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24/06/2022 | FRANCE | N°19/01908

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 3, 24 juin 2022, 19/01908


ARRÊT DU

24 Juin 2022







N° 1154/22



N° RG 19/01908 - N° Portalis DBVT-V-B7D-STNW



GG/SST

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS

en date du

19 Septembre 2019

(RG 18/00121 -section )







































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GROSSE :



aux avocats



le 24 Juin 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



Association GEPAHL

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BETHUNE





INTIMÉE :



Mme [W] [Z] épouse [T]

[Adresse 1]

[Loca...

ARRÊT DU

24 Juin 2022

N° 1154/22

N° RG 19/01908 - N° Portalis DBVT-V-B7D-STNW

GG/SST

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS

en date du

19 Septembre 2019

(RG 18/00121 -section )

GROSSE :

aux avocats

le 24 Juin 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Association GEPAHL

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Gérald VAIRON, avocat au barreau de BETHUNE

INTIMÉE :

Mme [W] [Z] épouse [T]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Laurent ROBERVAL, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS :à l'audience publique du 04 Mai 2022

Tenue par Gilles GUTIERREZ

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Annie LESIEUR

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Soleine HUNTER-FALCK

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

Gilles GUTIERREZ

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 24 Juin 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Nadine BERLY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 13 avril 2022

EXPOSÉ DU LITIGE

L'association VIE L'AGE, devenue en avril 2016 l'association GEPAHL, qui applique la convention collective nationale de l'hospitalisation privée à but non lucratif du 31 octobre 1951, a engagé Mme [W] [Z] épouse [T], née en 1964, par contrat de travail à durée indéterminée du 01/02/2013, avec une reprise d'ancienneté de 8 ans, en qualité d'infirmière coordinatrice, coefficient 477, à mi-temps de 17h30.

Une lettre d'observation a été adressée à la salariée le 09/10/2017 à la suite d'un entretien le 12/09/2017. Mme [T] a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 17/10/2017.

Après convocation à entretien préalable par lettre du 08/12/2017 fixé au 19/12/2017, Mme [T] a été licenciée par lettre du 22/12/2017 aux motifs suivants  :

« ['] Nous avons ainsi découvert que plusieurs dossiers dont vous aviez la charge n'avaient pas été transmis pour enregistrement au secrétariat médical avant la saisie du PPS.

Nous avons également découvert que 112 courriers et fax n'avaient pas été transmis au secrétariat pour archivage.

Nous avons également découvert des temps de visite à domicile supérieurs au temps préconisé, au détriment des temps d'échanges interdisciplinaires, cette remarque valant pour 21 dossiers sur la période entre AVRIL et OCTOBRE 2017.

Nous avons également eu à déplorer des visites à domicile effectuées de FEVRIER 2017 à SEPTEMBRE 2017 sans justification, plus de deux semaines après le signalement du dossier, ce qui est non conforme vous le savez au protocole d'intervention du réseau Vie l'âge.

Nous avons également découvert des visites à domicile effectuées après clôture des dossiers et ce sans justificatif.

Nous avons encore découvert des visites à domicile débutant à 10 heures ou 15 heures sans justification et sans retour au siège de l'Association.

Nous avons également découvert des demandes d'heures supplémentaires injustifiées ou encore des remboursements kilométriques totalement injustifiés entre AVRIL et JUILLET 2017, qui englobaient hélas des remboursements de kilomètres pour rentrer au domicile lors de la pause du midi.

Nous avons également eu à déplorer des plannings d'emplois du temps et des fichiers d'heures supplémentaires et d'indemnités kilométriques incorrectement remplis, sans que cela amène la moindre remarque de votre part.

Il s'agissait notamment d'emplois du temps sans indication de ville, avec incohérence entre plannings et frais kilométriques.

Nous avons hélas aussi découvert d'autres PPS incorrectement rédigés et de nombreux dossiers transmis trop tardivement pour enregistrement au secrétariat médical.

Nous avons également eu à déplorer de votre part d'autres carences administratives majeures comme des courriers de prise de rendez-vous envoyés aux patients, sans que la moindre copie soit déposée dans le dossier du patient.

Les recherches ont pu se faire grâce aux dossiers dans lesquels figurent les noms des patients.

Les frais kilométriques sont par ailleurs conservés dans une pochette dans votre dossier, de même que les fichiers informatiques sont sauvegardés et disponibles au siège de l'Association.

Lors de l'entretien préalable qui s'est déroulé à l'entreprise, votre représentant et vous-même n'avez pas véritablement nié les faits, vous contentant d'indiquer qu'ils était prescrits !

