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27/05/2022 | FRANCE | N°17/01103

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale c salle 3, 27 mai 2022, 17/01103


ARRÊT DU

27 Mai 2022







N° 828/22



N° RG 17/01103 - N° Portalis DBVT-V-B7B-QUTM



GG / GD

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS

en date du

23 Mars 2017

(RG 15/00438 -section 3)








































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GROSSE :



aux avocats



le 27 Mai 2022





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANT :



Association SAPIH INSERTION

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Cindy DENISSELLE-GNILKA, avocat au barreau de BETHUNE substitué par Me Maxime HERMARY, avocat au barre...

ARRÊT DU

27 Mai 2022

N° 828/22

N° RG 17/01103 - N° Portalis DBVT-V-B7B-QUTM

GG / GD

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS

en date du

23 Mars 2017

(RG 15/00438 -section 3)

GROSSE :

aux avocats

le 27 Mai 2022

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANT :

Association SAPIH INSERTION

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Cindy DENISSELLE-GNILKA, avocat au barreau de BETHUNE substitué par Me Maxime HERMARY, avocat au barreau de BETHUNE

INTIMÉE :

Melle [K] [N]

420 voie des hauts marchés

[Localité 2]

représentée par Me Clement DORMIEU, avocat au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE

DÉBATS :à l'audience publique du 06 Avril 2022

Tenue par [E] [H]

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Séverine STIEVENARD

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

[U] [A]

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Muriel LE BELLEC

: CONSEILLER

[E] [H]

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Mai 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Muriel LE BELLEC conseiller et par Serge LAWECKI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 23 mars 2022

EXPOSE DU LITIGE

L'association SAPIH INSERTION qui a pour activité l'insertion des personnes en recherche d'emploi, a engagé Mme [K] [N], née en 1947, à compter du 01/12/1992. Dans le dernier état de la relation de travail, Mme [N] exerçait en qualité de responsable de secteur.

A la suite de la découverte d'une poudre de couleur marron dans les locaux de l'association le 7 juillet 2007, pouvant laisser supposer la présence d'anthrax, plusieurs personnes ayant ressenti des céphalées et des démangeaisons, une enquête pénale a été diligentée. Mme [N] a été entendue le 13/08/2007 puis hospitalisée.

A compter du 14/08/2007, Mme [N] a été placée en arrêt de travail.

Mme [N] a déclaré une maladie professionnelle auprès de la caisse primaire d'assurance maladie le 03/08/2009, un refus de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie lui ayant été notifié le 20/03/2010.

La commission de recours amiable a confirmé par décision du 17 juin 2010 le refus de prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels.

A la suite de deux examens, le médecin du travail a constaté le 22/10/2010 l'inaptitude de la salariée, l'avis étant rédigé comme suit : « inapte définitif au poste selon l'article R4624-31 du code du travail confirmant l'avis du 27/09/2010 ' Apte à un poste identique dans une autre ambiance ».

L'employeur par lettre du 29/11/2010 a proposé un reclassement dans le cadre d'un poste d'agent de propreté à temps partiel, proposition déclinée le 06/12/2010.

Après entretien préalable fixé au 21/12/2010, Mme [N] a été licenciée par lettre du 30/12/2010 pour impossibilité de reclassement.

Par lettre du 16/08/2012, Mme [N] a été informée que le médecin conseil estimait son état stabilisé au 31 mars 2011.

Saisi par Mme [N], le tribunal des affaires de sécurité sociale d'[Localité 3] par jugement du 23/05/2011 a ordonné la saisine du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Normandie.

Puis par jugement du 30/12/2011, le tribunal des affaires de sécurité sociale d'[Localité 3] a réformé la décision du 20/03/2010 de la caisse primaire d'assurance maladie et du 17/06/2010 de la commission de recours amiable, et a reconnu à Mme [N] le bénéfice de la législation professionnelle pour la maladie du 02/07/2009. Le taux d'incapacité permanente de Mme [N] a été fixé à 30 %selon décision du 23/08/2012.

