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31/05/2018 | FRANCE | N°15/04732

France | France, Cour d'appel de Douai, Sociale a salle 3, 31 mai 2018, 15/04732


ARRET DU

31 Mai 2018





















RG 15/04732



N° 11/18



PR/TD



































































GROSSE



le 31/05/18

République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



Re

nvoi après Cassation

- Prud'hommes -











CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE CREIL en date du 16/03/2012

COUR D'APPEL AMIENS en date du 24/09/2014

COUR DE CASSATION DU 06/10/2015



APPELANTE :



CARSAT NORD PICARDIE

[...]

Représentant: Me Benoit X..., avocat au barreau de LILLE



INTIMES :



Mme Christine Y...

[...]

Représentant : Me Stéphane Z..., avocat au barreau de LILLE, substitué pa...

ARRET DU

31 Mai 2018

RG 15/04732

N° 11/18

PR/TD

GROSSE

le 31/05/18

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

Renvoi après Cassation

- Prud'hommes -

CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE CREIL en date du 16/03/2012

COUR D'APPEL AMIENS en date du 24/09/2014

COUR DE CASSATION DU 06/10/2015

APPELANTE :

CARSAT NORD PICARDIE

[...]

Représentant: Me Benoit X..., avocat au barreau de LILLE

INTIMES :

Mme Christine Y...

[...]

Représentant : Me Stéphane Z..., avocat au barreau de LILLE, substitué par Me A...

Mission Nationale de Contrôle et d'Audit des Organismes de Sécurité Sociale

Cité administrative - BP 2008

59011 LILLE CEDEX

Non comparante non représentée (AR signé le 13/04/2017)

M. PREFET DE LA SOMME

[...]

Non comparant non représenté (AR signé le 04/04/2017)

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

Sabine B...

: PRESIDENT DE CHAMBRE

Béatrice C...

: CONSEILLER

Patrick D...

: CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : Séverine STIEVENARD

DEBATS :à l'audience publique du 27 Mars 2018

ARRET :Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 31 Mai 2018,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile,

signé par Sabine B..., Président et par Véronique GAMEZ greffier auquel la décision a été remise par le magistrat signataire.

Madame Christine Y... a été embauchée le 15 avril 1981 à la Caisse Régionale d'Assurance Maladie Nord Picardie, devenue depuis le 1er juillet 2010 la Caisse d'Assurance Retraite et de la Santé au Travail (CARSAT) Nord Picardie, comme «conseiller retraite».

Réclamant le paiement de la prime de fonction de 15% visée à l'alinéa 3 de l'article 23 de la convention collective de travail du personnel des organismes de sécurité sociale et d'allocations familiales du 8 février 1957, Mme Y... a saisi le conseil de prud'hommes de Creil le 21 décembre 2006 pour obtenir paiement de cette prime dite d'itinérantou de fonction de 15%, soit la somme de 15 837,59 euros.

Par un jugement de départage du 16 mars 2012, le conseil de prud'hommes de Creil a:

'Condamné la CARSAT Nord Picardie à appliquer, pour l'avenir, à Mme Y..., la prime de 15% visée à l'article 23 de la convention collective de travail du personnel des organismes de sécurité sociale et d'allocations familiales du 8 février 1957;

'Condamné la CARSAT Nord Picardie à payer à Mme Y... les sommes de 15 837,59 euros à titre de rappels de prime 15% pour la période de novembre 2001 à octobre 2006, outre celle de 1 589,75 euros à titre de congés payés y afférents ;

'Invité la CARSAT Nord Picardie et Mme Y... à faire le compte des sommes dues au titre du rappel de prime de 15% due à compter de novembre 2006 jusqu'au jour du présent jugement ;

'Rejeté la demande de Mme Y... au titre des dommages et intérêts ;

'Condamné la CARSAT Nord Picardie à payer à Mme Y... la somme de 350 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

'Rejeté la demande de la CARSAT Nord Picardie au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

'Condamné la CARSAT Nord Picardie aux entiers dépens ;

'Ordonné d'office l'exécution provisoire.

