ARRÊT DU
28 Février 2019
N 312/19
No RG 16/00786 - No Portalis DBVT-V-B7A-PSPR
LG/CH
Jugement du
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE
en date du
23 Octobre 2015
(RG 14/01658 -section 4)
GROSSE
le 28/02/19
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Mme N... E... épouse S...
[...]
Représentée par Me Alexandre BAREGE, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
SAS LAGARDERE PUBLICITE VENANT AUX DROITS DE LA SOCIETE LAGARDERE METROPOLES
[...]
Représentée par Me Mickaël AMADO, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Charlotte GUY, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS : à l'audience publique du 13 Septembre 2018
Tenue par Leila GOUTAS
magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,
les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER : Valérie COCKENPOT
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Sylvie COLLIERE : PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Leila GOUTAS : CONSEILLER
Caroline PACHTER-WALD : CONSEILLER
Le prononcé de l'arrêt a été prorogé du 21 décembre 2018 au 28 février 2019 pour plus ample délibéré.
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 28 Février 2019,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Leila GOUTAS, conseiller et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE :
La société LAGARDERE METROPOLES aux droits de laquelle se trouve désormais la société LAGARDERE PUBLICITE exerçait une activité de régie publicitaire sur tous médias (dans les domaines de la presse de la télévision de la radio et de l'Internet
). Elle était implantée sur l'ensemble du territoire français.
Suivant contrat à durée indéterminée en date du 1er septembre 2003 et à effet au 9 septembre 2003, la société HACHETTE FILIPACCHI INTERDECO détenue par le groupe Lagardère, a engagé Madame N... O... épouse S..., en qualité de chef de publicité. Celle-ci a été affectée au bureau de Lille.
Le 1er janvier 2007, la salariée a été promue au poste de directrice de clientèle, avec effet rétroactif au 1er janvier 2007.
Par la suite, le contrat travail de Madame S... a été transféré au profit de la société LAGARDERE METROPOLES.
Par avenant en date du 2 mars 2009 et à effet au 1er août 2009, la salariée a été confirmée dans son poste de directrice de clientèle.
À compter du 1er janvier 2010, elle est devenue directrice de clientèle responsable du développement, palier 5.
Par avenant en date du 2 février 2011, la société LAGARDERE METROPOLES lui a fixé de nouvelles modalités d'intéressement et d'objectifs au titre de l'année 2011.
A compter du 24 septembre 2011, Madame S... est partie en congé maternité.
A son retour, le 25 mars 2012, elle a bénéficié d'un congé parental à temps partiel et a été nommée au poste de référente Web.
Par courrier en date du 12 octobre 2012, Madame S... a présenté sa démission à son employeur en demandant à être dispensée de son préavis.
Par lettre datée du 17 octobre 2012 et réceptionnée le 20 octobre 2012, l'employeur a pris acte de cette rupture et a dispensé la salariée de son préavis.
Entre temps, par courriel en date du 18 octobre 2012, Madame S... informée de l'envoi de cette correspondance a informé la direction de la société avoir remis sa démission sous la pression des derniers mois au cours desquels elle a attendu, en vain, une modification de son avenant, afin que les modalités de sa rémunération soient revues et déterminées de façon plus lisible.
Le 21 février 2013, Madame S... a saisi le conseil des prud'hommes de Lille aux fins de voir requalifier sa démission en une prise d'acte aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement en date du 23 octobre 2015, notifié aux parties le 8 février 2016, la juridiction prud'homale a :
- dit que la démission de Madame S... est claire et non équivoque
- débouté celle-ci de l'ensemble de ses demandes
- condamné Madame S... à verser à la société Lagardère la somme de 500 euros au titre de l'Article 700 du code de procédure civile.
- débouté la société LAGARDERE METROPOLES de sa demande reconventionnelle
- mis les dépens à la charge de la demanderesse ;
Le 26 février 2016, Madame S... a interjeté appel de cette décision dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées entre les parties.