Suivant requête du 29/09/2015, Mme [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Lens, estimant nul son licenciement pour inaptitude.

Mme [N], se prévalant d'une faute inexcusable de l'employeur a saisi la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois en conciliation sur le fondement de l'article L452-4 du code de la sécurité sociale. En l'absence de conciliation, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale qui par jugement du 22/02/2016 a :

-déclaré inopposable à l'association SAPIH INSERTION la reconnaissance du caractère professionnelle de la maladie déclarée par Mme [K] [N],

-débouté Mme [K] [N] de l'intégralité de ses demandes,

-débouté l'association SAPIH INSERTION et la MACIF de leurs demandes d'indemnité procédurale,

-dit n'y avoir lieu à statuer sur les dépens ['].

Par jugement du 23/03/2017, le conseil de prud'hommes a prononcé la nullité du licenciement de Mme [N] pour inaptitude et a condamné l'association SAPIH INSERTION à lui payer les sommes suivantes :

-5.700 € d'indemnité compensatrice de préavis,

-570 € d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,

-1.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-a débouté les parties de leurs autres demandes,

-a condamné l'association SAPIH INSERTION aux dépens,

-a rappelé l'exécution provisoire de droit et fixé la moyenne des salaires à 1.900 €,

-a dit que les condamnations produisent intérêts au taux légal

-a ordonné à l'association SAPIH INSERTION de toutes les indemnités chômage versées à Mme [N].

Par déclaration du 26/04/2017, l'association SAPIH INSERTION a interjeté appel de la décision.

Par arrêt du 27/05/2021 la cour d'appel d'Amiens a confirmé le jugement précité du tribunal des affaires de sécurité sociale.

Par arrêt de la cour de céans du 28/01/2022, l'ordonnance de clôture du 14/02/2019 a été révoquée, et la réouverture des débats a été ordonnée.

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelant du 18/03/22, l'association SAPIH INSERTION demande à la cour de :

-infirmer l'entier jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Lens,

-dire et juger licite le licenciement de Mme [N],

-en conséquence, débouter Mme [N] de sa demande indemnitaire pour licenciement illicite,

-constater l'incompétence matérielle du juge prud'homal pour statuer sur la demande indemnitaire fondée sur le préjudice moral,

-subsidiairement, débouter Mme [N] de sa demande,

-débouter Mme [N] de ses demandes relatives à l'indemnité de préavis et à l'indemnité de licenciement,

-en toute hypothèse, débouter Mme [N] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

-condamner Mme [N] à lui verser une indemnité de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.

Selon ses conclusions du 25/02/22, Mme [K] [N] demande à la cour de :

-infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Lens en ce qu'il a l'a déboutée de ses demandes au titre des indemnités de licenciement et pour le préjudice moral,

-confirmer le jugement du conseil de prud'homme de Lens en ce qu'il a condamné l'association SAPIH INSERTION à lui payer les sommes de 5.700 € au titre du préavis, 470 € au titre de congé sur préavis et 1.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Y ajoutant,

-condamner l'association SAPIH INSERTION à lui payer la somme de 9.120€ au titre du licenciement

-condamner l'association SAPIH INSERTION à lui payer la somme de 68.400 € au titre de l'indemnité pour licenciement illicite,

-condamner l'association SAPIH INSERTION à lui la somme de 50.000 € au titre du préjudice moral subi par elle,

-condamner l'association SAPIH INSERTION à lui payer la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-condamner l'association SAPIH INSERTION aux dépens.

La clôture de la procédure résulte d'une ordonnance du 23/03/2022.

Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA dont un exemplaire a été déposé à l'audience de plaidoirie.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la nullité du licenciement

L'appelante souligne que le premier juge a prononcé la nullité du licenciement tout en écartant les faits de harcèlement moral, qu'en l'espèce aucun harcèlement moral n'est avéré, que la salariée n'est pas en mesure de nommer la personne qui en serait à l'origine, qu'en réalité Mme [N] se prévaut de la procédure pénale, que la reconnaissance tardive de la maladie professionnelle lui est inopposable, qu'au surplus tout harcèlement moral a été écarté par la juridiction des affaires sociales, que son obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé de ses salariés lui a imposé de déposer plainte, que ce n'est pas de son fait si Mme [N] a été placée en garde en vue, que plusieurs salariés l'ont désignée comme la possible responsable de cet évènement compte tenu de son comportement antérieur sur son lieu de travail, que cette dernière a indiqué le 16 juillet 2017 n'avoir aucun problème avec qui que ce soit, que c'est le médecin du travail qui a conseillé d'appeler les pompiers, que s'il peut être admis que la procédure a été une épreuve, ce contexte n'est pas du harcèlement, le licenciement ne pouvant dès lors encourir la nullité.

Pour sa part, Mme [N] indique qu'elle a subi un isolement et une mise au placard dès le mois de juin 2007 qui ont entraîné une situation traumatisante et un arrêt de travail à compter du 14 août 2007 pour syndrome dépressif réactionnel à une souffrance au travail, qu'une maladie professionnelle a été reconnue hors tableau liée au harcèlement moral, que le Dr [P] reconnaît que le milieu du travail a joué un rôle dans cette pathologie.

Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En vertu de l'article L. 1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le salarié présente des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement ; au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il appartient au juge de se prononcer sur l'ensemble des éléments retenus afin de dire s'ils laissaient présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral.

Le juge ne doit pas seulement examiner chaque fait invoqué par le salarié de façon isolée mais également les analyser dans leur ensemble, c'est-à-dire les apprécier dans leur globalité, puisque des éléments, qui isolément paraissent insignifiants, peuvent une fois réunis, constituer une situation de harcèlement.

Si la preuve est libre en matière prud'homale, le salarié qui s'estime victime de harcèlement moral est tenu d'établir la matérialité des éléments de faits précis et concordants qu'il présente au soutien de ses allégations afin de mettre en mesure la partie défenderesse de s'expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés.

Mme [N] fait valoir qu'elle a été placée en garde à vue, qu'elle a été ensuite hospitalisée, qu'elle a été suivie par un psychiatre le Dr [Y] qui a relevé un état anxio dépressif d'intensité sévère, que le CRMPP a constaté qu'elle a subi une situation objectivement traumatisante en relation directe avec son travail en août 2007, que sa maladie professionnelle est en lien avec des faits de harcèlement moral.

Elle produit notamment :

-le certificat du Dr [C] [P] du 07/01/2011 indiquant qu'il y a eu « progressivement « une mise au placard » avec le 7 juillet 2007, la suspiciond'avoir disséminé l'anthrax dans l'entreprise comme l'indique la coupure de presse de l'époque : le point culminant de l'accusation ou de la suspicion étant le 14 août 2007, sa garde à vue : tous ces événements ont été particulièrement mal vécus par Madame [K] [N] née [R] : il s'agit d'une pathologie qui est survenue à cause du Travail et sur les lieux du Travail et qui s'est développée de juin à août 2007 et dont le point culminant a été la suspicion dissémination d'anthrax le 14 août 2007 avec garde à vue et procédure judiciaire à son encontre[...] »,

-une coupure de presse du de la voix du Nord,

-un avis d'arrêt de travail du 13/12/2007 pour le 06/07/2007 mentionnant « exposition à une poudre suspecte »,

-un avis d'arrêt de travail suite à hospitalisation du 174/08/2007 indiquant « syndrome anxio dépressif réactionnel +++ »,

-un avis arrêt de travail du 02/07/2009 indiquant « syndrome dépressif réactionnel suite à harcèlement moral au travail et « accusation » par l'employeur »,

