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05/05/2022 | FRANCE | N°20/02568

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 05 mai 2022, 20/02568


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 05/05/2022





****





N° de MINUTE :

N° RG 20/02568 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCLQ



Jugement (N° 19/01996)

rendu le 30 juin 2020 par le tribunal de grande instance de Dunkerque







APPELANT - INTIMÉ (dans la procédure N° RG : 20/2881)



Monsieur [N] [R]

né le 22 novembre 1969 à Thonon-les-Bains (74200)

dem

eurant 195 chemin du Grand Nant

74580 Viry



représenté par Me Hugues Senlecq, avocat au barreau de Dunkerque





INTIMÉE - APPELANTE (dans la procédure N° RG : 20/2881)



La SARL LD Concept

prise en la personne...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 05/05/2022

****

N° de MINUTE :

N° RG 20/02568 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCLQ

Jugement (N° 19/01996)

rendu le 30 juin 2020 par le tribunal de grande instance de Dunkerque

APPELANT - INTIMÉ (dans la procédure N° RG : 20/2881)

Monsieur [N] [R]

né le 22 novembre 1969 à Thonon-les-Bains (74200)

demeurant 195 chemin du Grand Nant

74580 Viry

représenté par Me Hugues Senlecq, avocat au barreau de Dunkerque

INTIMÉE - APPELANTE (dans la procédure N° RG : 20/2881)

La SARL LD Concept

prise en la personne de son gérant Monsieur [P] [M]

ayant son siège social 11, rue Latérale

59189 Steenbecque

représentée par Me Pierre Cortier, membre de la SCP Debeugny-Cortier, avocat au barreau de Dunkerque

assistée de Me Martin Janneau, avocat au barreau de Paris, substitué à l'audience par Me Ludovic Bodier, avocat au barreau de Paris

DÉBATS à l'audience publique du 31 janvier 2022 tenue par Céline Miller magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Christine Simon-Rossenthal, présidente de chambre

Emmanuelle Boutié, conseiller

Céline Miller, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 5 mai 2022 après prorogation du délibéré du 31 mars 2022 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Christine Simon-Rossenthal, présidente et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 06 janvier 2022

****

La SARL LD Concept a pour activité la fabrication de carrosseries et de remorques.

Le 11 octobre 2017, M. [N] [R] a passé commande d'un véhicule Renault trafic mis en circulation la première fois le 21 février 2013, ayant fait l'objet d'une modification par la société LD Concept, qui y a installé un caisson arrière de nature à le destiner à la restauration ambulante, pour un montant de 32 228,40 euros.

La livraison du véhicule est intervenue le 6 novembre 2017.

Alléguant l'existence de désordres affectant l'étanchéité du caisson découverts un peu plus d'un mois après la livraison, ayant justifié l'établissement d'un devis de reprise à hauteur de 3 622,50 euros HT et arguant de l'absence d'accord amiable possible avec la SARL LD Concept malgré une mise en demeure du 15 mai 2018, M. [R] a saisi le juge des référés pour obtenir l'organisation d'une mesure d'expertise judiciaire du véhicule.

Il a été fait droit à sa demande et, par ordonnance du 11 octobre 2018, M. [O] a été désigné en qualité d'expert. Le rapport d'expertise a été déposé le 2 juillet 2019.

Par acte d'huissier du 16 septembre 2019, M. [R] a fait assigner la SARL LD Concept devant le tribunal judiciaire de Dunkerque aux fins d'obtenir la résolution de la vente et la condamnation de la SARL LD Concept au paiement de diverses sommes.

Par jugement du 30 juin 2020, le tribunal judiciaire de Dunkerque a :

Prononcé la résolution de la vente du véhicule Renault trafic immatriculé CR-323-AZ conclue le 11 octobre 2017 entre M. [N] [R] et la SARL LD Concept ;

Condamné la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] la somme de 33 984 euros au titre du remboursement du prix du véhicule ;

Dit que M. [N] [R] devra, dès remboursement du prix, tenir le véhicule Renault trafic à disposition de la SARL LD Concept qui devra venir le reprendre, à ses frais, dans le lieu qui lui sera indiqué ;

Condamné la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] les sommes de 1 339,35 euros et 341,76 euros à titre de dommages et intérêts au titre des frais d'assurance et des frais de carte grise ;

Débouté M. [N] [R] de sa demande d'expertise comptable ;

Débouté M. [N] [R] de ses demandes au titre des frais de transport et d'hébergement, au titre du préjudice économique, de la perte de chance et du préjudice moral ;

Condamné la SARL LD Concept aux dépens, en ce compris les frais de l'expertise judiciaire ;

Condamné la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] la somme de 2 500 euros (en ce compris les frais d'expertise amiable) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Ordonné l'exécution provisoire.

