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26/10/2018 | FRANCE | N°16/00707

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 2, 26 octobre 2018, 16/00707


ARRÊT DU

26 Octobre 2018







N° 1978/18



N° RG 16/00707

N°Portalis DBVT-V-B7A-PSBF



BR/VM

































Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVESNES SUR HELPE

en date du

05 Février 2016

(RG 14/00188 -section 4)


































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GROSSE



le 26/10/18



République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-









APPELANTE :



Mme [R] [S]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurence BONDOIS, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE :



SAS BRASSERIE [P]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée...

ARRÊT DU

26 Octobre 2018

N° 1978/18

N° RG 16/00707

N°Portalis DBVT-V-B7A-PSBF

BR/VM

Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AVESNES SUR HELPE

en date du

05 Février 2016

(RG 14/00188 -section 4)

GROSSE

le 26/10/18

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-

APPELANTE :

Mme [R] [S]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Laurence BONDOIS, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE :

SAS BRASSERIE [P]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Agathe CHOPIN, avocat au barreau de VALENCIENNES

DÉBATS :à l'audience publique du 11 Septembre 2018

Tenue par Béatrice REGNIER

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER : Serge LAWECKI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Sabine MARIETTE

: PRÉSIDENT DE CHAMBRE

Béatrice REGNIER

: CONSEILLER

Patrick REMY

: CONSEILLER

ARRÊT :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 26 Octobre 2018,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Sabine MARIETTE, Président et par Audrey CERISIER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Mme [R] [S] a été engagée par la SAS Brasserie [P] dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 1er février 2007 avec reprise de l'ancienneté acquise auprès de son ancien employeur, la Société Saje Développement, en qualité de 'comptes clé régional' emploi commercial, statut cadre niveau 6, échelon 1 de la convention collective nationale de la production d'eaux embouteillées sans alcool et bières .

Le 4 février 2014, l 'employeur a refusé d'accéder au souhait de la salariée de signer une convention de rupture amiable.

Mme [S] a été placée en arrêt de travail pour maladie du 17 janvier au 3 mars 2014 puis à compter du 11 mars 2014.

A l'issue des deux visites de reprise des 16 juin et 17 juillet 2014, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste.

Le 18 juillet 2014, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'Avesnes sur Helpe de demandes tendant notamment à la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Mme [S] a été en congé maternité du 17 août au 23 novembre 2014.

Au terme de deux visites des 12 et 26 janvier 2015, le médecin du travail a confirmé son avis d'inaptitude et indiqué que la salariée était apte à un poste similaire dans une autre organisation.

Après avoir été convoquée à un entretien préalable fixé au 20 février 2015, Mme [S] a été licenciée le 24 février 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement du 5 février 2016, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le harcèlement moral dont Mme [S] fait état n'est pas avéré ;

- rejeté la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail de la salariée ;

-dit que son licenciement n'est pas d'origine professionnelle ;

-débouté Mme [S] de l'ensemble de ses demandes ;

- rejeté la demande de la SAS Brasserie [P] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 19 février 2016, Mme [S] a interjeté appel du jugement.

Par arrêt du 30 mars 2018, la cour d'appel de Douai a ordonné la réouverture des débats à l'audience du 11 septembre 2018 afin que les parties s'expliquent sur l'incidence du jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille ayant dit que Mme [S] a été victime d'un accident du travail le 11 mars 2014.

Par conclusions développées oralement à l'audience, Mme [S] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail, subsidiairement de dire que son licenciement est nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse et de condamner la SAS Brasserie [P] à lui payer les sommes de :

-28 919,43 euros brut, outre 2 891,94 euros brut de congés payés, à titre de rappel de salaire,

-25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

-10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention,

- subsidiairement, dans l'hypothèse où le harcèlement moral ne serait pas retenu, 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

-14 449,27 euros brut, outre 1 444,92 euros brut de congés payés, à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

-12 161,35 euros à titre de complément d'indemnité spéciale de licenciement,

-85 800 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

outre la capitalisation des intérêts.

