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01/12/2016 | FRANCE | N°15/04590

France | France, Cour d'appel de Douai, 01 décembre 2016, 15/04590


République Française
Au nom du Peuple Français




COUR D'APPEL DE DOUAI


TROISIEME CHAMBRE


ARRÊT DU 01/12/2016


***




No de MINUTE : 16/845
No RG : 15/04590


Jugement (No 13/02070) rendu le 10 Février 2015
par le tribunal de grande instance de Bethune


REF : BM/CL






APPELANTE


SA Hôpital Prive [...]
ayant son siège social [...]                              


Représentée par Me Jean-François Segard, avocat au barreau de

Lille
Assistée de Me Guillemot, avocat au barreau de Paris substituant Me Vincent Boizard  , avocat au barreau de Paris


INTIMÉS


Madame Corinne A... venant aux droits de Michel A...
née le [...]        à Li...

République Française
Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 01/12/2016

***

No de MINUTE : 16/845
No RG : 15/04590

Jugement (No 13/02070) rendu le 10 Février 2015
par le tribunal de grande instance de Bethune

REF : BM/CL

APPELANTE

SA Hôpital Prive [...]
ayant son siège social [...]                              

Représentée par Me Jean-François Segard, avocat au barreau de Lille
Assistée de Me Guillemot, avocat au barreau de Paris substituant Me Vincent Boizard  , avocat au barreau de Paris

INTIMÉS

Madame Corinne A... venant aux droits de Michel A...
née le [...]        à Lievin
de nationalité française
demeurant [...]                        

Monsieur Julien A... venant aux droits de Michel A...
né le [...]        à Lens
de nationalité française
demeurant [...]                        

Représentés et assistés par Me Julie Penet, avocat au barreau de Lille

Caisse Primaire d'assurance Maladie de l'Artois agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège
ayant son siège social [...]

[...]
[...]            

Représentée et assistée par Me Olivia Druart, avocat au barreau de Douai

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Benoît Mornet, président de chambre
Cécile André, conseiller
Benoît Pety, conseiller
---------------------
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Harmony Poyteau

DÉBATS à l'audience publique du 27 Octobre 2016
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 01 Décembre 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Benoît Mornet, président, et Harmony Poyteau, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 27 octobre 2016

Exposé du litige

Suite à une coronarographie mettant en évidence une valvulopathie, une sténose ostiale et une sténose coronarienne, M. A... a consulté, au sein de la polyclinique [...] à Lens, le docteur D..., cardiologue, qui a préconisé une intervention dite "de Bentall" consistant au remplacement de l'aorte par un tube porteur valvé Saint Jude avec réimplantation des coronaires.

Dans le cadre d'un groupement de coopération sanitaire constitué entre la polyclinique et le centre hospitalier [...], l'intervention chirurgicale a été réalisée le 19 juin 2008 au sein de l'unité de cardiologie de l'Artois située dans des locaux du centre hospitalier [...]. Les suites post-opératoires immédiates ont été marquées par une infection nosocomiale dont le traitement a nécessité de nombreux soins.

M. A... a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation ; les docteurs E... et F... ont déposé un rapport d'expertise le 18 juillet 2010 aux termes duquel ils concluent que le patient a subi:
- une infection nosocomiale grave au décours de l'intervention chirurgicale du 19 juin 2008, consistant en une endocardite précoce sur prothèse valvulaire cardiaque apparue précocement dès le 24 juin 2008,
- une perte de chance d'éviter le dommage du fait d'une non-conformité de la prise en charge initiale du sepsis.

Par actes en date du 6, 8 et 15 avril 2011, M. A... a assigné en référé la polyclinique [...], le centre hospitalier [...], les docteurs D..., G..., H..., I... et J..., et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois. Par ordonnance du 6 juillet 2011, le juge des référés a confié une expertise médicale au docteur K..., expert en infectiologie et au docteur L..., expert en cardiologie.
Les experts judiciaires ont déposé leur rapport définitif le 27 juin 2012 aux termes duquel ils concluent essentiellement que :
- M. A... a contracté une infection nosocomiale grave à staphylocoque doré au décours de l'intervention chirurgicale du 19 juin 2008 réalisée au sein de l'unité de chirurgie cardiaque de l'Artois avec une bactériémie initiale survenue 5 jours après l'intervention puis une infection du site opératoire associant une endocardite sur prothèse et une infection périprothétique,

- il n'est pas établi qu'une meilleure prise en charge de l'épisode bactériémique initial ait pu éviter la survenue de l'endocardite et de l'infection profonde du site opératoire, ou ait fait perdre une quelconque chance au patient d'éviter la constitution de son préjudice.

