ARRÊT DU
29 Juin 2018
N° 1384/18
RG N° RG 16/04584
SM/TD
RO
JUGT
Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS
EN DATE DU
14 Octobre 2016
GROSSE:
aux avocats
le 29/06/18
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
SA RECYLEX SA Prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés [...]
Représentant : Me Eric LAFORCE, avocat au barreau de DOUAI
assistée de Me Joël GRANGE, avocat au barreau de PARIS
et de Me FOULQUES DE ROSTOLAN, avocat au barreau de PARIS substitué par Me FIESCHI
INTIMÉS :
Me Jérôme A...,
liquidateur judiciaire de la SAS METALEUROP NORD
[...]
Représentant : Me Benoit GUERVILLE, avocat au barreau de LILLE
Me Philippe C...
ès qualité de liquidateur judiciaire de la SAS METALEUROP NORD
[...]
Représentant : Me Benoit GUERVILLE, avocat au barreau de LILLE
UNEDIC DELEGATION AGS CGEA D'AMIENS
[...]
Représentant : Me Philippe HERMARY, avocat au barreau de BETHUNE
substitué par Me DENISSELLE
Victor F..., demeurant [...]
Représentant : Mr Amaury VAZE (défenseur syndical) régulièrement mandaté
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Sabine MARIETTE
: PRÉSIDENT DE CHAMBRE
Béatrice REGNIER
: CONSEILLER
Patrick REMY
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Audrey CERISIER
DÉBATS : à l'audience publique du 15 Mai 2018
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 29 Juin 2018,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par Sabine MARIETTE, Président et par Valérie COCKENPOT, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE: rendue le 16.04.18, avec effet différé jusqu'au 09.05.2018
EXPOSE DU LITIGE :
La société Metaleurop Nord, filiale à 99 % de la société Metaleurop SA, devenue depuis la société Recylex, exploitait à Noyelles-Godault une unité de production et de commercialisation de métaux non ferreux.
Envisageant de reconvertir cette unité dans le recyclage des métaux non ferreux, la société Metaleurop a préparé, en 2001 et 2002, un projet de restructuration de l'entreprise et de plan de sauvegarde de l'emploi.
Une procédure de redressement judiciaire ayant été ouverte le 28 janvier 2003 à l'égard de la société Metaleurop Nord, ensuite convertie le 10 mars 2003 en liquidation judiciaire, les liquidateurs judiciaires ont licencié le 21 mars suivant tous les salariés, pour motif économique.
Le 13 novembre 2003 une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Recylex, un plan de redressement étant ensuite arrêté le 24 novembre 2005. Par décision du 15 décembre 2015, le plan a été clôturé pour extinction du passif.
Par ailleurs, les anciens salariés de la société Metaleurop Nord, réunis dans l'association «Choeurs de fondeurs», ont demandé l'inscription de l'établissement de traitement de minerais situé à Noyelles-Godault sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
Par décision du 25 juin 2003, confirmée par une décision du 23 août 2004 prise sur le recours gracieux de l'association, le ministre chargé du travail a rejeté cette demande.
A la suite d'une nouvelle demande de cette association le 19décembre 2008, le ministre chargé du travail a, une nouvelle fois, refusé l'inscription sollicitée par une décision du 23 décembre 2009.
Par un jugement du 4 juillet 2012, le tribunal administratif de Lille a rejeté la requête formée par l'association Choeurs de fondeurs à l'encontre de cette décision.
Par un arrêt du 13 mai 2013, la cour administrative de Douai a toutefois annulé la décision du 23 décembre 2009 et a enjoint au ministre chargé du travail de procéder à l'inscription de l'établissement sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période allant du 1erjanvier1962 au 31 décembre 1996.
Dans le prolongement de cette décision et de l'inscription intervenue par arrêté du 5 novembre 2013, M. F..., employé au sein de l'usine de Noyelles-Godault de la société Métaleurop Nord du 26 novembre 1968 au 30 octobre 2001, a saisi, la juridiction prud'homale pour solliciter l'indemnisation de son préjudice d'anxiété
Par jugement du 14octobre 2016 le conseil de prud'hommes de Lens a mis hors de cause Maîtres A... et C... pris en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société Métaleurop Nord et a condamné la société Recylex à payer à M. F... la somme de 24000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que celle de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Recylex a relevé appel de cette décision le 9 décembre 2016 dans des conditions de forme et de délais qui ne sont pas discutés entre les parties.
