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11/05/2017 | FRANCE | N°16/07171

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 11 mai 2017, 16/07171


République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 11/05/2017





***





N° de MINUTE : 313/2017

N° RG : 16/07171

(jonction du RG n° 16/07173)



Jugement (N° 13/03386)

rendu le 04 octobre 2016 par le tribunal de grande instance de Dunkerque





APPELANTE

SAS Aperam Stainless France agissant poursuites et diligences de son représentant légal

ayant son siège social

[

Adresse 1]

[Localité 1]



régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception



représentée par Me François Deleforge, membre de la SCP François Deleforge-Bernard Franchi, avocat au ba...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 11/05/2017

***

N° de MINUTE : 313/2017

N° RG : 16/07171

(jonction du RG n° 16/07173)

Jugement (N° 13/03386)

rendu le 04 octobre 2016 par le tribunal de grande instance de Dunkerque

APPELANTE

SAS Aperam Stainless France agissant poursuites et diligences de son représentant légal

ayant son siège social

[Adresse 1]

[Localité 1]

régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception

représentée par Me François Deleforge, membre de la SCP François Deleforge-Bernard Franchi, avocat au barreau de Douai

ayant pour conseils Me Jean-Marc Priol et Me José-Manuel Moreno, avocats au barreau des Hauts de Seine

INTIMÉE

Direction Régionale des Douanes et Droits Indirects représentée par son directeur régional en ses bureaux

[Adresse 2]

[Localité 2]

régulièrement convoquée par lettre recommandée avec accusé de réception

représentée par Me Jean Di Francesco, membre de la SCP Urbino associés, avocat au barreau de Paris

DÉBATS à l'audience publique du 27 mars 2017, tenue par Maurice Zavaro magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 945-1 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Maurice Zavaro, président de chambre

Bruno Poupet, conseiller

Emmanuelle Boutié, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 11 mai 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par M. Maurice Zavaro, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

***

Exposé

La société Aperam exerce son activité dans le secteur métallurgique. Son établissement d'[Localité 3] (Nord) est spécialisé dans la production d'acier inoxydable pour laquelle elle utilise de grandes quantités de gaz naturel. Celui-ci lui a été facturé par ses fournisseurs qui ont pris en compte la taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN).

Exposant que le dispositif de taxation des produits énergétiques en vigueur à compter du 1er avril 2008 prévoit que le gaz n'est pas soumis à cette taxe quand il est utilisé en 'double usage', c'est-à-dire pas seulement comme un combustible mais lorsqu'il intervient également en tant que composant chimique dans le processus d'élaboration du produit final, cette société a sollicité le remboursement et l'exonération de la TICGN.

Considérant que les installations exploitées par la société Aperam n'étaient pas concernées par l'exonération de la TICGN, la direction régionale des douanes et des droits indirects de Dunkerque (DRDDI) a notifié à celle-ci un avis de mise en recouvrement de 633 969 euros le 28 juin 2010.

La société Aperam a sollicité le remboursement de cette somme, acquittée le 6 juillet 2010.

Par jugement du 4 octobre 2016, le tribunal de grande instance de Dunkerque a débouté la société Aperam de ses demandes et l'a condamnée à payer 3 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.

*

La société Aperam constate qu'aux termes du décret 2008-1001 du 24 septembre 2008, elle ne peut bénéficier de l'exonération qu'elle revendique, mais elle soutient que ce texte est contraire aux dispositions de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH), de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention ainsi qu'aux articles 2, 4, 5, 6, 13, 16 et 17 de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789 (DDHC).

Elle indique que ce moyen est actuellement soumis à la Cour de cassation saisie de trois pourvois le 17 mai 2016 et demande principalement à la cour de surseoir à statuer en attendant que la cour suprême se soit prononcé et, subsidiairement, d'infirmer le jugement. Elle demande à la cour de constater que l'article 3 du décret 2008-1001 est contraire aux textes fondamentaux mentionnés ci-dessus et :

D'annuler le procès-verbal d'infraction du 23 juin 2010,

D'annuler l'avis de mise en recouvrement du 28 juin 2010 ;

De condamner la DRDDI Dunkerque à rembourser 633 969 euros ;

5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Aperam a relevé appel par lettre adressée au greffe de la juridiction et par courrier électronique, entraînant l'ouverture de deux dossiers 16/07171 et 16/07173. Il convient d'ordonner la jonction de ces deux procédures.

La DRDDI Dunkerque conteste les critiques apportées au décret 2008-1001, souligne qu'en toute hypothèse le juge de l'ordre judiciaire n'a pas compétence pour apprécier la constitutionnalité d'un texte réglementaire et affirme que celui-ci ne méconnaît pas les exigences conventionnelles. Elle conclut en conséquence à la confirmation du jugement et sollicite 5 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.

Discussion

L'article 266 quinquies 4 a 2° du code des douanes énonce que le gaz naturel n'est pas soumis à la TICGN lorsqu'il est utilisé à double usage 'au sens du 2° du I de l'article 265 C' du même code.

Ce dernier texte précise que sont notamment considérés comme des produits à double usage 'les combustibles utilisés dans des procédés métallurgiques ou de réduction chimique' et renvoie au décret pour la définition de ses modalités d'application.

Le décret 2008-1001 expose, en son article 3, que 'Les procédés métallurgiques mentionnés au 2° du I de l'article 265 C du code des douanes, au 2° du a du 4 de l'article 266 quinquies et au b du 1° du 4 de l'article 266 quinquies B du même code s'entendent des activités de production et de transformation à chaud des métaux ferreux et non ferreux et de leurs alliages, mentionnés dans la colonne A de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement [ICPE], annexée à l'article R. 511-9 du code de l'environnement sous les rubriques suivantes'. Suivent 5 rubriques désignées par les codes ICPE 2545 et 2546, 2550 à 2552.

