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29/03/2019 | FRANCE | N°16/018098

France | France, Cour d'appel de Douai, D3, 29 mars 2019, 16/018098


ARRÊT DU
29 Mars 2019

N 514/19

No RG 16/01809 - No Portalis DBVT-V-B7A-PYXQ

LG/SD

Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
16 Décembre 2015
(RG F14/00400 -section 2)

GROSSE

aux avocats

le 29/03/19

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-

APPELANT :

Mme A... C...
[...]
assistée de Me Sabrina PORE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉ :

SASU TRANSALLIANCE DISTRIBUTION NORD DE FRA

NCE
[...]
Représenté par Me Eric ANDRES, avocat au barreau de LYON

DÉBATS : à l'audience publique du 13 Décembre 2018

Tenue par Leila GOUTAS
magistrat chargé d'...

ARRÊT DU
29 Mars 2019

N 514/19

No RG 16/01809 - No Portalis DBVT-V-B7A-PYXQ

LG/SD

Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
16 Décembre 2015
(RG F14/00400 -section 2)

GROSSE

aux avocats

le 29/03/19

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-

APPELANT :

Mme A... C...
[...]
assistée de Me Sabrina PORE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉ :

SASU TRANSALLIANCE DISTRIBUTION NORD DE FRANCE
[...]
Représenté par Me Eric ANDRES, avocat au barreau de LYON

DÉBATS : à l'audience publique du 13 Décembre 2018

Tenue par Leila GOUTAS
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Nadine BERLY

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Monique DOUXAMI : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Leila GOUTAS : CONSEILLER
Caroline PACHTER-WALD : CONSEILLER

ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Mars 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Monique DOUXAMI, Président et par Annick GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE:

Madame A... C... est entrée au service de la société TRANSPORT MUNSTER le 1er juin 1998, en premier lieu, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée, puis pour une durée indéterminée, ce, en qualité de chauffeur routier, groupe 7, coefficient 150 de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

Le 1er mars 2008, la société MUNSTER NORD a repris l'activité de la société TRANSPORT MUNSTER. Le contrat de travail de Madame C... s'est donc poursuivi au profit de ce nouvel employeur, avec comme lieu d'affection le site de Lesquin.

L'agence de Lesquin a toutefois été cédée à la société TRANSALLIANCE DISTRIBUTION NORD ILE-DE FRANCE ( ci après désignée TDN IDF), de sorte que le contrat de travail de Madame C... a été, de nouveau transféré à cette entreprise, à compter du 1er janvier 2010.

Le 21 mai 2013, la direction de la société TRANSALLIANCE a été destinataire d'un courier daté du 17 mai 2013, émanant de Madame C... aux termes duquel celle-ci a déclaré subir des faits de harcèlement moral de la part de Monsieur S..., son responsable .

Une enquête interne a été, alors, diligentée.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 29 novembre 2013, la société TRANSALLIANCE reprochant à Madame C... d'avoir, le jour même, refusé un ordre de mission et d'avoir quitté son poste sans prévenir, a convoqué l'intéressée à un entretien disciplinaire, fixé au 9 décembre 2013 en lui notifiant, par ailleurs, une mise à pied à titre conservatoire.

Dans le même temps, la salariée a été placée en arrêt maladie.

Par lettre expédiée le 4 décembre 2013, Madame C... a sollicité de son employeur des explications quant au motif de sa convocation. Puis, par courrier daté du 6 décembre 2013, elle a avisé la direction de la société qu'elle se ferait représenter, lors de l'entretien, par une personne extérieure, à savoir Monsieur I... N..., compte tenu de l'absence d'organisation d'élection de représentant du personnel au sein de l'entreprise.

Le 7 janvier 2014 , elle s'est vu notifier un avertissement pour les faits du 29 novembre 2013.

Par courrier en date du 27 janvier 2014, Madame C... a contesté la légitimité de cette sanction, sollicitant auprès de la direction, son annulation.