-plusieurs certificats du Dr [Y], celui du 02/10/2008 indiquant « elle m'indique avoir été victime d'une situation de harcèlement professionnel dans l'association où elle travaille à [Localité 2], étant notamment accusée à tort d'avoir déposé un produit toxique dans les locaux associatifs »[...], des 26/03/2009, 08/04/2009, 27/07/2009, ce dernier mentionnant « je peux préciser que cette patiente n'avait pas d'antécédents sur le plan psychiatrique antérieurement aux circonstances qui ont entraîné l'arrêt de ses activités, et que les symptômes qu'elle développe actuellement (état anxieux dépressif d'intensité sévère) sont survenus suite aux difficultés rencontrées dans le cadre professionnel[...] »,

-un compte-rendu du centre hospitalier d'[Localité 2] B[Localité 2] du 16/02/2011 d'une psychologue relevant des troubles cognitifs avec des difficultés mnésiques et un syndrome dépressif,

-l'avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles du 02/09/2011 relevant que « Mme [N] a subi une situation objectivement traumatisante en relation directe avec son travail en août 2007. Cet événement est intervenu à la suite d'une succession de dégradations de ses relations au travail. Par la suite, celles-ci ne se sont pas améliorées. L'ensemble de ces événements permet de caractériser un lien direct entre la profession de Mme [N] et sa pathologie apparue dans les mois suivants l'événement traumatisant. Par ailleurs, il n'existe aucun facteur de risque documenté pour cette pathologie et le caractère essentiel du lien peut être retenue. Pour ces raisons le comité reconnaît le lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et l'exposition professionnelle ».

Examinés dans leur ensemble, ces éléments permettent de présumer de faits de harcèlement moral. Il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement, et sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'association SAPIH INSERTION produit les éléments qui suivent :

-les avis d'inaptitude et les échanges de courriers avec le médecin du travail dans le cadre de la recherche de reclassement de Mme [N] des 27/10/2010 et 29/10/2010,

-les différentes correspondances de tiers en réponse à la demande de reclassement,

-le rapport administratif du 19/11/2009 de M. [B] [S], inspecteur assermenté de la caisse primaire d'assurance maladie,

-la décision de la commission de recours amiable, le jugement du 30/12/2011 du tribunal des affaires de sécurité sociale d'[Localité 3], le jugement du 22/02/2016 de ce même tribunal et l'arrêt confirmatif de la cour d'appel d'Amiens du 27/05/2021.

Il ressort du rapport administratif de M. [S], que Mme [N] lui a déclaré avoir rencontré des problèmes dans son entreprise en juillet 2007, ce qui correspond à la découverte d'une poudre marron, ayant entraîné le lendemain le déploiement de sapeurs-pompiers et de policiers, 9 personnes étant confinées dans une école, le doute ayant été levé dans la soirée concernant la présence d'anthrax, selon l'article de presse produit. Mme [N] déclare en outre avoir ressenti des tensions « à son égard de la part du personnel » en rentrant d'une semaine de congés prise en juin 2007. Mme [G] [O] indique que l'ancien président M. [V] [L] et la directrice Mme [I] [W] « considéraient Madame [N] comme du petit personnel, lui adressant régulièrement des réflexions ou l'accusant de mettre des choses dans le café », ajoutant « alors que quelques semaines auparavant, tous les membres du personnel mangeaient ensemble, du jour au lendemain, plus personne ne lui parlait, car la Directrice avait réussi à créer une mauvaise ambiance en portant tous les griefs sur le dos de Mme [N] », et « la victime se sentait humiliée et sa santé en souffrait ». M. [D] [T] indique la « SAPIH a ensuite évolué, puis s'est scindée en deux secteurs, dirigés par des directrices désignées. Mme [N] a alors été considérée comme la « cinquième roue du carosse ». Elle en a été très affectée et accusait un stress permanent. Elle a même été accusée d'avoir tenté de déstabiliser l'ensemble du personnel en ayant introduit dans les locaux de l'entreprise une poudre suspecte, alors que l'accusation s'est ensuite révélée farfelue. Le directeur a alors porté plainte pour écarter Mme [N]. Il lui aurait même proposé une prime pour partir alors que l'intéressée voulait travailler jusqu'à 65 ans ». Il convient de préciser que Mme [N] a également déclaré que M. [Z], trésorier de l'association « est venu lui proposer oralement une somme de 10.000 € pour qu'elle prenne sa retraite », que suite à son refus « Mme [N] s'est ensuite vu retirer toutes ses prérogatives (accueil des clients, visites sur les chantiers, gestion du personnel), pour ne plus faire que de l'accueil téléphonique ». L'enquêteur précise que « les directeurs de l'association, Messieurs [L] et [Z] faisaient partie du conseil municipal d'[Localité 2] et se sentaient d'autant plus fort ».