Il est constant que la société Aperam met en 'uvre des procédés répertoriés sous les codes 2541, 2561 et 2565 et que ceux-ci n'étaient pas visés par le décret 2008-1001 dans sa version applicable entre 2008 et 2012.

La société Aperam estime que ces dispositions sont contraires à l'article 14 de la CEDH qui, sous l'intitulé 'Interdiction de discrimination' dispose que 'la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation.' Le protocole additionnel à la CEDH ajoute à ce texte, en son article 1er que 'Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.' Ainsi que le protocole additionnel étend aux biens une protection qui n'était réservée qu'aux personnes.

La cour observe toutefois que l'appelant considère que l'interdiction de la discrimination recouvre toute situation d'inégalité de traitement. Tel n'est pourtant pas le cas. Seules, aux termes de l'article 14 de la CEDH, les inégalités de traitement en raison de certains critères (le sexe, la race, la couleur ...) sont prohibées. Il est vrai que l'énumération de l'article 14 est introduite par l'adverbe 'notamment' et conclue par la mention 'ou toute autre situation', mais il n'en reste pas moins que cet article ne prohibe une inégalité de traitement en la qualifiant de discrimination que lorsqu'elle s'opère en raison de certains critères auxquels on a pu adjoindre par exemple l'orientation sexuelle, mais pas un procédé de fabrication métallurgique comme la 'trempe, recuit ou revenu des métaux et alliage', correspondant au code ICPE 2561. Il en résulte qu'il n'existe en l'espèce aucune discrimination.

La DDHC, en ses articles 6, qui prévoit que la loi doit être la même pour tous et 13, qui ajoute que la contribution aux finances publiques doit être également répartie entre tous les citoyens, pose en revanche un principe d'égalité de traitement auquel l'autorité réglementaire doit se soumettre, qui dépasse la stricte question de la discrimination.

Chacun convient de ce que ce principe ne s'oppose pas à ce que le législateur et l'autorité règlementaire, imposent des règles différentes à des situations différentes, ni à ce qu'ils dérogent à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi ou du règlement qui l'établit, dès lors qu'elle est fondée sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts poursuivis.

L'appelant fait valoir que tous les procédés métallurgiques mettant en 'uvre des produits énergétiques à double usage sont 'substantiellement de même nature technique et scientifique'. Mais il n'apporte aucune contradiction utile aux affirmations de la direction des douanes qui souligne au contraire que les procédés métallurgiques sont différents.

Le simple intitulé des codes ICPE en témoigne. Entre 2008 et 2012, étaient exonérés les procédés de fabrication d'acier, de traitement des minerais non ferreux, de fonderie de plomb, de métaux et d'alliages ferreux ou non ferreux. Au contraire l'exonération était refusée aux procédés de 'grillage ou frittage de minerai métallique' ainsi que de 'trempe, recuit ou revenu des métaux et alliage'.

La cour constate, en l'état de l'absence évidente d'identité entre les procédés concernés par l'exonération et ceux touchés par la taxe entre 2008 et 2012 et en l'absence de tout élément de nature à révéler que cette différence ne serait qu'apparente, que l'inégalité de traitement alléguée découle de la différence des procédés mis en 'uvre, qui sont présentés, sans que cette présentation ne soit utilement démentie, comme générant des risques à la sécurité environnementale et des inconvénients différents. Elle se trouve ainsi légitimée par des critères objectifs et rationnels, conformes aux buts poursuivis par la réglementation, en rapport avec l'objet de celle-ci.

Ce constat n'est pas invalidé par la seule évolution de la réglementation qui, en 2012, a inclus dans la liste des procédés ouvrant droit à exonération de la taxe sur la gaz utilisé en double usage, notamment deux codes ICPE (2541 et 2561) qui en étaient exclus en 2008 et correspondent à des procédés mis en 'uvre par la société Aperam. Ce, d'une part, parce que rien n'établit que les progrès techniques propre à chacun de ces procédés n'aient pas conduits à une diminution de la menace qu'il fait peser sur l'environnement, d'autre part et en toute hypothèse, parce que la perception de cette menace peut évoluer avec le progrès des connaissances sans pour autant que l'inégalité de traitement, qui était nécessairement justifiée par une certaine perception de cette menace, n'en devienne rétroactivement illégitime, sauf à démontrer que la perception initiale était arbitraire et fantaisiste, ce qui n'est pas le cas.

L'inégalité de traitement alléguée n'est donc pas répréhensible, étant observé que si l'appelant invoque également à l'appui de son argumentation une violation du droit de propriété, protégé par les articles 2 et 17 de la DDHC ainsi que de la liberté d'entreprendre (articles 4 DDHC), les droits invoqués ne sont pas méconnus dès lors que l'inégalité de traitement qui caractérise l'atteinte qui leur est faite, n'est pas illégitime. Il en résulte que le jugement doit être confirmé, sans qu'il soit nécessaire de surseoir à statuer.

Par ces motifs

La cour,

Prononce la jonction des procédures enregistrées sous les numéros 16/07171 et 16/07173 ;

Dit n'y avoir lieu de surseoir à statuer ;

Confirme le jugement ;

Condamne la société Aperam à payer à la DRDDI de Dunkerque 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;

Dit n'y avoir lieu à dépens.

Le greffier,Le président,

Delphine VerhaegheMaurice Zavaro


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 16/07171
Date de la décision : 11/05/2017

Références :

Cour d'appel de Douai 1A, arrêt n°16/07171 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-11;16.07171 ?
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