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10/10/2019 | FRANCE | N°18/03305

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 10 octobre 2019, 18/03305


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 10/10/2019





****





N° de MINUTE :

N° RG 18/03305 - N° Portalis DBVT-V-B7C-RTWR



Jugement (N° 17/05526) rendu le 31 mai 2018

par le tribunal de grande instance de Lille







APPELANTE



Madame la Procureure Générale près la cour d'appel de Douai



représentée par Monsieur Olivier Declerck, Substitut GénÃ

©ral





INTIMÉ



Monsieur [R] [C] [W]

né le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 7] (Cameroun)

de nationalité camerounaise

demeurant [Adresse 6]

[Adresse 6]



représenté par Me Emilie Dewaele, avocat au barreau ...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 10/10/2019

****

N° de MINUTE :

N° RG 18/03305 - N° Portalis DBVT-V-B7C-RTWR

Jugement (N° 17/05526) rendu le 31 mai 2018

par le tribunal de grande instance de Lille

APPELANTE

Madame la Procureure Générale près la cour d'appel de Douai

représentée par Monsieur Olivier Declerck, Substitut Général

INTIMÉ

Monsieur [R] [C] [W]

né le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 7] (Cameroun)

de nationalité camerounaise

demeurant [Adresse 6]

[Adresse 6]

représenté par Me Emilie Dewaele, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 20 juin 2019 tenue par Marie-Laure Aldigé magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie-Hélène Masseron, président de chambre

Emmanuelle Boutié, conseiller

Marie-Laure Aldigé, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2019 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Marie-Hélène Masseron, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 13 février 2019

****

M. [R] [C] [W], né le [Date naissance 3] 1982, s'est marié le [Date mariage 1] 2012 à [Localité 7] au Cameroun avec Mme [M] [U], née le [Date naissance 4] 1980, de nationalité française.

Le 25 février 2016, il a souscrit devant le préfet du [Localité 8] une déclaration en vue d'acquérir la nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil. Suivant décision du 10 février 2017, notifiée le 13 février 2017, le ministre de l'intérieur a refusé d'enregistrer la déclaration au motif que l'intéressé ne vivait plus avec sa conjointe française.

Par acte d'huissier de justice délivré le 10 juillet 2017, il a fait assigner le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille devant ledit tribunal aux fins de voir :

infirmer la décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française au titre de l'article 21-2 du code civil ;

dire qu'il est Français ;

ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil ;

lui délivrer un certificat de nationalité française.

Par jugement du 31 mai 2018, le jugement du tribunal de grande instance de Lille a :

constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;

déclaré recevable la déclaration d'acquisition de la nationalité française de M. [R] [C] [W] ;

dit en conséquence que M.[R] [C] [W], né le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 7] au Cameroun est Français ;

rappelé qu'il n'appartient pas au juge judiciaire de délivrer un certificat de nationalité française ;

ordonné la mention prévue par l'article 28 du code civil ;

débouté le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille de l'ensemble de ses demandes ;

condamné le Trésor public à lui verser la somme de 1 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 à charge de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle  ;

condamné le Trésor public aux entiers dépens de l'instance.

Madame la procureure générale a relevé appel de cette décision.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 23 novembre 2018, elle demande à la cour de :

constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;

infirmer le jugement déféré ;

rejeter les demandes de l'intimé et dire qu'il n'est pas de nationalité française ;

ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 19 octobre 2018, l'intimé demande à la cour de confirmer le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des moyens, il est renvoyé aux dernières écritures des parties.

Pour la clarté des débats, il sera seulement indiqué que le ministère public soutient essentiellement que M. [W] échoue à apporter la preuve qui lui incombe de l'existence d'une communauté de vie affective véritable alors même qu'il a été condamné en 2015 pour des faits de violences conjugales et qu'il soutient avoir lui aussi été victime de violences conjugales depuis le début du mariage. Selon le ministère public, ces violences conjugales sont incompatibles avec l'existence d'une communauté de vie et la naissance d'un enfant issu du couple n'est pas de nature à caractériser la persistance d'une vie commune au jour de la déclaration. Il ajoute que le couple s'est séparé neuf mois après la souscription de la déclaration par l'époux et que l'épouse a engagé une procédure de divorce, démontrant que cette volonté de vivre durablement en union n'existait déjà plus au jour de la souscription. Il considère qu'en érigeant la communauté de vie affective en condition d'acquisition de la nationalité par mariage, le législateur a fait échapper l'appréciation de cette condition à la vision personnelle des époux.