A ce propos, comme cela a été indiqué, les faits ont été constatés les 16, 17 et 20 NOVEMBRE 2017 et au début du mois de DECEMBRE.

Les faits ont été découverts suite à votre arrêt maladie, période pendant laquelle nous avons été dans l'ob1igation de faire suivre les dossiers qui étaient jusque là suivis par vous à d'autres infirmières.

Comme cela vous a été dit également, la politique de 1'Association n'est pas de fouiller le bureau des salariés absents, mais de travailler dans une confiance professionnelle mutuelle et dans un souci de responsabilisation des salariés.

Vous avez également tenté de reporter votre responsabilité sur la secrétaire, ce à quoi il a été répondu qu'il appartient à l'infirmière coordinatrice de transmettre les courriers à archiver à la secrétaire ou à l'agent d'accueil.

Les reproches qui sont formulés à votre encontre sont d'autant plus regrettables que vous avez été aidée ce que vous avez reconnu, notamment par Mesdames [I] et [O], pour remplir le nouveau Plan Personnalisé de Santé appelé PPS et les fichiers informatisés.

Vous avez reconnu avoir volontairement modifié l'heure des visites qui était prévue à 15 heures 30 pour les mettre à 15 heures.

Vous avez également reconnu que vous aviez du mal à gérer la durée de vos visites chez les patients.

Nous avons par ailleurs du déplorer un travail non effectué en matière de saisie informatique ou dans la rédaction des PPS.

Vous avez argué que vous aviez trop de travail alors que le nombre de dossiers qui vous sont confiés correspondent à la durée contractuelle de travail vous concernant.

Nous avons également eu à déplorer un manque de communication et de rigueur de votre part et vous avez reconnu lors de l'entretien préalable qu'il vous restait des dossiers à transmettre pour enregistrement mais que vous ne les avez pas transmis.

Vous comprendrez que les remarques qui vous ont été faites et qui sont occasionnées par des archivages non finalisés, des difficultés à trouver les dossiers, ont une portée extrêmement grave.

Nous avons notamment listé les noms des patients concernés, pour aboutir à de très nombreux courriers non transmis au secrétariat pour archivage.

Nous avons eu à déplorer des retours d'information incomplets ou des carences de date.

Tout ceci est d'autant plus regrettable que vous étiez parfaitement informée des procédures et notamment des procédures de gestion des heures supplémentaires, des procédures de gestion des congés et de vos obligations contractuelles.

Il convient par ailleurs de vous rappeler que vous avez fait pendant l'année 2017 une déclaration d'information préoccupante en ne respectant pas la procédure adéquate dans un dossier où manifestement ce signalement n'était ni adapté à la situation, ni conforme à la procédure qui aurait dû être utilisée.

Nous avons donc décidé de vous licencier pour causes réelles et sérieuses, à savoir insuffisance professionnelle, non respect des procédures, négligences et manque de communication.

Il s'agit de motifs liés à des causes réelles et sérieuses matériellement vérifiables.

Nous vous précisons que nous vous licencions, que nous n'avons pas fait le choix de vous licencier pour fautes graves mais simplement pour cause réelle et sérieuse à portée disciplinaire[...] »

Mme [T] a contesté l'ensemble des griefs par lettre du 02/01/2018, sollicitant des précisions quant aux manquements invoqués, et ajoutant qu'elle aurait dû depuis le 1er janvier 2016 bénéficier d'un contrat de 24 heures hebdomadaires.

Estimant le licenciement infondé, Mme [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Lens par requête du 25/04/2018 de diverses demandes indemnitaires tenant à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.

Par jugement contradictoire du 19/09/2019, le conseil de prud'hommes a  :

-dit le licenciement de Mme [W] [Z] épouse [T] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

-condamné l'association GEPAHL à payer à Mme [W] [T] :

-9.000 euros nets au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,

-1.000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

-débouté Mme [W] [T] du surplus de ses demandes,

-dit que le présent jugement est exécutoire à titre provisoire dans la limite maximum de 9 mois de salaire selon l'article R.1454 28 du code du travail,

-fixé à 1.235,27 euros bruts la moyenne des 3 derniers mois de salaire,

-précisé que conformément aux dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les condamnations prononcées emportent intérêts au taux légal : à compter de la demande pour toutes les sommes de nature salariale ; à compter du prononcé du présent jugement pour toute autre somme,

-débouté l'association GEPAHL de sa demande reconventionnelle formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

-condamné l'association GEPAHL aux entiers frais et dépens.