Il ressort des déclarations de la nouvelle présidente, Mme [X], recueillies par l'enquêteur, que de la poudre avait été retrouvée sur tous les postes téléphoniques, sauf celui de Mme [N], et que M. [L] avait déposé plainte contre Mme [N], plainte classée sans suite le 29/05/2009. M. [L] indique à l'enquêteur que « Mme [N] était une dame consciencieuse, qu'il y a pu y avoir de l'animosité dans le personnel, qu'il a toujours eu des difficultés à imaginer que Mme [N] ait pu être responsable de cet acte malveillant ». Si l'employeur était fondé à prendre toute mesure utile pour écarter une possible menace de présence d'anthrax, une plainte nominative contre Mme [N] ne relève pas de ces mesures, alors que l'association SAPIH INSERTION n'avait aucun élément tangible permettant d'incriminer la salariée.

Il ressort donc du rapport administratif que Mme [N] a effectivement été mise à l'écart du personnel. Ce rapport doit être corrélé au certificat du Dr [P] qui relève les « dires » de Mme [N] : « A la date du 2 juin 2007, il lui a été retiré des collaborateurs et des clients avec une mise progressive au « placard » : elle arrête de travailler une semaine pour congés ; à son retour de congés, l'ensemble de son son activité a été bouleversé avec augmentation du sentiment de malaise et de tension à son égard ». Ces déclarations doivent également être mises en rapport avec celles précitées de Mme [O].

Il s'ensuit que l'employeur n'apporte aucun élément quant à l'organisation des services au retour de congés en juin 2007 de Mme [N], tendant à démontrer que cette dernière n'a pas été « mise au placard ». En outre, la procédure pénale et les procès-verbaux d'audition des intéressés ne sont pas versés aux débats. Il n'est donc pas possible de vérifier la teneur des déclarations de Mme [N] qui aurait déclaré le 16 juillet 2007 que « l'ambiance de travail est relativement bonne, même si les Présidents de chaque association mettent toujours nos chiffres en concurrence. Je n'ai personnellement aucun problème avec qui que ce soit au travail ». En toute hypothèse ces déclarations sont remises en cause par l'intéressée à plusieurs reprises et doivent être mises en rapports avec celles de Mme [O] et de M. [T] qui ne sont pas utilement discutées.

Le fait que le tribunal des affaires de sécurité sociale a estimé que la faute inexcusable n'était pas établie, n'a pas d'incidence sur l'appréciation de la présente juridiction quant à l'existence d'un harcèlement moral, qui repose sur un fondement juridique distinct.

Les éléments apportés par l'employeur sont donc insuffisants à établir que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un harcèlement moral qui est démontré .

En vertu de l'article L1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

La rupture du contrat de travail résulte du licenciement pour inaptitude du 30/12/2010, l'ensemble des documents produits par l'intéressée démontrant que l'inaptitude procède d'un syndrome anxio-dépressif résultant de la dégradation de ses conditions de travail. En conséquence, la rupture du contrat de travail est nulle en vertu de l'article L1152-3 du contrat de travail.

