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24/06/2022 | FRANCE | N°19/02051

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 3, 24 juin 2022, 19/02051


ARRÊT DU

24 Juin 2022







N° 875/22



N° RG 19/02051 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SUQD



GG/AL

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lille

en date du

13 Septembre 2019

(RG 17/00689 -section )







































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GROSSE :



aux avocats



le 24 Juin 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



S.A.S. INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Dominique BIANCHI, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



M. [K] [L]

[Adresse 4]...

ARRÊT DU

24 Juin 2022

N° 875/22

N° RG 19/02051 - N° Portalis DBVT-V-B7D-SUQD

GG/AL

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de Lille

en date du

13 Septembre 2019

(RG 17/00689 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 24 Juin 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

S.A.S. INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Dominique BIANCHI, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

M. [K] [L]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représenté par Me Catherine CAMUS DEMAILLY, avocat au barreau de DOUAI assisté de Me Caroline HENOT, avocat au barreau de LILLE substitué par Me DEGROISE

DÉBATS :à l'audience publique du 04 Mai 2022

Tenue par Gilles GUTIERREZ

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 Avril 2022

EXPOSE DU LITIGE

La SAS INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE (ci-après la société INGEROP pour la commodité de l'exposé), intervenant dans l'ingénierie, de conseil et de maîtrise d''uvre a engagé M. [K] [L] à compter du 22/10/2012 selon lettre d'engagement du 16/10/2022, en qualité d'ingénieur, position 3.2, coefficient 210 de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques.

Le contrat de travail de M. [L] comporte la clause suivante : « 6-Votre lieu de travail sera à [Localité 9]). Néanmoins, vos activités s'exerceront éventuellement chez nos Clients ou dans les sociétés du Groupe INGEROP en France ou à l'Etranger ».

Par avenant du 31/03/2014 le lieu de travail a été fixé à [Localité 10], la clause précitée n'étant pas modifiée pour le surplus.

L'employeur a établi le 08/07/2016 un ordre de mission, dans le cadre du projet de contournement ouest de [Localité 7], pour une mission de un an minimum, à [Localité 6], à compter du 08/08/2016. Une indemnité de 900 € mensuelle est allouée au salarié, l'employeur prenant en charge les frais de transports sur la base d'un aller-retour par semaine.

Plusieurs échanges de courriels sont intervenus, M. [L] ayant indiqué le 9/07/2016 que l'ordre de mission n'était pas en adéquation avec ses fonctions et ses compétences, et confirmant sa position par lettre du 04/08/2016 faisant valoir que pour des raisons familiales il ne pouvait se rendre à temps complet sur site, et proposant une présence de trois jours, à la suite d'un entretien avec l'employeur le 01/08/2016.

Par courriel du 09/08/2017, la société INGEROP a pris acte du refus de M. [K] [L] d'appliquer l'ordre de mission et l'a annulé.

Après convocation par lettre du 26/09/2016 à un entretien préalable à licenciement fixé au 05/10/2016, M. [L] a été licencié par lettre du 10/10/2016 aux motifs suivants :

«[...] Aussi, nous sommes au regret de vous notifier la cessation de votre contrat de travail.

Votre licenciement repose sur le motif suivant :

Embauché au sein de la société INGEROP par le biais d'un contrat à durée indéterminée le 16 octobre 2002, vous occupiez les fonctions d'ingénieur principal, chef de service, à temps complet.

Aux termes de votre contrat de travail, était stipulé l'article 6 suivant :

« Votre lieu de travail sera à [Localité 9]). Néanmoins, vos activités s'exerceront éventuellement chez nos Clients ou dans les sociétés du Groupe INGEROP en France ou à l'Etranger ».

Compte-tenu de votre activité et de vos fonctions, cette clause revêtait une importance capitale de sorte que, sans l'acceptation de cette clause de travail, vous n'auriez pas été embauché au sein de la société INGEROP.

Vous en aviez pleinement conscience et plusieurs missions avaient été assurées par vos soins jusqu'alors dans différentes régions du territoire national.

C'est dans ce cadre qu'à l'occasion d'une réunion tenue le 24 mars 2016, nous vous avons sollicité à l'effet de participer à la direction du projet de « Contournement Ouest de [Localité 7] » (COS) en qualité d'adjoint an Chef de projet.