L'affaire a été examinée le 13 septembre 2018.
À l'audience, les parties reprennent oralement lors dernières écritures reçues respectivement le jour de l'audience (conclusions d'appel no 2) et 21 août 2017, auxquelles il y a lieu de se référer pour un plus ample exposé des faits moyens et prétentions.
Madame S... demande à la cour de réformer la décision déférée dans toutes ces dispositions et, statuant à nouveau, de :
- constater que sa démission est équivoque
- constater que cette démission produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse
- condamner la société LAGARDERE METROPOLES à lui verser les sommes suivantes :
* 12 031,92 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents
* 12 182,37 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement
* 75 000,00 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse nets de CSG et de CRDS
- condamner la société LAGARDERE METROPOLES à lui verser à titre de rappel de salaire la somme de 9 612,53 euros, majorée des congés payés y afférents ;
- condamner la société LAGARDERE METROPOLES a lui verser une indemnité de 3500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société LAGARDERE METROPOLES aux entiers dépens
- dire et juger que les sommes dues porteront intérêts à compter du jour de la demande
- prononcer la capitalisation des intérêts par voie judiciaire.
La société LAGARDERE PUBLICITE venant aux droits de la société LAGARDERE METROPOLES sollicite, pour sa part, la confirmation intégrale du jugement entrepris et le rejet de l'ensemble des demandes de Madame S....
Elle demande à la cour de dire que la démission de l'intéressée est claire et non équivoque et ne peut être requalifiée en aucune manière.
A titre subsidiaire de :
-dire et juger que la rupture du contrat travail Madame S... requalifiée, le cas échéant, en prise d'acte de rupture produit des effets d'une démission ;
- rejeter donc l'ensemble des demandes fins et conclusions de Madame S...
À titre infiniment subsidiaire de :
- dire injustifiée toute demande formée par Madame S... sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail supérieure à six mois de salaire et l'en débouter.
- condamner Madame S... à verser à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
SUR CE, LA COUR :
I) Sur la qualification de la rupture et les demandes subséquentes :
La démission est l'acte par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de rompre le contrat de travail.
Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission.
En l'espèce, la lettre de démission établie le 12 octobre 2012 est libellée comme suit :
«Madame, Monsieur,
Je vous informe par la présente que je souhaitais mettre fin à mon contrat.
Egalement merci de me faire savoir si je peux ne pas effectuer mon préavis.
Je vous prie d'agréer Madame, Monsieur, mes sincères salutations»
Elle ne mentionne aucun grief.
Pour solliciter la requalification de cette démission en prise d'acte, Madame S... expose que celle-ci est équivoque au regard des circonstances dans lesquelles elle est intervenue.
A ce titre, elle soutient qu'à son retour de congé maternité, elle s'est vu imposer un poste de référent web qu'elle n'a jamais accepté et souligne qu'elle n'a jamais signé l'avenant qui lui a été remis à l'époque. Elle se réfère, par ailleurs, aux mails adressés à sa hiérarchie au cours du mois de juillet 2012, établissant qu'elle avait, à cette date, écrit pour se plaindre du peu de lisibilité des modalités de sa rémunération et solliciter des rendez-vous afin que sa situation soit prise en compte.
Elle relève que, dès le 18 octobre 2012, elle a transmis un courriel à son employeur précisant les raisons l'ayant poussée à rompre la relation de travail, lequel énonce divers griefs à l'endroit de celui-ci.
Elle indique également que les pièces qu'elle verse à la procédure établissent, sans conteste, que la société lui a imposé une modification de ses fonctions impliquant une baisse de sa rémunération, sans son accord, ce qui constitue un manquement grave aux obligations contractuelles justifiant la requalification de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société LAGARDERE PUBLICITE objecte le fait que la lettre de démission ne comporte aucune réserve. Elle fait valoir que la chronologie des événements permet de retenir que la salariée a voulu, sans le moindre doute, mettre fin à la relation de travail pour des motifs étrangers à un éventuel comportement de son employeur.
