République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 11/10/2018
***
N° de MINUTE :
N° RG 17/01472 - N° Portalis DBVT-V-B7B-QQM4
Jugement (N° 14/01041)
rendu le 26 janvier 2017 par le tribunal de grande instance de Valenciennes
APPELANTS
Mme Zora X...
née le [...] à Denain
demeurant [...]
Mme Fatima X...
née le [...] à Denain
demeurant [...]
Mme Djamila X...
née le [...] à Denain
demeurant [...]
Mme Luisa X...
née le [...] à Denain
demeurant [...]
M. Ammar X...
né le [...] à SidiEnbarek (Algérie)
demeurant [...] (Algérie)
M. Patrick Z... en sa qualité d'ayant droit de Nadia X... décédée
né le [...] à Denain
demeurant [...]
M. Steve Z... en sa qualite d'ayant droit de Nadia X... décédée
né le [...] à Versailles
demeurant [...]
[...]
M. N... Z... en sa qualité d'ayant droit de Nadia X... décédée
né le [...] à Versailles
demeurant [...]
Melle Roxanne Z... en sa qualité d'ayant droit de Nadia X... décédée
née le [...] à Nantes
demeurant [...]
représentés par Me Jean Philippe A..., avocat au barreau de Valenciennes
assistés de Me Yann B..., membre de la SELARL B... & associés, avocat au barreau de Marseille, substitué à l'audience par Me Fatima C..., avocat au barreau de Marseille
INTIMÉS
M. K... X...
né le [...] à Denain
demeurant [...]
bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178002/17/07330 du 04/07/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai
Mme L... X...
née le [...] à Denain
demeurant [...]
Mme M... H... veuve X...
née le [...] à Setif (Algérie)
demeurant [...]
M. Mehdi X...
né le [...] à Denain
demeurant [...]
bénéficie d'une aide juridictionnelle totale numéro 59178002/17/07326 du 04/07/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Douai
représentés et assistés de Me Frédéric D..., membre de la SCP Debacker & Associés, avocat au barreau de Valenciennes
M. O... X...
né le [...] à Sidi Enbarek (Algérie)
demeurant [...]
déclaration d'appel signifiée le 13 avril 2017 à l'étude - n'ayant pas constitué avocat
SCP de Cian-Lhermie-E...-Thery E...
ayant son siège social [...]
représentée par Me Eric F..., membre de la SCP ADNB, avocat au barreau de Valenciennes, constitué aux lieu et place de Me Christophe G..., avocat
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Etienne Bech, président de chambre
Bruno Poupet, conseiller
Emmanuelle Boutié, conseiller
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GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe
DÉBATS à l'audience publique du 05 février 2018 après rapport oral de l'affaire par Emmanuelle Boutié
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT RENDU PAR DÉFAUT prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2018 après prorogation du délibéré en date du 05 avril 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Emmanuelle Boutié, conseiller en remplacement de M. Etienne Bech, président empêché, et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 29 janvier 2018
***
P... X..., né le [...] à Sidi Enbarek (Algérie), est décédé le [...] à Denain (Nord) après avoir été marié trois fois et laissant pour lui succéder:
- M... H..., son épouse survivante,
- Ammar X..., son fils, issu de son premier mariage,
- Zora, Fatima, Djamila, Nadia et Luisa X..., ses filles issues de son deuxième mariage,
- Mehdi, K... et L... X..., ses enfants issus de son troisième mariage.
Le 6 avril 1971, alors marié à Marie-Q... I..., sa deuxième épouse, sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, il avait fait l'acquisition d'un fonds de commerce situé au [...] .
Marie-Q... I... est décédée le [...] à Denain (Nord) et sa succession n'a pas été réglée.
Par acte authentique en date du 12 septembre 1990, P... X... a vendu le fonds de commerce à son frère O... X....
Le 20 mars 1991, O... X... a lui-même vendu ce fonds de commerce à M... H..., troisième épouse d'P... X....
Cette dernière l'a vendu à son tour à son fils K... X... le 21 décembre 2009.