Par déclaration du 01/10/2019, l'association GEPAHL a interjeté appel de la décision précitée.

Aux termes de ses conclusions complémentaires et en réplique du 12/05/2020, l'association GEPAHL demande à la cour d'infirmer et d'annuler la décision déférée, de juger que le licenciement intervenu est fondé sur des causes réelles et sérieuses, les éléments étant matériellement vérifiables et vérifiés, de débouter purement et simplement Mme [T] de ses demandes, fins et conclusions, de la condamner à lui payer 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers frais et dépens.

Selon ses conclusions récapitulatives du 16/11/2020, Mme [W] [T] demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse, en conséquence et à titre incident, de condamner l'association GEPAHL à lui payer 25.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, 11.921 euros à titre de complément de salaire ainsi que 83,64 euros au titre de frais professionnels, de débouter l'association GEPAHL de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, de condamner l'association GEPAHL à lui payer 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

La clôture de la procédure résulte d'une ordonnance du 13/04/2022

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère, en vertu de l'article 455 du code de procédure civile, aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur l'exécution du contrat de travail

-Sur la demande de complément d'heures

Mme [W] [T] en se fondant sur les dispositions des articles L3123-7 et L3123-27 du code du travail, indique qu'elle n'a pas bénéficié de la durée minimum de 24 heures par semaine, et sollicite un complément de salaire depuis le 1er janvier 2016 à hauteur de 458,50 € par mois, précisant qu'elle n'a jamais renoncé à la durée minimale légale.

L'intimée expose qu'un dispositif transitoire était en cours pour permettre à la salariée de demander une augmentation de son temps de travail, ce dispositif ayant été abrogé par l'ordonnance du 29 janvier 2015, les salariés concernés bénéficiant du seul droit de priorité pour occuper ou reprendre un emploi comportant une durée de travail égale au moins à 24 heures ou à la durée 'xée par convention ou accord de branche étendu, la salariée ayant refusé une augmentation de son temps de travail.

Sur ce, l'article L3123-14-1 du code du travail, issu de la loi du 14 juin 2013 dans sa version applicable, dispose que la durée minimale de travail du salarié à temps partiel est fixée à vingt-quatre heures par semaine ou, le cas échéant, à l'équivalent mensuel de cette durée ou à l'équivalent calculé sur la période prévue par un accord collectif conclu en application de l'article L. 3122-2.

Les dispositions relatives à la durée minimale de travail ont été reprises à l'article L3123-27 du code du travail, qui indique : « à défaut d'accord prévu à l'article L. 3123-19, la durée minimale de travail du salarié à temps partiel est fixée à vingt-quatre heures par semaine ou, le cas échéant, à l'équivalent mensuel de cette durée ou à l'équivalent calculé sur la période prévue par un accord collectif conclu en application de l'article L. 3121-44 ».

Il ressort des dispositions de l'article L3123-3 du code du travail modifié par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 que les salariés à temps partiel qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi d'une durée au moins égale à celle mentionnée au premier alinéa de l'article L. 3123-7 ou un emploi à temps complet et les salariés à temps complet qui souhaitent occuper ou reprendre un emploi à temps partiel dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise ont priorité pour l'attribution d'un emploi ressortissant à leur catégorie professionnelle ou d'un emploi équivalent ou, si une convention ou un accord de branche étendu le prévoit, d'un emploi présentant des caractéristiques différentes.

L'employeur porte à la connaissance de ces salariés la liste des emplois disponibles correspondant.

Il est constant que la durée du travail de Mme [T] a été fixé à 17,5 heures par semaine. L'accord de branche du 22/11/2013 étendu par arrêté du 19/06/2014 prévoit à l'article 2.1 alinéa 2 que : « pour les contrats de travail en cours à cette date, et jusqu'au 1er janvier 2016, la durée minimale prévue à l'article L. 3123-14-1 est applicable au salarié qui en fait la demande, sauf refus de l'employeur justifié par l'impossibilité d'y faire droit compte tenu de l'activité économique de l'entreprise ».

Il est constant que Mme [T] n'a pas demandé à cette date à bénéficier d'un emploi à temps partiel de 24 heures hebdomadaires. Toutefois il ressort de l'attestation signée par la salariée le 14/10/2016 que : «[..]suite à mon entretien au cours duquel vous m'avez proposé d'augmenter mon temps de travail, je ne suis pas intéressée pour occuper un poste à temps plein ».