Le même jour, elle a été convoquée à un nouvel entretien disciplinaire, fixé au 10 février 2014 et, une nouvelle fois, a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire.

Le 27 février 2014, la salariée a été licenciée pour faute grave.

Le 17 mars 2014, Madame C... a saisi le conseil des prud'hommes de Lille afin de voir déclarer son licenciement nul au regard de la situation de harcèlement moral subi et obtenir la condamnation de son employeur au paiement de diverses sommes et indemnités.

Par jugement en date du 16 décembre 2015, la juridiction prud'homale a déclaré le licenciement, fondé, débouté Madame C... de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Madame C... a interjeté appel de cette décision dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas discutées entre les parties.

A l'audience du 13 décembre 2018 où l'affaire a été évoquée, les parties reprennent oralement leurs dernières écritures, reçues respectivement les 3 août 2016 et 6 juillet 2018, et auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions.

Madame C... sollicite la réformation intégrale du jugement entrepris.
Elle demande à la cour,
A titre principal de :
- déclarer son licenciement pour faute grave, nul ;
- en conséquence, condamner la société TDN IDF à lui verser les sommes suivantes :
* 1 607,10 euros à titre de rappel de salaires au titre de la période de mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents.
* 5 102,10 euros à titre d'inedmnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents ;

* 9 921,89 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
* 36 908,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;
* 2 551,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non respect des règles relatives à l'assitance du salarié ;
* 6 648,00 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et non respect de l'obligation de sécurité.

A titre subsidiaire de :
- dire son licencement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;`
- en conséquence, condamner la société TDN IDF à lui verser les sommes suivantes :
* 1 607,10 euros à titre de rappel de salaires au titre de la période de mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents.
* 5 102,10 euros à titre d'inedmnité compensatrice de préavis outre els ocngés payés afférents ;
* 9 921,89 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;
* 36 908,00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 2 551,00 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du non respect des règles relatives à l'assitance du salarié ;

En tout état de cause condamner au paiement des sommes suivantes:

- condamner la société TDN IDF à lui verser une indemnité de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la adte de convocation de la société à l'audience de conciliation pour les créances de nature salariale et à compter de la décision pour le surplus des condamnations.
- condamner la société TDN IDF aux entiers dépens.

La société TDN IDF, pour sa part, conclut à la confirmation du jugement dans toutes ses dispositions et au débouté de l'ensemble des prétentions adverses.
Elle sollicite, en outre, une indemnité de 2000 euros au titre des frais non répétibles .

SUR CE, LA COUR :

Sur la nullité du licenciement en raison de la révélation de faits de harcèlement moral:

En application des dispositions de l'article L 1152-2 du code du travail, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Le non respect de ces dispositions entraîne la nullité du licenciement.

Madame C... affirme avoir été licenciée parce qu'elle a dénoncé à son employeur des faits de harcèlement moral mettant en cause son «exploitant», Monsieur S....
Elle se réfère, ainsi, au courrier qu'elle a rédigé le 17 mai 2013 dont elle a réitéré les termes lors de son entretien avec la direction, le 17 juin 2013, puis dans différentes correspondances. Elle souligne, par ailleurs, qu'elle a, peu de temps après, fait l'objet d'une première procédure disciplinaire injustifiée, avec mise à pied conservatoire, à l'issue de laquelle il lui a été notifié un avertissement, suivie quelques jours plus tard, d'une nouvelle procédure, aboutissant à son licenciement pour faute grave. Elle estime que la précipitation avec laquelle l'employeur a agi pour la sanctionner, et ce, seulement 17 jours après son retour d'un arêt maladie pour dépression est révélateur d'un détournement de procédure. Elle ajoute que la lettre lui notifiant l'avertissement du 7 janvier 2014 fait, à plusieurs reprises, allusions aux accusations qu'elle a porté contre son responsable.

