République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 08/11/2018
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N° de MINUTE :
N° RG 17/04523 - N° Portalis DBVT-V-B7B-Q4AA
Jugement (N° 15/01449)
rendu le 30 mai 2017 par le tribunal de grande instance de Dunkerque
APPELANTES
Société Atradius Credito Y Caucion S.A. de Seguros Y Reaseguros, société de droit espagnol et dont l'établissement principal en France est situé [Adresse 1], venant aux droits de la société Atradius Credit Insurance N.V., prise en la personne de ses représentants légaux,
ayant son siège social
[Adresse 2]
[Adresse 3])
représentée par Me Eric Laforce, membre de la SELARL Eric Laforce, avocat au barreau de Douai
assistée de Me Olivier Kuhn, avocat au barreau de Paris
SARL Care Distribution représentée par son liquidateur, Me [N] [N], domicilié [Adresse 4]
ayant son siège social
[Adresse 5]
[Adresse 6]
- société en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Boulogne sur Mer du 17 juillet 2014 -
représentée par Me Loïc Le Roy, membre de la SELARL Lexavoué Amiens Douai, avocat au barreau de Douai
assistée de Stéphane Le Roy et ayant également pour conseil Me François Citron, tous deux membres de l'association AARPI, avocats au barreau de Paris
INTIMÉS
M. le Directeur Régional des Douanes et des Droits Indirects
demeurant
[Adresse 7]
[Localité 1]
Mme la Receveuse Régionale des Douanes de Dunkerque
demeurant
[Adresse 7]
[Localité 1]
Administration des Douanes de Dunkerque, prise en la personne de son représentant légal
ayant son siège social
[Adresse 7]
[Localité 1]
représentés par Me Marie-Hélène Laurent, avocat au barreau de Douai
assistés de Me Ralph Boussier, avocat au barreau de Paris, substitué à l'audience par Me Chloé Frantz, avocat au barreau de Paris
DÉBATS à l'audience publique du 13 septembre 2018, tenue par Marie-Hélène Masseron magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Marie-Hélène Masseron, président de chambre
Emmanuelle Boutié, conseiller
Marie-Laure Aldigé, conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 08 novembre 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Mme Marie-Hélène Masseron, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 28 juin 2018
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La société Care Distribution est entrepositaire agréé par l'administration des douanes dans le domaine des boissons alcooliques. La dette fiscale susceptible de naître de son activité est garantie, sans limitation, par la société Atradius Credit Insurance NV, aux droits de laquelle vient la société Atradius credito y caution SA de seguros y reaseguros (Atradius), ce cautionnement ayant été donné le 27 avril 2012.
La société Care Distribution recevait des expéditions de bières et de vins, en suspension de droits d'accises, les stockait pour le compte de ses clients, puis les réexpédiait sous régime suspensif de droits d'accises sous le couvert d'un document administratif électronique (DAE) à destination d'autres entrepositaires agréés dans l'union européenne. Le bénéfice du régime suspensif implique que la marchandise demeure stockée dans l'entrepôt agréé jusqu'à sa réexpédition.
En 2013, la société Care Distribution faisait l'objet d'une information judiciaire ouverte par le tribunal de grande instance de Lille. Le 11 mars 2014, le gérant de la société, les associés et les salariés étaient interpellés, placés en garde à vue et pour certains, mis en examen et placés en détention provisoire. Des scellés étaient apposés sur les locaux de la société.
Le 11 avril 2014, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Lille sollicitait l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire. Une procédure collective était ouverte par jugement du tribunal de commerce de Boulogne-sur-mer du 26 juin 2014. Une procédure de liquidation judiciaire était ouverte par jugement du 17 juillet 2014 désignant M. [N] en qualité de liquidateur.