Par déclaration d'appel du 31 mai 2012, la CARSAT Nord Picardie a interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt du 12 mars 2014, la cour d'appel d'Amiens a :

'Mis hors de cause le préfet de la Région Picardie, préfet de la Somme ainsi que le directeur de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales de Lille,

'Confirmé le jugement en ce qu'il a reconnu au salarié le droit à la prime de fonction de 15% outre congés payés, mais l'a débouté de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive,

'Infirmé pour le surplus,

'Renvoyé les parties à établir leur compte au titre de la période débutant en novembre 2001, sans déduction autre que celle liée à la cessation du versement de son salaire au salarié absent, avec examen des éventuelles difficultés sur le chiffrage à l'audience du 2 juillet 2014 à 14 heures.

Saisie de neuf pourvois formés par la CARSAT Nord Picardie, la Cour de cassation a, par arrêt du 6 octobre 2015 (pourvois joints n° B 14-17.169 à J 14-17.176 et M 14-17.178), cassé les neuf arrêts du 12 mars 2014, sauf en ce qu'ils ont mis hors de cause le préfet de la région Picardie, le préfet de la Somme et le directeur des affaires sanitaires et sociales de Lille, et en ce qu'ils ont débouté la Caisse de sa demande d'indemnisation pour procédure abusive et a renvoyé la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai, pour les motifs suivants : «les salariés situés au niveau 5 A de l'échelle de classification ne sont pas des agents techniques», de telle sorte que la cour d'appel a violé l'article 23, alinéa 3, de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957.

Par déclaration du 27 novembre 2015 reçue par Rpva le 1er décembre 2015, la CARSAT Nord Picardie a saisi la Cour de renvoi.

Aux termes de ses conclusions, soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, la CARSAT Nord Picardie demande à la cour de:

'Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Creil,

'Dire Mme Y... mal fondée dans toutes ses demandes, fins et écritures,

'En conséquence, l'en débouter,

'La condamner à payer à la CARSAT Nord Picardie la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

'La condamner à restituer à la CARSAT Nord Picardie les sommes indûment perçues en exécution du jugement rendu,

Renvoyer les parties à faire le compte des sommes restant dues à charge d'en référer à la cour en cas de difficulté.

La CARSAT Nord Picardie soutient que l'article 23 de la convention collective prévoit trois conditions cumulatives, dont celle d'agent technique, qui n'est pas remplie pour les conseillers retraite, ceux-ci n'étant pas visés par la liste limitative du règlement intérieur. La CARSAT Nord Picardie fait ensuite valoir qu'il ne suffit pas d'exercer des fonctions techniques pour bénéficier de l'article 23, mais être agent technique, statut auquel les conseillers retraite ne peuvent plus prétendre depuis l'évolution de la classification conventionnelle. En effet, le statut d'agent technique correspond à des anciens emplois d'exécution, par opposition à ceux de maîtrise et d'encadrement, devenus ensuite des emplois d'agents techniques hautement qualifiés ou d'agents techniques supérieurs, lesquels relèvent désormais, aux termes des protocoles d'accord du 14 mai 1992 et du 30 novembre 2004, du niveau 3 de la norme conventionnelle, le cas échéant 4. Jusqu'en 1980, la CARSAT Nord Picardie employait des agents d'accueil itinérants, relevant de la catégorie et du statut d'emplois d'exécution, niveau 6 coefficient 157 qui bénéficiaient de la prime d'itinérance, mais à partir du 1er janvier 1981 ces agents d'accueils itinérants s'étant vus accorder un nouveau statut, celui d'ACERC, qui ne relève pas de l'emploi d'exécution ou de l'agent technique, et qui est reclassable au niveau 5A de la norme conventionnelle, de sorte qu'ils n'ont plus été admissibles aux primes d'accueil et d'itinérance, lesquelles ont toutefois été intégrées dans le calcul du nouveau coefficient attribué aux salariés en question, ce qui a permis aux anciens agents d'accueil itinérants de la CARSAT Nord Picardie, devenus conseillers retraite via le statut d'ACERC, de bénéficier d'un statut conventionnel supérieur. Quant à ceux qui ont été embauchés postérieurement, ils l'ont été avec le niveau 5 A de la norme conventionnelle, ce qui leur permet de bénéficier d'un coefficient supérieur au coefficient maximum des niveaux 4 et d'accéder au premier niveau d'encadrement, ce qui exclut qu'ils soient des agents techniques et qu'ils bénéficient de la prime d'itinérance. En outre, la CARSAT Nord Picardie se prévaut des deux arrêts de la Cour de cassation du 6 octobre 2005, ainsi que de nombreux jugements du conseil de prud'hommes de Lannoy du 26 janvier 2017, désormais définitifs, et qui sont conformes à son argumentation. Enfin, par rapport à l'argumentation de l'intimée, l'appelante fait valoir que la qualification d'agent technique est réservée à celle d'emploi d'exécution, et non pas à celle d'agent bénéficiant d'une large autonomie à l'instar des conseillers retraite de niveau 5A, peu important qu'ils exercent aussi des tâches techniques. Surtout, la CARSAT Nord Picardie précise que le protocole d'accord relatif aux primes de fonction conclu le 29 mai 2016, redéfinit la notion de salarié susceptible de percevoir la prime d'itinérance - en supprimant la référence à la notion d'agent technique - et en modifie les modalités de versement -en introduisant un calcul prorata temporis- , de telle sorte qu'il ne peut être considéré comme un accord interprétatif, mais un accord modificatif qui n'est applicable qu'à partir du 1er juillet 2016, date de son agrément.