Monsieur [N] [R] et la SARL LD Concept ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 11 février 2021, Monsieur [N] [R] demande à la cour de :

Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a :

Prononcé la résolution de la vente du véhicule Renault trafic immatriculé CR-323-AZ conclue le 11 octobre 2017 entre M. [N] [R] et la SARL LD Concept ;

Condamné la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] la somme de 33 984 euros au titre du remboursement du prix du véhicule ;

Dit que M. [N] [R] devra, dès remboursement du prix, tenir le véhicule Renault trafic à disposition de la SARL LD Concept qui devra venir le reprendre, à ses frais, dans le lieu qui lui sera indiqué ;

Condamné la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] les sommes de 1 339,35 euros et 341,76 euros à titre de dommages et intérêts au titre des frais d'assurance et des frais de carte grise,

- Le réformer pour le surplus.

En conséquence et y ajoutant,

Condamner la société LD Concept au paiement des sommes suivantes :

Frais d'assurance (2018) : 1 339,35 euros,

Frais expertise amiable : 121 euros HT,

Transport et hébergement nécessaires durant l'expertise amiable : 426,08 euros,

Préjudice économique : 57 312,44 euros sur la base de la perte de chance pour M. [R] de développer une activité commerciale sur les années 2017 à 2020,

Condamner la société LD Concept au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre d'indemnisation du préjudice moral subi par M. [R],

A titre subsidiaire, désigner tel expert qu'il plaira afin de déterminer et d'évaluer le préjudice économique subi par M. [R] à raison de la privation de son fonds de commerce durant la période d'immobilisation du véhicule,

La condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais et honoraires exposés par M. [R],

La condamner au paiement de la même somme pour les frais irrépétibles exposés devant la cour,

Condamner la société LD Concept en tous les dépens en ce compris les honoraires de l'expert.

Au soutien de ses prétentions, il fait essentiellement valoir qu'il a fait l'acquisition du véhicule litigieux en vue de développer une activité foraine qu'il avait très sérieusement étudiée et préparée. Il ajoute qu'il ne s'est rendu compte des infiltrations dans le caisson arrière du véhicule qu'au bout d'un mois en raison des préparatifs matériels et administratifs nécessaires avant la mise en service du véhicule. Il fait valoir que les infiltrations rendent le véhicule impropre à sa destination, ce qui a été confirmé par les expertises successives ; que le vendeur ne lui a fait aucune proposition sérieuse de réparation et a refusé de l'indemniser de son préjudice immatériel alors qu'il était privé de son outil de travail depuis 2017 ; que le vice est suffisamment grave pour justifier de l'action rédhibitoire prévue à l'article 1641 du code civil puisque le devis de réparation représente plus de 60 % de la valeur du caisson arrière (5 856 euros).

Il soutient encore que les défauts liés aux réparations de la carrosserie ne peuvent être qualifiés de vices apparents, contrairement à ce qu'a précisé l'expert, puisqu'il s'agit de réparations destinées à masquer les conséquences d'un accident et qui ne sont pas conformes aux prescriptions du constructeur, ce qu'il ignorait totalement.

Il ajoute qu'au visa de l'article 1643 du code civil, les conditions générales lui sont inopposables en ce qu'elles diminuent les garanties légales dès lors qu'il est certes professionnel mais dans une spécialité différente, et doit donc à ce titre être assimilé à un profane ; qu'en sa qualité de professionnel, la société LD Concept est présumée connaître les vices affectant le véhicule et qu'elle est dès lors tenue, sur le fondement de l'article 1645 du code civil, outre à la restitution du prix, à tous les dommages et intérêts envers l'acquéreur.