Par actes d'huissier des 18 et 20 février 2014, Zora, Fatima, Djamila, Nadia et Luisa X... ainsi qu'Ammar X... ont fait assigner Mehdi, K..., L... X..., M... H..., O... X... ainsi que la SCP Sophie De Cian-Lhermie- Caroline E...- Stéphanie Téry-E..., notaires associés, devant le tribunal de grande instance de Valenciennes aux fins de voir:
- constater que la vente du fonds de commerce intervenue entre P... X... et O... X... le 12 septembre 1990 est intervenue en fraude des droits des cohéritiers d'P... X...,
- constater la faute délictuelle de Maître Jacques-Noël E... et de la SCP Jean-Valère Cartigny et Jacques-Noel E... à laquelle succède la SCP Sophie De Cian-Lhermie- Caroline E...- Stéphanie Téry-E...,
- constater que le fonds de commerce situé [...] , a été recelé par P... X...,
- constater que P... X... a dissimulé ses cohéritiers lors de la cession du fonds à O... X... le 12 septembre 1990,
- constater la faute délictuelle personnelle de O... X..., M... H..., K... X... et Mehdi X...,
- leur déclarer inopposable la vente intervenue le 12 septembre 1990,
- leur déclarer inopposable la vente intervenue le 21 décembre 2009 au profit de K... X...,
- dire que le bien doit être inscrit dans la masse partageable de la succession I... à sa valeur à la date du jugement dans son état à l'époque de la vente,
- enjoindre à M... H..., K... X..., L... X..., Mehdi X... et O... X... de produire tout élément comptable et fiscal utile à l'estimation des fruits et revenus tirés de l'exploitation du fonds de commerce depuis le 12 septembre 1990 et notamment:
* les comptes d'exploitation,
* les déclarations et avis d'imposition sur les revenus faisant apparaître les bénéfices industriels et commerciaux au BIC des exploitants successifs du fonds,
* les déclarations TVA,
- dire que les droits de P... X... dans la succession I... doivent être retirés du calcul de la masse partageable de la succession X...,
- condamner K... X..., L... X..., M... H..., O... X..., Mehdi X... solidairement avec la SCP Sophie De Cian-Lhermie- Caroline E...- Stéphanie Téry-E... venant aux droits de la SCP Jean-Valère Cartigny et Jacques-Noël E... l'ensemble des fruits et revenus produits par les biens qu'ils ont ainsi recelés de concert,
- les condamner solidairement au paiement à chacun des demandeurs de la somme de 20 000 euros à titre de réparation de leur préjudice moral,
- les condamner solidairement à leur régler la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.
Nadia X... est décédée à Montpellier (Hérault) le [...] et ses ayants droit, Patrick, Steve, N... et Roxanne Z..., sont intervenus volontairement à la procédure.
Par jugement du 26 janvier 2017, le tribunal, notamment :
- a constaté l'intervention volontaire des ayants droit de Nadia X...,
- s'est déclaré incompétent pour statuer sur la donation du 4 juillet 2011 enregistrée le 8 août 2011 à la conservation foncière de Bordj Bou Arreridj (Algérie),
- ordonné l'ouverture des opérations de liquidation partage de la succession de Marie-Q... I...,
- a commis pour y procéder Maître J..., notaire à Valenciennes,
- a constaté que seule Luisa X... a la qualité d'héritière dans cette succession,
- a débouté les autres demandeurs de leurs demandes concernant cette succession,
- a dit que les ventes des 12 septembre 1990, 20 mars 1991 et 21 décembre 2009 sont inopposables à Luisa X...,
- a dit que le bien doit être inscrit dans la masse partageable de la succession de Marie-Q... I... à sa valeur à la date de la décision mais selon son état à l'époque de la vente,
- a dit que les droits d'P... X... sur la succession I... doivent être retirés du calcul de la masse partageable de la succession X...,
- a ordonné l'ouverture des opérations de compte liquidation et partage de la succession d'P... X... et commis Maître J... pour y procéder,
- a condamné solidairement O... X..., M... H... et K... X... à payer à Luisa X... la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- a dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage,
- a dit n'y avoir lieu à l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Par déclaration du 2 mars 2017, Zora X..., Fatima X..., Djamila X..., Luisa X..., Ammar X..., Patrick Z..., N... Z..., Roxanne Z... et Steven Z... ont interjeté appel de cette décision.
Par leurs dernières conclusions notifiées le 26 janvier 2018, ils en sollicitent l'infirmation en ce qu'elle a :
- constaté que seule Luisa X... a la qualité d'héritière dans la succession de sa mère,
- débouté les autres demandeurs de leurs demandes concernant cette succession,
- dit que la vente en date du 12 septembre 1990 est inopposable à Luisa X...,
- dit que la vente en date du 20 mars 1991 est inopposable à Luisa X...,
- condamné solidairement O... X..., M... H... et K... X... à payer à Luisa X... la somme de 10 000 euros,
- dit que les dépens seront employés en frais privilégiés de partage,
- débouté les parties de leurs autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile et des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
et la confirmation pour le surplus.