Elle soutient que :

- la SAS Brasserie [P] a commis plusieurs manquements justifiant la résiliation judiciaire de son contrat de travail ; que c'est ainsi que :

- le nouveau directeur commercial M. [O] [B] a commis des actes de harcèlement moral à son encontre ;

- l'employeur l'a soumise à une surcharge de travail ;

- l'employeur ne lui a pas réglé l'intégralité de son salaire ; qu'à compter du mois de mars 2013, elle n'a en effet plus perçu la prime de 500 euros par mois destinée à compenser la charge de travail supplémentaire induite par le remplacement temporaire de l'ancien directeur commercial et que la prime sur objectif 2013 lui a été réglée avec retard ;

- elle a été victime de discrimination en ce que le principe d'égalité de traitement n'a pas été respecté, en ce qu'elle n'a pas bénéficié d'augmentation durant son congé maternité de 2011 ni perçu la prime d'objectif 2013 durant son arrêt maladie et congé maternité de 2014, en ce qu'elle s'est vu refuser la prise de congés en raison d'une absence pour maladie entre janvier et mars 2014 et en ce qu'elle a dû restituer son véhicule de fonction durant son congé maternité de 2014 ;

- l'employeur a failli à son obligation de sécurité en ce qu'il n'a pas organisé de visite de reprise en mars 2013 ensuite de son arrêt de travail, en ce qu'il ne l'a pas protégée des agissements de M. [B], en ce qu'elle a été victime d'un accident du travail le 11 mars 2014 et en ce que l'employeur n'a pas déclaré cet accident;

- l'employeur s'est abstenu de reprendre le paiement des salaires un mois après l'avis d'inaptitude du 17 juillet 2014, la suspension du contrat de travail pour congé maternité ne l'exonérant pas de cette obligation et aucune déduction ne pouvant être opérée ;

- compte tenu d'une part de l'absence de paiement de la prime liée au supplément de travail et de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement, d'autre part de l'absence de reprise du règlement des salaires après l'avis d'inaptitude, elle a droit à un rappel de salaire de 28 9191,43 euros, outre les congés payés y afférents ;

- son licenciement est à titre principal nul et à titre subsidiaire sans cause réelle et sérieuse dès lors que son inaptitude est la conséquence à titre principal des faits de harcèlement moral et subsidiairement des fautes commises par l'employeur ;

- elle a droit au double de l'indemnité légale de licenciement dans la mesure où son inaptitude résulte d'un accident du travail.

Par conclusions développées oralement à l'audience, la SAS Brasserie [P] demande de confirmer le jugement entrepris, subsidiairement de fixer le montant des rappels de salaires à la somme de 13 436,73 € brut, congés payés inclus, et de condamner Mme [S] à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que :

- elle n'a commis aucun manquement pouvant justifier une résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [S] ; que c'est ainsi que :

- la salariée n'a pas été victime de faits de harcèlement moral ;

- la salariée n'a pas été soumise à une surcharge de travail ;

- la prime mensuelle de 500 euros supplémentaire a été versée à la salariée durant toute la période de remplacement du directeur commercial ;

- la salariée n'a déclaré l'événement du 11 mars 2014 en accident du travail que plusieurs mois après ;

- la demande de congés payés pour le mois de mars 2014 n'a été refusée qu'en raison des contraintes professionnelles à cette date ;

- le contrat de travail de la salariée prévoit la restitution du véhicule de fonction en cas de suspension du contrat ;

- lui imposer le versement du salaire à compter du 17 août 2014 aurait abouti à violer l'interdiction absolue de licencier une salariée en congé maternité ;

- la différence de rémunération entre la salariée et M. [L] [E] s'explique par l'expérience antérieure de l'intéressé ;

