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17/01/2019 | FRANCE | N°17/06650

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 17 janvier 2019, 17/06650


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 17/01/2019



***





N° de MINUTE :

N° RG 17/06650 - N° Portalis DBVT-V-B7B-RFCV



Jugement (N° 16/03293)

rendu le 19 octobre 2017 par le tribunal de grande instance de Lille





APPELANTE

Madame D... Générale

près la cour d'appel de Douai



représentée par M. Olivier Declerck, substitut général





I

NTIMÉE

Madame Naziha X... épouse Y...

née le [...] à Guedilla (Algérie)

de nationalité française

demeurant

[...]

[...]



représentée par Me Z... Navy, avocat au barreau de Lille





DÉBATS à l'audience publique du 15...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 17/01/2019

***

N° de MINUTE :

N° RG 17/06650 - N° Portalis DBVT-V-B7B-RFCV

Jugement (N° 16/03293)

rendu le 19 octobre 2017 par le tribunal de grande instance de Lille

APPELANTE

Madame D... Générale

près la cour d'appel de Douai

représentée par M. Olivier Declerck, substitut général

INTIMÉE

Madame Naziha X... épouse Y...

née le [...] à Guedilla (Algérie)

de nationalité française

demeurant

[...]

[...]

représentée par Me Z... Navy, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l'audience publique du 15 novembre 2018 tenue par Emmanuelle A... magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS :Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Marie-Hélène Masseron, président de chambre

Emmanuelle A..., conseiller

Marie-Laure Aldigé, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 janvier 2019 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Mme Marie-Hélène Masseron, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 octobre 2018

***

En 1998, Mme Naziha X..., de nationalité algérienne, a épousé M. Farid Y..., de nationalité française, en Algérie.

Ce mariage a été transcrit par l'officier d'état civil du Ministère des affaires étrangères le 30 juillet 2007.

Le 6 mai 2014, Mme Naziha X... épouse Y... a souscrit devant le sous-préfet de Reims agissant par délégation du Préfet de région Champagne-Ardennes, préfet de la Marne, une déclaration de nationalité française sur le fondement de l'article 21-2 du code civil.

Cette déclaration a été enregistrée le 9 février 2015.

Par acte d'huissier de justice en date du 14 mars 2016, M. Le procureur de la République de Lille a fait assigner Mme X... devant le tribunal de grande instance de Lille aux fins de voir :

- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;

- le déclarer recevable en son action ;

- annuler l'enregistrement de la déclaration souscrite et constater l'extranéité de l'intéressée ;

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Par jugement du 19 octobre 2017, le tribunal de grande instance de Lille a :

- constaté que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;

- déclaré Monsieur le procureur de la République de Lille recevable à agir ;

- l'a débouté de ses demandes ;

- ordonné les mentions prévues à l'article 28 du code civil ;

- laissé les dépens à la charge du trésor public ;

- rejeté les autres demandes.

Mme D... générale près la cour d'appel de Douai a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 mars 2018, elle sollicite l'infirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions et demande à la cour, statuant à nouveau, de :

- constater que le récépissé prévu par l'article 1043 du code de procédure civile a été délivré ;

- déclarer le ministère public recevable en son action ;

- annuler l'enregistrement de la déclaration de nationalité souscrite ;

- ordonner la mention prévue par l'article 28 du code civil.

Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir que :

- M. Y... a épousé le 10 novembre 2010 Mme Nawel B..., dont il avait divorcé le 14 juillet 1998,

- M. Y... a épousé Mme B... alors qu'il était marié avec Mme X... ; - la situation de bigamie de M. Y... suffit à établir que les conditions de la souscription par Mme X... d'une déclaration de nationalité française à raison de son mariage n'étaient pas remplies, sans que celle-ci puisse l'ignorer et que l'attestation sur l'honneur de communauté de vie produite par les époux au soutien de la déclaration était mensongère ;

- le 20 novembre 2000, M. Y... a épousé Mme C... et ce mariage a ensuite été annulé par jugement du tribunal de grande instance de Nantes en date du 7 janvier 2010;

- alors que Mme X... ne pouvait ignorer les mariages successifs de son époux en 2000 puis 2010, la communauté de vie doit s'entendre, au sens de l'article 215 du code civil, comme un élément de la conception monogamique française du mariage ;

- le fait pour un conjoint de cacher à l'autre qu'il était déjà marié par ailleurs, est incompatible avec la notion de communauté de vie entre conjoints.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 9 avril 2018, Mme X... sollicite la confirmation de la décision entreprise en toutes ses dispositions et à titre reconventionnel, la condamnation du trésor public aux dépens qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Elle soutient que :

- alors que M. Y... conteste s'être marié avec Mme B... en Algérie en 2010, l'acte de mariage litigieux ne répond pas aux exigences de la réglementation algérienne ;

- M. et Mme Y... ont eu cinq enfants légitimes dont un né postérieurement à la déclaration de nationalité contestée et n'ont pas cessé de résider ensemble ;

- le ministère public ne démontre pas que Mme X... aurait eu connaissance directement ou indirectement de ce prétendu mariage ;

- elle a procédé à sa déclaration de nationalité près de quinze années après son mariage et après la naissance de quatre enfants, ce qui démontre sa bonne foi ;

- l'annulation du mariage conclu avec Mme C... est sans incidence sur la régularité de sa déclaration de nationalité.

MOTIVATION

Sur les formalités de l'article 1043 du code de procédure civile

Il convient de constater que les formalités de l'article 1043 du code de procédure civile ont été accomplies.

Sur la recevabilité

Aux termes de l'article 21-2 du code civil, l'étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu'à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n'ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.

Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l'étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n'est pas en mesure d'apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l'étranger au registre des français établis hors de France. En outre, le mariage célébré à l'étranger doit avoir fait l'objet d'une transcription préalable sur les registres de l'état civil français.

Le conjoint étranger doit également justifier d'une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d'évaluation sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

L'article 26-4 du même code dispose qu'à défaut de refus d'enregistrement dans les délais légaux, copie de la déclaration est remise au déclarant revêtue de la mention de l'enregistrement.

Dans le délai de deux ans suivant la date à laquelle il a été effectué, l'enregistrement peut être contesté par le ministère public si les conditions légales ne sont pas satisfaites.

L'enregistrement peut encore être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude.

Le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 30 mars 2012, a précisé que la présomption de fraude résultant de la cessation de la communauté de vie prévue par la seconde phrase du troisième alinéa de l'article 26-4 ne saurait s'appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l'enregistrement de la déclaration.

En l'espèce, il n'est pas contesté que l'action a été engagée dans le délai de deux ans à compter de la date de l'enregistrement de la déclaration, la déclaration souscrite par MmeX... ayant été enregistrée le 9 février 2015 et l'action introduite par le ministère public le 14 mars 2016.

Sur le fond

Aux termes de l'article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant, après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Le ministère public fait valoir que la situation de bigamie de M. Y... suffit à établir que les conditions de la souscription par Mme X... d'une déclaration de nationalité française à raison de son mariage n'étaient pas remplies, sans que l'intéressée puisse l'ignorer, et que l'attestation sur l'honneur de communauté de vie produite par les époux au soutien de la déclaration de Mme X... était mensongère.

Il résulte des mentions de la copie intégrale d'acte de naissance de M. Farid Y..., produite aux débats, que celui-ci a été marié à trois reprises :

- en 1995, à Djemora (Algérie) avec Mme Nawel B..., leur divorce ayant ensuite été prononcé par jugement en date du 14 juillet 1998 ;

- en 1998, à Djemora (Algérie), avec Mme Naziha X... ;

- le 20 novembre 2000 à Biskra (Algérie) avec Mme Khedidja C..., ce mariage ayant été annulé par jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 7 janvier 2010, devenu définitif.

En outre, le document intitulé 'Extrait des registres des actes de mariage' communiqué par le ministère public porte mention du mariage célébré le 10 novembre 2010 à Djemora entre M. Farid Y..., né le [...] à Vitry le François en France et MmeNawel B..., née le [...] à Batna en Algérie, l'acte d'état civil portant le n° 35 à la suite d'un jugement du 25 janvier 2011 de la Makhama de Biskra.

Si cet acte comporte des erreurs d'orthographe sur le prénom et le nom de MmeB..., force est de constater que l'existence de l'acte d'état civil n° 35 relatif au mariage de M. Y... et Mme B... est corroborée par l'extrait du livret de famille algérien sur le quel figure le nom de Mme B... en qualité de 2ème épouse à la suite du mariage célébré le 10 novembre 2011 à Djemora de sorte que la preuve du mariage célébré le 10 novembre 2010 entre M. Y... et Mme B... est rapportée aux débats.

L'article 215 du code civil dispose que les époux s'engagent mutuellement à une communauté de vie.

Le respect de cette communauté de vie doit s'apprécier, pour l'application de l'article 21-2 du code civil précité, dans sa double dimension matérielle et affective.

En l'espèce, il n'est pas contesté que Mme X... a attendu le 6 mai 2014 pour souscrire sa déclaration de nationalité française alors que le mariage avait été transcrit sur les registres de l'état civil le 30 juillet 2007.

En outre, la persistance de la communauté de vie de M. et Mme Y... X... pendant près de 20 ans, qui n'est pas contestée par le ministère public, et le fait qu'ils aient fondé une famille nombreuse avec la naissance de cinq enfants dont les deux derniers sont nés sur le territoire français [...] caractérisent l'existence d'une intention matrimoniale persistante ainsi qu'une communauté de vie réelle et constante au sens de l'article 215 du code civil précité.

Ainsi, en dépit de la nouvelle union de M. Y... en 2010, la communauté de vie tant affective que matérielle de Mme X... et de M. Y... a persisté au jour de la souscription de la déclaration de nationalité, les deux époux ayant un domicile [...] et ayant donné naissance à un enfant commun [...], démontrant une réelle volonté de vivre durablement en union.

De plus, le tribunal a justement rappelé que la conception d'une vie commune dans le mariage excluant que les époux aient des secrets l'un pour l'autre, ne répond à aucun impératif législatif ou jurisprudentiel, le juge ayant pour unique mission d'apprécier la réalité de la communauté de vie existant entre les époux au jour de la souscription de la déclaration de nationalité française.

Par ailleurs, le mariage de M. Y... avec Mme C..., célébré le 20 novembre 2000 à Biskra, a été annulé par jugement du tribunal de grande instance de Nantes le 7 janvier 2010 de sorte qu'il ne rend pas caduque la déclaration de nationalité souscrite de bonne foi par Mme X... le 6 mai 2014 en vertu des dispositions de l'article 21-5 du code civil.

En conséquence, la preuve de l'existence d'une communauté de vie réelle et constante de M. Y... et Mme X... au jour de la souscription de la déclaration de nationalité étant rapportée aux débats, il y a lieu de débouter le ministère public de l'ensemble de ses demandes.

La décision entreprise sera confirmée en toutes ses dispositions.

Le trésor public sera condamné aux dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

- Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- Condamne le trésor public aux dépens.

Le greffier,Le président,

Delphine VerhaegheMarie-Hélène Masseron


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 17/06650
Date de la décision : 17/01/2019

Références :

Cour d'appel de Douai 1A, arrêt n°17/06650 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-17;17.06650 ?
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