A ce titre, elle fait observer que le courriel du 18 octobre 2012 dont se prévaut Madame S... et faisant état de «pressions» est intervenu après que celle-ci ait obtenu confirmation de ce qu'elle était dispensée d'effectuer son préavis, ce qui atteste d'une démarche artificielle.
Elle indique que dès le 12 novembre 2012, la salariée prenait ses fonctions au sein de l'agence VEV.
Elle estime qu'en tout état de cause, aucune faute ne peut lui être reprochée dans la mesure où le poste de référent web avait été négocié avec Madame S... pendant son congé maternité et accepté par elle. Elle précise que le fait que la salariée n'ait pas signé l'avenant ne permet pas d'en déduire qu'elle a refusé les nouvelles conditions de son emploi, alors que les éléments qu'elle transmet, attestent du contraire.
Au cas présent, l'examen des pièces de la procédure permet de constater que la lettre de démission qui ne mentionne aucun grief a été adressé à la société LARGARDERE METROPOLES près de trois mois après le courriel de réclamation de Madame S... en date du 17 juillet 2012 dans lequel, cette dernière ne remettait pas en cause sa nomination en qualité de référente web mais davantage le système de rémunération mis en place ne lui permettant pas, selon elle, d'avoir une lisibilité sur ce qu'elle gagnerait à la fin de chaque mois. Il y a lieu de relever que cette correspondance du 17 juillet 2012 a été adressée presque de 3 mois après que Madame S... ait pris ses nouvelles fonctions et les échanges de mails transmis par la partie intimée permettent de constater, d'une part, que la salariée s'est vu proposer le poste de référent web et communiqué les modalités de sa rémunération durant son congé maternité, d'autre part, que bien que n'ayant pas signé son avenant, elle a manifestement investi pleinement ses nouvelles missions, lesquelles répondaient à un projet professionnel qu'elle nourrissait depuis plusieurs mois, comme cela résulte de son entretien d'évaluation réalisé le 15 décembre 2010 (cf pièces intimée 22, 25 à 30, 33, 35 42 à 44, 48).
Il y a lieu de relever que jusqu'à son courrier du 17 juillet 2012, Madame S... n'a émis aucune plainte quant au contenu de l'avenant qui lui avait été remis quelques mois plutôt, ses critiques portant davantage sur l'ambiance de travail.
L'intéressée a sollicité un entretien avec ses supérieurs hiérarchiques pour évoquer les difficultés liées à sa rémunération, à la suite du courriel de Monsieur Q... en date du 4 juillet 2012, s'interrogeant sur ses prévisions en terme de chiffres du mois de juillet, évaluées par la salariée à 0 euros. (pièce 36 partie intimée).
La direction, par mail du 19 juillet 2012, a fait une réponse visant à rassurer Madame S... sur les problèmes soulevés, en reprenant point par point, les éléments avancés par cette dernière quant aux conditions de sa rémunération et en lui demandant de lui retourner l'avenant signé. A ce titre, il convient de souligner que Monsieur Q... qui en est le rédacteur mentionne : «En ce qui concerne ton avenant, je suis très surpris que tu ne l'aies pas signé, car si ma mémoire est bonne, et Julie le confirmera, lorsque nous te l'avons remis, Julie était à Lille, elle t'a demandé s'il y avait un problème concernant la signature de l'avenant, tu lui as répondu que non et tu as ajouté que tu nous le remettrais dans les meilleurs délais. Suite à la réunion de ce mardi, où tu nous as explicitement dis que tu le gardais en «moyen de pression», je reste perplexe quant à la teneur de tes propos».
La salariée qui ne conteste pas les termes de ce courriel, n'a, par la suite, émis aucune observation, aucune critique et a poursuivi son activité jusqu'à la remise de sa lettre de démission.
Il s'ensuit qu'il ne peut, dans ces conditions, être fait un lien entre la situation qu'elle dénonce et sa décision de rompre le contrat de travail intervenue plusieurs mois plus tard.
