ARRÊT DU
21 Octobre 2022
N° 1675/22
N° RG 19/01435 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SNS5
OB/CH
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
23 Mai 2019
(RG 18/00412 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 21 Octobre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [M] [N]
[Adresse 3]
représenté par Me Stephan FARINA, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉES :
Association CGEA [Localité 5]
[Adresse 1]
représentée par Me Catherine CAMUS-DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI substitué par Me Cecile HULEUX, avocat au barreau de DOUAI
S.A.S. ALLIANCE prise en la personne de Maître [J] [P] ès qualité de liquidateur judiciaire de la SARL CONCEPTEL, domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
représentée par Me Eric LAFORCE, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Isabelle PORTET, avocat au barreau de VERSAILLES
SARL CONCEPTEL en redressement judiciaire
[Adresse 2]
représentée par Me Eric LAFORCE, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Isabelle PORTET, avocat au barreau de VERSAILLES
DÉBATS : à l'audience publique du 13 Septembre 2022
Tenue par Olivier BECUWE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Olivier BECUWE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Frédéric BURNIER
: CONSEILLER
Isabelle FACON
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 21 Octobre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Olivier BECUWE, Président et par Angelique AZZOLINI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 23 août 2022
EXPOSE DU LITIGE :
M. [N] a été engagé à durée indéterminée et à temps complet le 21 mars 2011 par la société Conceptuel (la société) en qualité de technicien avec des fonctions itinérantes pour un salaire brut mensuel de 1 500 euros.
Promu en janvier 2013 au poste de responsable technique monteur pour un salaire brut mensuel porté à 2 000 euros, il a été placé en arrêt de travail à compter du 20 février 2015 du fait de douleurs lombaires.
A la suite d'un avis d'aptitude avec réserves du médecin du travail émis le 16 octobre 2015 et énonçant la nécessité de 'limiter le port des charges à 15 kgs et les trajets en voiture à 20 minutes', un avenant au contrat de travail a été conclu le 12 novembre 2015 afin d'adapter les fonctions du salarié aux préconisations médicales.
Cet avenant a conduit à l'affectation de celui-ci en agence à un poste sédentaire.
Le 27 juin 2016, à la suite d'une chute sur son lieu de travail pouvant être imputée aux douleurs lombaires, M. [N] a été à nouveau en arrêt de travail.
La guérison des lésions a été fixée au 18 juillet 2017 par la caisse primaire qui a pris en charge l'accident au titre des risques professionnels.
Le 19 juillet 2017, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude en précisant que 'l'état de santé du salarié fai[sait] obstacle à tout reclassement dans l'entreprise'.
Par lettre du 18 août 2017, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Contestant son licenciement, et l'imputant à l'employeur, il a saisi le conseil de prud'hommes de Lille de diverses demandes indemnitaires.
Par un jugement du 23 mai 2019, la juridiction prud'homale l'en a débouté, non sans lui accorder la régularisation des congés payés, de l'indemnité spéciale de licenciement et du rappel sur préavis.
Par déclaration du 17 juin 2019, le salarié a fait appel.
La société a été placée en redressement judiciaire en novembre 2019 converti en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce du 11 février 2020.
Les organes de la procédure collective ont été appelés en la cause, soit notamment la société de mandataires judiciaires Alliance, prise en la personne de Mme [P] en sa qualité de liquidateur, ainsi que l'association Unédic pour la gestion du régime d'assurance des créances des salariés, agissant par l'intermédiaire du centre de gestion et d'étude de [Localité 6] (l'AGS-CGEA).
Par des conclusions notifiées le 24 août 2020, auxquelles il est référé pour l'exposé des moyens, l'appelant sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il le déboute de ses prétentions initiales qu'il réitère.
Il les a signifiées au liquidateur selon assignation en intervention forcée du 23 mars 2022 à la suite de la révocation de l'ordonnance de clôture lequel avait néanmoins déjà conclu à la confirmation du jugement selon conclusions notifiées le 10 décembre 2019.
Par des conclusions notifiées le 21 juin 2022, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens et qui fait cause commune avec le liquidateur, l'AGS-CGEA demande la confirmation du jugement ainsi que, par d'ultimes conclusions notifiées le 17 août 2022, le liquidateur ès qualités.
