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29/05/2020 | FRANCE | N°17/02392

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 2, 29 mai 2020, 17/02392


ARRÊT DU

29 Mai 2020







N° 437/20



N° RG 17/02392 - N° Portalis DBVT-V-B7B-Q32V



BR/NB







RO



































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LENS

en date du

28 Juin 2017

(RG F 15/00595 -section 2)







































GROSSE :



aux avocats



le 29 Mai 2020





République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-





APPELANTE :



SAS DUPONT RESTAURATION

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de...

ARRÊT DU

29 Mai 2020

N° 437/20

N° RG 17/02392 - N° Portalis DBVT-V-B7B-Q32V

BR/NB

RO

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de LENS

en date du

28 Juin 2017

(RG F 15/00595 -section 2)

GROSSE :

aux avocats

le 29 Mai 2020

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

SAS DUPONT RESTAURATION

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Loïc LE ROY, avocat au barreau de DOUAI, assisté de Me Benjamin LOUZIER, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Diane BUISSON, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ :

M. [T] [U]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Bérengère LECAILLE, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS :à l'audience publique du 10 Mars 2020

Tenue par Béatrice REGNIER

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Aurélie DI DIO

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Stéphane MEYER

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Béatrice REGNIER

: CONSEILLER

Patrick REMY

: CONSEILLER

Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 27 mars 2020 au 29 mai 2020 en raison de la crise sanitaire en France.

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mai 2020,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Stéphane MEYER, Président et par Valérie COCKENPOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 1er avril 2019, avec effet différé jusqu'au 25 février 2020

M. [T] [U] a été engagé dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée le 1er janvier 2005, avec reprise d'ancienneté au 1er avril 1995, par la SAS Dupont Restauration en qualité de cuisiner.

Dans le dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste de chef de cuisine et était affecté à [Localité 4].

Il a fait l'objet de plusieurs sanctions disciplinaires.

Il a été placé en arrêt de travail pour maladie du 14 juin au 7 juillet 2013 puis à compter du 13 septembre 2013.

Le 29 janvier 2014, le médecin du travail a estimé que son arrêt de travail n'était plus justifié et indiqué qu'il ne percevrait plus d'indemnités journalières à compter du 24 février 2014, ce dont il a informé son employeur le 20 février en lui communiquant son dernier arrêt de travail jusqu'au 16 mars et lui demandant d'organiser une visite médicale de reprise.

Au terme des deux visites de reprise des 24 mars et 9 avril 2014, le médecin du travail l'a déclaré inapte à son poste mais apte à un poste de cuisinier sur un site proche de son domicile si possible en débutant à mi-temps thérapeutique.

Le 9 avril 2014, il a saisi le conseil de prud'hommes de Lens de demandes tendant notamment à la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Après avoir été convoqué le 6 mai 2014 à un entretien préalable fixé au 19 mai suivant, il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement le 22 mai 2014.

Par jugement du 28 juin 2017, le conseil de prud'hommes a :

- déclaré irrecevables comme prescrites les demandes aux fins de paiement des heures supplémentaires accomplies avant le 31 mars 2009 ;

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [U] à la date du 22 mai 2014 et dit qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné la SAS Dupont Restauration à payer à M. [U] les sommes de :

- 42 802,14 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires non rémunérées au cours de la période allant d'avril 2009 à septembre 2013,

- 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 2 277,71 euros à titre de régularisation de l'indemnité de licenciement,

- 4 954,72 euros, outre 495,47 euros de congés payés, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 37 160,40 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 073,52 euros outre 107,35 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire pour non-reprise de versement du salaire du 9 au 22 mai 2014,

- 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que les condamnations emportent intérêts au taux légal à compter de la date de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation pour les sommes de nature salariale et à compter de la décision pour les autres sommes ;

- ordonné à la SAS Dupont Restauration de délivrer à M. [U] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conformes aux dispositions du jugement ;

- débouté M. [U] du surplus de ses demandes.

Par déclaration du 18 juillet 2017, la SAS Dupont Restauration a interjeté appel du jugement.

