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21/06/2018 | FRANCE | N°17/03205

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 21 juin 2018, 17/03205


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 21/06/2018





***





N° de MINUTE :

N° RG 17/03205



Jugement (N° 16/08092)

rendu le 06 avril 2017 par le tribunal de grande instance de Lille





APPELANTE

Mme A... Z...

née le [...] à Bimbo (Centrafrique)

demeurant

[...]



représentée et assistée par Me Eve X..., avocat au barreau de Lille

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INTIMÉE

Mme B... Générale

près la cour d'appel de Douai



représentée par M. Olivier Declerck, substitut général





DÉBATS à l'audience publique du 09 avril 2018 tenue par Bruno Y... magistrat chargé d'instruire le doss...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 21/06/2018

***

N° de MINUTE :

N° RG 17/03205

Jugement (N° 16/08092)

rendu le 06 avril 2017 par le tribunal de grande instance de Lille

APPELANTE

Mme A... Z...

née le [...] à Bimbo (Centrafrique)

demeurant

[...]

représentée et assistée par Me Eve X..., avocat au barreau de Lille

INTIMÉE

Mme B... Générale

près la cour d'appel de Douai

représentée par M. Olivier Declerck, substitut général

DÉBATS à l'audience publique du 09 avril 2018 tenue par Bruno Y... magistrat chargé d'instruire le dossier qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Etienne Bech, président de chambre

Bruno Y..., conseiller

Emmanuelle Boutié, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 juin 2018 après prorogation du délibéré en date du 14 juin 2018 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par M. Etienne Bech, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 1er mars 2018

***

L'article 21-12 du code civil dispose notamment que l'enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française ou est confié au service de l'aide sociale à l'enfance peut, jusqu'à sa majorité, déclarer, dans les conditions prévues aux articles 26 et suivants, qu'il réclame la qualité de Français, pourvu qu'à l'époque de sa déclaration il réside en France.

Le 29 septembre 2009 a été enregistrée au tribunal d'instance de Lille la déclaration présentée sur le fondement de ce texte le 18 juin 2009 par A... Z..., se disant née le [...] à Bimbo, Bégoua (République Centrafricaine), résidant alors dans un foyer de Lille et confiée au service de l'Aide Sociale à l'Enfance par décision d'un juge des enfants en date du 15 mars 2005.

Par jugement du 6 avril 2017, réputé contradictoire en l'absence de constitution d'avocat par Mme A... Z..., assignée par remise de l'acte en l'étude de l'huissier instrumentant, le tribunal de grande instance de Lille, saisi par le procureur de la République, a annulé l'enregistrement de ladite déclaration, dit que la personne se présentant comme étant A... Flémie Michelle Z... née le [...] à Bimbo, Bégoua (République Centrafricaine) n'est pas française et a condamné cette personne aux dépens.

Mme A... Z..., ayant relevé appel de ce jugement, sollicite son infirmation et le débouté du Ministère public de ses demandes.

Le procureur général près la cour d'appel de Douai conclut à la confirmation du jugement.

Vu les conclusions du 23 mars 2018 par lesquelles Mme A... Z... sollicite le rabat de l'ordonnance de clôture, ses conclusions au fond en date du 9 février 2018 et les conclusions du Ministère public en date du 8 février 2018.

SUR CE

Il ressort du dossier que la formalité prévue par l'article 1043 du code de procédure civile a été observée.

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

L'article 784 du code de procédure civile dispose notamment que l'ordonnance de clôture [de la mise en état] ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; qu'elle peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats, par décision du tribunal.

Mme A... Z... fait valoir que deux jours avant le prononcé de l'ordonnance de clôture en date du 1er mars 2018, la Cour de Cassation a rendu un arrêt par lequel elle a admis que la transmission des conclusions par une partie au ministère public par la voie du réseau privé virtuel des avocats constituait une notification régulière alors qu'elle-même s'est pliée, pendant la procédure, aux exigences du ministère public qui prétendait le contraire et exigeait une notification par huissier, ce qui a eu un coût important ; qu'elle souhaite, au visa de l'arrêt en question, 'faire des demandes complémentaires afin de solliciter que les dépens importants exposés par elle soit mis à la charge du Parquet en cas de succès de sa demande au fond'.