Dans la mesure où cette mission et ses contours justifiaient selon vous des précisions de notre part, nous avons échangé sur celle-ci à plusieurs reprises et nous nous sommes mis à votre entière disposition pour répondre à chacune de vos sollicitations.

C'est dans le prolongement de ces échanges que le 8 juillet dernier, vous a donc été transmis par courriel - et par lettre recommandée et accusé de réception - un ordre de mission vous confirmant les détails de cette mission et prévoyant, comme à chaque fois et de manière classique, la prise en charge par INGEROP des frais de transport sur la base d'un aller-retour par semaine.

Vous vous êtes alors une énième fois interrogé sur le périmètre de cet ordre de mission.

Nous vous avons donc rencontré le 1er aout 2016, à l'issue de vos congés, afin de répondre à vos interrogations.

C'est dans cet environnement décrit que le 4 août 2016, vous nous avez fait part de votre refus de vous déplacer à [Localité 7] à temps plein, tout en nous précisant que votre déplacement se limiterait à 3 jours consécutifs par semaine.

Cette réponse restait en elle-même incompatible avec l'ordre de mission transmis qui prévoyait une présence effective sur site de 5 jours.

Qui plus est cette réponse ne pouvait aucunement satisfaire à la bonne conduite de la mission que nous avions décidé de vous con'er. En effet, les tâches de coordination des études du COS ne pouvaient correctement s'effectuer qu'avec une présence à temps plein sur place des chefs de projet. Qui plus est, le management des membres de l'équipe, eux-mêmes réunis à [Localité 7], ne pouvait valablement se limiter à trois jours par semaine.

Ces techniciens n'auraient d'ailleurs ni compris ni admis que leur coordinateur ne soit pas entièrement mobilisé auprès d'eux puisqu'eux mêmes se trouvaient dans l'obligation d'acquitter leur mission à temps complet. Nous vous l'avons expliqué à plusieurs reprises mais vous n'avez jamais estimé devoir l'entendre.

Votre décision a donc contrevenu, outre notre pouvoir de direction que vous deviez strictement respecter, mais surtout à votre obligation contractuelle attachée à la clause de mobilité prévue à votre contrat dès votre embauche.

En vous réservant la possibilité de négocier vos jours de présence pour la mission vous avez donc contrevenu à la directive de votre employeur qui estimait que celle-ci devait durer 5 jours pleins par semaines, et non pas 3 comme vous revendiquiez de pouvoir le faire. Par ce biais là, vous avez donc refusé de suivre les directives de votre employeur et contrevenu à plusieurs obligations essentielles de votre contrat de travail dont celle de devoir vous soumettre aux directives et celle d'accepter la mise en 'uvre de la clause de mobilité prévue à votre contrat de travail.

Votre comportement a de facto placé INGEROP dans une situation particulièrement délicate à l'égard des acteurs du projet et a mis en péril notre capacité à respecter les délais d'étude dudit projet. Nous avons, en effet, dû faire appel à des prestataires extérieurs afin de rechercher, en urgence, un candidat pour assumer la mission qui vous était destinée et pour laquelle vous aviez pleine compétence.

Votre attitude est donc restée particulièrement préjudiciable à l'entreprise et ne permet plus d'envisager votre maintien dans les effectifs d'INGEROP [...] ».

Par le truchement de son conseil, M. [L] a contesté le licenciement par lettre du 08/11/2016, et a recherché une éventuelle solution amiable, démarche restée sans suite.

Par requête du 27/07/2019, M. [K] [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Lille d'une demande d'annulation de la clause de mobilité contenue dans son contrat de travail et de diverses demandes indemnitaires en lien avec la rupture du contrat de travail.

Par jugement du 13/09/2019, le conseil de prud'hommes a :

-dit et jugé que la clause de mobilité intégrée dans le contrat de travail ayant lié M. [K] [L] à la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE est nulle,

-dit et jugé que la clause de mobilité n'est donc pas opposable à M. [K] [L],

-dit et jugé que la clause de mobilité a été mise en 'uvre de façon déloyale par la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE, caractérisant un abus de droit,

-dit et jugé que l'affectation de M. [K] [L] dans l'Est de la France pour une durée de 12 mois minimum constituait une modification de son contrat de travail,

-dit et jugé que le licenciement de M. [K] [L] est abusif car privé de toute cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

-condamné la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE à payer à M. [K] [L] la somme de 28.866 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE à payer à M. [K] [L] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens,

- rappelé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale, à compter du prononcé de la présente décision pour les sommes de nature indemnitaire,

-débouté M. [K] [L] de sa demande d'exécution provisoire du jugement,

-débouté la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE de l'ensemble de ses demandes.