Sur les conséquences de la nullité du licenciement

Mme [N] est bien fondée à obtenir paiement de l'indemnité compensatrice de préavis sur la base d'un salaire de 1.854,92 € (juillet 2007), Mme [N] ne produisant pas ses bulletins de paie et n'apportant aucun justificatif permettant de fixer à 1.900 € le salaire moyen.

L'indemnité compensatrice de préavis de trois mois, ce quantum n'étant pas sérieusement discuté, s'établit à 5.564,76 € outre 556,48 € de congés payés afférents.

Il ressort du reçu pour solde de tout compte que Mme [N] a perçu une indemnité de licenciement 6.220,78 €. Sur la base du salaire moyen précité, tel que mentionné par l'employeur sur l'attestation pôle emploi, et compte-tenu d'une ancienneté de 18 ans, l'indemnité de licenciement

s'établit à la somme de 8.656,20 € en application de l'article R1234-2 du code du travail dans sa rédaction applicable. Il subsiste en conséquence un solde de 2.435,42 € en faveur de Mme [N].

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [N], de son âge (63 ans), de son ancienneté (18 ans), de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L.1235-5 du code du travail, une somme de 26.000 € à titre d'indemnité pour licenciement abusif.

Sur le préjudice moral

L'appelante conteste la demande de préjudice moral, indiquant que Mme [N] tente d'obtenir l'indemnité qu'elle n'a pas eue devant le tribunal des affaires de la sécurité sociale. Elle demande de constater l'incompétence matérielle du juge prud'homal pour statuer sur la demande indemnitaire fondée sur le préjudice moral.

Mme [N] indique avoir été extrêmement choquée par la procédure pénale, la dénonciation calomnieuse et le non-soutien de l'association.

Il résulte des développements qui précèdent que Mme [N] a bien été victime de faits de harcèlement moral, qui lui ont causé un préjudice distinct de la perte de son emploi, justifié par les éléments médicaux versés au dossier. La présente juridiction est bien compétente pour connaître de cette demande s'agissant d'un différend s'élevant à l'occasion du contrat de travail. Le préjudice résultant des faits de harcèlement moral sera réparé par une indemnité de 5.000 € de dommages-intérêts.

Sur les autres demandes

Succombant, l'association SAPIH INSERTION supporte les dépens d'appel, les dispositions de première instance étant confirmée.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, il convient d'allouer à Mme [N] une indemnité de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, les dispositions de première instance étant également confirmées.

Il n'y a pas lieu d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage au Pôle emploi au regard des dispositions de l'article L1235-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 10 août 2016.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,

INFIRME le jugement déféré,

Statuant à nouveau, y ajoutant,

DIT que le licenciement de Mme [K] [N] est nul,

CONDAMNE l'association SAPIH INSERTION à payer à Mme [K] [N] les sommes qui suivent :

-5.564,76 € d'indemnité compensatrice de préavis outre 556,48 € de congés payés afférents.

-2.435,42 € de solde d'indemnité de licenciement,

-26.000 € d'indemnité pour licenciement nul,

-5.000 € de dommages-intérêts pour harcèlement moral,

DIT n'y avoir lieu au remboursement des indemnités versées par le Pôle emploi,

DIT que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter du jour où l'employeur a eu connaissance de leur demande, soit à réception de la convocation devant le bureau de conciliation, et les sommes à caractère indemnitaire, à compter du présent arrêt,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

CONDAMNE l'association SAPIH INSERTION à payer à Mme [K] [N] une indemnité de 2.000 € en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'association SAPIH INSERTION aux dépens d'appel.

LE GREFFIER

Serge LAWECKI

POUR LE PRESIDENT EMPECHE

Muriel LE BELLEC


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale c salle 3
Numéro d'arrêt : 17/01103
Date de la décision : 27/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-27;17.01103 ?
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