La date de l'entretien n'est pas précisée. Toutefois, dès lors que la question de la durée du travail a été abordée avec la salariée, l'employeur lui proposant d'augmenter la durée de son temps de travail à temps complet, et s'agissant d'une matière d'ordre public, il lui appartenait de porter à la connaissance de la salariée la liste des emplois disponibles correspondant, au sens de l'article L3123-3 précité, ce qui était possible puisqu'un emploi à temps complet était proposé. Il s'ensuit que Mme [T] n'a pas été informée de la possibilité de travailler pour une durée de 24 heures hebdomadaire. Par conséquent, sa demande de rappel de salaire sera accueillie à compter du mois de novembre 2016, jusqu'à février 2018 compte-tenu du préavis, soit la somme de 15 X 458,50 € =6.877,50 €.

L'association Gepahl sera condamnée au paiement de cette somme.

-Sur les frais professionnels

Mme [T] indique ne pas avoir été remboursée de l'ensemble de ses frais professionnels, qu'elle n'a pu remplir le formulaire pour ses frais exposés du 1er au 17 octobre 2017 date de l'arrêt maladie.

L'employeur expose que la demande n'est pas justifiée, et que la somme doit se compenser au moins partiellement avec les kilomètres indûment facturés.

En vertu de l'article 1315 du code civil modifié, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver.

Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Mme [T] produit un décompte manuscrit figurant à son agenda indiquant que des frais n'ont pas été remboursées en octobre 2017 pour la somme de 83,64 €, ce qui fonde sa demande. L'employeur se borne à soutenir que la demande n'est pas justifiée, et doit se compenser au moins partiellement avec les kilomètres indûment facturés. L'employeur ne justifie cependant pas d'une dette connexe, dont il ne demande d'ailleurs pas le remboursement. Par conséquent, la demande en paiement de la somme de 83,64 € sera accueillie et l'association GEPAHL condamnée au paiement.

Sur la contestation du licenciement

L'association GEPALH expose que les faits ont été découverts à la suite de l'arrêt de travail de la salariée, que la lettre est suffisamment motivée, que les faits sont matériellement vérifiables et vérifiés, que les griefs sont fondés et ont été pour partie reconnus, que la salariée ment.

Mme [T] indique que l'employeur a changé d'attitude après qu'elle obtenu un diplôme universitaire en soins en gérontologie, qu'elle a été mise à l'écart à partir de janvier 2017, que des reproches infondés lui ont faits ce qui a eu une incidence sur sa santé, qu'elle conteste fermement les griefs, qu'elle a toujours effectué correctement son travail, que l'employeur n'a apporté aucune précision sur la matérialité des motifs.

Sur ce, aux termes de l'article L. 1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, pour apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles, et, si un doute persiste, il profite au salarié.

Il ressort de la lettre de licenciement du 22/12/2017 que l'employeur invoque une insuffisance professionnelle de la salariée en lien avec un non-respect des procédures, des négligences et un manque de communication, tout en concluant : « nous vous précisons que nous vous licencions, que nous n'avons pas fait le choix de vous licencier pour fautes graves mais simplement pour cause réelle et sérieuse à portée disciplinaire ». Si l'employeur peut se fonder sur des faits relevant à la fois de l'insuffisance professionnelle et du domaine disciplinaire, il ressort de la formulation retenue in fine par l'employeur que contrairement à ce qu'il soutient, il invoque des fautes disciplinaires commises par Mme [T], en l'espèce :

-un défaut de transmission de plusieurs dossiers pour enregistrement au secrétariat médical avant la saisie du PPS,

-l'absence de transmission au secrétariat de 112 courriers et fax pour archivage,

-des temps de visite à domicile supérieurs au temps préconisé, au détriment des temps d'échanges interdisciplinaires, concernant 21 dossiers entre avril et octobre 2017, et des visites à domicile débutant à 10 heures ou 15 heures sans justification et sans retour au siège de l'association,

-des visites à domicile de février 2017 à septembre 2017 sans justification, plus de deux semaines après le signalement du dossier, et des visites à domicile effectuées après la clôture des dossiers,

-des demandes d'heures supplémentaires injustifiées ou encore des remboursements kilométriques injustifiés entre avril et juillet 2017, englobant des remboursements de kilomètres pour rentrer au domicile lors de la pause du midi, des plannings d'emplois du temps et des fichiers d'heures supplémentaires et d'indemnités kilométriques incorrectement remplis (incohérence entre plannings et frais kilométriques),

-d'autres PPS (plans personnalisés de santé) incorrectement rédigés et de nombreux dossiers transmis trop tardivement pour enregistrement au secrétariat médical,

-des courriers de prise de rendez-vous envoyés aux patients, sans copie déposée dans le dossier du patient,

-une déclaration en 2017 d'information préoccupante en ne respectant pas la procédure adéquate dans un dossier où manifestement ce signalement n'était ni adapté à la situation, ni conforme à la procédure qui aurait dû être utilisée.