La société TDN IDF conteste avoir rompu le contrat de travail de la salariée en raison de la dénonciation que celle-ci a faite et relève que cette dernière ne procède que par allégations, sans démontrer ses dires. Elle précise avoir diligenté une enquête dès réception du courrier de Madame C..., laquelle n'a pas permis de confirmer les accusations portées.
Elle affirme que les deux procédures disciplinaires mises en œuvre successivement sont exclusivement liées au comportement de la salariée et à ses manquements professionnels. Elle ajoute que ces mesures sont intevenues dans la continuité de précédentes sanctions, notifiées peu de temps auparavant.

A titre liminaire, la cour précise que bien que les parties aient consacré de longs dévelopements sur la licéité et la légitimité de la procédure disciplinaire du 29 novembre 2013, elle n'est saisie d'aucune demande tendant à voir annuler la sanction prise dans ce cadre, notifiée à Madame C... le 7 janvier 2014.

La cour rappelle, par ailleurs, que le prononcé de la nullité du licenciement en raison de la dénonciation de faits de harcèlement moral, que ceux-ci soient du reste ou non établis, suppose au préalable, de la part de celui qui s'en prévaut, la démonstration d'un lien entre la rupture de son contrat de travail et les événements qu'il a porté à la connaissance de son employeur.

Au cas présent, il est constant que Madame C... a rédigé un courrier, daté du 17 mai 2013, intitulé «lettre de dénonciation pour harcèlement moral» où elle fait état notamment de «pressions, réflexions et remarques» subies depuis quelques temps de la part de Monsieur J... S... et évoque certains propos désobligeants tenus à son endroit par l'intéressé, le 15 mai 2013.
Il n'est pas discuté que la salariée a été reçue à ce sujet en entretien le 17 juin 2013 par la direction de l'entreprise, laquelle, au vu des éléments recueillis, n'a pas pris de sanction à l'encontre du salarié mis en cause.

Il y a lieu de relever que la première procédure disciplinaire, mise en œuvre postérieurement à la dénonciation des faits de harcèlement moral, est intervenue le 29 novembre 2013, soit plus de 6 mois après.

Entre ces deux périodes, il n'est justifié d'aucun échange entre l'employeur et la salariée portant sur la révélation des faits de harcèlement moral, d'aucune démarche de Madame C... tendant à s'enquérir des suites données à sa réclamation ou visant à informer sa hiérarchie de la persistance du comportement déplacé de son responsable.

Ce n'est que le 11 décembre 2013, dans un courrier visant à contester les griefs exposés lors de l'entretien préalable du 9 décembre 2013, à savoir un refus d'exécuter une tournée suivi d'un abandon de poste, que Madame C... fait à nouveau état de la situation de harcèlement moral qu'elle estime subir, en ces termes: «surtout, je vous rappelle que je subis depuis quelques mois du harcèlement moral de la part de Monsieur S.... Je vous ai alerté sur ces faits en mai 2013 mais rien n'a changé (
/...) . J'ai même dû arrêter 5 semaines en septembre. J'espérai que Monsieur S... se calmerait à mon retour. Rien n'a changé . Mon départ précipité de l'entreprise, le 29 novembre 2013 est d'ailleurs en lien à ces semaines là».

L'avertissement pris à l'issue et notifié le 7 janvier 2014, dont la partie appelante ne sollicite aucunement l'annulation, évoque en premier lieu les incidents relevés le 29 novembre 2013 et fait effectivement allusion aux propos de la salariée concernant Monsieur S....
Toutefois, il importe de préciser que dans son écrit, l'employeur se réfère, non pas au courrier du 17 mai 2013, mais à l'argumentation développée par Madame C... dans sa lettre du 11 décembre 2013, consistant à justifier son abandon de poste du 29 novembre 2013, par le comportement de « son exploitant ». Sur ce point, l'employeur se contente de résumer la position de Madame C... en ces termes « à l'occasion de l'entretien du 9 décembre 2013, vous avez tenté de justifier votre attitude par celle d'un collaborateur en charge de l'exploitation », avant de lui faire part de son point de vue: « Cet argument ne saurait prospérer compte tenu, notamment des vérifications et des garanties que nous avons prises en interne suite à vos précédnyes déclarations et aux conclusions que vous aviez pu partager en son temsp avec le Directeur des Ressources Humaines. Par ailleurs le collaborateur concerné n'était pas présent sur l'agence au moment des faits qui vous sont reprochés.»

