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09/06/2022 | FRANCE | N°20/03207

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 09 juin 2022, 20/03207


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 09/06/2022





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N° de MINUTE :

N° RG 20/03207 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TEYF



Jugement (N° 18/02691)

rendu le 19 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer







APPELANTS



Monsieur [C] [X]

né le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 7]

Madame [K] [N] épouse [X]

née le [

Date naissance 1] 1944 à [Localité 7]

demeurant ensemble [Adresse 3]

[Localité 4]



représentés par Me Laetitia Bonnard-Plancke, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer



INTIMÉ



Monsieur le directeur régional des fina...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 09/06/2022

****

N° de MINUTE :

N° RG 20/03207 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TEYF

Jugement (N° 18/02691)

rendu le 19 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer

APPELANTS

Monsieur [C] [X]

né le [Date naissance 2] 1941 à [Localité 7]

Madame [K] [N] épouse [X]

née le [Date naissance 1] 1944 à [Localité 7]

demeurant ensemble [Adresse 3]

[Localité 4]

représentés par Me Laetitia Bonnard-Plancke, avocat au barreau de Boulogne-sur-Mer

INTIMÉ

Monsieur le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 5]

domicilié [Adresse 6]

[Localité 5]

représenté par Me Loïc Le Roy, membre de la SELARL Lexavoué Amiens Douai, avocat au barreau de Douai

DÉBATS à l'audience publique du 21 février 2022 tenue par Céline Miller magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Christine Simon-Rossenthal, présidente de chambre

Emmanuelle Boutié, conseiller

Céline Miller, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 09 juin 2022 après prorogation du délibéré en date du 2 juin 2022 après prorogation du délibéré en date du 07 avril 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine Simon-Rossenthal, présidente et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 31 janvier 2022

****

Par proposition de rectification du 7 février 2017, l'administration des finances publiques a procédé, pour l'année 2016, à un rehaussement de droits d'enregistrement à titre gratuit de M. [C] [X] et Mme [K] [N] épouse [X], imposant la somme de 96 200 euros au titre de dons perçus de M. [E]. Par courrier du 2 juin 2017, l'administration fiscale a informé les époux [X] qu'après examen attentif de leurs observations formulées par courrier du 7 avril 2017, les rectifications proposées étaient maintenues en totalité. Un avis de mis en recouvrement a été émis le 15 septembre 2017.

Par courriers des 13 novembre et 22 décembre 2017, Monsieur et Madame [X] ont déposé une réclamation contentieuse portant sur le montant des dons perçus, laquelle a fait l'objet d'un rejet de l'administration des finances publiques par courriers des 14 février et 7 mai 2018.

Les époux [X] ayant saisi le conciliateur fiscal départemental par courrier du 13 avril 2018, celui-ci a confirmé la position de l'administration par courrier du 27 avril 2018.

Par exploit d'huissier du 4 juillet 2018, Monsieur et Madame [X] ont fait assigner la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et du département de [Localité 5] devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer aux fins de voir annuler partiellement la décision de rectification en date du 7 mai 2018, la somme retenue étant selon eux sans fondement et erronée.

Par jugement en date du 19 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer a débouté les époux [X] de l'ensemble de leurs demandes.

Les époux [X] ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 novembre 2020, les époux [X] demandent à la cour de réformer entièrement le jugement en date du 19 novembre 2019 et, statuant à nouveau, de :

- Annuler partiellement la décision de Monsieur l'inspecteur des finances publiques en date du 7 mai 2018, la somme retenue étant sans fondement et erronée ;

- Retenir la somme de 43 300 euros au titre du fondement de la rectification ;

- Condamner la direction départementale des finances publiques au paiement d'une somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner en tous les frais et dépens.

Ils soutiennent essentiellement qu'il n'est pas établi qu'ils auraient bénéficié de dons pour un montant de 96 200 euros de la part de M. [E]. Ils font valoir que M. [E], qui les avait assignés le 28 juillet 2016 devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer pour qu'ils soient condamnés à lui payer la somme de 150 000 euros en réparation du préjudice matériel qu'il disait avoir subi du fait des fautes commises par les époux [X] dans l'exercice du mandat de gestion qu'il leur avait confié, a été débouté de l'ensemble de ses prétentions. Ils précisent qu'il résulte des auditions dans le cadre de l'enquête réalisée par le procureur de la République que des sommes leur ont été effectivement données par M. [E], mais à hauteur de 43 300 euros seulement et non pas de 96 200 euros, l'administration devant se fonder sur cette somme de 43 300 euros pour établir sa rectification.