Ils demandent à la cour, statuant à nouveau :
- de constater qu'hormis Ammar X..., ils ont la qualité d'héritiers de Mme Marie-Q... I...,
- de leur déclarer inopposables les ventes conclues le 12 septembre 1990, le 20 mars 1991 et le 21 décembre 2009.
- d'ordonner une expertise avant dire droit afin d'évaluer la valeur actuelle du fonds de commerce sis [...] et de chiffrer les fruits et revenus produits par le fonds de commerce depuis le 12 septembre 1990,
- à titre subsidiaire, de surseoir à statuer sur la restitution des fruits et revenus jusqu'à l'issue des opérations de liquidation partage de la succession de Mme I...,
- de condamner solidairement M... H..., K... X..., O... X... et la SCP Sophie De Cian-Lhermie- Caroline E...- Stéphanie Téry-E... venant aux droits de la SCP Jean Valère Cartigny et Jacques-Noel E... à régler à chacun des requérants la somme de 20 000 euros à titre de réparation de leur préjudice moral,
- de les condamner solidairement au paiement de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Jean-Philippe A..., avocat au barreau de Valenciennes.
Ils font valoir que :
- les appelantes ont été délaissées par leur père après le décès brutal de leur mère et lui ont laissé la jouissance des biens dépendant de la succession de leur mère et notamment celle du fonds de commerce,
- le délai de prescription prévu par l'article 789 du Code civil n'a commencé à courir à leur égard qu'à compter du décès de M. P... X..., soit le [...] ,
- la prescription ne court pas à l'encontre des mineurs non émancipés de sorte qu'au moins Mme Luisa X..., étant devenue majeure le 13 mai 1984, pouvait agir sur le fondement du recel successoral jusqu'au 13 mai 2014, l'assignation à cette fin ayant été délivrée les 14 et 18 février 2014,
- M.P... X... a organisé la dissimulation du fonds de commerce constituant le seul actif de la succession de Mme I... sous couvert de plusieurs prête-noms,
- l'acte de vente du 12 septembre 1990 ne comporte aucune mention relative à la situation matrimoniale de M. P... X...,
- le consentement unanime de l'ensemble des indivisaires à la réalisation de la vente était indispensable en application de l'article 815-3 du code civil,
- les appelantes n'ont été informées des cessions illicites qu'à l'occasion de l'ouverture des opérations de succession de leur père,
- O... X..., M... H... et M. K... X... ont pris délibèrement part à une opération frauduleuse en vue de déshériter les enfants issus de la deuxième union de M. P... X...,
- l'action en réparation du préjudice moral n'est pas prescrite, le point de départ du délai de prescription devant être fixé au 12 septembre 2012,
- M. P... X... s'est rendu coupable de recel successoral en recelant le fonds de commerce au moyen de cessions fictives alors que ce fonds constituait un actif de la succession de Mme I...,
- la faute du notaire est caractérisée dans la mesure où il a méconnu les dispositions de l'article 815-3 du code civil qui exige le consentement de tous les indivisaires, M.X... n'ayant été en mesure de receler le fonds de commerce qu'avec son assistance,
Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 5 octobre 2017, Mehdi X..., K... X..., L... X..., M... H... sollicitent l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a :
- constaté que Luisa X... a la qualité d'héritière dans la succession de Marie-Q... I...,
- dit que la vente du 12 septembre 1990 est inopposable à Luisa X...,
- dit que la vente du 20 mars 1991 est inopposable à Luisa X...,
- dit que la vente du 21 décembre 1991 est inopposable à Luisa X...,
- dit que le bien doit être inscrit dans la masse partageable de la succession de MmeMarie-Q... I... à sa valeur à la date de la présente décision mais selon son état à l'époque de la vente,
- dit que les droits d'P... X... sur la succession I... doivent être retirés du calcul de ma masse partageable de la succession X...,
- condamné solidairement O... X..., M... H... et K... X... à payer à Luisa X... la somme de 10 000 euros,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991,
et sa confirmation pour le surplus.