Il ne peut, donc, dans ces conditions et compte tenu de la chronologie des événements, être affirmé que l'employeur a souhaité, en fait, sanctionner la démarche initiale de Madame C... consistant à l'interpeller sur le comportement inapproprié de son responsable.

La seconde procédure disciplinaire, quant à elle engagée le 27 janvier 2014, soit 8 mois après le courrier de dénonciation et plus d'un mois après la nouvelle évocation des faits par Madame C..., concerne des manquements professionnels constatés respectivement, les 20 janvier et 24 janvier 2014, à savoir, un non respect de la réglementation relative au temps de conduite, un défaut de amnipulation du sélecteur chronotachygraphe et un oubli de palettes.
La lettre de licenciement en date du 27 février 2014 n'évoque ni ne fait allusion à aucun autre événement.
Il n'existe, donc aucun lien apparent entre la mesure prise et les agissements dénoncés par la salariée, et, force est de constater que cette dernière n'apporte aucun élément permettant de considérer que cette nouvelle procédure, ayant conduit à la rupture de son contrat de travail, aurait, d'une manière ou d'une autre, un rapport avec les faits relatés dans ses correspondances des 17 mai 2013 et 9 décembre 2013.

Ainsi, au vu de ce qui précède, la seule circosntance que la salariée a été sanctionnée, par un avertissement puis par un licenciement pour faute grave, quelques mois après avoir révélé à son employeur une situation de harcèlement moral, ne saurait suffire à considérer ces événements comme néssairement liés et à entraîner la nullité de la rupture étant précisé, qu'il est justifié de mesures disciplinaires prises à l'encontre de Madame C... antérieurement à son premier courrier de dénonciation.

La demande en nullité du licenciement sera donc rejetée .

Sur les faits de harcèlement moral et la demande en dommages et intérêts subséquentes:

Madame C... affirme que Monsieur S... avait pris l'habitude de s'adresser à elle de manière méprisante, humiliante et vexatoire en lui faisant régulièrement des critiques devant ses collègues, en se moquant d'elle. Elle relate une scène intervenue en mai 2013, au cours de laquelle, s'inquiétant de ne pas avoir son tracteur habituel, elle a questionné ses responsables à ce sujet, ce qui lui a valu une réponse désobligeante de la part de Monsieur O..., que Monsieur S... a souhaité appuyer d'une autre remarque tout aussi déplacée.
Elle déclare également que Monsieur S... abusait de ses prérogatives pour la pénaliser et explique qu'ainsi, le 29 novembre 2013, il lui a volontairement attribué une tournée qu'elle n'assurait pas en temps normal, ce, dans le seul but de la destabiliser, laissant le soin à un autre employé peu expérimenté d'assurer, à sa place sa tournée habituelle sur Maubeuge.
Elle estime que ces agissements répétés ont gravement porté atteinte à sa santé et sont à l'origine de ses différents arrêts de tarvail.

La société TDN IDF conteste cette version des faits et dément toute situation de harcèlement moral.
Elle fait valoir que la partie appelante n'étaye aucunement ses propos et se fonde essentiellement des écrits rédigés par ses soins ou ne faisant que reprendre ses déclarations. Elle souligne que Madame C... ne produit aucune pièce médicale attestant de la dégradation de son état de santé, alors que pour sa part, elle transmet non seulement des attestations de nombreux employés qui décrivent Monsieur S... comme un collègue respectueux des autres mais également l'avis du médecin du travail, déclarant la salariée apte à la reprise de ses fonctions sans aucune réserve et sans référence à une éventuelle situation de souffrance au travail.