Par déclaration du 17/10/19, la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE a interjeté appel de ce jugement.

Selon ses dernières conclusions reçues le 15/01/2020, la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE demande à la cour de :

-infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

-jugé que la clause de mobilité intégrée dans le contrat de travail ayant lié M. [K] [L] à la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE est nulle,

-jugé que la clause de mobilité n'est donc pas opposable à M. [K] [L],

-jugé que la clause de mobilité a été mise en 'uvre de façon déloyale par la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE, caractérisant un abus de droit,

-jugé que l'affectation de M. [K] [L] dans l'Est de la France pour une durée de 12 mois minimum constituait une modification de son contrat de travail,

-jugé que le licenciement de M. [K] [L] est abusif car privé de toute cause réelle et sérieuse,

-condamné la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE à payer à M. [K] [L] :

-28.866 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens,

Statuant à nouveau de :

- débouter M. [K] [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner M. [K] [L] aux entiers frais et dépens de procédure, en ce compris une somme de 3.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Selon ses dernières conclusions reçues le 15/04/2020 transmises par RPVA, M. [K] [L] demande à la cour de :

« dire bien jugé, mal appelé »,

-confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Lille en ce qu'il a dit et jugé que la clause de mobilité intégrée dans le contrat de travail ayant lié M. [K] [L] à la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE est nulle,

-dit et jugé que la clause de mobilité n'est donc pas opposable à M. [K] [L],

-dit et jugé que la clause de mobilité a été mise en 'uvre de façon déloyale par la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE, caractérisant un abus de droit,

-dit et jugé que l'affectation de M. [K] [L] dans l'Est de la France pour une durée de 12 mois minimum constituait une modification de son contrat de travail,

-dit et jugé que le licenciement de M. [K] [L] est abusif car privé de toute cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

-condamné la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE à payer à M. [K] [L] la somme de 28.866 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-condamné la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE à payer à M. [K] [L] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'au paiement des dépens,

- rappelé que les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale, à compter du prononcé de la présente décision pour les sommes de nature indemnitaire,

-débouté la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE de l'ensemble de ses demandes,

-Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE à lui payer la somme de 28.866 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Et statuant à nouveau,

-dire et juger nulle la clause de mobilité contenue dans son contrat de travail,

-dire et juger que la société INGEROP a mis en 'uvre la clause de mobilité de façon déloyale, caractérisant un abus de droit,

-dire et juger que son affectation pour une durée minimale de 12 mois dans l'Est de la France constitue une modification du contrat de travail,

Par conséquent,

-dire et juger son licenciement privé de cause réelle et sérieuse,

-condamner la société INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE à lui payer :

-40.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement privée de cause réelle et sérieuse,

-5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-aux entiers frais et dépens d'instance,

-dire que les condamnations porteront intérêts à compter de l'appel en conciliation pour les créances salariales et à compter du jugement pour le surplus.

La clôture de la procédure résulte d'une ordonnance du 13/04/2022.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère en vertu de l'article 455 du code de procédure civile aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la contestation du licenciement

L'appelante fait valoir que le contrat de travail comporte une clause de mobilité professionnelle, celle-ci étant distincte de la clause de mobilité géographique, qu'aucun changement de domicile n'était imposé au salarié, que les déplacements temporaires sont régis par la convention collective, que des frais de déplacements hebdomadaires étaient pris en charge, que la durée de la mission n'interdit pas la mise en 'uvre de la clause de mobilité professionnelle, que la situation familiale du salarié est indifférente à l'application de la clause, dès lors qu'elle est justifiée par l'intérêt de l'entreprise et que la spécificité des fonctions du salarié implique une certaine mobilité géographique, que l'ensemble des salariés était concerné par les déplacements, la mobilité professionnelle résultant de l'activité de l'entreprise, les chantiers de grande ampleur impliquant la présence d'équipes intégrées, que très subsidiairement à supposer que la clause litigieuse soit géographique, elle est valable et a été appliquée sans déloyauté.