Le 18 juillet 2014, l'administration des douanes adressait à Me [S] [G], administrateur judiciaire de la société Care distribution, un avis préalable de taxation pour un montant total de 949 722 euros correspondant à 105 DAE (documents administratifs électroniques) non apurés. Copie de cet avis préalable de taxation était adressé le même jour à M. [N], mandataire judiciaire de la société Care Distribution. Le 31 juillet 2014, Me [G] écrivait à l'administration qu'il ne pouvait lui répondre en raison de la conversion le 17 juillet 2014 du redressement de la société Care Distribution en liquidation judiciaire. Par lettre du 6 août 2014, l'administration des douanes portait ce courrier à la connaissance de Me [N], liquidateur de la société Care Distribution, et lui demandait l'envoi de ses observations dans le délai de 30 jours initialement prescrit. En l'absence d'observations de Me [N] dans le délai imparti, l'administration établissait un avis définitif de taxation le 22 août 2014. Le 26 août 2014, un avis de mise en recouvrement était notifié à la société Care Distribution (AMR n° 801/14/493) et à sa caution la société Atradius (AMR n° 801/14/494). Ces AMR étaient contestés le 20 octobre 2014. Par courriers des 10 et 24 avril 2015, la direction régionale des douanes de Dunkerque rejetait ces contestations.
La société Care Distribution et la société Atradius faisaient assigner devant le tribunal de grande instance de Dunkerque, par actes séparés des 10 juin et 24 juin 2015, M. le directeur régional des douanes et droits indirects de Dunkerque, Mme la receveuse régionale des douanes de Dunkerque et l'administration des douanes (ci-après l'administration des douanes), à l'effet de voir annuler les avis de mise en recouvrement du 26 août 2014 et les décisions des 10 et 24 avril 2015 rejetant les contestations.
Par jugement du 30 mai 2017, le tribunal de grande instance de Dunkerque a :
- débouté les sociétés Care Distribution et Atradius de leurs demandes d'annulation des avis de mise en recouvrement du 26 août 2014 et des décisions de rejet des 10 et 24 avril 2015,
- constaté l'absence de dépens,
- débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Care Distribution, représentée par son liquidateur M. [N], et la société Atradius ont interjeté appel de cette décision par deux déclarations distinctes. Les procédures ont été jointes.
Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 26 février 2018 par la société Care Distribution, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, qui sollicite l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour, statuant à nouveau, d'annuler l'avis de mise en recouvrement n° 801/14/493 du 26 août 2014 ainsi que la décision du 10 avril 2015 rejetant sa contestation, de condamner l'administration des douanes aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, faisant valoir à titre principal que le principe de la contradiction et des droits de la défense n'a pas été respecté par l'administration des douanes.
Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 1er mars 2018 par la société Atradius, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, qui sollicite l'infirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, l'annulation de l'avis de mise en recouvrement n° 801/14/494 du 26 août 2014 et de la décision de rejet du 24 avril 2015, la condamnation de l'administration des douanes à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, se prévalant des exceptions inhérentes à la dette de la société Care Distribution et faisant valoir elle aussi, à titre principal, l'irrégularité de la procédure pour non respect du principe général du contradictoire et des droits de la défense.
Vu les dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 22 juin 2018 par l'administration des douanes, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, qui demande à la cour de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et en conséquence :
de déclarer réguliers et bien fondés les avis de mise en recouvrement n° 801/14/493 et n° 801/14/494 en date du 26 août 2014 notifiés aux sociétés Care Distribution et Atradius
de déclarer régulières et bien fondées les décisions de rejet des 10 et 24 avril 2014
de débouter les sociétés appelantes de leurs demandes plus amples et contraires
de les condamner aux dépens et à lui payer chacune la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
SUR CE MOTIF :
L'article L.80 M du Livre des procédures fiscales dispose que :
I. - 1. En matière de contributions indirectes et de réglementations assimilées, toute constatation susceptible de conduire à une taxation donne lieu à un échange contradictoire entre le contribuable et l'administration.
Le contribuable est informé des motifs et du montant de la taxation encourue par tout agent de l'administration. Il est invité à faire connaître ses observations.
[...]
2. Si le contribuable demande à bénéficier d'une communication écrite, l'administration lui adresse par lettre recommandée avec demande d'avis de réception une proposition de taxation qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation.
A la suite des observations du contribuable ou, en cas de silence de ce dernier, à l'issue du délai de trente jours prévu à l'alinéa précédent, l'administration prend sa décision.
Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable, sa réponse doit être motivée.
II. [']
Cette garantie de procédure a été accordée au contribuable à la suite d'une série d'arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne dont l'arrêt Sopropré rendu le 18 octobre 2008 en matière de droits de douane.