L'article L 1152-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige énonce qu' « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »
Il incombe au salarié d'établir la matérialité de faits précis, concordants et objectifs permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, lesquels sont laissés à l'appréciation du juge du fond qui les examine dans leur ensemble .
Si les éléments rapportés permettent de présumer de l'existence d'un harcèlement moral, l'employeur doit alors prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, à l'appui de ses dires, Madame C... verse aux débats :
- ses courriers de convocations à entretiens disciplinaires ;
- l'avertissement en date du 7 janvier 2014 ;
- la lettre de licenciement ;
- son courrier de dénonciation en date du 17 mai 2013 ;
- un extrait d'agenda
- son courrier de contestation de procédure disciplinaire du 11 décembre 2013
- ses bulletins de paie mentionnant une absence pour maladie pour la période comprise entre le 25 septembre 2013 et le 9 novembre 2013 ;
- les courriers échangés entre son conseil et la direction de la société
- une lettre établie par Monsieur E... K... daté du 17 mai 2013
- une attestation rédigée par Monsieur K... datée du 27 mai 2013
- un écrit non daté, dactylographié, intitulé « attestation », au nom de Monsieur M... P..., délégué du personnel ;

L'examen de ces différentes pièces permet de constater que les agissements imputés à Monsieur S..., décrits comme réguliers par Madame C... résultent principalement des déclarations de la salariée, consignées dans divers courriers adressés à la société, soit directement, soit par l'intermédiaire de son conseil et ne sont pas étayés par des éléments objectifs.
Si la partie appelante se prévaut, en effet, de deux témoignages, ceux-ci par leur présentation et leur contenu, revêtent, toutefois une portée limitée.
En effet, Monsieur M... P..., délégué du personnel au sein de TDN IDF, indique, certes, dans son écrit que «certains chauffeurs ont tenu des affirmations concernant Monsieur J... S..., et des propos dégradants sur la capacités d'accomplir leur travail et l'exécution des tâches qui leur incombaient», pour autant, il ne fait état que d'une situation qui lui a été rapportée, sans autre vérification de sa part, et ne précise ni les paroles prononcées, ni les salariés concernés, ni, enfin, à quelle date, les faits ont été constatés.
Au regard de ces nombreuses imprécisions, aucun lien ne peut être établi avec les agissements évoqués par Madame C....
Monsieur E... K..., un ancien collègue de la salariée, soutient, pour sa part, dans l'attestation qu'il a rédigée le 27 mai 2015, avoir effectivement entendu des propos désobligeants de la bouche de Monsieur S... à l'égard de chauffeurs qu'il désigne soit par leur nom, soit par leur surnom, parmi lesquels ne figure, en tout état de cause, pas Madame C.... Ses déclarations, au demeurant démenties par divers autres témoignages ( pièces intimée 56, 72 à 81) ne sauraient permettre de conclure que Monsieur S... s'est nécessairement montré irrespecteux et injustement désagréable avec la salariée, ce, de façon répétée.

Il apparaît que Monsieur K... a également rédigé, le 17 mai 2013, une lettre, qui par son contenu et sa présentation ne saurait être assimilée à une attestation au sens de l'article 202 du code de procédure civile, aux termes de laquelle il relate avoir entendu, le 14 mai 2013 au matin, une conversation au cours de laquelle: «Madame C... a demandé pourquoi elle n'avait pas son tracteur habituel», ce à quoi Monsieur T... O... ( qui n'est pas mis en cause par l'appelante a répondu: «tu en as pas besoin pour ce que tu fais», Monsieur S..., ajoutant alors « ça c'est bien vrai!».
Sans plus de précisions et sans citer ses sources, il indique également : «J'ai su ensuite que J... S... lui a dit qu'il lui ferait faire une dépression nerveuse. Je ne suis pas étonnée du comportement de notre chef».