Entretemps, la cour administrative d'appel de Douai, par arrêt du 21 juillet 2015, statuant sur la tierce opposition de la société Recylex, a déclaré l' arrêt du 13 mai 2013 non avenu en ce qu'il fixe la date du 31 décembre 1996 comme terme de l'inscription sur la liste précitée et a enjoint au ministre chargé du travail de modifier le terme de l'inscription en retenant la date du 31 décembre 1989.
Par arrêt du 27 juin 2016, le Conseil d'Etat a cependant annulé cette décision en ce qu'elle se prononce sur l'inscription de l'établissement de la société Metaleurop puis Metaleurop Nord situé à Noyelles-Godault sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante pour la période allant de 1962 à 1989.
La cour administrative d'appel de Douai, désignée comme cour de renvoi, par arrêt du 2 mars 2017 a déclaré non avenu l' arrêt du 13 mai 2013 et a enjoint au Ministre du Travail d'abroger l'arrêté du 5 novembre 2015 inscrivant l'établissement de Metaleurop Nord sur la liste des établissements ouvrant droit à l'Acaata.
Cette abrogation est intervenue par arrêté du 19 décembre 2017.
La société Recylex par ses dernières conclusions déposées le 4 avril 2018 et signifiées au défenseur syndical le 12 avril 2018, demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau, de débouter M. F... de l'ensemble de ses demandes, plus subsidiairement, de minorer l'indemnisation allouée en première instance, et de le condamner à lui payer la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient notamment :
' que sa qualité de co-employeur n'est pas établie au regard de l'évolution de la jurisprudence sur cette question ;
' que la demande en réparation du préjudice d'anxiété ne peut être diriger contre elle puisque l'apport partiel d'actifs intervenu en 1994 lors de la création de la filiale Metaleurop Nord n'avait pas pour conséquence de créer une solidarité des actifs et passifs de la filiale à l'égard de la société mère ; que l'indemnisation du préjudice d'anxiété ne peut résulter que d'une action intentée contre l'employeur, par conséquent seule la filiale, la société Métaleurop Nord est débitrice de la créance de préjudice d'anxiété lequel est nécessairement né après 1994 puisque le préjudice naît à "la date à laquelle les salarié ont pris connaissance de l'arrêté ministériel d'inscription de l'établissement sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre de l' ACAATA".
' que l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété est strictement réservée aux salariés ayant travaillé dans les établissement classés ouvrant droit à l' ACAATA, de sorte que le site de Noyelles-Godault n'étant plus classé au sens de l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998, la réparation du préjudice d'anxiété n'est donc plus fondée ;
' qu'en présence d'un salarié ne justifiant pas d'une période d'emploi dans un établissement figurant sur les listes des établissements ouvrant droit à l'Acaata, la réparation du préjudice d'anxiété ou d'un tout autre préjudice d'exposition n'est pas fondée, ni sur le fondement de l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998, ni sur le fondement d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité ;
' que le salarié ne démontre nullement avoir subi une exposition personnelle à l'amiante, dans un contexte où, dès les années 60, la société a pris les mesures collectives et individuelles nécessaires par limiter l'exposition à l'amiante et que ce risque n'a, par ailleurs, jamais été signalé par les organes de prévention en charge de l'hygiène et de la sécurité ; que l'exposition au risque ne signifie pas contamination et encore moins maladie, le seul risque n'a jamais constitué un préjudice né, actuel et certain susceptible d'indemnisation ; que le préjudice déclaré reste totalement indéterminé, en ce qu'il n'est étayé par aucun élément circonstancié permettant de dater le trouble allégué, de caractériser et de préciser les manifestations de l'anxiété ; qu'en l'absence de maladie liée à l'amiante, la perte d'espérance de vie dont se prévaut le salarié reste éventuelle et hypothétique ;
M. F..., par conclusions déposées le 30 août 2017, demande à la cour d'infirmer le jugement sur le quantum des sommes allouées et de condamner la société Recylex à titre principal, en sa qualité de co-employeur et à titre subsidiaire sur le fondement de la responsabilité délictuelle, à lui payer la somme de 30 000 euros au titre du préjudice d'anxiété ainsi que celle de 30 000 euros au titre du manquement à l'obligation de sécurité et celle de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Il fait valoir en substance :
' que la société Recylex, à titre principal doit être considérée comme co-employeur au côté de la société Métaleurop Nord en application de l' arrêt de la cour de Cassation du 28 septembre 2011 et au nom du principe d'égalité, et qu' à titre subsidiaire, l'arrêt de la cour d'appel de Douai du 31 janvier 2017 a reconnu la responsabilité délictuelle de la société Recylex vis à vis de sa filiale et des salariés ;
' que l'employeur ne démontre pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique de ses salariés afin d'éviter l'exposition aux poussières d'amiante ;
' que le préjudice d'anxiété se matérialise par l'exposition à une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, que des contrôles ou examens médicaux soient ou non réalisés ; qu'il a été exposé aux poussières d'amiante dans les années 1970 et 1980, années pour lesquelles il a été démontré la présence d'amiante au sein de l'entreprise ;
' que le préjudice d'anxiété résulte du seul fait de l'inscription du site Métaleurop de Noyelles-Godault sur la liste des établissements ouvrant droit au dispositif de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante , l'abrogation de l'arrêté du 5 novembre 2013 ayant procédé à cette inscription n'ayant pas d'effet rétroactif ;
Maîtres A... et C... pris en leur qualité de mandataires liquidateurs de la société Metaleurop Nord, par conclusions déposées le 31 août 2017, demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Ils font valoir que le salarié ayant limité ses demandes contre la seule société Recylex il convient de constater ce désistement implicite et de les mettre hors de cause en leur qualité de liquidateurs de la société Metaleurop Nord.