MOTIVATION :
1°/ Sur l'origine professionnelle de l'inaptitude :
Il y a lieu de relever qu'en réclamant la confirmation pure et simple du jugement attaqué, les intimés admettent, implicitement mais nécessairement, que l'inaptitude de l'appelant a une origine professionnelle, le conseil de prud'hommes lui ayant en effet, par un dispositif non remis en cause, reconnu le droit à une indemnité spéciale de licenciement ainsi qu'à un préavis lesquels apparaissent exclus en cas d'inaptitude d'origine non professionnelle et réservés à l'inaptitude d'origine professionnelle.
Mais l'origine professionnelle de l'inaptitude ne postule pas que le licenciement prononcé à la suite de cette dernière soit imputable à l'employeur, l'imputabilité de la rupture supposant en effet la démonstration d'un manquement.
2°/ Sur l'imputabilité de la rupture :
A - Sur l'imputabilité de l'inaptitude :
M. [N] prétend qu'étant la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité résultant de l'article L.4121-1 du code du travail, ses douleurs lombaires ont elles-mêmes entraîné, à la suite de l'avenant contractuel du 12 novembre 2015, son rapatriement en agence lequel a conduit à l'organisation de sa mise à l'écart, celle-ci l'ayant alors plongé dans un état dépressif motivant l'inaptitude.
Le salarié insiste donc à la fois sur l'atteinte physique dont il aurait été victime par suite d'une inertie de l'employeur dans la prise en compte de son état de santé ainsi que sur une atteinte psychologique.
Comme il l'est à juste titre soutenu en défense, c'est son état dépressif qui constitue, en réalité, la véritable cause de l'inaptitude, M. [N] s'étant senti dévalorisé et humilié par ce qu'il a perçu comme une forme de désoeuvrement organisé, ce qui a constitué un obstacle dirimant à son reclassement dans l'entreprise.
Mais, comme l'a d'ailleurs retenu le conseil de prud'hommes, il ne résulte d'aucune des pièces versées aux débats que les nouvelles fonctions dévolues à M. [N] pour tenir compte des préconisations médicales ne revêtaient aucune consistance ou encore que, dans les faits, ce dernier a été maintenu sans tâches particulières à accomplir.
Aucune doléance n'apparaît avoir été adressée par M. [N] entre novembre 2015 et juin 2016.
Il n'est pas davantage démontré que l'employeur connaissait les ennuis de santé de M. [N] avant l'avis d'aptitude avec réserves du 16 octobre 2015, ou plus précisément que ces derniers pouvaient être causés par ses conditions d'exercice.
L'appelant produit le courriel d'un collègue ayant alerté la direction, le 9 mai 2012, sur le mauvais état de santé de M. [N].
Mais ce courriel, resté d'ailleurs isolé, fait plutôt état de difficultés de nature psychologique, étant observé que M. [N] a alors continué à exercer normalement ses fonctions pendant près de trois années jusqu'à l'arrêt de travail de février 2015 justifié par des atteintes physiques de toute autre nature et qu'il a, ensuite, été reclassé en interne sur un poste sédentaire.
Il s'ensuit qu'aucun manquement de l'employeur en lien avec son inaptitude ne peut être retenu à la charge de la société.
B - Sur l'absence de consultation des délégué du personnel :
Selon l'article L. 1226-12 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur ne peut rompre le contrat de travail que s'il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l'article L. 1226-10, soit du refus par le salarié de l'emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l'avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi.
Il s'ensuit que, lorsque le médecin du travail a mentionné expressément dans son avis que tout maintien du salarié dans l'emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l'emploi, l'employeur, qui n'est pas tenu de rechercher un reclassement, n'a pas l'obligation de consulter les délégués du personnel, comme la Cour de cassation l'a d'ailleurs déjà dit (Soc., 8 juin 2022, n° 20-22.500).
C'est donc à tort que la salarié soutient l'inverse, comme l'a bien jugé le conseil de prud'hommes.
Le jugement sera confirmé.
3°/ Sur les dommages-intérêts pour violation de l'obligation de sécurité :
Il résulte de ce qui précède qu'aucun manquement ne pouvant être reproché à l'employeur, la demande sera rejetée de ce chef.