Il résulte ainsi, des déclarations de ce témoin, que celui-ci indique avoir assisté, finalement, à un seul échange entre Madame C... et son responsable, se limitant aux quelques môts rapportés, ce qui ne permet pas de conclure qu'il s'agissait d'un comportement habituel chez Monsieur S....

Enfin, le fait non contesté que Madame C... ait été, le 29 novembre 2013, affectée à une tournée Roubaix Tourcoing, qu'elle ne réalisait pas habituellement, ne saurait suffire, en l'absence d'autres éléments, à considérer que Monsieur S... a, à cette occasion, abusé de ses prérogatives dans le but de pénaliser l'intéressée, dans la mesure où il n'est pas discuté que ce dernier avait toute compétence pour prendre ce type de décision, relevant par ailleurs du pouvoir de direction et d'organisation de l'employeur, que la tournée en question impliquait une distance à couvrir moins longue que celle assurée en temps normal par Madame C... ( Maubeuge-Dunkerque) et qu'il n' y avait pas eu de précédents auparavant, alors que la salariée était revenue d'arrêt maladie depuis plus de deux semaines.

En conséquence, il y a lieu de constater que les éléments avancés par Madame C..., laquelle, au surplus, invoque une dégradation importante de son état de santé sans produire de pièce médicale, sont insuffisants pour laisser présumer d'une situation de harcèlement moral.

Le jugement entrepris ayant débouté Madame C... de sa demande indemnitaire de ce chef, sera donc confirmé

Sur le manquement de la société à son obligation de sécurité :

Madame C... invoque l'inaction de la société TDN IDF à l'appui de sa demande indemnitaire en faisant valoir qu'elle a dénoncé à plusieurs reprises une situation de harcèlement moral, sans qu'aucune suite ne soit donnée à sa plainte.

La partie intimée rappelle que dès réception du courrier de la salariée, elle a diligenté une enquête laquelle n'a pas permis de confirmer ses accusations à l'encontre de Monsieur S.... Elle relève qu'à ce titre, Madame C... n'a aucunement dénoncé aux délégués du personnel, au CHSCT ou même à l'inspection du travail, une situation de souffrance au travail at a varié dans ses accusations, faisant état en premier lieu de faits de harcèlement sexuel.

En application de l'article L.4121-1 du Code du Travail, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise.
Il doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés.
Il doit en assurer l'effectivité en engageant des actions de prévention des risques professionnels, d'information et de formation des salariés sur ces risques et sur les mesures destinées à les éviter ainsi qu'en mettant en place une organisation et des moyens adaptés.
Toutefois, l'employeur, peut s'exonérer de sa responsabilité s'il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les article L 4121-1 et L4121-2 du Code du Travail, et si une fois informé de l'existence de faits susceptibles de caractériser une atteinte a pris les mesures immédiates propres à les faire cesser.

Au vu de ce qui précède, et compte tenu de l'absence d'éléments permettant de confirmer l'existence d'agissements répétés vexatoires et humiliants, imputables à Monsieur S... de nature à porter atteinte à la santé de la salariée, la demande en dommages et intérêts présentée par cette dernière au titre du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité sera rejetée.
Au surplus, la cour constate que la direction de la société, dès réception du courrier de dénonciation de Madame C..., a répondu à celle-ci pour la convier à un entretien lequel s'est tenu le 17 juin 2013. Elle a procédé , ensuite, à des vérifications. Monsieur V... H..., directeur de la filiale, à l'époque, confirme que le directeur des ressources humaines s'est déplacé sur le site pour auditionner non seulement la salariée mais également l'exploitant mis en cause. Il précise que Madame C... n'a pu fournir d'éléments factuels et sérieux à l'appui de ses accusations.

L'employeur n'est donc pas resté inactif et l'absence de sanction prise à l'égard de Monsieur S... est liée au fait qu'il a considéré au vu des informations recueillies, que les accusations de Madame C... n'étaient pas suffisamment étayées.