A cet égard, il sollicite tant l'indemnisation des dépenses induites par la vente (frais d'assurance, d'expertise amiable et de carte grise) que de son préjudice économique lié à l'impossibilité d'utiliser le véhicule et au refus de la société LD Concept de reconnaître ses responsabilités et de trouver une solution amiable qui lui aurait permis de récupérer le prix de vente du véhicule pour réinvestir dans un nouveau véhicule, ce préjudice consistant en une perte de chance de développer une clientèle et le chiffre d'affaire y afférent. Il soutient qu'il a fait la preuve de ses qualifications et compétences professionnelles, qu'il a évalué de manière sérieuse son chiffre d'affaire prévisionnel sur 3 ans entre 2017 et 2020 à 71 640,55 euros, que son préjudice de perte de chance d'obtenir de tels résultats peut être estimé à 80%, soit un préjudice économique qui peut être évalué à 57 312,44 euros et enfin qu'il n'a pas été indemnisé par son assureur au titre du sinistre déclaré.

Il ajoute qu'il souffre d'un préjudice moral après avoir investi en pure perte la somme de 50 000 euros dans son projet commercial, ce préjudice pouvant être évalué à 5 000 euros

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 8 janvier 2021, la société LD Concept demande à la cour de :

A titre principal,

Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Dunkerque;

Rejeter l'ensemble des demandes présentées par Monsieur [N] [R] ;

Dire et juger recevable et bien fondée la société LD Concept en toutes ses demandes ;

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour confirmerait l'existence de vices cachés en dépit des termes du rapport d'expertise,

- Débouter M. [R] de sa demande de résolution judiciaire de la vente sur le fondement de l'article 1641 du code civil, conformément à l'article 1643 du code civil et compte tenu de l'opposabilité des conditions générales de vente de la société LD Concept à M. [R].

A titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour confirmerait l'existence de vices cachés et la résolution judiciaire de la vente sur le fondement de l'article 1641 du code civil en dépit des termes du rapport d'expertise,

- Débouter M. [R] de sa demande de dommages et intérêts conformément à l'article 1644 du code civil,

En tout état de cause :

Condamner M. [N] [R] au paiement de la somme de 3 500 euros au bénéfice de la société LD Concept sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner M. [N] [R] aux entiers dépens ;

Ordonner l'exécution provisoire sur le tout par application des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile.

Elle conteste tout d'abord l'existence des vices cachés allégués dès lors que l'expert judiciaire n'évoque à aucun moment dans son rapport des vices cachés, mais plutôt des malfaçons et non façons apparents, lesquels auraient pu aisément être solutionnées si M. [R] avait accepté les propositions amiables de la société LD Concept. Elle souligne que les vices cachés allégués et constatés par le tribunal étaient tous visibles à l'oeil nu ; que le véhicule, qui a été accidenté par le passé, a été vendu d'occasion à M. [R], ce qu'il savait pertinemment ; qu'il incombait à M. [R] de faire preuve d'un minimum d'attention, notamment s'agissant d'un véhicule d'occasion dont la vétusté n'est pas un vice.

Elle soutient ensuite que M. [R] est d'autant moins fondé à demander la résolution de la vente du véhicule que l'inexécution qu'il reproche à la société LD Concept lui est imputable du fait de son comportement ayant rendu impossible la mise en oeuvre de la garantie contractuelle et de ses multiples refus de régler leur différend à l'amiable, conformément aux conditions générales de vente. Elle fait valoir qu'à la suite des deux expertises amiables organisées entre les parties les 1er janvier et 5 février 2018, elle a proposé le 12 février 2018 à M. [R] d'opter entre la remise en conformité du véhicule dans ses ateliers, ainsi que prévu dans ses conditions générales, et le dédommagement du coût de la prise en charge des réparations dans son atelier ; que M. [R] a mis près de six mois pour refuser cette proposition et solliciter la désignation d'un expert judiciaire ; qu'elle n'a pas contesté les malfaçons et non-façons relevées lors de cette expertise et a même proposé, aux termes de son dire, de prendre en charge le coût de la remise en état, ce qui a été refusé par M. [R] ; que M. [R] ayant stocké le véhicule à l'extérieur sans protection et sans entretien pendant plus de deux ans, celui-ci s'est par la suite encore dégradé.