Il convient d'examiner successivement les griefs.

Au préalable, Mme [T] verse la lettre d'observation du 09/10/2017 indiquant :

« [...] Nous vous rappelons que ces faits se sont respectivement produits le 17 août 2017 et qu'ils sont les suivants :

-signalement imprécis, non constaté, non factuel comportant des erreurs et réalisé rapidement sans consultation du médecin coordonnateur et de votre hiérarchie administrative,

-dossiers patients transmis tardivement à la secrétaire médicale pour enregistrement malgré nos demandes de régularisation,

-difficulté à rédiger les PPS depuis la nouvelle organisation mise en place le 02/05/2017.

De tels faits sont préjudiciables au bon fonctionnement du service[...] ».

Selon l'article 05.03.01 de la convention collective nationale des établissements privés d'hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951, l'observation est une sanction disciplinaire.

S'agissant du défaut de transmission de plusieurs dossiers pour enregistrement au secrétariat médical avant la saisie du PPS, ces faits ont été sanctionnés par lettre du 09/10/2017. Il appartient à l'employeur d'établir que de nouveaux faits ont été portés à sa connaissance postérieurement à cette procédure. Or, les tableaux versés par l'association GEPAHL n'indiquent pas les « dossiers » qui n'ont pas été transmis, ni leur absence d'enregistrement. Le grief n'est donc pas établi, Mme [T] ayant déjà été sanctionnée pour ces faits.

S'agissant de l'absence de transmission au secrétariat de 112 courriers et fax pour archivage, l'employeur verse en pièce 4 A un tableau alphabétique retraçant les noms des patients et les dates de courrier, datant pour la plupart de l'année 2017, certains remontant à 2015 et 2016. Le contrat de travail prévoit que Mme [T] est responsable des dossiers individuels et de leur suivi. Il lui appartenait donc de remettre les courriers au secrétariat pour archivage. Le grief est établi.

S'agissant des temps de visite à domicile supérieurs au temps préconisé, au détriment des temps d'échanges interdisciplinaires, concernant 21 dossiers entre avril et octobre 2017, et des visites à domicile débutant à 10 heures ou 15 heures sans justification et sans retour au siège de l'association, l'employeur verse un tableau récapitulatif du mois d'avril au mois d'octobre 2017 comportant les noms des patients et le nombre de visite à domicile excédant le temps préconisé, à titre d'exemple deux par mois en septembre et octobre.

Toutefois, il ne ressort pas du « parcours patient » versé par l'appelante que la durée des visites soit limitée à une heure. En toute hypothèse même en retenant cette durée moyenne, le fait d'excéder cette durée d'une heure, alors que Mme [T] doit rencontrer un public fragilisé, nécessitant parfois une évaluation des capacités cognitives ou une situation sociale délicate, ne constitue aucunement une faute. Il n'est pas plus établi que le temps de visite a nui à un temps d'échange interdisciplinaire. Le contrat de travail ne comporte pas de mentions spécifiques relatives à la durée des visites. Enfin, le tableau versé par l'employeur montre qu'il se livre à des supputations dépourvues d'éléments probants (« question : Mme M ferait-elle son planning en fonction de sa vie privée ' En effet, elle rentre systématiquement à la pause méridienne et ne repasse pas au siège le midi (fin à 12h30) ou le soir si la visite dure plus de deux heures (fin à 17h»). Le grief n'est pas démontré.

S'agissant des visites à domicile de février 2017 à septembre 2017 sans justification, plus de deux semaines après le signalement du dossier, et des visites à domicile effectuées après la clôture des dossiers, Mme [T] reconnaît s'être rendue chez une patiente, Mme [S], afin de lui remettre un chèque de l'Arc, à la suite du décès de son époux qui était pris en charge par le service des soins palliatifs en raison d'un cancer. Le fait ne présente pas de caractère fautif.