Pour sa part, l'intimé fait essentiellement valoir qu'il remplit les conditions d'acquisition de la nationalité de l'article 21-2 du code civil en raison de son mariage avec Mme [M] [U], que la communauté de vie tant affective que matérielle existait toujours à la date de la souscription de la déclaration de nationalité qu'il a faite. Il explique que c'est à cause de cette situation de violences conjugales qu'il subissait et qui lui était devenue insupportable qu'il a été dans l'obligation de quitter le domicile conjugal le 27 novembre 2016, soit neuf mois après ladite souscription et non par intention frauduleuse. Il soutient que ces violences ne remettent nullement en cause la communauté de vie ayant existé entre eux pendant quatre ans et qu'il serait contraire à la dignité humaine de lui demander de poursuivre la vie commune.

MOTIVATION

Sur les formalités de l'article 1043 du code de procédure civile

Le récépissé prévu les dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile étant produit aux débats, l'action du ministère public est recevable.

Sur le fond

L'article 21-2 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011 applicable en la cause prévoit que l'étranger qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.

Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l'étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n'est pas en mesure d'apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l'étranger au registre des Français établis hors de France. En outre, le mariage célébré à l'étranger doit avoir fait l'objet d'une transcription préalable sur les registres de l'état civil français.

Le conjoint étranger doit également justifier d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixés par décret en Conseil d'État.

Conformément à l'article 26-3 du code civil, le ministre ou le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal d'instance refuse d'enregistrer les déclarations qui ne satisfont pas aux conditions légales. Sa décision motivée est notifiée au déclarant qui peut la contester devant le tribunal de grande instance durant un délai de six mois. L'action peut être exercée personnellement par le mineur dès l'âge de seize ans.

Conformément aux dispositions de l'article 30 du code civil selon lequel la charge de la preuve, en matière de nationalité française, incombe à celui dont la nationalité est en cause dès lors qu'il n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française, il appartient à l'intimée de démontrer qu'à la date de la déclaration de nationalité, la communauté de vie tant affective que matérielle n'avait pas cessé entre les époux depuis le mariage.

Sur ce

En l'espèce, il est constant que le mariage a été transcrit sur les registres d'état civil français le 16 mars 2012 et que M. [W] entré en France le 8 février 2013, et y réside depuis de manière régulière.

C'est de manière pertinente que le tribunal a considéré que la séparation du couple intervenue en novembre 2016, soit six mois après la souscription de la déclaration de la nationalité faite le 25 février 2016, ne permettait pas à elle seule de caractériser une absence de communauté de vie depuis le mariage jusqu'à la souscription.

Par ailleurs, c'est au terme d'une juste analyse des pièces qu'il a retenu que M. [W] justifiait de l'existence d'une communauté de vie matérielle, en particulier d'une cohabitation dans un domicile commun et d'une contribution commune à la vie matérielle du couple et à l'éducation de leur enfant commun, [O] [C] [W] née le [Date naissance 2] 2014. Néanmoins, la cour observe que cette communauté matérielle n'a commencé effectivement qu'à compter de l'arrivée de l'intéressé en France, soit à compter du 6 février 2013. En effet, aucune pièce n'est produite pour la période antérieure susceptible d'établir une communauté de vie matérielle en dépit de l'absence de cohabitation. Il en résulte que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la communauté de vie matérielle n'avait pas duré quatre ans au moment de la déclaration.

Concernant la communauté de vie affective, pour faire droit à la demande M. [W], le tribunal a retenu que son mariage avec Mme [U] n'a pas été un détournement de cette institution, ni employé uniquement à des fins étrangères pour obtenir la naturalisation de l'époux. Or, il importe de rappeler que l'intention matrimoniale et la communauté de vie matérielle et affective au sens de l'article 21-2 du code civil constituent des notions juridiques distinctes. La première est une condition de validité du mariage, la seconde une obligation découlant du mariage. Il en résulte que la communauté de vie affective et matérielle au sens du code civil peut faire défaut sans que pour autant les époux aient poursuivi une fin étrangère au mariage.