Par conclusions enregistrées le 30 novembre 2018, la SAS Dupont Restauration demande à la cour d'infirmer le jugement déféré, de débouter M. [U] de l'ensemble de ses réclamations et de le condamner à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle soutient que :

- M. [U] n'a pas accompli d'heures supplémentaires non rémunérées ; que les décomptes produits par l'intéressé ne sont pas fiables, que le calcul qu'il a opéré ne tient pas compte de l'accord d'annualisation du temps de travail - lequel implique que les heures supplémentaires soient décomptées sur l'année - et que ce n'est qu'en juin 2013 qu'il a prétendu avoir réalisé des heures supplémentaires ;

- M. [U] n'a pas été victime de faits de harcèlement moral ;

- aucun manquement ne peut lui être reproché ; qu'en tout état de cause les faits reprochés par le salarié ne sont pas contemporains de la demande de résiliation judiciaire et n'ont pas empêché la poursuite du contrat de travail ;

- le licenciement pour inaptitude n'est pas dépourvu de cause réelle et sérieuse en ce que :

- l'inaptitude n'a aucun lien avec les conditions de travail de M. [U] ou encore un manquement de l'entreprise ;

- elle n'a pas failli à son obligation de reclassement ; que 11 postes ont été offerts à M. [U] au titre du reclassement et que, aucun poste n'étant proche de son domicile, elle a proposé de prendre en charge ses frais de déménagement ;

- les photographies de M. [U] se trouvant sur le site internet de la société ont été retirées dès que l'intéressé l'a mise en demeure de le faire ; qu'au surplus le salarié n'était pas identifiable et n'a subi aucun préjudice.

Par conclusions enregistrées le 28 février 2019, M. [U], qui a formé appel incident, demande à la cour de confirmer partiellement le jugement entrepris et de :

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail à la date du 22 mai 2014 et dire qu'elle produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou subsidiairement dire que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la SAS Dupont Restauration à payer à M. [U] les sommes de :

- 59 975,49 euros, outre 5 997,55 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires non rémunérées,

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du droit à l'image,

- 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 2 277,71 euros à titre de régularisation de l'indemnité de licenciement,

- 4 954,72 euros, outre 495,47 euros de congés payés, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 59 456,64 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1 238,68 euros outre 123,87 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire pour non-reprise de versement du salaire au-delà du délai d'un mois prévu à l'article L. 1226-4 du code du travail,

- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-reprise de versement du salaire au-delà du délai d'un mois prévu à l'article L. 1226-4 du code du travail,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner sous astreinte à la SAS Dupont Restauration de lui délivrer un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conformes aux dispositions de l'arrêt à intervenir.

Il fait valoir que :

- sa demande en paiement d'heures supplémentaires n'est pas prescrite pour la période postérieure au 31 mars 2009 ; qu'elle est par ailleurs fondée dans la mesure où les éléments qu'il fournit établissent qu'il accomplissait une durée de travail supérieure à 35 heures par semaine, les pointages fournis par l'employeur n'étant pas les pointages réels - ces derniers ayant été effacés comme le conseil de la SAS Dupont Restauration l'a reconnu devant le conseil de prud'hommes de Lens ;

- il a été victime de faits de harcèlement moral (surmenage et pressions) ;

- ces deux manquements justifient la résiliation judiciaire de son contrat de travail ;

- son licenciement est sans cause réelle et sérieuse dès lors que :

- son inaptitude est la conséquence de la dégradation de ses conditions de travail et du harcèlement moral subi ;

- la SAS Dupont Restauration a failli à son obligation de reclassement dans la mesure où les postes qui lui ont été offerts n'étaient conformes aux préconisations du médecin du travail, ni à sa qualification ;

- la SAS Dupont Restauration n'a pas repris le paiement de son salaire dans le délai d'un mois prévu à l'article L.1226-4 du code du travail ;

- la SAS Dupont Restauration a continué à utiliser son image sur son site internet après le licenciement et après la mise en demeure qui lui a été délivrée.