Aux termes de ses conclusions soutenues oralement à l'audience, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé des moyens, Mme Y... demande à la cour de :

'Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Creil,

'Dire et juger que l'employeur devra lui payer l'indemnité de guichet telle que prévue à l'article 23 de la convention collective à raison de sa condition d'itinérant,

'Condamner en outre l'employeur au paiement d'une somme de 35 266,77 euros à titre de rappel de salaire au titre de l'indemnité de guichet outre la somme de 3 526,67 euros au titre des congés payés y afférents, somme arrêtée à mai 2012, à parfaire,

'Pour le surplus, renvoyer les parties à faire le compte des sommes dues et dire qu'il pourra en être référé à la cour en cas de difficulté.

A titre subsidiaire,

'Dire qu'en tout état de cause, le paiement de la prime de guichet est dû à compter de l'entrée en vigueur de cet accord, soit à compter du 1er avril 2016,

'Pour l'avenir, dire que la CARSAT Nord Picardie est tenue de régler la prime de guichet à compter du 1er avril 2016

'D'ores et déjà, condamner l'employeur au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de provision à valoir sur le rappel de prime,

'Renvoyer les parties à faire le compte des sommes dues et dire qu'il pourra en être référé à la cour en cas de difficulté.

'Condamner l'employeur au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

'Condamner l'employeur au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre l'article 700 du code de procédure civile.

Mme Y... soutient d'abord que le conseiller retraite correspond à un emploi qui existe sous différentes dénominations dans les CARSAT et que, quelle que soit sa dénomination, cet emploi reste le même en terme de mission, de qualification et de formation, peu important alors que les conseillers retraite ne soient pas visés expressément par le règlement intérieur de 1957, la caisse ayant elle-même accepté de verser la prime au techniciens polyvalent retraites qui ne sont pas davantage visés par le règlement intérieur, l'unique différence entre les deux postes tenant au fait que les conseillers retraite tiennent leur permanence en d'autres lieux que leur lieu de travail habituel. Mme Y... fait ensuite valoir que contrairement à ce que sous entend la Cour de cassation dans son arrêt du 6 octobre 2015, le salarié doit, au sens de l'article 23, percevoir la prime, quel que soit son statut de cadre ou d'employé, dès lors qu'il a une fonction technique et qu'il est en contact avec le public, ce que clarifie d'ailleurs le protocole d'accord du 29 mars 2016 en visant parmi les métiers devant bénéficier de l'article 23 le conseiller retraite accueil.

