République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 23/05/2019
***
N° de MINUTE :
N° RG 17/06300 - N° Portalis DBVT-V-B7B-RD6D
Jugement (N° 16/01714)
rendu le 04 octobre 2017 par le tribunal de grande instance d'Arras
APPELANTS
Monsieur T... U...
né le [...] à Paris (75000)
et
Madame P... G... épouse U...
née le [...] à Corbeil Essonnes (91100)
demeurant ensemble [...]
représentés par Me Bernard Franchi, membre de la SCP François Deleforge & Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai
assistés de Me Christian Delevacque, avocat au barreau d'Arras
La SARL BD Diag 80-62 prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social
[...]
La SA Générali Iard, prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social
[...]
représentées par Me Samuel Willemetz, avocat au barreau d'Arras
assistées de Me Yann Michel, membre de la SELARL Aseven, avocat au barreau de Paris, substitué à l'audience par Me Marjorie Kerhoas, avocat au barreau de Paris
INTIMÉE
La SARL Avipur Nord Pas de Calais, prise en la personne de ses représentants légaux
ayant son siège social
[...]
représentée par Me Christophe Hareng, membre de la SELARL Leleu Demont Hareng Deseure, avocat au barreau de Béthune
DÉBATS à l'audience publique du 14 mars 2019 tenue par Marie-Hélène Masseron magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS :Anne-Cécile Maes
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie-Hélène Masseron, président de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Marie-Laure Aldigé, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 23 mai 2019 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Mme Marie-Hélène Masseron, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 décembre 2018
***
Suite à la mise en vente de leur propriété située à Pommera (62760), composée d'une maison d'habitation principale, d'une maison de gardien et d'un grand terrain, l'indivision O... est entrée en pourparlers avec M. T... U... et son épouse Mme P... G..., intéressés par ce bien sous réserve de la réalisation préalable d'un état parasitaire.
L'indivision O... acceptait de confier cette mission à la société BD Diag 80-62 (assurée auprès de la compagnie Générali Assurances Iard), qui déposait un rapport le 30septembre 2011, concluant à la présence de champignons sur la charpente de la cuisine. Les consorts O... chargeaient la société Avipur de traiter cette pièce. Cette société dressait un rapport d'intervention le 8 novembre 2011.
Le 1er juin 2012, les consorts O... et M. et Mme U... signaient un compromis de vente au prix de 200000 euros.
A la demande des acquéreurs, la société BD Diag effectuait un nouveau contrôle de l'immeuble et dressait le 8 juin 2012 un rapport aux termes duquel elle indiquait n'avoir pas repéré d'indices de la présence d'agents de la dégradation biologique du bois.
Les parties régularisaient la vente par acte authentique du 13 juillet 2012.
A l'occasion de travaux d'aménagement effectués dès après la vente, M. et Mme U... constataient des traces de moisissure laissant suspecter la présence persistante de mérule. Ils faisaient dresser un constat d'huissier de justice le 12 mars 2014 le confirmant, puis sollicitaient et obtenaient une mesure d'expertise en référé faute d'avoir pu régler amiablement le litige avec les sociétés BD Diag et Avipur.
M. Alain S..., expert commis par ordonnance du 2 juin 2014, déposait son rapport le 4 avril 2016, aux termes duquel il concluait que l'immeuble était infesté par la mérule à la date du second rapport de la société BD Diag, et que la société Avipur n'avait pas traité correctement le champignon dans la cuisine, n'observant pas les règles de l'art.
Sur le fondement de ce rapport d'expertise judiciaire, M. et Mme U... ont, par acte du 11 octobre 2016, fait assigner devant le tribunal de grande instance d'Arras les sociétés BD Diag et Avipur ainsi que la société Générali Assurance Iard en sa qualité d'assureur de la première, à l'effet de voir engager leur responsabilité, délictuelle à titre principal et contractuelle à titre subsidiaire, et de les entendre condamner in solidum, en réparation de leur préjudice, à leur payer la somme de 396795,40 euros au titre des travaux de reprise, assortie des intérêts indexés sur l'indice BT01 du coût de la construction à compter du 4 avril 2016, date du dépôt du rapport d'expertise judiciaire, celle de 140000euros au titre de leur préjudice de jouissance et une indemnité de 10000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens comprenant le coût de la procédure de référé, celui de l'expertise judiciaire et du constat d'huissier.