- ayant respecté ses obligations à l'égard de Mme [S], l'inaptitude de cette dernière ne peut être considérée comme étant d'origine professionnelle ; que par ailleurs la salariée n'établit aucun lien entre son inaptitude et la reconnaissance par le tribunal des affaires de sécurité sociale de l'événement du 11 mars 2014 en accident du travail - décision dont il a au demeurant été interjeté appel ;

- il n'existait au sein de l'entreprise aucun poste de reclassement susceptible d'être proposé à Mme [S] ; qu'elle n'a donc pas failli à son obligation en la matière, ayant même procédé à des recherches en externe ; que le licenciement est dès lors fondé.

SUR CE :

1) la demande au titre du rappel de salaire :

- S'agissant de la période de mars 2013 à juin 2014 :

Attendu que Mme [S] sollicite à ce titre le paiement d'une somme mensuelle de 550 euros supplémentaire, montant égal à la prime perçue d'octobre 2012 à février 2013 dans le cadre de l'intérim du directeur commercial qu'elle a assuré durant cette période ; qu'elle estime que, ayant conservé les attributions de M. [H] concernant la gestion des comptes nationaux après l'intérim, la prime aurait dû continuer à lui être versée et que la SAS Brasserie [P] a méconnu dans ce cadre le principe d'égalité de traitement ; qu'elle compare en effet sa rémunération fixe (3 900 euros) à celle de M. [L] [E], recruté au même niveau qu'elle ( niveau VI échelon 1) sur les fonctions de compte clé national GMS le 13 janvier 2014 pour un salaire mensuel fixe de 4 450 euros ;

Attendu que, lorsque le salarié n'invoque aucune caractéristique personnelle qui aurait déterminé l'employeur à le traiter différemment de ses collègues, mais revendique le même traitement que ceux-ci, dont il soutient qu'ils sont dans une situation comparable à la sienne, sa demande est fondée, non sur la discrimination, mais sur l'inégalité de traitement ;

Qu'il résulte du principe 'à travail égal, salaire égal', dont s'inspirent les articles L.l242-14, L.1242-15, L.2261-22.9 , L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale ;

Qu'en application de l'article 1353 du code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération ou de traitement, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence ;

Attendu qu'il ressort des pièces versées au dossier (tableau produit en pièce 124 par Mme [S], mail adressé par M. [B] à la salariée le 2 août 2013) ainsi que des écritures des parties que, postérieurement à l'arrivée de M. [B], Mme [S] a continué à assurer la gestion des comptes clé nationaux auparavant pris en charge par M. [H], M. [B] conservant simplement celle du compte Carrefour et celle du compte Galec en binôme ; que Mme [S] a donc assuré les fonctions de compte clé national, tout en conservant une partie des fonctions de compte clé régional, durant la période de mars 2013 à juin 2014 concernée par la demande et au cours de laquelle sa rémunération mensuelle fixe moyenne a été de 3 950 euros ; que M. [E] a quant à lui été recruté le 13 janvier 2014 au même niveau que Mme [S] (niveau VI échelon 1) sur les fonctions de compte clé national GMS pour un salaire mensuel fixe de 4 450 euros ; que ces éléments sont de nature à caractériser une inégalité de rémunération ;

Attendu que la SAS Brasserie [P] explique cette différence de rémunération par l'expérience antérieure de M. [E] en qualité de compte clé national ; que toutefois cette seule circonstance ne justifie pas la différence de traitement, alors même qu'auparavant l'intéressé ne travaillait pas dans le même secteur d'activité et que son curriculum vitae fait apparaître une expérience compte clé national depuis septembre 2012 seulement tandis que pour sa part Mme [S] avait 10 ans d'ancienneté au sein de l'entreprise et exerçait de fait depuis octobre 2012 les fonctions de compte clé national qu'elle cumulait avec celles de comte clé régional ; que la SAS Brasserie [P] n'est pas davantage fondée à invoquer l'existence de primes sur objectif ayant pu avoir pour effet de rémunérer Mme [S] des sujétions relatives à la gestion des comptes clé nationaux dans la mesure où aucun élément ne permet de relier les primes octroyées à ce travail ni même de chiffrer précisément les montants supplémentaires qu'aurait perçus la salariée de ce chef ;