Par rapport à l'argumentation de la CARSAT Nord Picardie, Mme Y... soutient d'abord que si les ACERC ont été créés en 1981, il s'agit d'une création hybride qui ne relève pas du dispositif conventionnel applicable, que ni le règlement intérieur type, ni la convention collective ne les excluent du bénéfice de la prime, que si les conseillers retraite ont reçu une autre dénomination, ils n'ont pas pour autant changé de métier, de fonction ou de mission avant et après 1981, lesquelles correspondent toujours à celle d'agent technique, l'ACERC relevant d'ailleurs dans les emplois repères de la convention collective de 1992 de la filière technique. Toujours par rapport à l'argumentation adverse, Mme Y... conteste que la prime d'itinérance ait été intégrée au salaire de base et soutient que la CARSAT Nord Picardie a profité de l'augmentation du coefficient des conseillers retraite pour supprimer unilatéralement le paiement de cette prime et ceci au mépris de la convention collective, puisque les ACERC n'avaient pas changé de fonction et demeuraient ainsi agents techniques, itinérants et en accueil avec le public. Mme Y... ajoute que la structure de la rémunération de ces salariés aurait alors été modifiée unilatéralement, auquel cas, les conseillers retraite n'auraient pas, déduction faite de la prime, le niveau 5a, mais 3 ou 4, étant précisé que l'immense majorité des demandeurs ont de toute façon été embauchés après 1980 en qualité de conseiller retraite et lorsqu'ils l'ont été avec le coefficient 5a, ils l'ont été non pas dans la filière de management et d'encadrement, mais dans la filière technique qui est celle des conseillers retraite, lesquels ne sont pas des cadres.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur le bénéfice de la prime prévue par l'article 23, alinéa 3 de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957

S'agissant de la version applicable de l'article 23 de la convention collective de 1957 et du caractère interprétatif ou non du protocole d'accord du 29 mars 2016

L'article 23 de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957 dispose, dans sa version alors en vigueur, que :

«Les agents techniques perçoivent, dans les conditions fixées par leRèglement intérieur type, une indemnité de guichet équivalente à 4 % de leur coefficient de qualification sans points d'expérience ni points de compétences.

En cas de changement de poste ou d'absence au cours d'un mois, cette prime est payée au prorata du temps pendant lequel l'emploi donnant lieu à attribution de la prime aura été exercé.

L'agent technique, chargé d'une fonction d'accueil, bénéficie d'une prime de 15 % de son coefficient de qualification sans points d'expérience ni points de compétences lorsqu'il est itinérant».

En l'espèce, il n'est d'abord pas contesté que les salariés concernés, conseillers retraite, étaient chargés d'une fonction d'accueil et qu'ils étaient itinérants, de sorte qu'ils remplissaient deux des trois conditions de l'alinéa 3 de l'article 23, seule la condition liée à leur qualification d'«agent technique» étant discutée.

Cet article 23 de la convention collective de 1957 a toutefois été modifié par le protocole d'accord «relatif aux primes de fonctions» signé le 29 mars 2016 et applicable à partir du 1er juillet 2016, compte tenu de son agrément.

L'article 23 dispose désormais que «une prime de fonction est attribuée, dans les conditions posées par le présent article, aux salariés qui assurent des permanence d'accueils ou des permanences téléphoniques».

Et le a) intitulé «Permanences d'accueil physique» dispose que «Bénéficient de la prime au titre des permanences d'accueil physique les salariés qui exercent l'un des emplois visés au d du présent article lorsqu'ils assurent des permanences d'accueil ayant pour objet de répondre aux questions relatives à un dossier de prestation de sécurité sociale ou de recouvrement de cotisations, entraînant un contact physique individuel avec des assurés sociaux, des allocataires ou des cotisants (...)».