Sur la légitimité du licenciement pour faute grave :

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la rupture du contrat de travail, sans préavis, la charge de la preuve, pesant sur l'employeur.
Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En l'espèce, aux termes de la lettre de licenciement du 27 février 2014, qui fixe les limites du litige, il est reproché à Madame C...:

- d'avoir, le 24 janvier 2014, oublié de charger une palette de marchandises devant être livrée à un client et d'avoir pris la route sans vérifier le chargement de son camion ni la conformité de celui-ci avec le bordereau de groupage, cette négligence ayant contraint l'entreprise à solliciter « un express » pour remédier au retard pris dans la livraison du produit et de ce fait, à faire face à une dépense supplémentaire.
- d'avoir commis le 20 janvier 2014, une infraction de 5ème classe, en conduisant de façon continue durant plus de 6 heures, en violation de la réglementation applicable.
- d'avoir au cours du mois de janvier 2014 et notamment le 24 janvier 2014, procédé à une manipulation non conforme de son sélecteur d'activité, ces faits cosntituant une infraction de 5ème classe.

Madame C... estime le licenciement injustifié, contestant, soit la gravité des faits reprochés (oubli de palette), soit leur réalité ( les deux infractions de 5ème classe). S'agissant du premier grief, elle explique qu'il s'agit d'un fait isolé, en 15 années de carrière et affirme que dès qu'elle s'est aperçue de son erreur, elle a appelé le client pour trouver une solution. Elle déclare qu'elle avait ainsi convenu avec lui de revenir le livrer dès le lundi matin suivant. S'agissant des deux autres griefs, elle relève qu'ils ne sont pas démontrés par les pièces de la procéduré
Elle ajoute que la société TDN IDF ne peut valablement se prévaloir de sanctions prescrites pour légitimer son choix de rompre brutalement la relation professionnelle.
Elle ajoute qu'il n'a pas été tenu compte de ses difficultés liées au comportement de Monsieur S....

L'employeur rétorque que la nature des manquements relevés, lesquels ne peuvent trouver justification au regard de l'expérience de Madame C... ainsi que le passé disciplinaire de l'intéressée légitiment le licenciement pour faute grave prononcé.

En l'espèce, l'oubli de palette n'est pas discuté et résulte d'un défaut de vérification du chargement mais également du borderau de groupage mentionnant la prise en charge de deux palettes et précisant du reste, que la date de livraison, fixée au 24 janvier 2014, était impérative.
Compte tenu de l'expérience de Madame C... et de son niveau de qualification, cette omission atteste d'une réelle négligence dans l'exercice de ses missions. Elle est donc fautive.
La société TDN IDF justifie par ses pièces 48 et 49 de ce qu'elle a dû pallier cette difficulté en organisant, dans l'urgence, un affrètement de la marchandise non livrée, ce qui a généré des frais supplémentaires.
La partie intimée verse, par ailleurs aux débats la preuve de ce que moins de 3 ans auparavant, soit les 29 mars 2011 et 4 août 2011, elle a notifié à la salariée des avertissements pour des faits de même nature.

Le grief est donc établi et revêt un caractère sérieux, s'agissant d'un comportement déjà observé pour lequel Madame levasseur avait déjà été rappelée à l'ordre.

S'agissant du non respect des temps de conduite, l'examen des pièces 50 et 51 présentées par l'employeur, correspondant au relevé d'infraction pour la période du 1er janvier 2014 au 31 janvier 2014 et au récapitulatif des temps de conduite pour la journée du 20 janvier 2014, établissent que Madame C..., qui est une conductrice expérimentée et est donc au fait de la réglementation en matière de transport, a circulé durant 6h29 en effectuant une pause de 30 minutes, alors qu'elle aurait s'arrêter au bout de 4h30 minutes et faire une pause de 45 minutes, en fractionnant, le cas échéant, celle-ci.
La réalité des faits commis n'est donc pas discutable et la gravité de ceux-ci découle, tout d'abord de leur nature pénale (infraction de 5ème classe) et de ce qu'ils sont susceptibles d'engager la responsabilité de l'entreprise sur les plans civil et pénal.