Elle ajoute que la demande de résolution formulée par M. [R] ne vise qu'à permettre à celui-ci de faire peser sur la société LD Concept le poids de sa renonciation à son projet d'activité commerciale de restauration ambulante de type 'food truck' et de sauces artisanales pour laquelle il réclame des dommages et intérêts disproportionnés et non justifiés.

A titre subsidiaire, si la cour retenait l'existence de vices cachés en dépit du rapport d'expertise, elle soutient que la résolution judiciaire de la vente ne pourrait être ordonnée sur le fondement de l'article 1641 du code civil, conformément aux dispositions de l'article 1643 du code civil et compte tenu de l'opposabilité de ses conditions générales de vente à M. [R].

Enfin, à titre infiniment subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour ordonnerait la résolution judiciaire de la vente sur le fondement de l'article 1641 du code civil en dépit des termes du rapport d'expertise, elle soutient qu'il ne pourrait être alloué aucun dommages et intérêts à M. [R] conformément à l'article 1644 du code civil. Elle fait valoir que compte tenu de l'absence de vices cachés et de l'opposabilité des conditions générales de vente à M. [R] prévoyant une garantie contractuelle de trois mois, elle ne saurait être tenue pour responsable passé ledit délai des préjudices allégués et du coût des réparations. Elle ajoute que la demande de M. [R] concernant le préjudice économique qu'il allègue porte sur un préjudice virtuel et hypothétique, étayé par aucun élément probant (comptes de résultat, bilans, factures, etc...), et fondé uniquement sur un prévisionnel fantaisiste établi par lui-même ; qu'en réalité, M. [R] a visiblement abandonné son projet d'activité commerciale de sauces artisanales et qu'il s'est d'ailleurs fait radier du registre des métiers six mois seulement après l'achat du véhicule ; qu'il pourrait tout au plus, sous réserve de l'existence avérée de vices cachés et de la preuve de leur connaissance par la société LD Concept avant la vente, réclamer une indemnisation au titre de ses six premiers mois d'activité, à la condition de produire des éléments probants, ce qu'il ne fait pas, alors qu'il a mis plus de six mois à répondre à la proposition amiable de réparation de la société LD Concept formulée dès le 10 février 2018 ; qu'il ne démontre pas le caractère certain de son préjudice ; qu'il paraît surprenant que sa perte d'activité alléguée n'ait pas été prise en charge par son assurance, ce dont il doit justifier. Elle soutient enfin que M. [R] ne rapporte pas la preuve de la réalité du préjudice moral qu'il allègue et que la demande formulée au titre du remboursement des frais engagés lors de l'expertise amiable fait double emploi avec la demande formulée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle précise pour la bonne information de la cour qu'elle s'est vu restituer le véhicule en très mauvais état après de nombreuses relances, qu'elle a dû procéder à sa remise à neuf, qu'elle n'est cependant toujours pas en possession de la carte grise du véhicule, M. [R] ne la lui ayant pas transmise.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il sera renvoyé à leurs dernières conclusions écrites, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande principale en résolution de la vente pour vices cachés

Sur l'existence de vices cachés

Aux termes des dispositions de l'article 1641 du code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus.

Il incombe à l'acquéreur de rapporter la preuve du vice caché et de ses différents caractères. Il doit ainsi établir que la chose vendue est atteinte d'un vice :

- inhérent à la chose et constituant la cause technique des défectuosités,

- présentant un caractère de gravité de nature à porter atteinte à l'usage attendu de la chose,

- existant antérieurement à la vente, au moins en l'état de germe,

- n'étant, au moment de la vente, ni apparent ni connu de lui, le vendeur n'étant pas tenu ' des vices apparents et dont l'acheteur a pu se convaincre lui-même' conformément à l'article 1642 du code civil,

- et d'une importance telle que s'il en avait eu connaissance, il n'aurait pas acquis le véhicule ou n'en aurait offert qu'un moindre prix.

L'article 1643 ajoute que le vendeur est tenu des vices cachés, quand même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie.

