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03/11/2022 | FRANCE | N°21/00076

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 03 novembre 2022, 21/00076


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 03/11/2022





****





N° de MINUTE :

N° RG 21/00076 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLWT



Jugement (N° 19/02279)

rendu le 15 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille







APPELANTES



Madame [O] [T]

née le 06 janvier 1970 à [Localité 19]

demeurant [Adresse 3]

[Localité 9]



Madame [J] [

T]

née le 22 juillet 1966 à [Localité 20]

demeurant [Adresse 12]

[Localité 9]



bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178/002/2021/001226 du 09/02/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai



Ma...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 03/11/2022

****

N° de MINUTE :

N° RG 21/00076 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TLWT

Jugement (N° 19/02279)

rendu le 15 octobre 2020 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTES

Madame [O] [T]

née le 06 janvier 1970 à [Localité 19]

demeurant [Adresse 3]

[Localité 9]

Madame [J] [T]

née le 22 juillet 1966 à [Localité 20]

demeurant [Adresse 12]

[Localité 9]

bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178/002/2021/001226 du 09/02/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai

Madame [V] [T]

née le 17 juillet 1967 à [Localité 20]

demeurant [Adresse 2]

[Localité 9]

représentées par Me Stefan Squillaci, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

INTIMÉS

Madame [M] [A]

demeurant [Adresse 6]

[Localité 1]

défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 26 mars 2021 (article 659 du code de procédure civile)

Madame [F] [A]

demeurant [Adresse 7]

[Localité 11]

défaillante, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 29 mars 2021 à l'étude d'huissier

Monsieur [S] [T]

né le 30 août 1949 à [Localité 20]

demeurant [Adresse 14]

[Adresse 15] (Belgique)

Madame [Z] [T] épouse [Y]

née le 17 septembre 1950 à [Localité 19]

demeurant [Adresse 16]

[Localité 10]

Madame [G] [T] épouse [E]

née le 21 décembre 1956 à [Localité 20]

demeurant [Adresse 5]

[Localité 9]

Monsieur [C] [T]

né le 12 mai 1959 à [Localité 18]

demeurant [Adresse 4]

[Localité 9]

représentés par Me Amélie Machez, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

Monsieur [H] [A]

demeurant [Adresse 13]

[Localité 8]

défaillant, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 29 mars 2021 à domicile

Monsieur [N] [A]

demeurant [Adresse 17]

[Localité 9]

défaillant, à qui la déclaration d'appel a été signifiée le 26 mars 2021 à l'étude d'huissier

DÉBATS à l'audience publique du 08 septembre 2022 tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

ARRÊT RENDU PAR DÉFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 novembre 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 11 juillet 2022

****

[R] [W], veuve d'[K] [T], est décédée le 23 avril 2014 à l'âge de 84 ans, laissant pour lui succéder :

- sept enfants : [S], [Z], [G], [C], [J], [V] et [O] [T],

- quatre petits-enfants : [H], [N], [M] et [F] [A], venant en représentation de leur défunte mère, [X] [T].

Par jugement du 15 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Lille a ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions d'[K] [T] et [R] [W], désigné un notaire pour y procéder et :

- débouté Mme [O] [T] de sa demande d'attribution préférentielle de l'immeuble en l'état de son caractère prématuré et de l'absence d'éléments justifiant de sa capacité à verser une soulte à ses copartageants,

- dit que Mme [O] [T] était débitrice envers l'indivision successorale d'une indemnité d'occupation à compter du 5 juillet 2014,

- dit que l'indivision successorale était débitrice envers Mme [O] [T] d'une indemnité de 35'000 euros au titre de l'assistance et des soins donnés à sa mère,

- dit n'y avoir lieu à aucune condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens seraient payés comme frais de partage.

Mmes [O], [J] et [V] [T] ont relevé appel de ce jugement et, par conclusions remises au greffe le 1er juillet 2022, demandent à la cour :

- d'infirmer cette décision en ce qui concerne les dispositions précitées relatives à la demande d'attribution préférentielle, l'indemnité d'occupation et l'indemnité pour assistance et soins à la défunte,

- de faire droit à la demande d'attribution préférentielle de l'immeuble situé [Adresse 3] formée par Mme [O] [T],

- de leur donner acte de ce qu'elles régleront la soulte ensemble et de ce que [J] et [V] [T] renoncent formellement à ce qui pourrait leur revenir,

- de dire que Mme [O] [T] n'est pas débitrice d'une indemnité d'occupation,

- de dire que les successions [T]-[W] sont redevables à l'égard de Mme [O] [T] d'une créance d'assistance d'un montant qui ne saurait être inférieur à 120'000 euros,

- de confirmer le jugement pour le surplus.