Il précise plus loin que «Le montant mensuel de la prime attribuée au titre des permanences d'accueil physique telles que définies ci-dessus est fixé à :

'6 % du coefficient de qualification lorsque les permanences d'accueil physique individuel s'effectuent sur le site géographique habituel de travail du salarié ;

'15 % du coefficient de qualification lorsque les permanences d'accueil physique individuel s'effectuent de façon itinérante, c'est-à-dire hors du site géographique habituel de travail du salarié, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'organisme. Pour l'application de cette dernière condition, le lieu d'exercice du télétravail, pour le salarié qui en bénéficie, n'est pas considéré comme un lieu de travail distinct du lieu habituel de travail».

Il ressort de ces nouvelles dispositions de l'article 23 qu'elles ne visent plus les agents techniques, mais qu'elles accordent la prime de fonction ou d'itinérance de 15% à tous les salariés qui exercent un des emplois visés au d) lorsqu'ils assurent des permanences d'accueils.

Et la «liste des emplois génériques ouvrant droit au bénéfice de la prime» du d), vise précisément «le conseiller retraite accueil» au titre de «métier de gestionnaire conseil Sécurité sociale» de la «Branche retraite».

Il en résulte que les conseillers retraites ont donc droit à la prime de fonction, au moins à partir du 1er juillet 2016.

Contrairement à ce que soutient la salariée, ce protocole d'accord ne peut toutefois être assimilé à un avenant interprétatif qui aurait un effet rétroactif en s'incorporant à l'accord de 1957.

En effet, si les partenaires sociaux ont voulu clarifier les modalités d'application de l'article 23, ils ne se sont pas contentés de l'interpréter, mais de le réécrire, son article 1 évoquant lui-même une «modification de l'article 23».

Or, sauf clause contraire des parties, l'accord collectif qui modifie les dispositions conventionnelles en raison de problèmes d'interprétation qu'elles soulèvent n'a pas de caractère rétroactif

Il convient donc, pour la période antérieure au 1er juillet 2016, d'appliquer l'article 23 de la convention collective de 1957 dans sa version précitée, antérieure à celle du protocole d'accord du 29 mars 2016.

S'agissant de l'interprétation de l'article 23 al. 3 de la convention collective de 1957 dans sa version antérieure au protocole d'accord du 29 mars 2016

Le «règlement intérieur type», visé par l'article 23 dans sa version alors en vigueur, précise à son paragraphe intitulé «indemnité de guichet», qui a été abrogé par le protocole d'accord du 29 mars 2016, que : «Une indemnité spéciale dite de guichet est attribuée en application de l'article 23 de la convention collective, aux agents dont la fonction nécessite un contact permanent avec le public, et qui occupent un emploi ayant pour objet le règlement complet d'un dossier prestations soit : (...)».

S'ensuit une liste d'emplois («décompteurs, liquidateurs A.V.T.S., liquidateurs d'une législation de sécurité sociale (...)». Le texte ajoute que «Cette indemnité est également due aux vérificateurs techniques et contrôleurs de comptes employeurs en contact avec le public» et que «La liste des agents bénéficiaires de l'indemnité de guichet est établie le dernier jour de chaque mois par les chefs de service responsables».

Il ressort d'abord de ce «règlement intérieur type» que «l'agent technique» au sens de l'article 23 de la convention collective est l'agent qui exerce une fonction qui «nécessite un contact permanent avec le public» et qui occupe un emploi «ayant pour objet le règlement complet d'un dossier prestation».

Au titre de l'alinéa 3 de l'article 23, les agents techniques devant être itinérants pour bénéficier de la prime de 15%, ils ne sont pas en permanence en contact avec le public : ils doivent en revanche, en plus d'occuper un emploi ayant pour objet le règlement complet d'un dossier prestation, exercer une fonction d'accueil pour percevoir non pas l'indemnité de guichet, mais la prime dite d'itinérance ou de fonction, selon la dénomination donnée par la CARSAT Nord Picardie elle-même.