M. [R] a passé commande, le 11 octobre 2017, auprès de la SARL LD Concept, d'un véhicule d'occasion Renault Trafic avec divers aménagements destinés à le transformer en 'foodtruck', pour un montant total de 32 228,40 euros TTC. Suivant devis du 12 octobre 2017 ne portant pas la mention de l'acceptation du client sont également prévus la fourniture et l'installation d'un groupe électrogène, d'un système d'alimentation autonome, d'un espace encaissement et d'un kit sécurité, pour un montant de 1 755,60 euros TTC.

Le bon de livraison daté du 27 octobre 2017 mais avec une mention manuscrite rectificative mentionnant le 6 novembre 2017 reprend l'ensemble des équipements livrés pour montant total de 33 984 euros TTC, avec pour seule réserve l'expédition des deux frigos.

Par courrier recommandé du 14 décembre 2017 adressé à la SARL LD Concept, M. [R] s'est plaint de l'apparition d'infiltrations d'eau dans le véhicule suite à la survenance d'intempéries plus d'un mois après la vente, faisant valoir que malgré l'attention normale qu'il a pu porter au véhicule lors de la livraison du bien, il ne pouvait pas déceler ce vice sur le véhicule et, compte tenu de la gravité du vice, sollicitant l'annulation de la vente et le remboursement intégral de la somme versée.

Par courrier du 18 décembre 2017, le gérant de la société LD Concept a rejeté la qualification de vice caché invoquée par M. [R] et refusé sa demande de résolution de la vente, proposant un réglage des problèmes d'étanchéité dans ses ateliers avec une immobilisation du véhicule pour une durée prévisible de deux heures, ou le suivi technique du contrôle d'étanchéité par un garagiste au choix de M. [R].

Les désordres déplorés ont été successivement objectivés dans le cadre de deux expertises amiable et judiciaire.

Le cabinet Sambre assurances, mandaté par la protection juridique de M. [R], relève dans son rapport du 23 mars 2018, dont les opérations ont été effectuées au contradictoire de la société LD Concept, que :

- le pare-brise est fissuré,

- les panneaux arrière du caisson sont bombés,

- la porte arrière du caisson ne plaque pas contre le panneau,

- les plans de travail à l'intérieur du caisson sont trop grands, ce qui entraîne une déformation des panneaux arrière,

- le déport de cheminée trop petit entraîne une infiltration d'eau par le toit du caisson arrière,

- un devis de remise en conformité a été établi par le réparateur Delberg carrosserie pour un montant de 3 622,50 euros HT.

L'expert conclut que le problème d'infiltration d'eau par l'arrière du véhicule provient d'une déformation des panneaux arrières suite à un défaut de conception du caisson arrière, les dimensions des tables intérieures étant trop importantes, ce qui entraîne un décollement des portes arrières sur ce même panneau et donc une infiltration d'eau.

Il ajoute que la responsabilité de la société LD Concept peut être recherchée mais qu'aucun accord n'a pu être trouvé entre les parties, la société LD Concept proposant de prendre en charge les réparations dans son atelier sans prendre en charge les frais de transport (alors que M. [R] habite dans une autre région) ou suivant une indemnisation à hauteur de 684,95 euros HT, laquelle est très nettement inférieure au devis proposé par l'établissement Delberg carrosserie.

Le rapport d'expertise judiciaire de M. [O], déposé le 2 juillet 2019, mentionne les désordres suivants :

* S'agissant de la carrosserie :

'Un état général, impliquant des déformations et des défauts de la carrosserie liés à son utilisation antérieure à la cession entre les parties (il est à noter que certaines remises en état ne sont en rien conformes aux spécifications d'origine du constructeur et aux règles appliquées dans la réalisation d'un tel ouvrage)'.

L'expert souligne cependant le caractère visuel et palpable de ces défauts, et indique qu'un examen approfondi avant la cession entre les parties aurait permis une prise en compte plus précise de son état.

La cour relève ainsi, à l'instar du premier juge, que compte tenu de leur caractère apparent, ces désordres ne sont pas susceptibles de justifier la résolution de la vente sur le fondement de l'article 1641 du code civil, quand bien même les remises en état du véhicule effectuées par la société LD Concept ne seraient pas conformes aux spécifications d'origine du constructeur.