Par conclusions remises le 21 juin 2022, Mmes [Z] et [G] [T], MM. [S] et [C] [T] demandent pour leur part à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [O] [T] de sa demande d'attribution préférentielle de l'immeuble et a dit qu'elle était débitrice d'une indemnité d'occupation envers l'indivision,

- y ajoutant, dire que Mme [J] [T] est également débitrice d'une indemnité d'occupation envers l'indivision à compter du 5 juillet 2014,

- réformer le jugement en ce qui concerne la créance d'assistance et débouter Mme [O] [T] de sa demande de ce chef,

- déclarer recevable la fin de non recevoir tirée de la prescription de la demande de créance d'assistance et prescrite la créance alléguée,

- s'agissant du rapport à la succession et d'une erreur matérielle commise par le tribunal, confirmer que Mme [J] [T] est condamnée à rapporter à « l'indivision successorale'» la somme de 2 226,96 euros,

- condamner solidairement Mmes [O], [J] et [V] [T] à leur payer 2 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Il est renvoyé aux conclusions de ces parties pour le détail de leur argumentation.

Les consorts [A], qui n'avaient pas comparu en première instance et auxquels ont été signifiées la déclaration d'appel et les conclusions, n'ont pas constitué avocat devant la cour.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de condamnation de Mme [O] [T] au paiement d'une indemnité d'occupation

L'article 815-9 du code civil dispose que chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision ; qu'à défaut d'accord entre les intéressés, l'exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal ; que l'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.

Il est acquis aux débats que Mme [O] [T], qui vivait avec sa mère dans l'immeuble situé [Adresse 3], y est demeurée depuis le décès de celle-ci survenu le 23 avril 2014.

C'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que, quand bien même ses frères et soeurs auraient libre accès à l'immeuble, ce qu'ils contestent, l'occupation de celui-ci par Mme [O] [T] est privative, de sorte qu'ils sont dans l'impossibilité de fait d'en jouir eux-mêmes et qu'en l'absence de convention à ce sujet entre les indivisaires, cette dernière est redevable d'une indemnité d'occupation dont le point de départ a été fixé au 5 juillet 2014 compte tenu du délai de prescription de l'action en paiement d'une telle indemnité et de la date de la demande des intimés.

Sur la demande de condamnation de Mme [J] [T] au paiement d'une indemnité d'occupation

L'article 564 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Les parties ont été invitées à présenter leurs observations, par une note en délibéré, sur l'irrecevabilité, soulevée d'office, de cette demande au regard de l'article 564 précité.

Les intimés font valoir qu'un procès-verbal de constat dressé le 21 juillet 2021 par un huissier de justice a permis d'établir que [J] [T] vivait bien avec sa soeur [O] et que leur demande est donc recevable en ce qu'elle résulte de la révélation d'un fait qu'ils ignoraient en première instance.

Les appelantes n'ont pas formulé d'observations.

Le tribunal mentionne notamment, en haut de la page 8 de son jugement, que selon les défendeurs, aujourd'hui intimés, [J] [T] habitait également au domicile familial et pouvait aider sa soeur [O] à prendre soin de leur mère. Lesdits intimés ne peuvent donc soutenir aujourd'hui qu'ils ignoraient en première instance la présence de [J] [T] au domicile familial.

Leur demande de condamnation de cette dernière au paiement d'une indemnité d'occupation est donc irrecevable comme nouvelle en cause d'appel.

Sur la créance d'assistance revendiquée par Mme [O] [T]

L'article 1303 du code civil, issu de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 mais applicable en l'espèce dès lors qu'il ne fait que reprendre la règle de droit antérieure (cass. civile 1, 3 mars 2021, n° 19-19.000), dispose qu'en dehors des cas de gestion d'affaires et de paiement de l'indu, celui qui bénéficie d'un enrichissement injustifié au détriment d'autrui doit, à celui qui s'en trouve appauvri, une indemnité égale à la moindre des deux valeurs de l'enrichissement et de l'appauvrissement.

L'article 1303-1 précise que l'enrichissement est injustifié lorsqu'il ne procède ni de l'accomplissement d'une obligation par l'appauvri ni de son intention libérale.

Il est néanmoins constant que le devoir moral d'un enfant envers ses parents n'exclut pas que l'enfant puisse obtenir une indemnité pour l'aide et l'assistance apportées à ceux-ci dans la mesure où, ayant excédé les exigences de la piété filiale, les prestations fournies ont réalisé à la fois un appauvrissement pour l'enfant et un enrichissement corrélatif des parents.