L'employeur verse un tableau récapitulatif de visites du mois de février 2017 au mois de septembre 2017, concernant 7 patients mentionnant à titre d'exemple pour M. [F] une date de signalement le 11/07/2017 et une visite le 04/08/2017. Toutefois, l'employeur n'apporte pas d'indications sur la charge de travail de la salariée durant cette période, ni sur les autres visites effectuées. Enfin, le compte-rendu d'entretien préalable versé par l'employeur n'est pas exploitable : ce document n'est pas signé, et comporte plusieurs parties en blanc qui n'ont pas été renseignées. Le grief n'est pas établi.

S'agissant des demandes d'heures supplémentaires et des remboursements kilométriques injustifiés entre avril et juillet 2017, englobant des remboursements de kilomètres pour rentrer au domicile lors de la pause du midi, des plannings et des 'chiers d'heures supplémentaires et d'indemnités kilométriques incorrectement remplis, l'employeur verse un tableau « remboursements injustifiés de frais kilométriques/fichiers incorrectement remplis » pour les mois d'avril, mai, juin et juillet 2017, faisant apparaître un différentiel de 108,10 km, soit 64,86 € de défraiement, accompagné des déclarations de Mme [T] sur un document de type tableur. Toutefois, ce document n'est pas accompagné de plans permettant de vérifier le kilométrage effectif, Mme [T] produisant pour sa part des justificatifs correspondant à ses déclarations (exemple : trajet de [Localité 5] à [Localité 3], 6,1 km, ce qui a été déclaré). Il n'est pas établi que Mme [T] a effectué des déclarations frauduleuses, d'autant que l'employeur a reçu des déclarations détaillées qu'il pouvait vérifier en temps utiles, Mme [T] n'ayant reçu aucune observation sur ce point. Enfin, l'employeur fait valoir des demandes d'heures supplémentaires injustifiées, sans produire de justificatifs utiles à cet égard. Le grief n'est pas établi.

S'agissant des plans personnalisés de santé incorrectement rédigés, et de dossiers transmis trop tardivement pour enregistrement au secrétariat médical, Mme [T] a déjà reçu une observation pour ces faits, aucun élément postérieur n'étant produit. En effet, l'employeur dans son tableau récapitulatif indique : « F-PPS INCORRECTEMENT REDIGES : déjà reprochés lors de l'observation du 17/10/2017 Voir C-R Dr [P] non fait encore ». L'attestation de Mme [P], gériatre, n'est pas accompagnée d'une pièce d'identité permettant d'identifier son signataire, ce qui la prive de pertinence. De plus, le témoin indique notamment « par ailleurs, dans le recueil de données, j'ai pu noter plusieurs imprécisions qui auraient des conséquences sur les préconisations formulées par exemple :

-évaluation fonctionnelle évaluée à 4/4 donc une personne âgée autonome à la marche), par la suite une demande d'accueil a été initiée alors que la personne âgée était grabataire[...] ». Cette attestation est imprécise, l'état de santé du patient ayant pu se dégrader « par la suite ». Le grief n'est pas établi, pas plus que celui de courriers envoyés au patient sans copie au dossier, le document versé indiquant « recherches toujours en cours ».

S'agissant du dernier grief concernant une déclaration en 2017 d'une information préoccupante en ne respectant pas la procédure adéquate, ce fait a déjà été sanctionné par l'observation du 09/10/2017.

En l'état d'un grief établi, savoir l'absence de transmission au secrétariat de 112 courriers et fax pour archivage, le licenciement apparaît manifestement disproportionné.

Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est confirmé.

Compte tenu de son ancienneté, de son âge au moment du licenciement (53 ans), de son salaire moyen (1.452,68 €), de son ancienneté (13 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, une somme de 12.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement est infirmé. L'association Gepahl est condamnée au paiement de cette somme.

Sur les autres demandes

Les dispositions de première instance relatives aux dépens et frais irrépétibles sont confirmées.

Succombant, l'association GEPAHL supporte les dépens d'appel.

L'équité commande d'allouer à Mme [W] [T] la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles non compris dans les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,

CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qu'il a condamné l'association GEPAHL à payer à Mme [W] [T] 9.000 euros nets au titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif, et l'a déboutée du surplus de ses demandes ;

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE l'association GEPAHL au paiement des sommes suivantes :

-12.000 € de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-6.877,50 € de rappel de salaire à titre de complément,

-83,64 € de rappel de salaire au titre des frais professionnels,

-3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'association GEPAHL aux dépens d'appel.

LE GREFFIER

Nadine BERLY

LE PRESIDENT

Soleine HUNTER-FALCK


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 3
Numéro d'arrêt : 19/01908
Date de la décision : 24/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-24;19.01908 ?
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