* S'agissant de la construction de la cellule :

'La construction de la cellule laisse apparaître des défaillances qui peuvent être liées au titre de la non-façon pour certains et de la malfaçon pour d'autres, soit :

- Une non-façon en raison de l'absence de rebords sur l'embase du chapeau de la hotte d'aspiration générant in fine une entrée d'eau dans la cellule en cas de pluie ou de nettoyage du pavillon,

- Des malfaçons caractérisées par une longueur inadéquate du plan de travail principal (dimension inappropriée à la distance entre le fond de cellule et la face arrière de cellule) générant de ce fait un appui ponctuel et un gauchissement de la face arrière de la cellule (cette défectuosité entraîne également un défaut de planéité de la porte arrière). En complément, nous avons également relevé une craquelure des joints de sertissage sur la périphérie du chapeau de la hotte d'aspiration.

Au regard des conséquences induites par la non-façon et les malfaçons, nous pouvons confirmer l'impropriété dudit véhicule.'

Il résulte du caractère technique de ces constatations que les non-façons et malfaçons ainsi caractérisées par l'expert, lequel a également relevé que M. [N] [R] devait être considéré, au regard de son profil, comme un profane en manière automobile, ne pouvaient être appréhendées par celui-ci lors d'un examen normalement diligent du véhicule au moment de la livraison de celui-ci, étant ici rappelé que les infiltrations conséquences de ces non-façon et malfaçons ne se sont révélées qu'un mois plus tard, à la faveur de précipitations et que M. [R] ne pouvait en conséquence les appréhender lors de la vente.

Par ailleurs, ces désordres sont de nature à rendre le véhicule objet de la vente impropre à sa destination, ainsi que l'a relevé l'expert.

Enfin, l'expert ayant chiffré le coût des réparations nécessaires à la reprise des désordres à la somme de 4 007,40 euros, il apparaît évident que si l'acquéreur avait connu l'existence de ceux-ci avant la vente, il n'aurait pas acquis le véhicule ou n'en aurait donné qu'un moindre prix.

La preuve est donc rapportée de l'existence de vices cachés affectant le véhicule objet de la vente.

Sur la demande en résolution de la vente

Aux termes de l'article 1644 du code civil, dans le cas des articles 1641 et 1643, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix, ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix.

Ainsi que l'a pertinemment relevé le premier juge, la stipulation dans les conditions générales d'une garantie contractuelle de trois mois concernant la cellule du véhicule objet de la vente n'exclut en rien la garantie des vices cachés.

Par ailleurs, le contrat de vente conclu entre les parties ne comporte pas de clause d'exclusion de la garantie des vices cachés en application de l'article 1643, laquelle ne serait en tout état de cause pas opposable à M. [R] en sa qualité d'acquéreur profane en matière automobile, alors que la société LD Concept, en sa qualité de professionnelle du carrossage automobile, est présumée avoir eu connaissance du vice.

Dès lors, M. [R], qui disposait d'une option légale entre la résolution de la vente avec restitution du véhicule et du prix de vente et la conservation du véhicule avec restitution d'une partie du prix de vente, est bien fondé, compte tenu de l'existence avérée de vices cachés, à solliciter la résolution de la vente avec toutes ses conséquences de droit.

La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a prononcé la résolution de la vente du véhicule litigieux, condamné la SARL LD Concept à payer à M. [R] la somme de 33 984 euros au titre du remboursement du prix du véhicule litigieux et dit que M. [N] [R] devra, dès remboursement du prix, tenir le véhicule Renault trafic à la disposition de la SARL LD Concept, à charge pour celle-ci de venir le chercher à ses frais dans le lieu qui lui sera indiqué.

Sur les demandes complémentaires de dommages et intérêts

Aux termes de l'article 1645 du code civil, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

L'article 1646 ajoute que si le vendeur ignorait les vices de la chose, il ne sera tenu qu'à la restitution du prix, et à rembourser à l'acquéreur les frais occasionnés par la vente.

A cet égard, le vendeur professionnel étant tenu de connaître les vices de la chose, sa bonne foi ne l'exonère pas de l'obligation de verser à l'acquéreur des dommages et intérêts à titre compensatoire.