Cependant, il était déjà loisible à Mme Z..., avant le prononcé de l'arrêt de la Cour de Cassation susvisé, de solliciter que les dépens exposés par elle soient mis à la charge du Parquet en cas de succès de sa demande au fond, et ce conformément au principe posé par l'article 696 du code de procédure civile, de sorte que le prononcé dudit arrêt ne constitue pas une cause grave justifiant la révocation de l'ordonnance de clôture.

Il n'y a donc pas lieu d'ordonner cette révocation et il en résulte que les conclusions au fond notifiées par l'appelante le 23 mars 2018 sont irrecevables, seules ses conclusions récapitulatives en date du 9 février 2018 pouvant être prises en considération.

Sur le fond

L'article 26-4 du code civil est ainsi rédigé :

'A défaut de refus d'enregistrement dans les délais légaux, copie de la déclaration est remise au déclarant revêtue de la mention de l'enregistrement.

Dans le délai de deux ans suivant la date à laquelle il a été effectué, l'enregistrement peut être contesté par le ministère public si les conditions légales ne sont pas satisfaites.

L'enregistrement peut encore être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l'enregistrement de la déclaration prévue à l'article 21-2 constitue une présomption de fraude'.

Plus de deux ans s'étant écoulés en l'espèce entre l'enregistrement de la déclaration de Mme A... Z... et l'assignation introductive d'instance, le ministère public ne peut plus contester cet enregistrement qu'en arguant d'un mensonge ou d'une fraude qu'il lui appartient de démontrer tant sur le plan matériel que sur le plan intentionnel.

Il ressort des pièces versées aux débats que A... Z... est arrivée de Centrafrique en France au début des années 2000, qu'elle a été confiée à l'Aide Sociale à l'Enfance le 15 mars 2005, qu'elle l'était toujours et donc depuis plus de trois ans à la date de sa déclaration aux fins d'acquisition de la nationalité française, le 18 juin 2008, et résidait alors en France. Se disant née le [...], elle apparaissait comme mineure et remplissait donc les conditions requises par l'article 21-12, précité, du code civil pour souscrire une telle déclaration.

Lors du dépôt de sa déclaration de nationalité française, A... Z... a produit une copie d'un acte de naissance 1215, délivrée à Bangui le 26 juin 2008, constatant que A... Flémie Michelle Z... est née le [...] à Bégoua (Bimbo) de M.Thierry Z..., élève, âgé de 23 ans, de nationalité centrafricaine, et de Mme Lydie Solange C..., élève, âgé de 21 ans, de nationalité centrafricaine, qui ont déclaré la reconnaître, la naissance étant déclarée par les parents.

Une demande de levée d'acte présentée à la commune de Bégoua via les autorités consulaires françaises en Centrafrique a révélé, en 2015, que l'acte n° 1215/90 de cette commune concernait une autre personne.

Les premiers juges, relevant que l'intéressée, n'ayant pas constitué avocat, ne fournissait aucune explication au sujet des conditions d'obtention dudit acte, ont considéré que le caractère frauduleux de l'acte produit au soutien de la déclaration acquisitive de nationalité était ainsi suffisamment établi.

Or, Mme A... Z... établit par les pièces qu'elle verse aux débats en cause d'appel :

- qu'après s'être vu signifier le jugement du tribunal de grande instance de Lille, elle s'est rendue en Centrafrique au mois de juin 2017,

- qu'elle a obtenu, le 17 juin 2017, de l'officier d'état civil une nouvelle copie de son acte de naissance qui diffère de la première en ce qui concerne le numéro de l'acte (1537 au lieu de 1215), l'âge des parents (non mentionné), la date de déclaration de la naissance (24 novembre et non 22), le domicile [...],

- que son conseil a interrogé sur ces différences M. Arnold D..., attaché au cabinet du maire de Bimbo, lequel a répondu :

'* le premier acte a été établi à la mairie de Bangui qui ne disposait pas de la souche dudit acte, c'est pourquoi vous avez constaté les erreurs sur les numéros et la date de déclaration,

* la dernière copie d'acte établie en 2017, elle, est intégrale car nous nous sommes référés à la souche dans notre archive mais les marges d'âges des parents et le lieu de domiciliation sont des erreurs de saisie de notre opérateur de saisie' ,

- que M. D..., en conclusion de son courrier, a suggéré de solliciter du tribunal compétent un jugement supplétif ou un jugement de reconstitution d'acte de naissance et a délivré un certificat de carence des services de l'état civil de Bimbo,

- que le tribunal de grande instance de Bimbo a rendu le 31 octobre 2017 un jugement de reconstitution d'acte de naissance,

- qu'un acte de naissance, n° 860, versé aux débats, a été établi le 9 novembre 2017 sur la base de ce jugement.