Ils demandent à la cour, statuant à nouveau :
- de déclarer Zora, Fatima, Djamila, Luisa et Ammar X... ainsi que Patrick, Steve, N... et Roxanne Z... irrecevables en leurs actions, celles-ci étant prescrites,
- de les débouter de l'ensemble de leurs prétentions et les condamner à leur verser la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10juillet 1991 relative à l'aide juridique et aux dépens dont distraction au profit de la SCP Debacker et associés.
Ils soutiennent que :
- les appelantes sont demeurées inactives pendant plus de trente années suivant le décès de leur mère de sorte que leur action est prescritedepuis le 9 janvier 2006, ,
- Mme I... étant décédée le [...] , soit antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 23 juin 2006, les dispositions de l'article 780 alinéa 3 du code civil ne sont pas applicables en l'espèce,
- le fonds de commerce a été cédé par P... X... en 1990 soit plus de 14ans après le décès de Mme I...,
- les cessions ont été réalisées par actes authentiques et ont fait l'objet des publicités légales,
- l'action des appelantes en inopposabilité de la vente du 12 juin 1990 est prescrite depuis le 19 juin 2013 en application des articles 2262 ancien et 2222 du code civil,
- les appelantes n'ont pas droit à leur quote-part en fonction de la valeur actuelle du fonds de commerce.
Par ses dernières conclusions notifiées le 11 septembre 2017, la SCP Sophie De Cian-Lhermie- Caroline E...- Stéphanie Téry-E... sollicite la confirmation de la décision entreprise en ce qu'il a rejeté les demandes formées à son encontre et, à titre très subsidiaire, la constatation de ce que le litige ne peut trouver solution en l'absence de règlement de la succession de Mme I..., au besoin par un partage complémentaire.
Elle sollicite l'infirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a retenu le principe de la responsabilité du notaire et conclut au débouté des appelantes en toutes leurs prétentions et à leur condamnation aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP F...-G...-E...-Beaumont.
O... X... n'a pas constitué avocat.
MOTIVATION
Les dispositions de la décision entreprise concernant l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage des successions de Marie-Q... I... et P... X... et la désignation de Maître J... aux fins d'y procéder ne font l'objet d'aucune contestation.
Sur la qualité d'héritières de Marie-Q... I... de Zora, Fatima, Djamila, Nadia et Luisa X...
Les intimés, au visa de l'ancien article 789 du code civil et de la loi du 17 juin 2008, dénient aux filles de Marie-Q... I... la qualité d'héritières de celle-ci.
A la date du décès de Marie-Q... I..., soit le [...] , l'article 789 du code civil disposait que la faculté d'accepter ou de répudier une succession se prescrivait par le laps de temps requis pour la prescription la plus longue des droits immobiliers.
L'option successorale pouvait dès lors être exercée pendant trente ans à compter du jour de l'ouverture de la succession, le cours de la prescription étant suspendu pendant la minorité des héritiers et ne courant donc en fait qu'à compter de leur majorité.
La loi du 23 juin 2006, entrée en vigueur le 1er janvier 2007 a réduit ce délai à dix ans mais cette disposition, en vertu de l'article 47 de ladite loi, ne s'applique qu'aux successions ouvertes à compter de son entrée en vigueur.
Le délai de trente ans demeure donc applicable en l'espèce.
C'est à juste titre que le tribunal a relevé que, compte tenu de leurs dates de naissance, le délai de trente ans dont disposaient Zora, Fatima, Djamila et Nadia X... à compter de leur majorité pour accepter la succession de Marie-Q... I... a expiré avant l'introduction de la procédure devant le tribunal de grande instance de Valenciennes par acte du 18 février 2014.
Il n'est pas contesté qu'aucune d'elles n'a accepté expressément la succession pendant ces délais.
Elles ne justifient, ni ne font d'ailleurs état, d'aucun acte traduisant une acceptation tacite pendant la même période.
Comme le font valoir les intimés, elles ne peuvent valablement se prévaloir de l'article 780 alinéa 3 du code civil, aux termes duquel la prescription ne court contre l'héritier qui a laissé le conjoint survivant en jouissance des biens héréditaires qu'à compter de l'ouverture de la succession de ce dernier, qui est issu de la loi du 23 juin 2006 et n'est applicable qu'aux successions ouvertes à compter de son entrée en vigueur.