Attendu que, par suite, la demande tendant au rappel de salaire pour la période de mars 2013 à juin 2014, soit 8 800 euros brut, outre les congés payés y afférents, est accueillie ;

- S'agissant de la période de juillet 2014 à février 2015 :

Attendu d'abord qu'en application de l'article L.1226-11 du code du travail, il incombe à l'employeur de reclasser le salarié dans le mois de la déclaration d'inaptitude par le médecin du travail ou, à défaut, de le licencier ;

Attendu ensuite, que selon le même texte, l'employeur est tenu de verser au salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel, qui n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou qui n'est pas licencié, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail ; que cette disposition s'applique également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail ; que ce délai d'un mois, qui court à compter de la constatation médicale de l'inaptitude, ne saurait être ni prorogé, ni suspendu ;

Qu'en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l'employeur doit verser au salarié ;

Attendu qu'en l'espèce, la société Brasserie [P] s'est abstenue de reclasser Mme [S] qui avait été déclarée inapte à son poste à l'issue de la seconde visite médicale de reprise du 17 juillet 2014, peu important que la salariée dût partir en congé maternité peu de temps après, et ne l'a pas licenciée à l'issue du délai d'un mois ;

Qu'il convient en conséquence de faire droit à la demande de Mme [S] qui peut donc prétendre au versement d'une somme de 20 119,43 euros correspondant à une somme forfaitaire calculée sur la base du montant du salaire antérieur à la suspension du contrat ;

Que ces sommes au paiement desquelles sera condamnée la société Brasserie [P] produiront intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2014, date de l'audience du bureau de conciliation dans la mesure où la cour ignore la date à laquelle l'employeur a reçu sa convocation, et que les intérêts seront capitalisés ;

2) Sur la demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral :

Attendu, d'une part, que l'article L. 1152-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ;

Que l'article L 1154-1 du même code dans sa rédaction applicable prévoit qu'en cas de litige le salarié établit les faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement à son détriment et qu'il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement ;

Attendu qu'en l'espèce Mme [S] soutient avoir été victime de pressions et d'agressivité de la part du directeur commercial M. [B] ; que pour étayer ses affirmations elle produit :

- plusieurs courriels professionnels elle a échangés avec M [B] ;

- un mail adressé à M. [P], dirigeant de l'entreprise, le 11 mars 2014 dans lequel elle s'est plainte de propos inappropriés et de l'agressivité de M. [B] à son égard ;

- un courriel adressé le 24 juin 2013 par M. [B] à M. [P] contenant des recommandations pour l'organisation du service commercial GMS ;

- plusieurs documents médicaux : attestation de suivi par un médecin psychiatre pour la période de juin à septembre 2014, arrêt de travail pour maladie pour la période du 17 au 31 janvier 2014, arrêt de travail du 11 mars 2014 pour accident du travail (crise d'angoisse d'apparition brutale consécutive à des conflits avec la hiérarchie) ;

Attendu que les mails adressés par M. [B] à Mme [S] ne contiennent aucun terme déplacé, injurieux ou encore vexatoire ; qu'il ne révèlent par ailleurs pas de pression particulière, sauf à signaler certaines urgences ; que, si M.[B] a pu faire des remarques d'ordre professionnel, donner des instructions précises ou encore s'interroger sur l'opportunité de certaines actions ou manque d'actions, ces observations rentraient dans son pouvoir de direction en sa qualité de supérieur hiérarchique de Mme [S] ; que le courriel du 24 juin 2013 à destination du dirigeant de l'entreprise se limite quant à lui à de simples réflexions sur l'organisation future de l'entreprise et ne contient aucune critique précise de Mme [S] , sauf à noter une certaine démotivation ; qu'aucun témoin ne vient enfin confirmer les accusations de la salariée quant aux pressions et à l'agressivité de M.[B] à son égard ou même plus généralement au sein du service ;