Par jugement du 4 octobre 2017, le tribunal de grande instance d'Arras a :
- débouté M et Mme U... de leur action en responsabilité contre la société Avipur,
- déclaré que la société BD Diag a commis une faute dans l'exécution de sa mission de diagnostiqueur, qui engage sa responsabilité délictuelle,
- dit que la société Générali Assurances Iard doit garantir la société BD Diag sous réserve de l'application de la franchise contractuelle de 3000 euros,
- condamné in solidum la société BD Diag et la société Générali à payer à M. et MmeU... la somme de 23468,59 euros au titre des travaux de traitement du champignon, ladite somme indexée sur l'indice BT01 du coût de la construction à compter du 4 avril 2016 jusqu'à ce jour,
- débouté M. et Mme U... de leur demande au titre des autres travaux de remise en état et du préjudice de jouissance,
- condamné in solidum la société BD Diag et son assureur à payer à M. et Mme U... la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens en ce compris ceux de la procédure de référé et le coût de l'expertise judiciaire, les déboutant de leur demande formée au titre du texte précité.
M. et Mme U... ont interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées le 25 septembre 2018, ils sollicitent l'infirmation du jugement entrepris et réitèrent leurs demandes de première instance, portant à 172000euros l'évaluation de leur préjudice de jouissance et à 10000 euros leur demande d'indemnité pour frais irrépétibles, demandant en outre à se voir donner acte de ce qu'ils n'ont cause d'opposition à ce que la cour entende l'expert judiciaire si elle l'estime utile.
En substance, ils exposent que les éléments du dossier et notamment le rapport d'expertise judiciaire établissent que la société BD Diag n'a pas seulement commis une faute d'imprudence, comme l'a retenu le tribunal, en ne mettant pas en garde les éventuels acquéreurs de l'immeuble sur la nécessité de procéder à des investigations complémentaires, mais elle n'a pas exécuté correctement sa mission en considérant que l'immeuble était vierge de toute atteinte du mérule alors qu'il en était totalement infesté et qu'à l'évidence elle ne pouvait que le détecter si elle s'était livrée à des investigations sérieuses ; que la société Avipur engage quant à elle sa responsabilité pour n'avoir pas observé les règles de l'art dans l'exécution de ses travaux comme l'a indiqué l'expert ; qu'il est incontestable que lorsqu'ils se sont intéressés à l'immeuble ils ont souhaité se prémunir de tout risque d'atteinte par la mérule, faisant réaliser un premier état parasitaire qui n'a diagnostiqué la présence du champignon que dans la cuisine, faisant ensuite réaliser les travaux de traitement qui s'imposaient puis établir un second diagnostic pour s'assurer de l'éradication du champignon ; que les stipulations du compromis ne font que confirmer qu'ils ne se sont engagés que parce qu'ils ont été pleinement rassurés par l'intervention des professionnels et notamment par le premier rapport de BD Diag qui ne mentionnait la présence du parasite que dans la cuisine, ce que confirment également les termes de l'acte authentique de vente ; que leur demande indemnitaire ne va pas au-delà du montant des travaux nécessaires au traitement de la mérule et à la reprise des éléments de structure et d'habillage des murs et des plafonds, soit la somme de 220343,13 euros, et de la reprise des embellissements, la dépose des installations sanitaires et de plomberie et le démontage de plusieurs cheminées, nécessaires pour le traitement de la mérule, soit la somme supplémentaire de 176452,27 euros ; que leur demande de réparation d'un préjudice de jouissance est justifiée, l'impossibilité d'occuper les lieux résultant très directement de la problématique de la mérule.