Elles n'explicitent pas en quoi le seul fait d'avoir laissé leur père continuer à exploiter le fonds de commerce révèlerait leur acceptation tacite de la succession alors qu'il pourrait également témoigner d'un désintérêt pour celle-ci.
La prescription étant donc acquise, elles étaient réputées, dès avant la date de l'assignation, avoir renoncé à la succession et ne pouvaient se prévaloir de la qualité d'héritières de Marie-Q... I....
Elles n'avaient, par conséquent, pas qualité pour présenter quelque demande que ce soit relative à cette succession.
Les demandes de Zora, Fatima et Djamila X... comme celles des ayants droit de Nadia X... sont donc irrecevables.
En revanche, Luisa X... est devenue majeure le 13 mai 1984, elle disposait, pour accepter ou répudier la succession de sa mère, d'un délai expirant le 13 mai 2014.
C'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que l'action par elle introduite le 18 février 2014 aux fins de voir sanctionner un recel d'un bien dépendant de la succession de Marie-Q... I... traduisait sa revendication de la qualité d'héritière de cette dernière et donc son acceptation tacite de cette succession avant l'expiration du délai de prescription.
Le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a dit que seule Luisa X... a la qualité d'héritière de Marie-Q... I.... Il doit être réformé en ce qu'il a débouté les autres demandeurs de leurs demandes concernant ladite succession, leurs demandes de ce chef devant plus exactement être déclarées irrecevables.
Sur le recel de succession
L'article 792 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, applicable en l'espèce compte tenu de la date du décès et de l'ouverture de la succession de Marie-Q... I..., dispose que les héritiers qui auraient diverti ou recelé des effets d'une succession sont déchus de la faculté d'y renoncer ; qu'ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur renonciation, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les objets divertis ou recelés.
Il résulte clairement de ce texte que le recel ne peut être reproché qu'à un héritier, ce qui est d'ailleurs toujours le cas dans le cadre de l'actuel article 778 du code civil.
Or, avant l'entrée en vigueur de la loi du 3 décembre 2001, et donc à l'époque de l'ouverture de la succession dont il s'agit en 1976, le conjoint survivant, en présence d'enfants, n'était pas considéré comme héritier mais avait seulement un droit contre la succession, à savoir le droit à l'usufruit du quart de la succession.
Les demandes de Luisa X... de ce chef ne peuvent donc prospérer et le jugement doit être infirmé sur ce point.
Sur l'action en inopposabilité des ventes successives du fonds de commerce
Sur la prescription
L'article 2262 du code civil, dans sa rédaction en vigueur aux dates des ventes litigieuses, dispose que toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre, ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
La loi 2008-561 du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription, a réduit ce délai à cinq ans .
Elle précise, en son article 26, qu'en cas de réduction du délai de prescription ou du délai de forclusion, le nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Le délai de prescription court du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Les appelants soutiennent que les filles du second mariage de M. X... n'ont appris l'existence des cessions litigieuses qu'au décès de ce dernier, survenu le [...] , ce qui est crédible dès lors qu'il ressort des attestations circonstanciées versées aux débats qu'elles n'ont entretenu que des relations épisodiques avec leur père et les autres membres de la famille alors même que le fonds de commerce continuait à être exploité par la famille, ce qui contribuait à donner l'apparence que P... X... en était toujours propriétaire. La preuve du contraire et de ce qu'elles auraient été informées plus tôt des cessions litigieuses n'est pas apportée et ne saurait résulter simplement de la publication de ces ventes au service de la publicité foncière.
Il y a donc lieu de retenir que le point de départ du délai de prescription de leur action en inopposabilité desdites ventes se situe après le 13 septembre 2012, de sorte que la demande de Luisa X... de ce chef est recevable.
Sur le fond
Aux termes de l'article 815-3 alinéa 3 du code civil, le consentement de tous les indivisaires est requis pour effectuer tout acte qui ne ressortit pas à l'exploitation normale des biens indivis et pour effectuer tout acte de disposition autre que ceux visés au 3°.
Pour autant, la cession d'un bien indivis par un indivisaire sans le consentement de tous les autres est valable à concurrence de la portion indivise qui lui appartient et, pour le surplus, n'est pas nulle mais seulement inopposable à ceux qui n'y ont pas consenti.