SUR CE :

- Sur les heures supplémentaires :

Attendu, en premier lieu, que les dispositions du jugement déclarant irrecevables comme prescrites les demandes aux fins de paiement des heures supplémentaires accomplies avant le 31 mars 2009 ne sont pas contestées ; que la cour observe en effet que, tout en sollicitant le paiement d'heures supplémentaires à partir de janvier 2019, M. [U] ne sollicite pas l'infirmation du jugement en ses dispositions relatives à la recevabilité et invoque même la motivation adoptée par le conseil de ce chef ; que ces dispositions sont donc confirmées - les demandes concernant la période postérieure étant ipso facto déclarées recevables ;

Attendu, en deuxième lieu, que, s'agissant du seuil de déclenchement des heures supplémentaires, l'application d'un système d'annualisation prévu par accord collectif antérieurement à la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 applicable depuis le 24 mars 2012 nécessite l'accord individuel du salarié concerné ; qu'en revanche, et conformément aux dispositions de l'article L. 3122-6 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi susvisée, un tel accord n'est pas requis en cas de mise en application aux salariés, après cette dernière date, des dispositions d'un accord collectif conclu antérieurement à la loi ;

Attendu qu'en l'espèce un accord d'aménagement et d'organisation du temps de travail a été signé au sein de la SAS Dupont Restauration le 28 décembre 2010, prévoyant la possibilité d'une annualisation du temps de travail - un temps plein aménagé correspondant à une durée du travail hebdomadaire de 35 heures ou mensuelle de 151,67 heures en moyenne sur l'année, sauf heures supplémentaires réalisées au-delà de cette moyenne ; que M. [K] [W], directeur d'exploitation, atteste de l'application de cet accord au sein de la cuisine centrale de [Localité 4] compte tenu des variations de l'activité, celle-ci dépendant des rythmes scolaires et des matchs ; qu'il précise que chaque salarié connaît en début d'année le rythme théorique sur lequel il est prévu qu'il travaille sur les 52 semaines, que les horaires précis sont affichés deux à trois semaines à l'avance, que les horaires réalisés sont inscrits sur une feuille de pointage et qu'un compteur temps est mis en place sur lequel apparaissent les horaires effectués en moins ou en trop par rapport à l'horaire contractuel hebdomadaire ;

Attendu que, conformément aux principes précités, l'application de l'accord d'aménagement du 28 décembre 2010, sur laquelle M. [U] ne formule au demeurant aucune observation, peut valablement être revendiquée par la SAS Dupont Restauration pour la période postérieure au 24 mars 2012 ; qu'en revanche, en l'absence d'accord du salarié démontré, il ne peut valablement être invoqué pour la période antérieure ;

Attendu, en troisième lieu, que, par application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, le juge formant sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande ;

Que si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient aussi à ce dernier de fournir préalablement des éléments suffisamment précis de nature à étayer sa demande et à permettre également à l'employeur d'y répondre ;

Attendu qu'en l'espèce M. [U] soutient avoir travaillé sur la période non prescrite au-delà des 35 heures par semaine correspondant à la durée légale de travail ; que pour étayer ses affirmations il produit :

- la copie des cahiers contenant au jour le jour ses horaires de travail - sans mention d'une pause méridienne,

- des fichiers informatiques reprenant le nombre d'heures de travail accompli quotidiennement, avec un récapitulatif des heures supplémentaires réalisées chaque semaine,

- les témoignages de plusieurs anciens salariés de la SAS Dupont Restauration faisant état de l'importance des heures de travail réalisées par M. [U], l'intéressé pouvant commencer tôt le matin et terminer tard le soir et étant parfois sollicité les fins de semaine ;

Attendu que le salarié produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande pour la période comprise entre avril 2009 et mars 2012 ; qu'en revanche, pour la période postérieure, les éléments fournis ne sont pas de nature à étayer sa prétention selon laquelle il aurait effectué des heures supplémentaires à la durée annuelle ;

Attendu que la SAS Dupont Restauration conteste la réalisation d'heures supplémentaires ; qu'elle verse aux débats :

- des décomptes quotidiens du nombre d'heures effectuées,

- les témoignages de plusieurs salariés, qui attestent que M. [U] prenait un temps de pause le midi pour déjeuner ;

- les déclarations du responsable de production et du supérieur hiérarchique de M. [U] qui indiquent que l'épouse de l'intéressé téléphonait de temps en temps à l'entreprise pour parler à son mari alors même que celui-ci était déjà parti ;