Les sociétés BD Diag et Générali ont formé appel incident. Par dernières conclusions notifiées le 15 juin 2018 elles demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que BD Diag a commis une faute dans sa mission de diagnostiqueur engageant sa responsabilité et l'a condamnée in solidum avec son assureur à payer à M. et Mme U... la somme de 23468,59 euros au titre des travaux de traitement du champignon avec indexation, et à leur payer la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- de débouter M. et Mme U... de l'ensemble de leurs demandes formées contre elles,
- de dire que Générali devra sa garantie à BD Diag et de fixer la part de responsabilité de BD Diag à 10 % et celle d'Avipur à 10 % ;
En toute hypothèse,
- de condamner M. et Mme U... ou toute autre partie succombant à leur payer à chacune la somme de 7500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SELARL Lamoril-Willemetz-Burian-Vasseur conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La société BD Diag (et son assureur) font valoir :
- qu'elle n'a pas été mandatée pour rechercher spécifiquement le champignon mérule, précisant qu'il n'existait pas à l'époque ni d'ailleurs aujourd'hui de diagnostic obligatoire spécifique pour le repérage de ce champignon, mais pour établir un rapport de l'état relatif à la présence d'agents de dégradation biologique du bois en respectant la 'norme Afnor XP P 13-200', c'est à dire par l'examen des seules parties visibles et accessibles depuis l'intérieur des constructions, sans démolition, dégradations lourdes, sans manutention d'objets lourds, encombrants, sans déplacement de meubles, appareils électroménagers, sans dépose de revêtements de murs, sol ou faux plafonds, sans sondages destructifs, en procédant par sondage manuel systématique à l'aide d'un poinçon ;
- qu'en respectant ces règles elle a pu découvrir lors de son premier examen du 29septembre 2011 des traces extérieures de pourriture cubique et un développement de mérule dans la cuisine, mais seulement parce que le faux plafond était particulièrement endommagé et que le plenum (espace entre le plafond et le faux plafond) s'avérait de la sorte visible et accessible ;
- que la présence du champignon mérule n'a pu être ensuite découvert par M. et MmeU... qu'à l'occasion des travaux de réfection qu'ils ont effectués en août 2011 puis en octobre 2011, après démolition et déshabillage des garnitures murales ; que sans de tels travaux destructifs, auxquels le diagnostiqueur ne pouvait se livrer, le champignon n'était pas décelable ;
- que le tribunal a jugé à tort qu'elle était débitrice d'une obligation de conseil envers M.et Mme U..., et en tout état de cause il aurait dû amener les parties à s'expliquer sur ce point en application de l'article16 du code de procédure civile ;
- qu'en se bornant à relever que les deux diagnostics étaient très sommaires, l'expert n'a caractérisé aucun manquement, alors que ces diagnostics ont été établis sur des formulaires usuels et standardisés systématiquement utilisés de la même manière par tous les diagnostiqueurs en France ;
- qu'il n'est donc établi aucun manquement de sa part et, au surplus, il n'existe aucun lien de causalité entre un prétendu manquement et le préjudice allégué par M. et Mme U... ;
- qu'en effet, aux termes d'une clause insérée au compromis de vente, laquelle constitue un fait opposable aux tiers, ceux-ci avaient souscrit l'obligation d'acquérir le bien au prix de 200000 euros même si, entre le compromis et l'acte de vente, un rapport révélant la présence de mérule dans les bâtiments avait dû être établi, en sorte que quand bien même le diagnostiqueur aurait été en mesure de révéler la présence de mérule dans d'autres parties de l'habitation que la cuisine aux termes de son second rapport du 8 juin 2012, cela n'aurait eu aucune incidence sur le fait que M. et Mme U... avaient l'obligation d'acquérir l'immeuble aux conditions prévues ;
- qu'en outre le préjudice matériel allégué n'est pas indemnisable en ce qu'il consiste en des travaux de réfection qui auraient dû être réalisés indépendamment de la mérule compte tenu de l'état de vétusté de l'immeuble, pas plus que le préjudice de jouissance, fixé à 2000 euros par mois alors qu'il s'agit d'une résidence secondaire et que d'importants travaux devaient être effectués avant de la rendre habitable ;
- que si la responsabilité des deux professionnels devait être retenue, celle de la société Avipur devrait être évaluée à 90 %, car elle-même aurait dû se voir imputer une obligation de conseiller la réalisation de travaux destructifs dans d'autres parties de la maison que la cuisine.