Au décès de Marie-Q... I..., et en l'absence de liquidation et de partage de la communauté (dans le cadre desquels le fonds de commerce aurait peut-être été attribué à P... X... moyennant une soulte aux héritiers de l'épouse ou aurait peut-être donné lieu à récompense au profit de l'époux s'il l'a acquis avec des deniers propres), ledit fonds de commerce, commun aux époux X... I..., s'est trouvé indivis entre Abderhamane X... et la succession de son épouse, représentée aujourd'hui par la seule Luisa X....
La cession de ce fonds de commerce intervenue le 12 septembre 1990 entre P... X... et son frère O... en l'absence de consentement de l'ensemble des coindivisaires est donc inopposable à Luisa X... en ce qui concerne la part de Marie-Q... I... et les ventes successives également.
Il y a donc lieu de faire figurer cette part, et non le fonds de commerce, à l'actif de la succession en fonction de la valeur dudit fonds à la date de la présente décision selon son état à l'époque de la vente.
Il appartiendra au notaire d'estimer cette valeur après avoir sollicité des parties les informations utiles sans qu'une expertise soit nécessaire.
Quant aux fruits et revenus, la succession de Marie-Q... I..., qui, au demeurant, prétend à des fruits et revenus mais ne propose pas de participer aux charges du bien indivis qui incombent aux indivisaires, pourrait tout au plus prétendre, sur le fondement de l'article 815-9 alinéa 2 du code civil, à l'encontre de la succession de P... X... puis des propriétaires successifs de sa part, et sous réserve de la prescription de cinq ans prévue par l'article 815-10, à une indemnité au profit de l'indivision pour l'usage privatif du fonds de commerce. Elle n'a en revanche aucun droit sur l'éventuel bénéfice tiré de l'exploitation du fonds par P... X... et ses successeurs qui est le fruit de leur industrie.
La demande d'expertise relative à cette exploitation est donc sans intérêt, de même que 'surseoir à statuer sur la restitution des fruits et revenus jusqu'à l'issue des opérations de liquidation partage de la succession de Mme I...'.
Les appelants ne formulant, par le dispositif de leurs conclusions sur lequel seul la cour doit statuer, qu'une demande d'expertise et, subsidiairement, une demande de sursis à statuer, Luisa X..., seule héritière, doit être déboutée de ses demandes relatives aux fruits et revenus.
Sur la demande de dommages et intérêts
Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le fait reproché à O... X..., M... H... et K... X... est une concertation frauduleuse avec P... X... dans le but de les déshériter, celui qui est reproché au notaire est une faute professionnelle lors de la vente du 12 septembre 1990 et le dommage dont il est demandé réparation est un préjudice moral.
Aux termes de l'article 2270-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivent par dix ans à compter de la manifestation du dommage ou de son aggravation.
Il a été admis supra que les appelants n'avaient été informés de l'existence des cessions litigieuses qu'à l'occasion de l'ouverture de la succession de P... X..., décédé le [...] , point de départ du délai de prescription, de sorte que leur action en responsabilité délictuelle est recevable.
La demande est présentée au profit de 'chacun des requérants', autrement dit chacun des appelants. Or, Ammar X..., qui n'est pas concerné par la vente du fonds de commerce au mépris des droits des ayants droit de Marie-Q... I..., à l'occasion de laquelle la responsabilité des intimés est recherchée, ne peut qu'en être débouté.
En revanche, dans la mesure où il n'est pas demandé réparation d'un préjudice matériel, dont seule Luisa X... pourrait se prévaloir, mais d'un préjudice moral pour avoir fait l'objet d'une tentative d'évincement, la demande présentée par les descendants de Marie-Q... I... se conçoit.
Cependant, il est établi que P... X..., s'il était alors marié avec Marie-Q... I... sous le régime de la communauté d'acquêts, a acheté le fonds de commerce seul et il ne ressort pas du dossier que son épouse ait contribué au financement puis à l'exploitation de ce fonds dont les intimés soulignent, sans être contredits, qu'il s'agissait d'un débit de boissons modeste ne servant que des boissons non alcoolisées dont l'exploitation s'est avérée déficitaire. La confrontation des pièces versées aux débats ne permet vraiment pas d'affirmer qu'en vendant le fonds de commerce, quatorze ans après le décès de Marie-Q... I... dont la succession n'avait pas été liquidée et n'avait donc pu donner lieu à une mise au point juridique, P... X... ait eu conscience qu'il s'agissait d'un bien commun, devenu indivis entre lui-même et ses filles, ni, en tout état de cause, qu'il ait entendu bafouer les droits de ces dernières, voire les 'déshériter'. Une faute d'O... X..., M... H... et K... X... consistant en une complicité avec P... X... dans la commission délibérée d'un acte préjudiciable aux filles issues du deuxième mariage de celui-ci est a fortiori exclue. La demande dirigée contre ces derniers ne peut donc qu'être rejetée.