Il ressort ensuite de ce «règlement intérieur type» que si le conseiller retraite n'est pas mentionné dans la liste des emplois susceptibles d'être occupés par ces agents bénéficiaires, cette liste n'est pas limitative puisqu'elle est établie par les chefs de service responsables et il est constant que les conseillers retraite bénéficiaient jusqu'en 1980 en tant qu'agent d'accueils itinérants de la prime de 15%, qualifiée par l'appelante elle-même de prime d'itinérance ou de prime de fonction.

Ainsi, il résulte d'une lecture littérale de l'article 23 al. 3 de la convention collective et du règlement intérieur type que la notion d'agent technique au sens de l'article 23 al.3 renvoie à l'objet de l'emploi occupé (régler un dossier prestation) et à la fonction exercée (d'accueil) dès lors que l'agent est itinérant.

Contrairement à ce que soutient la CARSAT Nord Picardie, la notion d'agent technique au sens de l'article 23 al. 3 n'est donc liée ni à un statut au sens de classification, ni à une catégorie professionnelle (employé, agent de maîtrise, cadre), l'article 23 ne liant pas la qualification d'agent technique et donc le bénéficie de la prime (pas plus celle de guichet que celle d'itinérance ou de fonction) à l'attribution d'un coefficient déterminé dans la grille de classification.

Ainsi, la CARSAT Nord Picardie confond deux sens du terme emploi, à savoir l'emploi au sens d' ensemble de tâches et de fonctions qu'un salarié doit exercer, d'une part, et l'emploi au sens de statut, de positionnement du poste que le salarié occupe au sein d'une grille de classification, d'autre part, lequel détermine alors son coefficient et sa rémunération de base ainsi que son appartenance à une catégorie professionnelle (ouvrier, employé, agent de maîtrise, cadre...).

Il s'ensuit que toute l'argumentation de la CARSAT Nord Picardie, au demeurant exacte sur l'évolution de la classification des conseillers retraites, est dès lors inopérante pour le bénéfice de la prime d'itinérance au sens de l'article 23 al. 3.

En substance, ce n'est pas parce que les agents techniques, dont faisaient partie les conseillers retraite, ont été classés comme agent d'exécution en 1974 et que les conseillers retraite ont acquis en 1980 un statut d'ACERC qui ne relève plus de l'emploi d'exécution, au point d'avoir ensuite bénéficié de coefficients très élevés dans la grille de classification, qu'ils n'ont plus le droit à la prime d'itinérance ou de fonction, puisque celle-ci leur a précisément été accordée non pas en raison de leur emploi au sens de statut, de classification, mais en raison de l'emploi au sens des fonctions qu'ils exerçaient (régler un dossier prestation avec accueil et itinérance) et qu'ils ont bel et bien continué à exercer nonobstant leur changement de classification et de coefficient.

S'agissant des autres textes invoqués par la CARSAT Nord Picardie et qui concernent exclusivement la classification des emplois et la rémunération de base

Cette distinction entre les deux sens du terme emploi est présente dans le texte même de «classification des emplois» que verse aux débats la CARSAT Nord Picardie (Pièce 4) et sur lequel repose ensuite toute son argumentation.

En effet, ce texte sur l'«évolution des classifications des emplois» qui classe, sur le fondement d'un avenant du 17 avril 1974, les «emplois d'exécution», en vue de leur attribuer un coefficient, mentionne notamment les «emplois tenus par des agents techniques professionnels ou interprofessionnels» (niveau 4 : coefficient 132), les «emplois tenus par des agents techniques professionnels ou interprofessionnels confirmés» (niveau 5 : coefficient 144) et les «emplois tenus par des agents techniques supérieurs» (Niveau 6 : coefficient 157).

Et parmi ces «emplois tenus par des agents techniques supérieurs» (Niveau 6 : coefficient 157), le texte distingue le «personnel de service et ouvrier», «le personnel interprofessionnel» et «le personnel professionnel», lequel vise les «agent technique hautement qualifié chargé d'une fonction d'accueil : agent technique supérieur chargé de conseiller le public (...)».