Les intimés soulèvent l'irrecevabilité de la demande de Mme [O] [T] de ce chef en soutenant, après avoir rappelé que celle-ci évaluait sa créance à 120'000 euros, soit 1'000 euros par mois pendant dix ans, qu'il s'agit d'une créance à exécution successive et que l'assignation introductive d'instance délivrée à la requête de Mme [O] [T] le 28 février 2019 n'a interrompu le délai de prescription de cinq ans que pour les échéances postérieures au 28 février 2014, soit les échéances de mars et avril 2014.

Cependant, si Mme [O] [T] a évalué sa créance de la manière précitée, celle-ci ne constitue pas pour autant, ainsi que l'analysent exactement les appelantes, une rémunération procédant d'une obligation à exécution successive mais représente l'indemnisation de l'appauvrissement résultant d'une exécution d'une obligation naturelle excédant les exigences de la piété filiale et ayant procuré un profit au parent qui en a bénéficié.

Cette créance, à la supposer établie, est née à l'encontre de la succession de [R] [W] au décès de cette dernière, soit le 23 avril 2014, de sorte que la demande en paiement de celle-ci formée le 28 février 2019, soit dans le délai de prescription de cinq ans, est recevable.

Sur le fond, c'est par une motivation n'appelant pas de critique et que la cour adopte, retenant que Mme [O] [T] avait porté aide et assistance à sa mère à tout le moins pendant les quatre dernières années de sa vie, et caractérisant tout en les relativisant l'enrichissement de [R] [W] et l'appauvrissement de Mme [O] [T], que le tribunal a admis le principe de la créance de cette dernière et fixé le montant de celle-ci à 35'000 euros.

Le jugement mérite donc confirmation sur ce point.

Sur la demande d'attribution préférentielle de l'immeuble présentée par Mme [O] [T]

L'article 831-2-1° du code civil dispose que le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire peut demander l'attribution préférentielle de la propriété ou du droit au bail du local qui lui sert effectivement d'habitation s'il y avait sa résidence à l'époque du décès.

Il n'est pas contesté que Mme [O] [T] vit et a toujours vécu, notamment au moment du décès de sa mère, dans l'immeuble dont il s'agit.

Il n'est pas davantage contesté que cet immeuble, évalué 150'000 euros par les intimés en première instance, représente la quasi-totalité de la masse partageable et que l'attribution préférentielle que demande Mme [O] [T] suppose le versement d'une soulte par celle-ci à ses cohéritiers.

Or, le tribunal a exactement relevé que Mme [O] [T], âgée aujourd'hui de 52 ans, n'avait pas exercé d'activité professionnelle avant le décès de sa mère, que ses droits à pension de retraite étaient quasiment inexistants et qu'elle ne disposait d'aucune économie. Elle ne justifie pas aujourd'hui de revenus ni, par conséquent, de chances d'obtenir un prêt, la créance d'assistance qui lui est reconnue, qui se compensera en tout ou partie avec l'indemnité d'occupation mise à sa charge, ne permettra pas a priori de régler la soulte et l'engagement de ses soeurs [J] et [V] à l'aider à effectuer ce paiement et à renoncer à ce qui pourrait leur revenir, alors qu'elles ne fournissent aucune information sur leur situation financière, apparaît comme insuffisant pour permettre l'attribution sollicitée.

Il y a donc lieu de confirmer également le jugement sur ce point.

Sur la demande de rapport à la succession de la somme de 2 226,96 euros par Mme [J] [T]

L'article 462 du code de procédure civile dispose que les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

Le jugement mentionne, dans sa motivation mais non dans le dispositif, l'obligation de Mme [J] [T], non contestée par celle-ci, de rapporter à la succession la somme de 2 226,96 euros.

Les intimés exposent que malgré une requête à cette fin, le tribunal n'a pas réparé cette omission, ce que les appelantes ne confirment ni n'infirment, de sorte qu'il y a lieu d'y suppléer.

Sur les autres demandes

Les considérations qui précèdent justifient de laisser aux appelantes d'une part, aux intimés ayant constitué avocat d'autre part la charge des dépens et autres frais par eux exposés.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

confirme le jugement entrepris,

y ajoutant et réparant une omission matérielle du jugement, dit que Mme [J] [T] doit rapporter à la succession la somme de 2 226,96 euros,

déclare irrecevable la demande de condamnation de [J] [T] au paiement d'une indemnité d'occupation,

déboute Mmes [G] et [Z] [T], MM. [S] et [C] [T] de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,

dit que les appelantes d'une part, les intimés ayant constitué avocat d'autre part supporteront la charge des dépens et autres frais par eux exposés.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 21/00076
Date de la décision : 03/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-03;21.00076 ?
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