Par acte des 12 et 17 avril 2013, M. A... a fait assigner la société Hôpital privé [...] et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois pour obtenir l'indemnisation de ses préjudices.

Par jugement rendu le 10 février 2015, le tribunal de grande instance de Béthune a :
- dit que la polyclinique [...] engage sa responsabilité pour l'infection nosocomiale contractée par M. A... suite à l'intervention chirurgicale ;
- débouté M. A... de sa demande indemnitaire formulée au titre de l'incidence professionnelle.
- fixé le préjudice corporel causé par l'infection nosocomiale à M. A... à hauteur de 191 .039,63 euros, se décomposant comme suit:
- au titre des dépenses de santé actuelles : 145 605,83 euros
- au titre de la perte de gains professionnels actuels : 12 391,81 euros
- au titre des frais divers : 2 780,00 euros
- au titre des dépenses de santé futures : 592,49 euros
- au titre du déficit fonctionnel temporaire : 6 869,50 euros
- au titre des souffrances endurées : 18 000 euros
- au titre du déficit fonctionnel permanent : 3 300 euros
- au titre du préjudice esthétique : 1 500 euros
- condamné la polyclinique [...] à payer à M. A... la somme de 32 449,50 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement ;
- condamné la polyclinique [...] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois la somme de 158.590,13 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 31 octobre 2013.

La société Hôpital privé [...] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions qui ne sont pas critiquées.

M. A... est décédé ; l'instance a été reprise par ses ayants droit, Mme Corinne A... (sa veuve) et M. Julien A... (son fils).

Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 octobre 2016, la polyclinique de [...] demande principalement à la cour, au visa des articles L. 1142-1-II et R. 6111-6 du code de la santé publique, d'infirmer le jugement et de débouter les consorts A... de leurs demandes.

Elle soutient que le tribunal ne pouvait pas retenir la responsabilité d'un établissement de santé privé, même si M. A... n'avait conclu qu'avec la clinique puisqu'il a été opéré au sein du centre hospitalier [...] en application d'une convention de groupement entre la polyclinique et le centre hospitalier, et qu'il a contracté cette infection nosocomiale au sein de cet établissement de santé publique.
Subsidiairement, elle demande à la cour de ramener à de plus justes proportions l'évaluation des préjudices subis par M. A..., de limiter l'indemnité au titre de la tierce personne à la somme de 3 080 euros, de débouter les consorts A... de leur demande au titre du préjudice professionnel subi par M. A..., et de débouter la caisse primaire d'assurance maladie de ses demandes au titre des frais d'hospitalisation pour 8 877,14 euros, au titre des frais médicaux pour 5 874,53 euros, et au titre des indemnités journalières pour 7 300,75 euros et 5 091,06 euros.

Elle soutient que la preuve d'une incidence professionnelle n'est pas rapportée, que la caisse n'a pas souhaité participer aux opérations d'expertise, que l'attestation d'imputabilité est insuffisante à justifier la totalité des débours dont elle réclame le paiement, et qu'elle ne peut faire supporter aux responsables que les seuls soins strictement imputables à la complication infectieuse en faisant abstraction des soins générés, non pas par la complication, mais la pathologie antérieure du patient.

Dans leurs dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2015, les consorts A... demandent à la cour, au visa des articles L. 1142-1 et R. 6133-1 du code de la santé publique, de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Hôpital privé [...] pour l'infection nosocomiale contractée par M. A..., mais de l'infirmer pour le surplus et de condamner la clinique à leur payer les sommes suivantes :
• 4 200 euros au titre des frais divers
• 7 040 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire total et partiel
• 20 000 euros au titre des souffrances endurées
• 50 000 euros au titre de l'incidence professionnelle
• 27 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent
• 2 500 euros au titre du préjudice esthétique permanent
Ils demandent en outre une indemnité de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l' article 700 du code de procédure civile.

Ils soutiennent que par référence à une décision du tribunal des conflits du 7 juillet 2014, l'établissement de santé au sein duquel le patient a été soigné et avec lequel il a conclu un contrat de soin et d'hospitalisation engage sa responsabilité à son égard et détermine le juge compétent, que la convention de groupement de coopération sanitaire prévoit que l'établissement de santé auquel s'est adressé le patient conserve la responsabilité qui lui incombe compte tenu du contrat de soins et d'hospitalisation incluant les soins médicaux, mais aussi du statut du praticien qui prodigue les soins.
Ils ajoutent que l'expertise médicale permet d'évaluer les préjudices subis M. A... à hauteur des sommes figurant au dispositif des conclusions.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 20 octobre 2016, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois demande à la cour, au visa de l'article 1382 du code civil, de l'article 1142-1 du code de la santé publique et des articles L. 332-1, L. 376-1 et L. 431-2 du code de la sécurité sociale, de confirmer le jugement et de condamner la polyclinique à lui payer une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile une indemnité forfaitaire de 1 047 euros.