Ils ajoutent que l'administration fiscale a fondé l'imposition qui leur a été notifiée sur les dispositions de l'article 757 du code général des impôts en considérant que le tribunal correctionnel dans sa décision rendue le 10 mai 2016 aurait reconnu implicitement l'existence de dons dont ils auraient bénéficié ; que s'il est exact que la notion de reconnaissance judiciaire n'implique pas que le juge ait statué explicitement sur l'existence d'un don manuel ou qu'il ait statué directement sur le lien de droit entre le donataire et le donateur, encore faut-il que le juge ait reconnu à l'occasion de l'instance l'existence d'une mutation de propriété mobilière réalisée à titre de libéralité, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, le don manuel n'ayant en aucune façon été reconnu par le tribunal.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 02 février 2021, M. le directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et de [Localité 5] demande à la cour de :

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Boulogne-sur-Mer du 19 novembre 2019 ;

- Débouter les appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- Les débouter de leur demande de condamner l'administration au paiement d'une somme de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Les débouter de leur demande de condamner l'administration aux entiers dépens.

A cet effet, il fait essentiellement valoir qu'il ressort de la page 4 du procès-verbal n° 14/129/25 de confrontation du 12 mars 2015 rédigé dans le cadre de l'enquête préliminaire dirigée par M. Le procureur de la République que M. [X] a déclaré 'nous avons bien eu ces 96 200 euros de la part de M. [E] qui nous a donné ces sommes en dons, et nous en avons disposé (...). Nous étions comme ses enfants. Nous prenions de l'argent sur son compte avec son accord verbal et/ou sa présence physique.' ; qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré du 19 novembre 2019 en ce que celui-ci a considéré que ce procès-verbal renfermait la déclaration faite par les donataires de plusieurs dons manuels réalisés à leur profit par M. [E] pour un montant total de 96 200 euros.

Il ajoute que le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer a considéré dans sa décision du 10 mai 2016 qu'il ressortait des éléments du dossier et des débats qu'il y avait lieu de relaxer M. [C] [X], poursuivi pour détournement de fonds, valeurs ou numéraires qui lui avaient été remis à charge de les rendre, de les représenter, d'en faire un usage ou un emploi déterminé, au préjudice de M. [R] [E], personne particulièrement vulnérable en raison de son âge ; qu'il ressortait du procès-verbal n° 14/129/25 de confrontation du 12 mars 2015 établi dans le cadre de l'enquête pour abus de confiance ayant donné lieu au jugement du tribunal correctionnel, que M. [X] avait déclaré avoir perçu différentes sommes pour un montant total de 96 200 euros ; que dès lors que le tribunal correctionnel a estimé qu'au vu des éléments du dossier, la réalité des accusations de détournement de fonds n'était pas établie, il apparaît qu'il a ainsi implicitement mais nécessairement retenu que les sommes perçues par M. et Mme [X] pour un total de 96 200 euros ont été données à ces derniers par M. [E], de sorte qu'il y a lieu de considérer que la décision du tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer du 10 mai 2016 emporte reconnaissance judiciaire des dons manuels consentis aux appelants, lesquels sont imposables aux droits de mutation à titre gratuit en application de l'article 757 du code général des impôts.

MOTIFS DE LA DECISION

Aux termes de l'article 757, alinéa 1er du code général des impôts, les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d'un don manuel, sont sujets aux droits de mutation à titre gratuit. Ces droits sont calculés sur la valeur du don manuel au jour de sa déclaration ou de son enregistrement, ou sur sa valeur au jour de la donation si celle-ci est supérieure. Le tarif et les abattements applicables sont ceux en vigueur au jour de la déclaration ou de l'enregistrement du don manuel.

Ce texte, loin de subordonner l'exigibilité du droit de donation à la condition que la reconnaissance judiciaire soit susceptible de créer un lien de droit entre le donateur et le donataire, donne pour base à la perception du droit le fait seul que le don manuel a été déclaré ou reconnu par le juge dans une décision qui, sans produire les effets légaux d'un titre véritable, suffit cependant pour établir, au point de vue de la loi fiscale et à l'égard du donataire, la transmission de la propriété mobilière.

En l'espèce, il résulte de l'exposé du litige du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer le 11 décembre 2018 que suivant acte authentique en date du 25 mai 2004, les époux [E], tous deux âgés de près de 90 ans, ont confié à M. [C] [X] un mandat général de gestion de leurs biens à titre gratuit afin notamment de se faire aider dans les actes de la vie courante et suppléer pour un certain nombre de démarches ; que les époux [E] avaient envisagé en contrepartie de désigner M. [X] comme légataire de l'ensemble de leurs biens par testament ; que Mme [E] est décédée en 2009 ; qu'à la suite de désaccords intervenus entre M. [X] et M. [E], ce dernier a décidé de révoquer le mandat qui les liait ; qu'alerté par le service des aînés de la mairie du [Localité 7], M. le procureur de la République a fait diligenter une enquête sur le mandat de gestion, au cours de laquelle les époux [X] ont admis avoir perçu des fonds de leur mandant dans le cadre de donations manuelles à leur profit.

Poursuivi devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer du chef d'abus de confiance au préjudice de M. [E], personne considérée comme particulièrement vulnérable en raison de son âge, sur la période comprise entre le 4 décembre 2010 et le 4 décembre 2013, M.[X] a fait l'objet d'une relaxe par jugement du 10 mai 2016.