Attendu qu'en l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence de faits de harcèlement moral n'est pas démontrée ; que Mme [S] est dès lors déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral et pour défaut de prévention du harcèlement moral ;

3) Sur la demande subsidiaire de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité :

Attendu que Mme [S] invoque quatre manquements à ce titre : le défaut d'organisation de visite de reprise en mars 2013 ensuite de son arrêt de travail, le défaut de protection des agissements de M. [B], la survenance d'un accident du travail le 11 mars 2014 et le défaut de déclaration de cet accident ;

Attendu, que, sur le premier point, la cour retient que c'est par une erreur de plume que Mme [S] cite la date de mars 2013 comme tant celle de la reprise du travail ensuite de son arrêt maladie, ce dernier s'étant déroulé sur la période du 17 janvier au 3 mars 2014 ;

Attendu que Mme [S] soutient sans être contredite qu'elle n'a pas bénéficié de visite de reprise ensuite de cet arrêt de travail ; que la SAS Brasserie [P] ne produit aucun justificatif de l'existence d'une telle visite ; que la cour retient dès lors que la société a failli à son obligation d'organiser une visite de reprise pour toute absence d'au moins de trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnelle telle que prévue à l'article R. 4624-22 du code du travail dans sa rédaction applicable ; que ce manquement lui a causé un préjudice dans la mesure où la salariée aurait alors pu faire valoir les difficultés qu'elle rencontrait et leur impact sur sa santé ; que le préjudice subi par Mme [S] du fait du premier manquement est évalué à la somme de 2 500 euros ; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et que les intérêts seront capitalisés;

Attendu, sur le deuxième point, que, la réalité des faits de harcèlement moral dont M. [B] aurait été l'auteur n'ayant pas été retenue, Mme [S] ne peut se prévaloir d'un défaut de protection de la part de la SAS Brasserie [P] à ce titre ;

Attendu, sur le troisième point, que, selon l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale, aucune action en réparation des accidents du travail et maladies professionnelles ne peut être exercée conformément au droit commun par la victime ou ses ayants-droit ; qu'il résulte de ces dispositions que le salarié ne peut former devant la juridiction prud'homale une action en dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur pour obtenir l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ;

Attendu que Mme [S], dont l'accident du travail a été pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail ou les maladies professionnelles, ne peut en conséquence former devant la juridiction prud'homale une action en dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur pour obtenir l'indemnisation des dommages résultant de l'accident du travail dont elle a été victime ;

Que sa demande en paiement de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention sera en conséquence rejetée ;

Attendu , sur le quatrième point, que le défaut de déclaration d'un accident du travail ne peut constituer un manquement à l'obligation de sécurité telle que prévue à l'article L. 4121-1 du code du travail ; qu'en tout état de cause il ressort du courrier de Mme [S] en date du 9 janvier 2015 que celle-ci n'a transmis le certificat médical d'accident du travail à son employeur que le 10 septembre 2014 ; qu'au surplus aucun préjudice n'est justifié de ce chef dans la mesure où l'accident a été déclaré ;

4) Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :

Attendu, d'une part, que, lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande de résiliation du contrat était justifiée ; que c'est seulement dans le cas contraire qu'il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l'employeur ; que, lorsque le salarié n'est plus au service de son employeur au jour où il est statué sur la demande de résiliation judiciaire, cette dernière prend effet, si le juge la prononce, au jour du licenciement ;

Attendu, d'autre part, que, conformément à l'article 1184 du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement, la partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté ayant le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts ;