Par dernières conclusions notifiées le 4 avril 2018, la société Avipur demande à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter les sociétés BD Diag et Générali de leurs demandes et de condamner solidairement M. et Mme U... et les sociétés BD Diag et Générali à lui payer la somme de 7500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Elle fait essentiellement valoir qu'elle est intervenue à la demande de M. O... suivant bon de commande signé le 18 octobre 2011, pour effectuer un traitement localisé indiqué par la société BD Diag dans son rapport du 30 septembre 2011, à savoir un 'Traitement d'humidité contre le développement des champignons (mérule) sur la charpente bois du plafond dans la cuisine de la maison (...)' ; qu'elle n'avait contractuellement aucune autre mission, ni prestation de contrôle ou de détection, ni prestation de destruction dans aucune autre partie de la maison ; qu'elle a exécuté cette mission contractuelle ; que sa mission de réalisation de travaux ne saurait se confondre avec celle du diagnostiqueur, en sorte que la responsabilité des deux professionnels, si elle devait être retenue, ne saurait être solidaire, la demande de la société BD Diag tendant à lui voir imputer une part de responsabilité de 90 % ne pouvant qu'être écartée ; que le lien de causalité entre sa prestation ponctuelle et la demande indemnitaire de M. et Mme U... n'est pas établi, les devis de travaux concernant une réfection destinée à remédier à l'état de vétusté de la maison indépendamment de la présence de la mérule, le préjudice de jouissance étant lui aussi inexistant dès lors que la maison était inhabitable sans ces travaux de réfection.
Pour un plus ample exposé des moyens des parties il convient de se référer à leur dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, MOTIFS :
Il n'est pas contesté et résulte en tout état de cause des rapports d'intervention des sociétés BD Diag et Avipur ainsi que de la lecture du compromis de vente et de l'acte authentique de vente, que ces deux professionnels ont contracté avec les vendeurs M. et Mme O... et non avec les acheteurs M. et Mme U..., en sorte que l'action en responsabilité engagée par ces derniers à l'encontre des deux sociétés doit nécessairement se fonder sur les dispositions de l'article 1240 du code civil, applicables au litige, aux termes desquelles tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
Ainsi M. et Mme U... doivent faire la preuve d'une faute de chacun des deux professionnels, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre ces fautes et leur préjudice.
Sur l'action en responsabilité contre la société BD Diag :
Il est constant que la société BD Diag est intervenue en qualité de diagnostiqueur à la demande des vendeurs pour examiner l'état de l'immeuble objet de la vente relativement à la présence d'agents de dégradation biologique du bois, notamment la mérule dont la présence était suspectée compte tenu de la vétusté de l'immeuble, dégradé par l'humidité et les fuites d'eau et inoccupé depuis cinq ans.
La société BD Diag a établi un premier diagnostic le 29 septembre 2011, aux termes duquel elle a relevé la présence de mérule dans une seule des vingt cinq pièces examinées au vu de son rapport d'intervention, à savoir la cuisine.
Elle a établi un second diagnostic le 8 juin 2012, après l'exécution de travaux de traitement dans la cuisine par la société Avipur, aux termes duquel elle déclare n'avoir repéré aucun indice d'infestation de parasites du bois dans les vingt cinq pièces examinées, constatant, s'agissant de la cuisine, que le traitement opéré par la société Avipur semblait avoir été bien fait puisqu'il n'était pas constaté de nouveau développement de ce parasite. Pour sept des pièces examinées elle faisait état dans son rapport des constatations suivantes : hygrométrie supérieure à 20 % - présence d'eau sur le sol ' présence de fuite d'eau dans la toiture ' présence de moisissures sur les murs et/ou sur les plafonds.