Une note de bas de page précise alors que «Cet emploi est assorti d'une prime de fonction de 15% pour les agents d'accueils itinérants».

Il ressort bien de cette note de bas de page que la prime de fonction de 15% est accordée aux agents en raison des fonctions qu'ils exercent et non en raison du coefficient qu'ils occupent dans la grille.

La prime de 15 % n'est accordée aux conseillers retraite que parce qu'ils occupent un emploi dont l'objet est d'assurer le règlement complet d'un dossier prestation, exercent une fonction d'accueil et sont itinérants, peu important leur positionnement dans la grille de classification.

Ainsi et à nouveau, le changement de positionnement dans la grille de classification des conseillers retraite ne peut avoir pour effet de leur faire perdre leur dénomination d'agent technique au sens de l'article 23 al.3 et donc le bénéfice de la prime d'itinérance ou de fonction dès lors que ce changement de classification n'a pas eu pour effet de modifier l'objet de l'emploi qu'ils ont occupé (régler un dossier prestations) et les fonctions (d'accueil) qu'ils ont exercées en étant itinérant.

Le fait qu'un emploi déterminé, comme celui de conseiller retraite, exige ' du fait de la complexité croissante de la question des retraites -, des compétences et donc un «niveau de qualification» de plus en plus élevés au point d'entraîner un changement de catégorie professionnelle (employé, agent de maîtrise, cadre) n'a pas pour effet de modifier l'objet même de l'emploi (règlement complet d'un dossier prestations en l'espèce) et les différentes tâches et fonctions qui le caractérisent, seules les conditions dans lesquelles ces tâches sont effectuées (souvent de façon plus autonome) étant le cas échéant modifiées.

En l'espèce, il n'est soutenu à aucun moment par la CARSAT Nord Picardie que l'emploi lui même, tel qu'il a été réellement exercé par les conseillers retraite aurait changé dans ses tâches et fonctions et qu'il n'aurait plus pour objet le règlement complet d'un dossier prestation.

La CARSAT Nord Picardie démontre donc seulement que la classification des conseillers retraite (comme celle des autres agents techniques, mais plus que les autres) a évolué pour tenir compte de l'augmentation du « niveau de qualification» désormais exigé pour remplir les mêmes fonctions.

En effet, le «protocole d'accord du 30 novembre 2004 relatif au dispositif de rémunération et à la classification des emplois», qui s'inscrit dans le prolongement de celui du 14 mai 1992, comprend «une annexe 1 : définition des niveaux de qualification des emplois» notamment pour les «employés et cadres» qui définit chaque niveau de qualification (de 1 à 9) par rapport au «contenu des activités (en terme de technicité, animation, gestion-communication, communication)» et de «Accès au niveau par : formation initiale ou formation continue ou expérience professionnelle validée».

Au titre du «contenu des activités», il est précisé pour chaque niveau la nature de l'activité en termes généraux (activité opérationnelle, management ou activité complexe... ) ainsi que son degré de technicité ou d'expertise.

Et à chaque niveau, il est précisé en dessous ce que «les fonctions requièrent : (...)».

Autrement dit, le fait que les différents emplois (dont celui de conseiller retraite) aient évolué en terme de niveau de qualification et donc d'activités au sens de positionnement au sein de la grille de classification n'a rien changé aux fonctions caractéristiques de ces emplois, ces fonctions requérant seulement des compétences plus élevées.

Le fait que les conseillers retraite aient bénéficié d'un nouveau statut d'ACERC en 1981 ne relevant plus de l'emploi d'exécution propre aux autres agents techniques de la grille, et qu'ils aient alors, en application des différents protocoles du 14 mai 1992 et du 30 novembre 2004 relatifs à la classification des emplois bénéficié d'un coefficient plus élevé équivalent au premier niveau d'encadrement (5A) n'a rien changé à leur emploi au sens d'ensemble de tâche et de fonctions qu'ils doivent réaliser en vue du règlement complet d'un dossier prestation et qui conditionne l'octroi de la prime de fonction ou d'itinérance.