S'agissant du troisième grief invoqué, il y a lieu de constater, en revanche, que la société TDN IDF, ne précise pas quels seraient «les défauts de manipulation de sélecteurs de chronotachygraphe » imputables à la salariée et n'apporte, en tout état de cause, pas d'éléments à l'appui de ses accusations.
L'infraction n'est donc pas caractérisée.

Toutefois, au vu des précédents développements et en présence de manquements répétés, observés sur un laps de temps court, quelques jours seulement après que Madame C... ait reçu un avertissement, il ne peut être reproché à la société TDN IDF d'avoir mis immédiatement fin à la relation de travail, alors qu'elle se doit de préserver son image à l'égard de ses clients et qu'une application désinvolte des règles en matière de sécurité routière constitue pour elle un risque majeur.

Le jugement entrepris, ayant déclaré fondé le licenciement pour faute grave et débouté Madame C... de ses demandes subséquentes, sera donc confirmé.

Sur le non respect des règles relatives à l'assistance du salarié :

Pour la première fois en cause d'appel, Madame C... soutient qu'il appartient à la société TDN IDF « de s'expliquer devant la juridiction sur l'existence ou non de représentants du personnel en fonction, lors de deux procédures et de produire au débat tout élément permettant de justifier sa position»
Elle sollicite une somme de 2551 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi « du fait du non respect des règles relatives à l'assistance du salarié »

La partie intimée que la salariée ne justifie d'aucun manquement qui lui serait imputable ni d'aucun préjudice, dans la mesure où l'intéressée a pu être assistée par un conseiller de son choix, externe à l'entreprise et qu'elle a pu faire valoir ses droits à la défense.

Force est de constater que si la société TDN IDF n'a pas joint pas à la procédure la copie du protocole d'accord préélectoral organisant des éléctions professionnelles au sein de l'entreprise en vue de la désignation de la prochaine délégation unique du personnel, elle transmet, toutefois, diverses correspondances adressées à l'Inspection du travail, faisant état de ce document et justifiant de la prorogation des mandats des délégués élus en 2011, jusqu'en mars 2014.
Madame C... qui invoque un manquement de l'employeur n'apporte pas d'élément de nature à remettre en cause les informations que celui-ci a fournies à l'autorité admnistrative et elle ne démontre ni n'allègue que l'entreprise aurait été, par la suite, sanctionnée à ce titre.
Il ressort en outre de la procédure que Madame C... a été assistée lors de ses différents entretiens disciplinaires. Elle a donc pu faire valoir ses droits. Lors de son entretien prélable à licenciement, il n'est pas contesté que bien qu'en possession de la liste des conseillers existant au sein de l'entreprise, elle a souhaité se faire assister de Monsieur N..., personne extérieure à celle-ci, ce qui lui a été accordé.
La situation décrite par la partie appelante ne lui a, de toutes les façons, causé aucun préjudice .

Sa demande indemnitaire sera donc rejetée.

Sur les frais non répétibles et les dépens :

L'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Madame A... C... sera, en revanche, condamnée aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par arrêt mis à la disposition du greffe;

Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Déboute Madame A... C... de sa demande indemnitaire fondée sur du non respect des règles relatives à l'assistance du salarié ;

Dit n'y avoir lieu, en cause d'appel, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

Condamne Madame A... C... aux dépens d'appel;

LE GREFFIER LE PRESIDENT

A.GATNER MDOUXAMI


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : D3
Numéro d'arrêt : 16/018098
Date de la décision : 29/03/2019
Sens de l'arrêt : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Références :

Décision attaquée : DECISION (type)


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2019-03-29;16.018098 ?
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