L'intimé expose que la clause de mobilité est nulle, faute de définition précise de sa zone géographique d'application, la mutation devant s'analyser comme une modification du contrat de travail, que la distinction mobilité géographique-mobilité professionnelle est artificielle, qu'il devait travailler à 500 km de son domicile ce qui rendait son retour impossible à son domicile chaque soir, qu'il s'agit bien d'une clause de mobilité géographique, qu'il n'est pas un salarié itinérant, qu'il a toujours été affecté dans le même secteur et n'effectuait que des déplacements de faible ampleur, qu'à la supposer licite la clause a été mise en 'uvre avec déloyauté, l'employeur connaissant sa situation familiale en raison d'une garde alternée, que son affectation dans l'Est n'était au demeurant pas justifiée puisqu'il était déjà chargé de chantiers à [Localité 5] et [Localité 8], qu'il a intégralement effectué son préavis sur les missions auquel il était déjà affecté.

Sur ce, la clause litigieuse est ainsi libellée, après sa modification de l'article 6 du contrat de travail par avenant du 31/03/2014 : « votre lieu de travail sera [Adresse 11] à compter du 1er avril 2014. Néanmoins, vos activités s'exerceront éventuellement chez nos Clients ou dans les sociétés du groupe INGEROP en France ou à l'Etranger ».

Il résulte des articles L.1121-1, L.1221-1 du code du travail et 1134 du code civil que le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun et que nul ne peut apporter aux droits de personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Contrairement à ce que soutient l'appelante, la clause précitée doit s'analyser comme une clause de mobilité géographique. En effet, la clause fixe le lieu de travail du salarié. C'est dans cette mesure qu'elle prévoit qu'il sera amené à réaliser ses activités chez les clients ou dans les sociétés du groupe INGEROP. Il s'ensuit que M. [L] était contractuellement amené à effectuer des déplacements dans le cadre de missions temporaires en dehors de son lieu de travail, ce qui impliquait par conséquent des déplacements géographiques. Le fait que d'autres salariés, notamment subordonnés à M. [L], se trouvent dans la même situation, ou encore la nécessité exposée par l'employeur de mobiliser des équipes intégrées sur site, ce qui s'explique par l'activité de l'entreprise, conforte cette analyse.

Il est constant que la clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et ne peut conférer à l'employeur le pouvoir d'en étendre unilatéralement la portée. En l'absence de toute précision géographique, la clause est illicite et inopposable à M. [L]. Le refus de se rendre 5 jours par semaine à [Localité 6], au lieu de 3 jours proposés, sur le lieu de la mission, n'est donc pas fautif, et ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement.

Surabondamment, il ressort des explications précitées que M. [L] devait assurer une mission d'un an minimum, à 500 km de son domicile. La nature de ses fonctions impliquant une présence constante sur le chantier du contournement de [Localité 7], telle que décrite par l'employeur, ne lui permettait pas de rentrer chaque jour à son domicile, ce qui impliquait 2h30 de voyage, soit 5h par jour. L'employeur était informé de la situation familiale du salarié, assurant la garde alternée de sa fille. Ainsi, la mise en 'uvre de la clause pendant une durée de un an, en dépit de la prise en charge de frais pour un aller-retour hebdomadaire, apparaît disproportionnée au regard de la vie privée du salarié et de sa situation familiale. Son refus n'est donc pas fautif, et le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

Il convient donc de confirmer le jugement.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [L] (4.811 €, en l'absence de contestation des parties sur la moyenne des salaires retenue par le premier juge), de son âge (43 ans), de son ancienneté (4 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, le salarié ayant créé sa société (Betic VRD) à la suite du licenciement, et ne justifiant pas de sa situation matérielle postérieurement au licenciement, le premier juge a fait une exacte appréciation de sa situation en lui allouant une indemnité de 28.866 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé.

Sur les autres demandes

Succombant, la SAS supporte les dépens de l'instance, les dispositions de première instance étant confirmées ainsi que celles sur les frais irrépétibles.

Il convient d'allouer à M. [L] pour ses fais irrépétibles une indemnité de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

CONFIRME le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la SAS INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE aux dépens d'appel,

CONDAMNE la SAS INGEROP CONSEIL ET INGENIERIE à payer à M. [K] [L] une indemnité de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Soleine HUNTER-FALCK


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 3
Numéro d'arrêt : 19/02051
Date de la décision : 24/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-24;19.02051 ?
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