Ainsi, le Conseil constitutionnel, dans sa décision numéro 2012-227 QPC du 30 mars 2012 a précisé que «ni le respect de la vie privée ni aucune autre exigence constitutionnelle n'impose que le conjoint d'une personne de nationalité française puisse acquérir la nationalité française à ce titre» et que le législateur pouvait subordonner l'acquisition de la nationalité par le conjoint d'un ressortissant français à des conditions telles que la durée du mariage sans cessation de la communauté de vie. Par ailleurs, l'article 21-2 du code civil impose également une condition de connaissance suffisante de la langue française, laquelle peut tout à fait faire défaut pour un conjoint n'ayant aucunement entendu détourner l'institution du mariage.

Il incombe donc à la juridiction de rechercher si les violences conjugales pour lesquelles M. [W] a été condamné et les violences conjugales dont il affirme avoir été victime (et que le tribunal n'évoque pas dans sa motivation) sont exclusives in concreto d'une véritable communauté de vie affective au sens du code civil.

Le ministère public produit en cause d'appel une pièce nouvelle, à savoir le jugement prononcé par le tribunal correctionnel de Lille le 17 septembre 2015 dont il ressort que M. [W] a été condamné à une peine de six mois d'emprisonnement avec sursis pour des faits de violence commis le 19 mars 2015, sans incapacité, sur son épouse.

Par ailleurs, l'intimé explique qu'il a quitté son domicile conjugal le 27 novembre 2016 parce qu'il a été poussé à bout par son épouse Mme [U], laquelle était violente à son encontre depuis plusieurs années. Selon ses propres affirmations, ces violences étaient caractérisées par des crachats, des insultes, des griffures, des insultes, du chantage au suicide, et généraient anxiété et troubles du sommeil ayant nécessité un traitement anxiolytique et un arrêt de travail. Il conclut expressément que «ça fait quatre ans et demi qu'il est harcelé moralement et physiquement». Ses affirmations sont corroborées par le certificat médical et les nombreuses mains courantes qu'il produit, lesquelles ont débouché sur la mise en place le 18 novembre 2016 par le procureur de la république d'une mesure alternative aux poursuites, à savoir un rappel à la loi par officier de police judiciaire.

Il résulte de ces éléments que le mariage de M. [W] et de Mme [U] est, depuis le début de leur cohabitation, et en dépit de la naissance d'un enfant commun, empreint d'une profonde mésentente entre les époux, et émaillé de nombreuses disputes et violences conjugales, lesquelles ont été réciproques, et sont de par leur ancienneté, leur répétition et leur intensité, incompatibles avec la notion de secours et d'assistance inhérente à la communauté de vie telle que définie par l'article 212 du code civil selon lesquelles «les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance».

Au vu de ces éléments, il apparaît donc que M. [W] échoue à établir l'existence d'une communauté de vie tant matérielle qu'affective ayant existé entre leur mariage jusqu'à la déclaration de nationalité pendant au moins quatre ans.

En conséquence, le jugement déféré sera infirmé en l'intégralité de ses dispositions. Statuant à nouveau, la cour dira que l'intimé n'est pas français.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En application des articles 696 et 700 du code de procédure civile, la partie perdante est, sauf décision contraire motivée par l'équité ou la situation économique de la partie succombante, condamnée aux dépens, et à payer à l'autre partie la somme que le tribunal détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l'espèce, l'équité justifie que, à titre exceptionnel, chacune des parties conserve la charge de ses dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Constate que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;

Infirme le jugement déféré en l'ensemble de ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Constate que les conditions de l'article 21-2 du code civil ne sont pas remplies ;

Rejette le recours intenté par M. [R] [C] [W], né le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 7] au Cameroun, à l'encontre de la décision de refus rendue par le ministre de l'intérieur le 10 février 2017 et notifiée à l'intéressé le 13 février 2017 ;

Dit que M. [R] [C] [W], né le [Date naissance 5] 1982 à [Localité 7] au Cameroun, n'est pas Français ;

Ordonne la mention du présent arrêt conformément à l'article 28 du code civil,

Dit que chaque partie conserve la charge de ses dépens.

Le greffier,Le président,

Delphine VerhaegheMarie-Hélène Masseron


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 18/03305
Date de la décision : 10/10/2019

Références :

Cour d'appel de Douai 1A, arrêt n°18/03305 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-10-10;18.03305 ?
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