Attendu toutefois que, ainsi que l'a relevé justement le conseil de prud'hommes par des motifs précis auxquels la cour se réfère, les décomptes et témoignages fournis par la SAS Dupont Restauration ne reflètent pas les temps effectivement travaillés ; que, notamment, ces documents n'indiquent pas les horaires quotidiens effectifs du salarié, le conseil de l'employeur ayant lui-même reconnu lors de l'audience de première instance que les véritables feuilles de pointage avaient été effacées ; que la société ne justifie donc pas avoir satisfait à ses obligations portant sur le contrôle et la vérification des horaires de son salarié ; qu'il résulte en effet des dispositions des articles 3, 5 et 6 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, lus à la lumière de l'article 31, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que de l'article 4, paragraphe 1, de l'article 11, paragraphe 3, et de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, qu'il lui incombait l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué ;

Attendu qu'au vu des éléments produits de part et d'autre la cour a la conviction au sens du texte précité que M. [U] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées entre avril 2009 et mars 2012 et que, tenant compte tout à la fois des décomptes et des observations pertinentes de la SAS Dupont Restauration selon lesquelles M. [U] a bénéficié de temps de pause - non prises en considération dans les décomptes, il lui est dû à ce titre la somme de 28 500 euros, outre 2 850 euros de congés payés ; que la demande portant sur la période postérieure est en revanche rejetée ;

- Sur le harcèlement moral :

Attendu que l'article L. 1152-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Que l'article L 1154-1 du même code dans sa rédaction applicable prévoit qu'en cas de litige le salarié établit les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement à son détriment et qu'il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement ;

Attendu que, par des motifs pertinents que la cour adopte, le conseil de prud'hommes, après une analyse détaillée et minutieuse de l'ensemble des pièces produites, a justement estimé que M. [U] établissait des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et que pour sa part l'employeur échouait à démontrer que les faits matériellement établis sont justifiés par des éléments étrangers à tout harcèlement ; qu'il a notamment mis en exergue que M. [U] avait été soumis de manière durable à des cadences de travail élevées, à une surcharge de travail et à un stress permanent, que ces contraintes avaient été aggravées par un sentiment de mésestime en particulier né d'une mise à pied injustifiée et par l'absence de prise en compte de l'alerte contenue dans le courrier du 3 juin 2013 et que la dégradation des conditions de travail de M. [U] avait en partie contribué à l'émergence d'un état dépressif réactionnel sévère ; qu'il a enfin justement évalué le préjudice subi par le salarié à la somme de 3 000 euros ;

- Sur la résiliation judiciaire :

Attendu, d'une part, que, lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d'autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée ; que c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur ; que, lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement ;

Attendu, d'autre part, que, conformément à l'article 1184 devenu 1224 du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement, la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté ayant le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts ;

Attendu qu'en l'espèce l'absence de paiement des heures supplémentaires entre avril 2009 et mars 2012 ainsi que la situation de harcèlement moral dont a été victime M. [U] constituent des manquements graves de l'employeur ; que ces manquements se sont inscrits dans la durée et ont, à tout le moins pour le harcèlement moral, perduré jusqu'à une période contemporaine de la requête en résiliation judiciaire ; qu'au regard des répercussions sur la santé du salarié, ils ont empêché la poursuite du contrat de travail ; que, par confirmation, la demande de résiliation judiciaire est dès lors accueillie ; que, si une résiliation consécutive à des faits de harcèlement moral produit en principe les effets d 'un licenciement nul, la cour constate que M. [U] se borne à demander qu'elle emporte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse - dont les conséquences sont en tout état de cause en l'espèce identiques ; qu'une telle réclamation est donc accueillie ; que la rupture prend effet au 22 mai 2014, date du licenciement de M. [U] ;

Attendu que, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable, M. [U] a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu'en considération de son ancienneté, de sa rémunération mensuelle brute, de son âge, de sa formation et de sa capacité à retrouver un emploi, de la durée de sa période de recherche d'emploi ou de reconversion professionnelle et des aides dont il a pu bénéficier, son préjudice a été justement évalué par le conseil de prud'hommes à la somme de 37 160,40 euros ;