C'est ensuite que suivant acte du 28 juillet 2016, M. [E] a fait attraire M. [X] devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer statuant cette fois-ci en matière civile, aux fins de le voir déclarer responsable de fautes dans le cadre de son mandat de gestion et de lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 211 400 euros au titre du préjudice matériel et 5 000 euros au titre du préjudice moral.

Dans son jugement du 11 décembre 2018 déjà évoqué, le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, considérant que 'si la diminution de valeur du patrimoine de M. [E] était incontestable depuis 2004, il n'est pas démontré qu'elle soit imputable à une mauvaise gestion et/ou à des détournements frauduleux commis à ses dépens, faute pour M. [E] d'étayer ses dires d'éléments concrets au plan comptable et bancaire, ni de circonstancier les accusations portées contre le mandataire' et que 'le constat de la perte de la valeur du patrimoine du demandeur ne pouvait suffire ni à établir une mauvaise gestion ou une inexécution des obligations contractuelles ni à caractériser un détournement à l'insu et contre la volonté du demandeur, tout comme elle a été jugée insuffisante à caractériser l'infraction pénale pour laquelle M. [X] était poursuivi', a débouté M. [E] de l'ensemble de ses prétentions.

L'administration fiscale s'est fondée, pour asseoir l'assiette de son rappel de droits de mutation à titre gratuit fondé sur les dispositions de l'article 757 du code général des impôts, sur les procès-verbaux de police établis dans le cadre de l'enquête préliminaire diligentée par le Ministère public portant sur les soupçons de détournements de fonds commis par M. [X] au préjudice de M. [E], lesquels lui ont été transmis le 17 mai 2016 par le procureur de la République du tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer, en application des dispositions de l'article L101 du livre des procédures fiscales.

Il résulte à cet égard du procès-verbal de confrontation n° 14/129/25 réalisé le 12 mars 2015, mettant en présence M. [C] [X], Mme [K] [X] et M. [R] [E] qu'après avoir dans un premier temps reconnu (en page 2) que M. et Mme [E] leur avaient donné 50 000 euros sur plusieurs années pour les aider à financer des travaux ou des achats, M. [X] a ensuite reconnu (en pages 3 et 4), après avoir été confronté par l'enquêteur aux analyses de leurs comptes respectifs, avoir perçu la somme de 96 200 euros en dons manuels de la part de M. [E] et en avoir disposé, expliquant que 'nous étions comme ses enfants. Nous prenions de l'argent sur son compte avec son accord verbal et/ou sa présence physique.'

De même, lors de son procès-verbal d'audition du 16 avril 2014, à la question de savoir s'il pensait avoir abusé des fonds personnels de M. et Mme [E] à son profit, M. [X] a répondu : 'je ne l'ai fait que sur son accord lorsqu'il me le demandait et pour certaines choses, j'étais le fils adoptif. Nous étions sur son testament établi chez Maître [V]. Il fallait être à sa disposition mais je n'ai pas profité de lui, nous étions comme une famille.'

La matérialité des dépôts de fonds en espèces à hauteur de 96 200 euros sur les comptes bancaires de M. et Mme [X] suite à des retraits correspondants sur les comptes bancaires de M. [E] a par ailleurs été établie par les investigations menées sur les comptes en banque des intéressés lors de l'enquête de police, lesquelles n'ont en revanche pas permis de mettre en évidence les travaux prétendument réalisés par les époux [X] avec ces fonds.

L'enquête de police a également permis d'établir qu'outre M. et Mme [X], M. [E] avait à cette période choisi de gratifier également plusieurs personnes de son entourage proche, pour diminuer les droits de succession qu'ils auraient à acquitter à son décès.

C'est sur la base de ces éléments que le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer, saisi de faits d'abus de confiance sur personne vulnérable commis par M. [X] au préjudice de M. [E], l'a relaxé des chefs de la poursuite dans son jugement du 10 mai 2016.

Cette décision n'est pas motivée. Cependant, il résulte des éléments de l'enquête qui la fondent que si la matérialité des transferts de fonds au profit de M. et Mme [X] a pu être établie, il n'existait pas suffisamment d'éléments pour caractériser des détournements frauduleux commis par M. [X]. Dès lors, il s'ensuit nécessairement que les transferts de fonds opérés, dont la matérialité est avérée, s'analysent en des dons manuels soumis à la taxation au titre des droits de mutation à titre gratuit.

La décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a débouté M. et Mme [X] de leur demande d'annulation partielle de la décision de M. l'inspecteur des finances publiques en date du 7 mai 2018.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et des frais irrépétibles.

Succombant en leur recours, les époux [X] seront tenus aux entiers dépens d'appel.

Ils seront par ailleurs déboutés de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne M. [C] [X] et Mme [K] [X] aux entiers dépens d'appel ;

Déboute M. [C] [X] et Mme [K] [X] de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier,La présidente,

Delphine Verhaeghe.Christine Simon-Rossenthal.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 20/03207
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;20.03207 ?
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