Au travers de cet arrêt, la CJUE a jugé que 'les destinataires de décisions qui affectent de manière sensible leurs intérêts doivent être mis en mesure de faire connaître utilement leur point de vue quant aux éléments sur lesquels l'administration entend fonder sa décision' (point 37) et qu'il appartient au juge national 'de s'assurer que le délai [destiné à recueillir les observations des intéressés] ainsi individuellement assigné par l'administration correspond à la situation particulière de la personne ou de l'entreprise en cause et qu'il leur a permis d'exercer leurs droits de la défense dans le respect du principe d'effectivité'. (souligné par la cour)
En l'espèce, il convient de rappeler que lorsque l'administration des douanes a adressé le 17 juillet 2014 à Me [G], administrateur judiciaire de la société Care Distribution, un avis préalable de taxation pour un montant total de 949 722 euros, ladite société était dépourvue de dirigeants, mis en examen et placés en détention dans le cadre d'une information judiciaire ouverte par le tribunal de grande instance de Lille en mars 2014, la société avait fait l'objet d'un redressement judiciaire par jugement du 26 juin 2014 rendu sur la requête du ministère public, et Me [N] venait d'être désigné le jour même en qualité de liquidateur. L'avis préalable de taxation était ainsi adressé au coeur de l'été, moins d'un mois après l'ouverture du redressement judiciaire de la société Care Distribution, alors que ses représentants, Me [G] puis Me [N], venaient d'être désignés pour gérer une société mise sous scellés judiciaires, dont l'activité était à l'arrêt et ses dirigeants absents, les salariés n'étant pas payés depuis plusieurs mois.
Dans ce contexte particulier qui plaçait l'administrateur puis le liquidateur de la société Care Distribution dans une situation très difficile, le délai de trente jours prévu par l'article L. 80 M du Livre des procédures fiscale pour permettre au contribuable de faire des observations, que l'administration des douanes a appliqué à la lettre en s'abstenant même de faire courir un nouveau délai de trente jours au profit de Me [N] après avoir été informé de sa désignation en qualité de liquidateur, seul habilité à formuler les observations requises au nom de la société Care Distribution, était trop court pour permettre l'exercice effectif des droits de la défense du contribuable, ce d'autant que l'avis préalable de taxation présentait une insuffisance dans sa motivation.
L'administration y reproche en effet à la société Care Distribution un défaut d'apurement de 105 DAE dont elle dresse la liste détaillée, exposant que ce défaut d'apurement de titres de mouvement de marchandises expédiées en suspension de droits d'accise ressort de l'étude des différents documents et informations détenus par ses services ou communiqués par la société Care, s'abstenant toutefois d'exposer quels sont ces différents documents et information.
Me [N] n'a donc pas été mis en mesure de faire valoir son point de vue en toute connaissance de cause dans le délai d'un mois qui lui a été imparti. Ne possédant pas de compétence particulière en la matière, il devait s'adjoindre les conseils d'un avocat avant de pouvoir émettre des observations utiles qu'il n'a pu effectivement formaliser que le 20 octobre 2014, par lettre de son conseil adressée à l'administration des douanes, après avoir reçu notification de l'avis de taxation définitive et de l'avis de mise en recouvrement.
La procédure suivie par l'administration à l'encontre de la société Care Distribution et de sa caution, la société Atradius, est ainsi entachée de nullité faute d'avoir permis l'exercice effectif des droits de la défense ; le jugement entrepris sera infirmé, sauf en ce qu'il a constaté l'absence de dépens et exclu, pour des raison d'équité, l'application de l'article 700 du code de procédure civile.
La cour constate elle-même l'absence de dépens et écarte l'application du texte susvisé pour des considérations d'équité.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a constaté l'absence de dépens et débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Statuant à nouveau :
Annule les avis de mise en recouvrement n° 801/14/493 et n° 801/14/494 du 26 août 2014,
Annule les décisions de rejet des 10 et 24 avril 2015,
Constate l'absence de dépens,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du ode de procédure civile.
Le greffier,Le président,
Delphine VerhaegheMarie-Hélène Masseron