Attendu qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y lieu d'ordonner le remboursement par la SAS Dupont Restauration des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [U] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois ;

Attendu que, dès lors que la résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée aux torts de l'employeur, l'indemnité de préavis est due, et ce en dépit de l'inaptitude du salarié ; que la demande tendant au paiement de la somme de 4 954,72 euros brut, outre 495,47 euros brut de congés payés, correspondant à deux mois de salaire, est donc accueillie ;

Attendu que, s'agissant de l'indemnité de licenciement, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a inclus la période de suspension du contrat de travail de M. [U] pour maladie ayant débuté le 13 septembre 2013 dans l'appréciation de l'ancienneté du salarié, cet arrêt étant pour partie lié à des manquements de l'employeur et ayant donc une origine professionnelle ; qu'il a donc justement retenu une ancienneté de 19 ans et évalué le solde restant dû à M. [U], qui a déjà perçu une indemnité conventionnelle de licenciement de 10 109,09 euros, à 2 777,71 euros ;

- Sur le rappel de salaire :

Attendu qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 1226-4 du code du travail : 'Lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail' ;

Attendu qu'en l'espèce M. [U] soutient sans être contredit qu'il n'a pas été réglé de son salaire entre le 9 mai et le 22 mai 2014 et que les dispositions légales susvisées ont été méconnues ; que le rappel de salaire dû à ce titre s'élève à 1 073,52 euros, outre 107,35 euros de congés payés, comme exactement fixé par le conseil de prud'hommes ; que M. [U] ne justifie d'aucun préjudice distinct et que sa demande de dommages et intérêts complémentaire est, par confirmation, rejetée ;

- Sur le non-respect du droit à l'image :

Attendu qu'il ressort des pièces du dossier que, en dépit des demandes formulées par son conseil les 26 janvier et 12 février 2016 et des affirmations de la SAS Dupont Restauration en date du 23 février 2016 selon lesquelles elle aurait accueillie la réclamation, une photographie représentant M. [U] était toujours présente sur le site internet de l'entreprise le 1er octobre 2016 ; que, même si l'intéressé porte une charlotte et un masque de protection, il peut être identifiable par les personnes qui le connaissent ; que le préjudice subi de ce chef par le salarié, qui en outre s'est vu adresser une réponse erronée par son ancien employeur, est évalué à la somme de 500 euros ;

- Sur la remise des documents sociaux :

Attendu que, compte tenu de la solution donnée au litige, il est fait droit à cette réclamation dans les conditions fixées au dispositif ;

- Sur les frais irrépétibles :

Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité d'allouer à M. [U] la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel, les dispositions du jugement relatives aux frais exposés en première instance étant quant à elles confirmées ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement déféré, excepté en ce qu'il a condamné la SAS Dupont Restauration à payer à M. [T] [U] la somme de 42 802,14 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires non rémunérées entre avril 2009 et septembre 2013 et débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour atteinte à son droit à l'image,

Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,

Condamne la SAS Dupont Restauration à payer à M. [T] [U] les sommes de :

- 28 500 euros, outre 2 850 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires non rémunérées entre avril 2009 et le 24 mars 2012,

- 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du droit à l'image,

- 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel,

Dit que les documents sociaux dont la remise a été ordonnée doivent être conformes aux dispositions du présent arrêt,

Dit qu'à défaut d'exécution volontaire dans les quinze jours de la signification du présent arrêt, la société sera contrainte de s'exécuter sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard et par document, passé ce délai, l'astreinte étant limitée à six mois passé lequel il appartiendra à la partie la plus diligente de saisir le juge de l'exécution pour qu'il soit de nouveau fait droit,

Ordonne le remboursement par la SAS Dupont Restauration des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à M. [T] [U] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois,

Déboute M. [T] [U] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires pour la période postérieure au 24 mars 2012,

Condamne la SAS Dupont Restauration aux dépens d'appel.

Le Greffier, Le Président,

V. COCKENPOT S. MEYER


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 2
Numéro d'arrêt : 17/02392
Date de la décision : 29/05/2020

Références :

Cour d'appel de Douai A2, arrêt n°17/02392 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-05-29;17.02392 ?
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