L'extrait Kbis de la société LD Concept fait état de l'activité suivante : 'Fabrication, vente de carrosseries, de remorques, de triporteurs, location de remorques, agencement de véhicules magasins et de magasins, maintenance et réparation de remorque, vente de véhicules neufs ou d'occasion, acquisition de biens immobiliers pour les besoins de l'exploitation du ou des fonds de commerce de la société.'

Ainsi que l'a justement relevé l'expert judiciaire, la société LD Concept est compétente et professionnelle en matière de conception et de réparation automobile, de sorte qu'elle doit être présumée avoir eu connaissance des vices cachés affectant le véhicule et qu'elle doit être tenue, outre à la restitution du prix, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur.

* Sur les frais d'assurance, de carte grise et d'expertise amiable

M. [N] [R] justifie du paiement d'une indemnité d'assurance d'un montant de 1 302,90 euros HT au titre de l'assurance du véhicule litigieux pour la période du 6 novembre 2017 au 31 octobre 2018.

La décision déférée sera donc infirmée en ce qu'elle a condamné la société LD Concept à lui payer la somme de 1 339,35 euros et statuant à nouveau, la société LD Concept sera condamnée à lui payer la somme de 1 302,90 euros à ce titre.

La décision déférée sera par ailleurs confirmée en ce qu'elle a condamné la société LD Concept à payer à M. [R] la somme de 341,76 euros au titre des frais de carte grise dûment justifiés aux débats.

Les frais d'expertise amiable (121 euros HT) et de transport et d'hébergement pendant l'expertise amiable (426,08 euros ) doivent être inclus dans les sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La cour observe cependant, à l'instar du premier juge, que les frais de transport et d'hébergement engagés pendant l'expertise amiable ne sont pas justifiés.

La décision déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté M. [R] de sa demande au titre de ces frais, les frais d'expertise amiable étant pour leur part inclus dans les sommes devant être allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

* Sur le préjudice économique allégué

M. [N] [R] sollicite l'indemnisation de son préjudice économique lié à sa perte de chance de développer son activité artisanale de vendeur ambulant de type 'foodtruck', qu'il évalue à 80 % du chiffre d'affaire potentiel qu'il aurait pu effectuer en vertu de ses projections pour les trois exercices de 2017 à 2020.

La SARL LD Concept soutient que ce préjudice est hypothétique et ne se fonde sur aucun élément fiable et probant, la seule projection établie par M. [R] pour ses propres besoins étant insuffisante à cet effet, et aucun chiffre d'affaire n'ayant été dégagé par M. [R] dans les premiers mois de son activité. Elle souligne également que M. [R] s'est fait radier du registre des métiers à peine six mois après l'acquisition du véhicule litigieux, démontrant sa volonté d'abandonner son projet professionnel.

Pour écarter la demande de M. [R], le premier juge a retenu que celui-ci ne justifiait aucunement de sa situation actuelle alors même qu'il apparaissait qu'il avait abandonné son projet d'activité dans le camion acheté dès le mois de juin 2018 ; que sa demande était fondée sur une seule pièce, à savoir une étude prévisionnelle élaborée par ses soins pour une activité d'artisan saucier, prévoyant un chiffre d'affaire de 5 880 euros par mois sans être fondée sur aucune étude de marché ni description précise de l'activité envisagée, des produits destinés à être vendus, des lieux de vente envisagés, même s'il était justifié d'une demande d'emplacement sur un marché ; que M. [R] ne justifiait même pas qu'il avait débuté son activité, nonobstant les difficultés rencontrées par le camion, puisqu'il ne produisait aucun élément concernant les ventes qu'il aurait pu réaliser avant de signaler les problèmes d'infiltrations à son vendeur.

Cependant, la cour observe que M. [R] justifie en cause d'appel, outre de l'étude financière prévisionnelle sur trois ans produite en première instance, d'une étude de marché réalisée par ses soins pour le développement de son activité d'artisan saucier ambulant détaillant l'activité envisagée, les lieux de vente envisagés (marchés), les recettes et coût de production des produits destinés à être vendus.

Il produit également la preuve de sa demande d'emplacement de marché à Annemasse en date du 27 novembre 2017, de sa déclaration en Préfecture en date du 20 novembre 2017 pour son activité artisanale de vente de sauces sur les marchés d'Annemasse, Gaillard, Thonon les bains, Collonge sous Salève et de ses achats de divers matériels de cuisine et électroménagers nécessaires à l'équipement de son camion ainsi que, suivant facture en date du 5 décembre 2017, des ingrédients nécessaires à la préparation des sauces.