La caisse précise qu'elle fait sienne l'argumentation des consorts A... quant à la responsabilité de la clinique ; elle ajoute qu'elle a adressé au professeur L..., en cours d'expertise, un relevé détaillé des prestations servies ; elle soutient enfin que l'attestation d'imputabilité qu'elle verse aux débats démontre qu'il ne s'agit que des prestations servies en conséquence de l'infection nosocomiale ; elle précise qu'une intervention "De Bentall" non compliquée entraîne un déficit fonctionnel temporaire de trois semaines et que pour cette raison, les indemnités journalières ne sont comptabilisées qu'à compter du 10 juillet 2008.

Motifs de la décision

I- Sur les demandes des consorts A...

Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique, les établissements, services et organismes dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soin sont responsables des dommages résultants d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère.

En l'espèce, M. A... a conclu un contrat d'hospitalisation et de soin avec la polyclinique [...] pour une intervention de chirurgie cardiaque prévue le 19 juin 2008.

La Polyclinique [...] a mis en place avec le centre hospitalier [...] un groupement de coopération sanitaire dénommé "groupement de coopération sanitaire de cardiologie interventionnelle de l'Artois".

La convention constitutive de ce groupement indique en son article 3-1 que celui-ci "a pour objet de réaliser et de gérer pour le compte de ses membres des équipements d'intérêts communs, en particulier des plateaux techniques tels des blocs opératoires, notamment ceux nécessaires aux activités de chirurgie cardiaque et de cardiologie interventionnelle" et précise à l'article 3-2 que le plateau technique est implanté dans les locaux du centre hospitalier [...].
En son article 3-2, la convention rappelle que "les patients relèvent des établissements de santé, membres du groupement, auxquels ils se sont initialement adressés".

Il résulte du rapport d'expertise des docteurs E... et F..., désignés par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation que M. A... a subi une infection nosocomiale grave au décours de l'intervention chirurgicale du 19 juin 2008.
Il résulte également de l'expertise judiciaire ordonnée par le juge des référés du tribunal de grande instance de Béthune, et réalisée par les docteurs L... et K... que M. M... a contracté une infection nosocomiale au décours de l'intervention chirurgicale du 19 juin 2008.

Il est constant que cette intervention chirurgicale a été pratiquée au centre hospitalier [...], par un médecin exerçant en libéral.

Il résulte cependant de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique que c'est l'établissement dans lequel l'acte de soin a été pratiqué qui est responsable des dommages résultant de l'infection nosocomiale.

En l'espèce, après les expertises démontrant que les préjudices dont il est demandé réparation sont la conséquence de la seule infection nosocomiale, il n'est aucunement envisagé d'imposer au patient de diviser son recours puisque seule la responsabilité du centre hospitalier peut être recherchée.

Dès lors, peu importe que M. A... ait conclu un contrat de soin avec la polyclinique et soit étranger à la convention constitutive du groupement liant la clinique au centre hospitalier, la responsabilité de la clinique étant nécessairement écartée s'agissant d'une infection nosocomiale contractée au sein du centre hospitalier.

La responsabilité de la polyclinique [...] ne pouvant être recherchée en l'espèce, il convient d'infirmer le jugement déféré et de débouter les consorts A... de leurs demandes à l'encontre de la société Polyclinique [...].

II- Sur les demandes de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois

Les consorts A... étant déboutés de leurs demandes, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois doit également, pour les mêmes motifs, être déboutée de ses demandes à l'encontre de la société Polyclinique [...].

Les consorts A... succombant à l'instance, ils en supporteront les dépens et seront déboutés de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

La cour,

INFIRME le jugement rendu le 10 février 2015 par le tribunal de grande instance de Béthune ;

Et statuant à nouveau :

Déboute les consorts A... et la caisse primaire d'assurance maladie de l'Artois de leurs demandes à l'encontre de la société Polyclinique [...] ;

Condamne les consorts A... aux dépens de première instance et d'appel, et les déboute de leur demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le greffier Le président

H. Poyteau B. Mornet


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Numéro d'arrêt : 15/04590
Date de la décision : 01/12/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-12-01;15.04590 ?
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