Or, il s'avérait que dès les premiers travaux d'aménagement effectués par les acheteurs en juillet 2011, que l'immeuble tout entier se révélait infesté de mérule, ce que confirmait le constat d'un huissier de justice le 12 mars 2014 ainsi que le rapport d'expertise judiciaire établi le 4 avril 2016, M. S... écrivant en page 14 de son rapport que 'compte tenu de l'analyse des pièces en notre possession, de l'historique des faits dressés par nos soins, nous pouvons affirmer qu'à la date du second rapport de la société BD Diag le 8 juin 2012, l'immeuble était toujours contaminé et infesté par les champignons et autres parasites de nature à endommager les embellissements et structures de l'immeble.' Il relevait notamment qu'à l'étage la mérule s'était propagée quasiment dans toutes les pièces de l'immeuble au verso des pièces de bois tels que lambris et habillage des murs et plafond. Il notait, concernant le traitement de la charpente des combles, que les bois à traiter étaient parfaitement visibles au moment de la vente. Les photographies annexées font apparaître des traces d'humidité ou d'infiltration à plusieurs endroits, ce qu'avait d'ailleurs relevé la société BD Diag lors de son diagnostic du mois de juin 2012.
Il apparaît ainsi que si la norme Afnor XP P 13-200, dans le cadre de laquelle la société BD Diag a effectué ses deux diagnostics successifs, prescrit un examen visuel des parties visibles et accessibles et un sondage non destructif de l'ensemble des éléments en bois à l'aide d'outils appropriés et notamment d'un poinçon, la société BD Diag se trouvait en présence, lors de ses deux examens du 29 septembre 2011 et du 8 juin 2012, d'indices importants, ci-après énoncés, permettant de suspecter la présence de la mérule dans d'autres pièces que la cuisine où elle l'avait détectée, selon elle 'parce que le faux plafond était particulièrement endommagé et que le plenum s'avérait de la sorte visible et accessible ': la présence de mérule derrière le sous plafond de la cuisine, la présence d'humidité, de moisissures ou de traces d'infiltration, propices à la présence du champignon, et la présence de traces du parasite sur la charpente des combles, qui ont apparemment échappé à son examen visuel.
Il convient de relever à cet égard que le premier repérage effectué par la société BD Diag en septembre 2011 a duré 1 heure 30 et que le second opéré au mois de juin 2012 a duré 2 heures 30, soit, pour chacune des 25 pièces visitées, une durée de trois minutes pour le premier examen et de six minutes pour le second examen, ces durées étant manifestement insuffisantes pour parvenir à un diagnostic sérieux, l'expert judiciaire ayant lui-même qualifié de 'très sommaires' les deux diagnostics dressés par BD Diag. Un examen visuel plus scrupuleux et la présence des indices précédemment énoncés auraient dû conduire le diagnostiqueur à préconiser à ses cocontractants quelques travaux peu destructifs tels que l'enlèvement de planchettes de lambris sur les murs, ce qui lui aurait permis de conclure le 8 juin 2012 à la présence invasive du champignon. Cette précaution, sans relever d'une obligation de conseil que le premier juge, qui ne parle que de 'mise en garde sur la nécessité de procéder à des investigations complémentaires', n'a nullement affirmée, relevait simplement du respect des règles de l'art auquel est tenu le diagnostiqueur, au-delà du respect de la norme Afnor.
La responsabilité de la société BD Diag se trouve ainsi engagée, ses diligences, insuffisantes, ayant abouti à un diagnostic erroné.