Le CGEA-AGS d'Amiens, par conclusions déposées le 4 septembre 2017, demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
Il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties à leurs conclusions écrites
MOTIFS :
Aucune demande n'ayant été formée contre Maîtres A... et C... pris en leur qualité de mandataires liquidateurs de la société Metaleurop Nord et contre le CGEA-AGS d'Amiens, c'est à juste titre que les premiers juges ont prononcé leur mise en hors de cause.
La loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 a institué en faveur des travailleurs qui ont été particulièrement exposés à l'amiante, sans être atteints d'une maladie professionnelle consécutive à cette exposition, un mécanisme de départ anticipé à la retraite.
L'article 41 de cette loi, modifié par la loi no2012-1404 du 17 décembre 2012 prévoit ainsi le versement d'une allocation de cessation anticipée d'activité aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils travaillent ou ont travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif.
Si les salariés ayant travaillé dans un des établissements figurant sur la liste établie par arrêté ministériel peuvent prétendre à la réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, ce préjudice moral résultant pour le salarié du risque de développer une maladie induite par son exposition à l'amiante est constitué par le seul préjudice d'anxiété dont l'indemnisation n'est ouverte qu'au salarié ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel.
Il en résulte que même s'il est éligible à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, le salarié ne peut donc obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété par une demande dirigée contre une société qui n'entre pas dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.
En conséquence, quand bien même le salarié démontrerait une exposition à l'amiante, l'absence d'inscription sur la liste de la société contre laquelle il dirige sa demande, exclut toute indemnisation du préjudice d'anxiété et la violation de l'obligation de sécurité s'y rattachant ne permettrait aucune réparation distincte.
En l'espèce, quand bien même la société Recylex serait co-employeur de M. F..., ce qui n'est nullement démontré, et quand bien même celui-ci serait éligible à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante, ce qui n'est pas le cas puisque l'arrêté de classement de l'établissement de Métaleurop puis Métaleurop Nord de Noyelles-Godault a été abrogé, force est de constater qu'il ne peut obtenir la réparation d'un préjudice d'anxiété dès lors que sa demande est dirigée contre la seule société Recylex, anciennement dénommée SA Métaleurop, laquelle n'entre pas dans les prévisions de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et n'a jamais figurée sur la liste établie par arrêté ministériel des établissements susceptibles d'ouvrir droit à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante.
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens tirés de la violation de l'obligation de sécurité, il y a donc lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il condamne la société Recylex à lui payer une somme à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'anxiété et de le débouter du surplus de ses demandes.
M. F... qui succombe en appel sera condamné aux dépens.
En revanche, il n'apparaît pas manifestement inéquitable de laisser à la charge de la société Recylex les frais irrépétibles qu'elle a pu exposer.
PAR CES MOTIFS :
- Confirme le jugement en ce qu'il met hors de cause Maîtres A... et C... pris en leur qualité de mandataires liquidateurs de la société Metaleurop Nord et le CGEA-AGS d'Amiens
- L'infirme pour le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant :
- Déboute M. F... de l'ensemble de ses demandes,
- Déboute la société Recylex de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- Condamne M. F... aux dépens de première instance et d'appel.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
V. COCKENPOT S. MARIETTE