S'agissant de l'argument de l'intégration des primes d'itinérance et de fonction dans l'augmentation de la rémunération des conseillers salariés consécutive à l'évolution de leur coefficient

Le caractère inopérant de cet argumentation de la CARSAT Nord Picardie résulte déjà de ce qui précède.

En effet, le niveau de qualification de l'emploi au sein de la grille de classification détermine un coefficient de qualification qui permet de fixer la rémunération de base du salarié.

Or, la prime de 15% dite de fonction ou d'itinérance ne dépendant pas d'un coefficient, mais des fonctions exercées, il en résulte qu'elle a un objet distinct de la rémunération de base, de sorte qu'elle ne peut être intégrée, contrairement à ce que soutient la CARSAT Nord Picardie, dans le calcul du nouveau coefficient.

Tant et si bien que les conseillers retraite doivent pouvoir continuer à bénéficier de la prime de fonction en application de l'article 23 al.3 de la convention collective, quelle qu'ait pu être l'augmentation de leur coefficient et de leur rémunération de base.

Et même s'il n'est applicable qu'au 1er juillet 2016, le protocole d'accord du 29 mars 2016 qui est de façon significative relatif «aux primes de fonctions» et qui ne mentionne plus l'agent technique, pour éviter toute confusion, confirme à tout le moins que le bénéfice de la prime de 15% dite d'itinérance ou de fonction dépend des fonctions exercées et non de la position de l'emploi dans la grille de classification, le coefficient de qualification ne servant que de base de calcul à la prime litigieuse.

En conséquence, Mme Y... a droit à la prime d'itinérance ou de fonction de 15% sur le fondement du protocole d'accord du 29 mars 2016 à partir du 1er juillet 2016 et pour la période qui précède le 1er juillet 2016 sur le fondement de la version antérieure de l'article 23 al. 3 de la convention collective nationale du personnel des organismes de sécurité sociale du 8 février 1957.

Sur les conséquences financières

Il convient d'allouer à Mme Y... la somme de 35 266,77 euros qu'elle réclame à titre de rappel de salaire, ainsi que la somme de 3 526,67 euros à titre de congés payés afférents, somme arrêtée en mai 2012.

La cour renvoie les parties à faire le compte des sommes dues pour la période postérieure en appliquant le principe «prorata temporis» à partir du 1er juillet 2016 et dit qu'il pourra être référé à la cour en cas de difficultés.

Mme Y... sera déboutée de sa demande de provisions.

Sur la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive

L'interprétation des dispositions conventionnelles étant controversée, la procédure n'est ni abusive, ni dilatoire, de sorte que Mme Y... doit être déboutée de sa demande de ce chef.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Eu égard à l'issue du litige, il convient de confirmer le jugement de ces chefs et de condamner la CARSAT Nord Picardie à payer 500 euros à Mme Y... sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Creil du 16 mars 2012, sauf en ce qu'il a statué sur le quantum des rappels de salaire dus à Mme Christine Y...,

Statuant à nouveau de ce chef infirmé et y ajoutant,

Condamne la CARSAT Nord Picardie à payer à Mme Christine Y... les sommes de :

'35 266,77 euros à titre de rappel de salaire,

'3 526,67 euros à titre de congés payés afférents, somme arrêtée en mai 2012,

'Renvoie les parties à faire le compte des sommes dues pour la période postérieure en appliquant le principe «prorata temporis» à partir du 1er juillet 2016,

'Dit qu'il pourra être référé à la cour en cas de difficultés,

'Déboute la CARSAT Nord Picardie de l'ensemble de ses demandes,

'Déboute Mme Christine Y... du surplus de ses demandes,

'Condamne la CARSAT Nord Picardie à payer à Mme Christine Y... 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

'Condamne la CARSAT Nord Picardie aux dépens d'appel.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

V. GAMEZS. B...


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Sociale a salle 3
Numéro d'arrêt : 15/04732
Date de la décision : 31/05/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-05-31;15.04732 ?
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