Par ailleurs, à supposer que le notaire, lors de la vente du 12 septembre 1990, ait commis une négligence fautive en ne s'assurant pas des droits de P... X... sur le fonds de commerce afin de garantir l'efficacité juridique de l'acte, les appelants ne démontrent pas le lien de causalité pouvant exister entre une telle faute et le préjudice 'moral' qu'ils allèguent subir. Leur demande dirigée contre le notaire ne peut donc davantage prospérer.
Sur les autres demandes
Les parties appelantes, perdantes, doivent être condamnées aux dépens conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Il est en outre équitable, vu l'article 700 du même code et l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, qu'elles indemnisent les autres parties des frais qu'elles ont été contraintes d'exposer pour assurer la défense de leurs intérêts.
PAR CES MOTIFS
La cour
confirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
*ordonné l'ouverture des opérations de compte liquidation partage des successions de Marie-Q... I... de P... X...,
* commis Maître J..., notaire à Valenciennes (Nord), pour y procéder,
* autorisé le notaire commis à interroger la Banque de France ainsi que le fichier FICOBA afin de déterminer les comptes détenus au nom de Marie-Q... I... et de P... X...,
* en tant que de besoin, requis la Banque de France et le fichier FICOBA de répondre à toutes demandes de Monsieur le Président de la Chambre départementale des notaires du Nord ou de son délégataire,
* commis le juge commissaire de la première chambre civile du tribunal de grande instance de Valenciennes pour faire rapport en cas de contestations, en application des dispositions des articles 1364 et suivants du code de procédure civile,
* invité le notaire à informer le juge de toute difficulté et, dans un délai de six mois à compter de cette décision, de l'avancement des opérations,
* dit que le notaire devra dresser un état liquidatif dans un délai d'un an suivant sa désignation en application des dispositions de l'article 1368 du code de procédure civile,
*rappelé qu'en application de l'article 1372 du code de procédure civile, si un acte de partage amiable est établi, en application de l'article 842 du code civil, le notaire en informe le juge qui constate la clôture de la procédure,
* rappelé qu'en application des dispositions de l'article 1373 du code de procédure civile, en cas de désaccord des copartageants sur le projet d'état liquidatif dressé par le notaire, ce dernier doit transmettre au juge commis un procès-verbal reprenant les dires respectifs des parties ainsi que le projet d'état liquidatif,
* constaté que seule Luisa X... a la qualité d'héritière de Marie-Q... I...,
* dit que les ventes des 12 septembre 1990, 20 mars 1991 et 21 décembre 2009 sont inopposables à Luisa X...,
l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau et y ajoutant,
déclare irrecevables les demandes formées par Ammar X..., Zora X..., Fatima X..., Djamila X..., Patrick Z..., Steve Z..., N... Z... et Roxanne Z... relatives à la succession de Marie'Q... I...,
dit que la part de Marie-Q... I... dans le fonds de commerce situé [...] doit être inscrite dans la masse partageable de la succession de celle-ci compte tenu de sa valeur à la date de la présente décision selon son état à l'époque de la vente,
déboute Luisa X... de ses demandes relatives aux fruits et revenus du fonds de commerce,
la déboute de ses demandes tendant à la constatation et à la sanction d'un recel successoral,
déboute Ammar X..., Zora X..., Fatima X..., Djamila X..., Luisa X..., Patrick Z..., Steve Z..., N... Z... et Roxanne Z... de leur demande de dommages et intérêts pour préjudice moral dirigée tant contre O... X..., M... H... et K... X... que contre la SCP Sophie De Cian-Lhermie- Caroline E...- Stéphanie Tery-E...,
les condamne in solidum aux dépens de première instance et d'appel et, en application de l'article 700 du code de procédure civile et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, au paiement d'une indemnité de trois mille euros à Mehdi X..., K... X..., L... X..., M... H..., ensemble, et d'une indemnité de mille cinq cents euros à la SCP Sophie De Cian-Lhermie- Caroline E...- Stéphanie Tery-E....
Le greffier, Pour le président,
Delphine Verhaeghe. Emmanuelle Boutié.