ARRÊT DU
30 Septembre 2022
N° 1258/22
N° RG 21/00179 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TN6R
PL/CH
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Valenciennes
en date du
14 Janvier 2021
(RG 19/00220 -section )
GROSSE :
aux avocats
le 30 Septembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANT :
M. [T] [E]
[Adresse 4]
[Localité 2]
représenté par Me Ioannis KAPPOPOULOS, avocat au barreau de VALENCIENNES
INTIMÉE :
S.A.S.U. OCAD
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Pierre-Jean COQUELET, avocat au barreau de VALENCIENNES substitué par Me Caroline LEMER, avocat au barreau de VALENCIENNES
DÉBATS : à l'audience publique du 29 Juin 2022
Tenue par Philippe LABREGERE
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Séverine STIEVENARD
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Philippe LABREGERE
: MAGISTRAT HONORAIRE
Pierre NOUBEL
: PRESIDENT DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2022, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 24 mai 2022
EXPOSE DES FAITS
[T] [E] a été embauché par la société OCAD par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 janvier 2009 en qualité de soudeur, coefficient 240 de la convention collective des industries métallurgiques du Valenciennois et du Cambrésis, moyennant une rémunération brute horaire de 10,20 euros pour 35 heures de travail hebdomadaire.
Par courrier en date du 18 août 2018, il a pris acte de la rupture de son contrat de travail.
Par requête reçue le 25 juin 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Valenciennes afin de faire constater que la prise d'acte de rupture produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, d'obtenir un rappel de salaire et le versement d'indemnités de rupture. La société a saisi la juridiction prud'homale le 30 août 2019, afin qu'elle constate que cette prise d'acte s'analysait en une démission et condamne le salarié à lui verser une somme au titre du mois de préavis.
Par jugement en date du 14 janvier 2021, le conseil de prud'hommes, après avoir ordonné la jonction des deux instances, a débouté [T] [E] de sa demande et l'a condamné à verser à la société OCAD
1744,21 euros à titre de l'indemnité compensatrice de préavis
500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
ainsi qu'aux dépens.
Le 11 février 2021, [T] [E] a interjeté appel de ce jugement.
Par ordonnance en date du 24 mai 2022, la procédure a été clôturée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 29 juin 2022.
Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 27 octobre 2021, [T] [E] sollicite de la Cour l'infirmation du jugement entrepris et la condamnation de la société à lui verser
20364,62 euros à titre de rappel de salaire sur minimum conventionnel
2036,46 euros au titre des congés payés y afférents
4719,30 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis
471,93 euros au titre des congés payés y afférents
6292,40 euros d'indemnité légale de licenciement
28315,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L1235-5 du code du travail
2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'appelant expose que sa prise d'acte est justifiée par le non-respect par son employeur des salaires minima belges qui auraient dû lui être appliqués en sa qualité de salarié détaché, exerçant ses fonctions toute l'année sur le territoire belge, que pour les besoins de son activité de maintenance industrielle, la société faisait intervenir ses salariés en mission sur le territoire belge sous le statut de travailleurs détachés, qu'elle devait appliquer la Commission paritaire belge n° 124 de la construction dans la mesure où elle réalisait des travaux de pose de gainage sur des chantiers situés sur le territoire belge, que ce texte était d'application obligatoire conformément à la loi du 5 mars 2002 applicable aux entreprises détachant leurs travailleurs en Belgique, que le poste qu'occupait l'appelant correspondait à la catégorie III de ladite commission paritaire,
qu'il aurait dû être rémunéré 16,18 euros bruts de l'heure pour 40 heures hebdomadaires,
qu'il est fondé à solliciter des rappels de salaires sur une période de trois ans précédant la date de sa prise d'acte, que ce manquement justifie à lui seul la prise d'acte de rupture de son contrat de travail, que l'existence d'une clause de mobilité avait uniquement pour objet de permettre à l'employeur de modifier le lieu d'exécution de la prestation de travail, qu'elle demeure sans effet sur la qualité de travailleur détaché, que l'appelant a été particulièrement meurtri de constater que la société ne respectait pas les dispositions conventionnelles à son égard et le rémunérait moins que ce qu'elle aurait dû, qu'elle a persisté dans son comportement malgré les sollicitations de l'appelant qui demandait que son salaire soit régularisé, que, conformément à l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail et l'article 24 de la Charte sociale européenne, il est en droit de solliciter une indemnité d'un montant supérieur au barème français qui limite à vingt mois de salaire le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour les salariés ayant 29 ans et plus d'années d'ancienneté au sein de l'entreprise, que la demande de la société est prescrite en application de l'article L1471-1 du code du travail, qu'elle n'est pas justifiée du fait que la prise d'acte de rupture ne s'analyse pas en une démission.
Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 6 décembre 2021, la société OCAD intimée sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de l'appelant à lui verser 2500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée soutient que l'appelant ne peut revendiquer la qualité de travailleur détaché, que la mobilité convenue au contrat de travail permettait à la société de solliciter de son salarié qu'il accomplisse des déplacements professionnels dans un rayon donné autour du lieu de travail habituel ou de l'affecter sur un chantier ou un autre, dans un périmètre déterminé, que si l'appelant avait eu la qualité de salarié détaché en Belgique depuis le début de la relation contractuelle, soit le 5 janvier 2009, les services belges de la protection sociale ou les services fiscaux n'auraient pas manqué de lui appliquer la législation belge ainsi que pour l'employeur, qu'il a toujours été un salarié relevant du droit français, qu'il était soudeur pour la société OCAD qui intervient sur des chantiers en France et en Belgique, qu'il était mensuellement indemnisé au titre de ses frais de déplacements, qu'aux termes de la convention de Rome et du Règlement Rome 1, en cas de mobilité, si le contrat ne comporte pas de clause sur la loi applicable, il est régi par la loi du pays où se trouve l'établissement qui a embauché le travailleur, que seul le minimum conventionnel prévu à la convention collective des industries métallurgiques du Valenciennois et du Cambrésis était applicable au contrat de travail, que l'appelant ne justifie ni de manquements de son employeur et ni du fait que ce manquement était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail, que si la somme de 78.45 euros était due au titre de la prime d'ancienneté, elle a été réglée au salarié dès le mois d'août 2018, qu'aux termes de l'article 13-1-1 de la convention collective, l'appelant est redevable envers la société d'une somme équivalant à un mois de salaire au titre du préavis non effectué.
MOTIFS DE L'ARRET
Attendu qu'aux termes de l'article 8 § 2 du Règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, à défaut de choix exercé par les parties, le contrat individuel de travail est régi par la loi du pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail ; que le pays dans lequel le travail est habituellement accompli n'est pas réputé changer lorsque le travailleur accomplit son travail de façon temporaire dans un autre pays ;
Attendu qu'il résulte du courrier de la société à l'appelant en date du 23 août 2018 que ce dernier n'avait pas au regard du droit belge la qualité de travailleur détaché ; qu'en effet l'employeur lui rappelle qu'il avait effectué toutes les formalités administratives, avait notamment établi préalablement les documents E101 et LIMOSA et les avait transmis par voie électronique à ses clients ; que le formulaire E101 devenu A1 est utilisé pour attester de la législation applicable à un travailleur qui n'est pas affilié dans le pays de travail ; que la formalité de déclaration obligatoire Limosa, exigée par la loi belge, est effectuée dans le cas où une société étrangère fait accomplir par l'un de ses salariés une mission temporaire en Belgique ; qu'en outre l'appelant n'apporte aucune précision sur les modalités d'exécution de son travail en Belgique et notamment sur la durée des chantiers sur lesquels il était affecté ; que selon le considérant 36 du règlement n°593/2008, s'agissant des contrats individuels de travail, l'accomplissement du travail dans un autre pays devrait être considéré comme temporaire lorsque le travailleur est censé reprendre son travail dans le pays d'origine après l'accomplissement de ses tâches à l'étranger ; que tel était le cas en l'espèce puisqu'aux termes de l'article 5 du contrat de travail relatif au lieu de travail, l'appelant acceptait une mobilité géographique constituée par des déplacements permanents sur différents chantiers tant en France qu'à l'étranger ; qu'au demeurant la directive 96/71 CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de service n'est pas applicable à l'espèce ; qu'en effet, elle a été transposée en droit français par les articles L1262-1 et suivants du code du travail qui ne visent que les détachements temporaires de salariés sur le territoire national par un employeur établi hors de France ; que l'application de la loi française implique celle de la convention collective en vigueur en France régissant la relation de travail entre les parties et fixée dans le contrat de travail, à savoir en l'espèce la convention collective des industries métallurgiques du Valenciennois et du Cambrésis ; que l'article 14 de cette convention relatif aux déplacements ne contient pas de dispositions spécifiques visant les déplacements à l'étranger ; qu'il n'est pas contesté qu'au regard de la convention collective, la société n'est redevable d'aucun rappel de salaire ;
Attendu que la prise d'acte de l'appelant est fondée sur le non-respect par l'employeur des salaires minima prévus par la Commission paritaire belge n° 124 de la construction dont il revendique l'application ; que cette prétention étant dépourvue de fondement, la prise d'acte produit les effets d'une démission ;
Attendu en application de l'article 13-1-1 de la convention collective que la prise d'acte a conduit à la rupture immédiate de la relation de travail ; que l'appelant, étant classé au niveau III, était tenu à un préavis d'un mois dont il n'avait pas été dispensé ; que toutefois l'action en paiement du préavis engagée par la société s'inscrit nécessairement dans le cadre de la rupture du contrat de travail ; qu'aux termes de l'article L1471-1 du code du travail, elle se prescrivait par douze mois à compter de la notification de la rupture ; que la rupture ayant été notifiée au plus tard le 23 août 2018 et la société ayant engagé ladite action le 30 août 2019, la prescription était acquise à cette date ;
Attendu qu'il n'est pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais qu'elle a dû exposer tant devant le conseil de prud'hommes qu'en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,
REFORME le jugement déféré,
DEBOUTE la société OCAD de sa demande,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONFIRME pour le surplus le jugement entrepris, à l'exception des dépens,
FAIT MASSE des dépens,
DIT qu'ils seront supportés par moitié par chaque partie.
LE GREFFIER
[W] [H]
LE PRESIDENT
Philippe LABREGERE