Par ailleurs, comme l'ont justement relevé les premiers juges, Madame S... a attendu 6 jours après la remise de sa démission avant d'adresser un mail à son employeur afin de lui expliquer qu'elle avait pris cette décision en raison de son désaccord sur les conditions de sa rémunération, considérées comme désavantageuses, qui appelait, selon elle, l'établissement d'un nouvel avenant qu'elle a attendu, en vain.
Cette correspondance, qui commence par la phrase suivante «J'ai bien eu votre message et attends donc de recevoir votre courrier» a été envoyée aussitôt après que la salariée ait obtenu confirmation de ce que sa demande de dispense de préavis avait été acceptée.
Ainsi, la chronologie des événements ne permet pas de considérer que la salariée a rompu le contrat de travail sous la pression et les griefs qu'elle a formulé après coup, résultent d'une démarche qui n'est pas spontanée et qui est tardive.
Enfin, Madame S... a rédigé sa lettre de rupture, en sollicitant à être dispensée de son préavis, un mois avant de reprendre un nouvel emploi au sein de l'agence VEV.
L'ensemble de ces constatations permet de conclure au caractère non équivoque de sa démission et à la débouter de l'ensemble de ses prétentions au titre de la rupture de son contrat de travail.
Le jugement entrepris sera, sur ce point, confirmé.
II) Sur la demande en rappel de salaires :
Madame S... fait valoir que dès lors qu'elle n'a pas accepté son affectation au poste de référent web et qu'elle n'a pas signé l'avenant mentionnant les nouvelles modalités de sa rémunération, celles-ci ne lui sont pas opposables.
Elle sollicite, en conséquence, un rappel de salaires « par référence à la rémunération qui lui a été versée l'année précédente» à hauteur de 9612,53 euros, majorée des congés payés afférents.
La société LAGARDERE PUBLICITE s'oppose à cette demande en faisant valoir que Madame S... a accepté son nouveau poste puisqu'elle a négocié le contenu de l'avenant qui lui a été proposé et a poursuivi ses fonctions afin de développer l'activité web. Elle ajoute que les sommes arrêtées par la partie appelante résultent d'un calcul peu compréhensible et manifestement fondé sur des éléments erronés.
En l'espèce, comme cela a été rappelé précédemment, les différents mails adressés par Madame S... et les échanges de courriels avec sa direction, établissent que la salariée a pleinement consenti aux nouvelles missions qui lui étaient assignées et dont elle avait négocié les conditions durant son congé maternité.
Le fait qu'elle n'ait pas signé l'avenant formalisant sa nouvelle situation ne traduit pas un refus de sa part d'assumer de nouvelles missions avec les conséquences qui s'y attachent et sa réaction tardive, consécutive au message du directeur commercial s'interrogeant sur ses prévisions de juillet 2012, ainsi que le courriel qu'elle a reçu le 19 juillet 2012, viennent confirmer cette analyse.
Il y aura donc lieu de débouter Madame S... de cette demande, les premiers juges ayant omis de statuer sur ce point.
III) Sur les frais non répétibles et les dépens :
L'équité commande d'allouer, en cause d'appel, à la société LAGARDERE PUBLICITE une somme de 100 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La demande formulée à ce titre par Madame S... sera rejetée.
Cette dernière sera, par ailleurs condamnée aux dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire
Confirme le jugement entrepris dans toutes ses dispositions
Y ajoutant
Déboute Madame N... O... épouse S... de sa demande en rappel de salaires
La condamne à verser à la société LAGARDERE PUBLICITE venant aux droits de la société LAGARDERE METROPOLES une indemnité de 100 euros au titre des frais non répétibles exposés en cause d'appel ;
Rejette les demandes plus amples ou contraires
Condamne Madame N... S... aux dépens d'appel.
Le Greffier Pour le Président empêché
A. LESIEUR L. GOUTAS, Conseiller