Attendu qu'en l'espèce Mme [S] formule six griefs à l'encontre de son employeur, parmi lesquels figurent les trois suivants :

- Surcharge de travail et le manquement à l'obligation de sécurité :

Attendu qu'il est constant que la charge de travail de Mme [S] s'est accrue ensuite du départ de M. [H], la salariée ayant pris en charge de la gestion des comptes clé nationaux qu'elle ne traitait qu'épisodiquement auparavant ; que l'arrivée de M. [B] ne l'a que partiellement déchargée dans la mesure où l'intéressé n'a repris que la gestion du compte Carrefour et celle, en binôme, du compte Galec ; que Mme [S] a alerté à plusieurs reprises M. [B] et à M. [P] sur sa surcharge de travail et que ces derniers ne l'ont jamais contestée ; que M. [B] l'a même reconnu dans un courriel du 23 août 2013 dans lequel il a proposé à la salariée d'arbitrer les hausses périodiques de charge de travail en délaissant temporairement la gestion des comptes régionaux ; que le recrutement d'un deuxième compte clé national en août 2013 n'a pas suffi à mettre fin à la souffrance de Mme [S] liée à une charge de travail trop intense, l'intéressée ayant notamment été victime d'une crise de nerf au travail le 11 mars 2014;

Attendu que cette crise de nerfs dont elle a été victime sur son lieu de travail et au temps de travail constitue un accident du travail, ainsi au demeurant que l'a retenu de tribunal des affaires de sécurité sociale dans un jugement du 30 novembre 2017 dont la SAS Brasserie [P] a interjeté appel ; que la société ne démontre pas que la survenance de cet accident aurait été étrangère à tout manquement à son obligation de sécurité de résultat ;

Qu'il résulte de ces éléments que la société Brasserie [P], non seulement, ne justifie pas avoir pris les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, mais encore, alors qu'elle était informée de l'existence de faits susceptibles de porter atteinte à la santé de la salariée, n' a pris aucune mesure immédiate propre à les faire cesser ; que ce grief invoqué à l'appui de la demande de résiliation est donc établi ;

- Règlement partiel ou tardif du salaire :

Attendu que, ainsi qu'il a été dit plus haut, Mme [S] n'a pas été réglée de l'intégralité du salaire auquel elle pouvait prétendre entre mars 2013 et juin 2014, sa créance étant fixée de ce chef à 8 800 euros brut, outre 880 euros brut de congés payés ; que la société Brasserie [P] ne lui a pas non plus versé, à l'issue du délai d'un mois à compter de la déclaration d'inaptitude du 17 juillet 2014, le salaire correspondant à l'emploi qu'elle occupait avant la suspension de son contrat, alors qu'elle n'était ni reclassée ni licenciée ; que ces reproches sont donc constitué ;

Attendu que, ces griefs matériellement établis sont à eux seuls suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et justifient la résiliation judiciaire du contrat ;

Attendu que, compte tenu de la nature des griefs retenus, la résiliation produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et non nul ; qu'elle prend par ailleurs effet au 24 février 2015, date du licenciement de la salariée ;

Attendu que Mme [S] a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ; qu'en considération de son ancienneté, de sa rémunération mensuelle brute, de son âge, de sa formation et de sa capacité à retrouver un emploi, de la durée de sa période de recherche d'emploi ou de reconversion professionnelle et des aides dont il a pu bénéficier, son préjudice est évalué à la somme de 50 000 euros ; que ce montant produira intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent arrêt et que les intérêts seront capitalisés ;

Attendu qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail il y lieu d'ordonner le remboursement par la SAS Brasserie [P] des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à Mme [S] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois ;

5) Sur les indemnités de rupture :

Attendu que Mme [S] soutient que l'inaptitude ayant fondé son licenciement est d'origine professionnelle ;