Le jugement sera confirmé.
4°/ Sur les dommages-intérêts pour préjudice moral et financier relatif à la remise tardive des documents de fin de contrat :
Bien que licencié le 18 août 2017, ce n'est qu'à la suite d'une condamnation prononcée sous astreinte par le bureau de conciliation et d'orientation du 4 juin 2018 que M. [N] a fini par obtenir de l'employeur la délivrance de l'attestation Pôle emploi, du certificat de travail et du solde de tout compte.
Ces documents, et plus particulièrement l'attestation Pôle emploi, lui étaient nécessaires pour ouvrir ses droits à chômage, et partant la prise en charge à ce titre laquelle a été retardée et n'a pu que générer des difficultés financières comme l'établit le salarié, ce dernier, de condition modeste, étant en effet resté sans emploi et l'ensemble de sa famille ayant alors été contrainte de faire appel à une épicerie sociale.
Il lui sera accordé la somme de 4 000 euros, cette somme étant en principe garantie par l'AGS-CGEA en l'absence de contestation sur ce point.
Le jugement sera infirmé.
5°/ Sur le remboursement des commissions bancaires d'intervention :
Ce chef de demande sera rejeté puisqu'il recouvre celui déjà précédemment réparé.
Le jugement sera confirmé.
6°/ Sur les dommages-intérêts pour remise tardive de l'attestation Pôle emploi :
Ce chef de demande sera rejeté puisqu'il recouvre celui déjà précédemment réparé.
Le jugement sera confirmé.
7°/ Sur les dommages-intérêts pour défaut de remise de l'attestation de travail :
Ce chef de demande sera rejeté puisqu'il recouvre celui déjà précédemment réparé.
Le jugement sera confirmé.
8°/ Sur les dommages-intérêts pour défaut d'envoi du maintien des garanties de prévoyance :
Il n'est pas démontré que l'envoi au salarié le 4 septembre 2017, et non sitôt le licenciement prononcé le 18 août 2017, d'une lettre l'informant du maintien de ces garanties lui ait causé un préjudice dès lors que ce maintien était automatique.
M. [N] ne justifie pas avoir été privé de ces garanties du fait de l'employeur.
9°/ Sur les congés payés sur préavis :
C'est par des motifs pertinents que le conseil de prud'hommes a rejeté cette demande, l'indemnité compensatrice de préavis ayant en l'espèce, du fait de l'origine professionnelle de l'inaptitude, un caractère indemnitaire exclusif de congés payés.
10°/ Sur les frais irrépétibles d'appel :
Il sera équitable d'accorder à l'appelant la somme de 2 500 euros qui sera fixée au passif de la société dont le liquidateur, ayant succombé, sera débouté de ce chef.
PAR CES MOTIFS :
La cour d'appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :
- confirme le jugement rendu le 23 mai 2019 par le conseil de prud'hommes de Lille, mais sauf en ce qu'il déboute M. [N] de sa demande en dommages-intérêts pour préjudice moral et financier relatif à la remise tardive des documents de fin de contrat et en ce qu'il condamne la société Conceptuel désormais placée en liquidation judiciaire au paiement de diverses sommes ;
- l'infirme sur ces points et statuant à nouveau :
* fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Conceptuel les créances visées au dispositif du jugement attaqué ;
* fixe, par ailleurs, à ce passif à la somme de 4 000 euros la créance de M. [N] au titre du préjudice moral et financier relatif à la remise tardive des documents de fin de contrat ;
- y ajoutant, précise que les créances sont fixées sous déduction des éventuelles cotisations applicables ;
- rappelle que le paiement de ces sommes est garanti par l'AGS-CGEA de [Localité 6] dans la limite des textes légaux et plafonds réglementaires qui s'en acquittera entre les mains de la société de mandataire judiciaire Alliance prise en la personne de Mme [P] en qualité de liquidateur ;
- fixe au passif de cette liquidation judiciaire à la somme de 2 500 euros la créance de M. [N] au titre des frais irrépétibles ;
- rejette le surplus des prétentions ;
- fixe au passif de cette liquidation judiciaire les dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER
Angelique AZZOLINI
LE PRESIDENT
Olivier BECUWE