Il en résulte pour M. et Mme U... un préjudice certain, constitué par le coût des travaux de traitement de la mérule qu'ils sont contraints de faire réaliser. Les devis de travaux qu'ils ont fait établir ont été contrôlés par l'expert judiciaire et totalisent un montant de 396795 euros en lien direct avec le traitement de la mérule, incluant le traitement proprement dit de tout l'immeuble, la dépose d'éléments indispensables à l'exécution du traitement et la réfection de la fresque d'un plafond qui doit être refait sen raison de la présence du champignon. Contrairement à ce qui est soutenu par la société BD Diag, M. et Mme U... sollicitent le paiement des seuls travaux nécessaires au traitement de la mérule en les distinguant bien d'autres travaux de rénovation dont ils n'ignoraient pas la nécessité en achetant l'immeuble, compte tenu de sa vétusté dont il a été tenu compte dans la fixation du prix à 200000 euros. Par ailleurs, les dispositions du compromis et de l'acte de vente ne permettent pas de soutenir que M. et Mme U... auraient accepté d'acheter l'immeuble à ce prix en toute connaissance de la présence du parasite qui l'affectait, les stipulations contractuelles établissant au contraire qu'ils se sont engagés dans la vente après l'intervention des deux professionnels aux frais des vendeurs, d'abord celle de la société BD Diag dont le diagnostic du mois de septembre 2011 ne révélait la présence de la mérule que dans la cuisine, ensuite celle de la société Avipur dont les travaux de traitement effectués dans ladite cuisine, sur les instructions de la société BD Diag, étaient censés avoir remédié au problème. Ces deux interventions, effectuées par des professionnels du diagnostic et du traitement des parasites du bois dont la mérule, étaient de nature à rassurer les acquéreurs sur l'état du bien qu'ils projetaient d'acheter ; le fait qu'ils aient consenti à s'engager dans les termes du compromis le 1er juin 2012 sans attendre le résultat du second diagnostic de contrôle du 8 juin 2012, cette stipulation contractuelle étant au demeurant juridiquement inopposable aux sociétés BD Diag et Avipur, ne change rien au fait, quant à lui opposable à ces tiers au contrat, qu'ils ont fondé leur consentement sur la garantie qui leur a été apportée par deux professionnels que l'immeuble n'était affecté de la mérule que dans une seule pièce ayant fait l'objet d'un traitement.
Le lien de causalité entre la faute commise par la société BD Diag et le préjudice subi par M. et Mme U... est par conséquent établi, en sorte que celle-ci sera condamnée in solidum avec son assureur la société Générali, qui ne conteste pas devoir sa garantie sous réserve de l'application de la franchise contractuelle de 3000 euros, à leur payer la somme de 396795 euros en réparation de leur préjudice matériel, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu'il a limité la réparation à la somme de 23468,59 euros.
Le jugement sera également infirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire au titre d'un préjudice de jouissance, les lieux, totalement infestés par la mérule, étant inhabitables comme l'a constaté l'expert judiciaire, et les travaux de traitement étant de grande ampleur. Une demande à hauteur de 2000 euros par mois depuis l'achat jusqu'à la réalisation des travaux est toutefois très largement surévaluée compte tenu du caractère secondaire de l'habitation et des travaux de réfection à réaliser en raison de la vétusté de l'immeuble, notamment en toiture et en façade, qui eux aussi entravent la jouissance de l'immeuble, mais dans une moindre proportion ; au vu des éléments de la cause il sera alloué une indemnité de 30000 euros.
Sur l'action en responsabilité contre la société Avipur :
La société Avipur est intervenue le 8 novembre 2011 à la demande de M. O... pour traiter le champignon précédemment détecté par la société BD Diag sur la charpente du plafond de la cuisine.
L'expert judiciaire a constaté que la société Avipur avait traité l'ensemble du plafond alors que la zone d'infestation se situait à proximité des murs périphériques et que les règles de l'art imposaient un traitement complet dans un périmètre voisin de deux mètres autour de la zone infestée, ce qui impliquait le traitement des murs périphériques après enlèvement complet du torchis en façade avant et pignon de la cuisine, ce que la société s'est abstenue de faire.