Attendu, sur ce point, que les règles protectrices des victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle s'appliquent dès lors que l'inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée, a au moins partiellement pour origine cet accident ou cette maladie et que l'employeur avait connaissance de cette origine professionnelle lors du licenciement ;

Attendu qu'en l'espèce Mme [S] n'a pas repris son travail entre l'accident du 11 mars 2014, dont l'origine professionnelle a été ci-dessus retenue, et les avis d'inaptitude des16 juin 2014 et 26 janvier 2015 ; que, si ces avis ne mentionnent pas l'origine professionnelle, le second préconise, au titre des capacités restantes, un poste similaire dans une autre organisation, ce qui tend à établir que c'est bien l'environnement de travail, et non un problème d'ordre physique, qui justifie l'inaptitude de la salariée à reprendre le travail à son ancien poste ; que ces éléments conduisent la cour à retenir que l'inaptitude ayant motivé le licenciement est d'origine professionnelle;

Attendu que, Mme [S] ayant fait l'objet d'un licenciement en raison d'une inaptitude consécutive à un accident professionnel, elle peut prétendre aux indemnités de rupture prévues à l'article L. 1226-14 du code du travail, à savoir l'indemnité compensatrice d'un montant égal à celui de l'indemnité compensatrice de préavis - la demande en paiement de l'indemnité compensatrice de préavis étant donc regardée comme tendant au paiement de l'indemnité compensatrice visée au texte précité - et l' indemnité spéciale de licenciement égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9 du code du travail dans sa rédaction applicable ;

Attendu en revanche, que l'indemnité compensatrice dont le montant est égal à celui de l'indemnité prévue à l'article L. 1234-5 du code du travail, n'a pas la nature d'une indemnité de préavis et dès lors n'ouvre pas droit à congés payés ;

Qu'il est donc fait droit à ses demandes portant sur les sommes de 14 449,27 euros brut correspondant à trois mois de salaire (article 3.4 de la convention collective nationale des activités de production des eaux embouteillées et boissons rafraîchissantes sans alcool et de bière du 1er septembre 2010) à titre d'indemnité compensatrice et de 12 161,35 euros à titre de complément d'indemnité spéciale de licenciement ; que ces montants produiront intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2014 et que les intérêts seront capitalisés ;

6) Sur les frais irrépétibles :

Attendu qu'il convient pour des raisons tenant à l'équité d'allouer à Mme [S] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Infirme le jugement déféré, excepté en ce qu'il a débouté Mme [R] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Statuant à nouveau sur les chefs réformés et ajoutant,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [R] [S] à la date du 24 février 2015 et dit que le licenciement produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la SAS Brasserie [P] à payer à Mme [R] [S] les sommes de :

- 8 800 euros , outre 880 euros de congés payés, à titre de rappel de salaire et ce avec intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2014,

- 20 119,43 euros à titre de rappel de salaire en application de l'article L.1226-11 du code du travail, outre 2011,94 euros de congés payés, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2014 ,

- 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité, et ce avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

- 14 449,27 euros brut, à titre d'indemnité compensatrice égale à l'indemnité compensatrice de préavis, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2014,

- 12 161,35 euros à titre de complément d'indemnité spéciale de licenciement, et ce avec intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2014,

- 50 000 euros net à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et ce avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance et en cause d'appel,

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1343-2 du code civil,

Ordonne le remboursement par la SAS Brasserie [P] des indemnités chômage éventuellement versées par Pôle Emploi à Mme [R] [S] postérieurement à son licenciement, dans la limite de six mois,

Déboute Mme [R] [S] de sa demande de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de prévention,

Condamne la SAS Brasserie [P] aux dépens de première instance et d'appel,

LE GREFFIER

A. CERISIER

LE PRÉSIDENT

S.MARIETTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 2
Numéro d'arrêt : 16/00707
Date de la décision : 26/10/2018

Références :

Cour d'appel de Douai A2, arrêt n°16/00707 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-10-26;16.00707 ?
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