Mme Z... produit également des documents révélant les problèmes majeurs posés par l'état civil en République Centrafricaine, longtemps, et d'ailleurs toujours, en proie à la guerre civile, mis en évidence dans le cadre d'un forum national sur l'enregistrement des naissances qui s'y est tenu en 2011 et soulignés tant par la représentante de l'UNICEF que par le ministre de l'administration du territoire qui ont pointé notamment les dysfonctionnements des centres de l'état civil, l'insuffisance voire l'absence totale d'outils adéquats et le défaut de qualification et de connaissances du personnel chargé de l'établissement et de la délivrance des actes de l'état civil. Comme le relève l'intéressée, le délai de sept ans qui s'est écoulé entre la demande de levée d'acte des autorités françaises (2008) et la réponse des autorités centrafricaines (2015) est symptomatique de ces dysfonctionnements.

Il n'y a pas lieu d'entrer dans le débat qui s'est instauré entre les parties sur l'opposabilité en France du jugement du tribunal de Bangui et le caractère probant des copies d'acte de naissance produites au regard de l'article 47 du code civil dès lors que, rappelons-le, le tribunal de Lille a été saisi, et la cour après lui, d'une contestation par le ministère public de l'enregistrement de la déclaration aux fins d'acquisition de la nationalité française de Mme A... Z..., contestation qui ne peut plus aujourd'hui être fondée sur le fait que les conditions légales ne seraient pas satisfaites et ne peut prospérer que par la démonstration d'un mensonge ou d'une fraude au moment de la déclaration.

Le mensonge est l'expression délibérée d'une contre-vérité. La fraude, forme aggravée de la mauvaise foi, réside également dans un fait volontaire, l'utilisation du mensonge ou de moyens déloyaux afin de surprendre un consentement, d'échapper à l'application de la loi, d'obtenir un avantage indu.

On observera que tous les exemplaires de l'acte de naissance de l'intéressée lui attribuent les mêmes nom et prénoms, les mêmes date et lieu de naissance et la même filiation.

Il ressort d'une note de situation rédigée le 6 octobre 2008 par l'association chargée de suivre Mme A... Z... dans le cadre de la mesure d'assistance éducative dont elle faisait l'objet que celle-ci avait déposé sa demande de nationalité française avec l'assistance de sa tutrice et la collaboration de sa mère qui avait envoyé des actes de naissance.

Les développements qui précèdent sur les dysfonctionnements des services de l'état civil en Centrafrique ne permettent pas d'affirmer, par référence aux termes de l'article 47 du code civil, que l'acte produit en 2008, indépendamment de la question de sa force probante, est un acte falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité, à tout le moins en ce qui concerne les nom, prénoms, date de naissance et filiation de l'intéressée.

Mais en toute hypothèse, le ministère public n'apporte nullement la preuve de ce que cette jeune fille, alors âgée de dix-sept ans, arrivée en France vers l'âge de douze ans pour fuir la guerre, sans ses parents mais avec un oncle qui s'est révélé maltraitant, et ayant vécu depuis en foyer ou en famille d'accueil, ait pu avoir connaissance de ce que l'acte de naissance qui lui avait été fourni par sa mère et qu'elle a joint à sa déclaration pouvait être discuté et, a fortiori, ait délibérément utilisé un document mensonger et/ou falsifié dans le but d'obtenir indûment la nationalité française.

Il y a lieu, dans ces conditions, d'infirmer le jugement entrepris, de débouter B... générale de ses demandes et, conformément à l'article 696 du code de procédure civile, de condamner l'Etat aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

constate que la formalité prescrite par l'article 1043 du code de procédure civile a été observée,

rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture présentée par Mme A... Z...,

déclare irrecevables les conclusions déposées et notifiées par celle-ci le 23 mars 2018,

infirme le jugement entrepris,

déboute B... générale de ses demandes,

condamne l'Etat aux dépens.

Le greffier,Le président,

Delphine VerhaegheEtienne Bech


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 17/03205
Date de la décision : 21/06/2018

Références :

Cour d'appel de Douai 1A, arrêt n°17/03205 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-21;17.03205 ?
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