Ces constatations caractérisent un manquement de la société Avipur à son obligation d'observer les règles de l'art, et celle-ci ne saurait se retrancher derrière la commande qui lui aurait été faite par M. O... de ne traiter que le plafond, dès lors qu'en sa qualité de professionnel il lui appartenait de définir elle-même les travaux nécessaires à l'éradication du champignon et de les soumettre à l'approbation de son client, aucun élément ne permettant d'établir que M. O... aurait entendu limiter l'intervention de la société Avipur en toute connaissance de la nécessité de l'étendre dans le respect des règles de l'art.
La responsabilité de la société Avipur se trouve ainsi engagée envers M. et Mme U..., mais compte tenu de la nature de son intervention, limitée au traitement complet de la mérule présente dans la cuisine, les conséquences préjudiciables de sa faute ne sauraient s'étendre à tout l'immeuble dès lors qu'elle n'a pas eu pour mission, à l'instar du diagnostiqueur, de détecter la présence du champignon dans toutes les pièces de la maison.
La société Avipur ne peut donc être condamnée à réparer que le seul préjudice imputable à sa faute, soit, d'une part, le coût du traitement de la cuisine contre la mérule, lequel, au vu du coût de sa prestation incomplète et du devis établi par les Compagnons du bois, sera chiffré par la cour à 5000 euros ; d'autre part, le préjudice de jouissance résultant des travaux de reprise et qu'il convient d'évaluer à 800 euros.
Le jugement entrepris sera par conséquent infirmé en ce qu'il a débouté M. et Mme U... de leur action en responsabilité contre la société Avipur, laquelle sera condamnée, in solidum avec les sociétés BD Diag et Générali, au paiement de la somme de 5800 euros sur le total de la condamnation (396795 euros + 30000 euros).
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile :
Les entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris le coût de la procédure de référé et de l'expertise judiciaire, mais non compris le coût du procès-verbal de constat d'huissier de justice, inclus dans l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, seront mis à la charge de la partie qui succombe pour l'essentiel, à savoir la société BD Diag et son assureur.
L'équité et la situation économique des parties commandent d'allouer à M. et Mme U... la somme de 8000 euros au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel, soit 5000 euros pour la première instance et 3000 euros pour l'instance d'appel, ces indemnités étant mises à la charge de la société BD Diag et de son assureur Générali.
Les sociétés BD Diag, Générali et Avipur seront déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a :
dit que la SARL BD Diag 59-62 a commis une faute dans l'exécution de sa mission de diagnostiqueur qui engage sa responsabilité,
dit que la société Générali Assurances Iard doit garantir la société BD Diag 59-62 sous réserve de l'application de la franchise contractuelle de 3000 euros,
débouté les sociétés BD Diag 59-62 et Générali Assurances Iard de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les a condamnées aux dépens en ce compris ceux de la procédure de référé-expertise et le coût de l'expertise judiciaire ;
Statuant à nouveau :
Condamne in solidum la SARL BD Diag 59-62 et la société Générali Assurances Iard à payer à M. et Mme U... :
la somme de 396795 euros en réparation de leur préjudice matériel, indexée sur l'indice BT01 du coût de la construction à compter du 4 avril 2016, date du rapport d'expertise judiciaire,
la somme de 30000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,
la somme de 5000 euros au titre de leurs frais irrépétibles de première instance,
Dit que la société Avipur engage sa responsabilité, le préjudice en résultant pour M. et Mme U... se limitant toutefois à 5800 euros,
Condamne en conséquence la société Avipur, in solidum avec la SARL BD Diag 59-62 et la société Générali Assurances Iard, à payer à M. et Mme U... cette somme de 5800euros sur la condamnation à paiement de la somme totale de 426795 euros (396795 euros + 30000 euros) ;
Y ajoutant,
Déboute les sociétés Avipur, BD Diag 59-62 et Générali Assurances Iard de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum la SARL BD Diag 59-62 et la société Générali Assurances Iard aux dépens, avec droit pour la SCP Deleforge et Franchi de les recouvrer dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le greffier, Le président,
Delphine Verhaeghe Marie-Hélène Masseron