrossé à l'aide de dalles gravillonnées anciennes, que des parties de ce chemin ne sont pas stabilisées et qu'il est constitué également de sable et de bandes herbeuses. C'est effectivement ainsi qu'il apparaît sur les photographies annexées à ce constat. L'huissier ajoute que de retour à son étude et à l'aide d'un moteur de recherche, il a capturé une photographie aérienne du chemin lors de la construction des immeubles riverains ainsi qu'une photographie du même chemin en octobre 2017 - soit peu après l'intervention de la société T.E.A. - et que le chemin semble dans le même état que lors de ses constatations, ce que confirment lesdites photographies malgré leur qualité médiocre.
Ces éléments ne sont pas contradictoires et il est assurément crédible que, tout en restant praticable, la surface du chemin se soit peu à peu détériorée depuis les années 60 pour présenter finalement, à l'automne 2017, l'aspect décrit ci-dessus, mélange de sable, de gravillons et de plaques de béton plus ou moins disjointes, bordé de bandes herbeuses. A cet égard, dès lors que V2R ne déclare pas avoir assisté aux travaux, son affirmation selon laquelle l'entreprise a découpé les dalles de béton pour creuser une tranchée, ce que conteste cette dernière qui soutient être passée entre les plaques de béton subsistantes, est à prendre avec circonspection. De même, il est crédible que le passage répété de camions pendant les mois d'hiver pour la construction de plusieurs maisons ait, au moins temporairement, encore dégradé le chemin, conduisant un camion à s'embourber.
Il convient encore de relever que si M. [X] [P] fait état de la présence sur sa parcelle de blocs de béton qui y auraient été apportés par l'intimée, il ne fait que rapporter, sur ce dernier point, les dires d'un tiers dont le témoignage direct n'a pas été recueilli.
Or Mme [H] ne produit ni procès-verbaux de constat ni photographies attestant l'état du chemin avant les travaux, justifiant en particulier de ce qu'il aurait été réellement pavé de plaques de bétons, et juste après ceux-ci ; elle ne produit pas davantage d'attestations de témoins directs de ce que la société T.E.A. aurait découpé et/ou dispersé les lesdites plaques'; elle n'apporte donc pas la preuve de ce que l'état dans lequel l'intimée a restitué le chemin ne serait pas celui dans lequel elle l'avait trouvé et que celle-ci ait manqué à son obligation de remise en état.
Elle ne pouvait dès lors, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, arguer valablement d'un tel manquement pour refuser de régler les factures.
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L'exception d'inexécution étant écartée, il y a lieu de faire droit à la demande de la société T.E.A. en paiement de l'intégralité de ses factures.
Mme [H] ne peut qu'être déboutée de ses demandes tendant à la condamnation sous astreinte de l'intimée à exécuter les prestations susvisées et à lui payer des dommages et intérêts pour résistance abusive, demandes sur lesquelles le tribunal a omis de statuer bien qu'il y ait répondu, dans le sens d'un rejet, dans la motivation du jugement.
Il appartient à l'appelante, partie perdante, de supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile.
Il est en outre équitable qu'elle indemnise l'intimée, par application de l'article 700 du même code, des autres frais qu'elle a été contrainte d'exposer pour assurer la défense de ses intérêts.
PAR CES MOTIFS
La cour
infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'opposition formée par Mme [H] à l'ordonnance d'injonction de payer du 23 avril 2018 et constaté en conséquence la mise à néant de celle-ci,
statuant à nouveau,
condamne Mme [O] [G] à payer à la SARL T.E.A. la somme de sept mille cent sept euros et soixante centimes (7107,60) avec intérêts au taux légal à compter du 27 mars 2018,
la déboute de toutes ses demandes,
la condamne aux dépens de première instance et d'appel et au paiement à la SARL T.E.A. d'une indemnité globale de trois mille euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le greffier
Delphine Verhaeghe
Le président
Bruno Poupet