Or, il résulte des éléments versés aux débats que la date de découverte des désordres d'infiltration par M. [R] se situe aux alentours du 11 décembre 2017 et qu'il a alors effectué des réclamations téléphoniques puis par courrier à son vendeur.

Dès lors, il n'est pas surprenant, étant établi que les désordres en cause rendaient le véhicule impropre à sa destination, ainsi que l'a relevé l'expert judiciaire, que M. [R] ne soit pas en mesure de justifier d'un chiffre d'affaire effectif et son préjudice économique, dont la cour estime au contraire du premier juge qu'il est suffisamment établi, doit s'analyser en un préjudice de perte de chance de revenus professionnels.

Pour autant, il apparaît que M. [R] ayant demandé sa radiation du registre des métiers dès le mois de juin 2018, il avait alors renoncé à son projet d'activité d'artisan saucier, et son préjudice de perte de chance doit donc être limité à la période de décembre 2017 à juin 2018.

Compte tenu d'une part, que cette période aurait été une période de démarrage d'activité et d'autre part que le revenu perçu par M. [R] n'aurait pas été son chiffre d'affaires mais sa marge brute, il convient par ailleurs de modérer l'évaluation de la perte de chance effectuée par M. [R] à 30 % du chiffre d'affaire projeté sur cette période, soit : (21 790,16 /12 x7) x 30 % = 3 813,35 euros.

La décision déférée sera donc infirmée en ce qu'elle a débouté M. [R] de sa demande d'indemnisation de son préjudice économique et statuant à nouveau, la SARL LD Concept sera condamnée à lui payer la somme de 3 813,35 euros à ce titre.

* Sur le préjudice moral

Il résulte des éléments versés aux débats que, ne parvenant pas à obtenir la résolution amiable de la vente et la restitution du prix versé qui lui aurait permis, le cas échéant, de racheter un nouveau véhicule, M. [R] a abandonné son projet d'activité de vente artisanale en juin 2018, et cela alors qu'il avait engagé des fonds personnels important non seulement pour l'acquisition du camion, mais également de tout l'équipement de cuisine nécessaire à son activité et qu'à l'âge de 50 ans, ses perspectives d'emploi devenaient plus limitées.

La cour observe par ailleurs que ce n'est qu'à la suite du jugement de première instance intervenu le 30 juin 2020, soit près de trois ans après la vente, que M. [R] a obtenu la restitution des fonds investis dans l'achat du véhicule litigieux, alors que les désordres affectant le véhicule avaient été objectivés dès 2018.

Dès lors, il apparaît justifié de lui allouer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral lié à l'abandon de son projet professionnel, la décision déférée étant infirmée en ce qu'elle l'avait débouté de sa demande à ce titre.

Sur les autres demandes

Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et de l'article 700 du code de procédure civile.

La SARL LD Concept succombant en cause d'appel, sera tenue aux entiers dépens.

Il n'apparaît par ailleurs pas inéquitable de la condamner à payer à M. [R] la somme de 2 500 euros aux titre de ses frais irrépétibles d'appel et de la débouter de sa propre demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a :

- Condamné la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] la somme de 1 339,45 euros au titre des frais d'assurance ;

- Débouté M. [N] [R] de ses demandes au titre du préjudice économique, de la perte de chance et du préjudice moral ;

Statuant à nouveau,

Condamne la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] la somme de 1 302,90 euros au titre des frais d'assurance ;

Condamne la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] la somme de 3 813,35 euros au titre de son préjudice économique résultant de sa perte de chance de développer son activité commerciale;

Condamne la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] la somme de 1 000 euros au titre de son préjudice moral ;

Confirme le jugement pour le surplus de ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la SARL LD Concept aux entiers dépens d'appel ;

Condamne la SARL LD Concept à payer à M. [N] [R] la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SARL LD Concept de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier,La présidente,

Delphine Verhaeghe.Christine Simon-Rossenthal.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 20/02568
Date de la décision : 05/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-05;20.02568 ?
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