République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 21/04/2016
***
N° de MINUTE : 234/2016
N° RG : 14/07033
Jugement (N° 10/00116)
rendu le 19 Septembre 2014
par le Tribunal de Grande Instance de DOUAI
REF : MZ/VC
APPELANTS
Monsieur [Q] [V]
né le [Date naissance 4] 1948 à [Localité 2]
Demeurant
[Adresse 1]
[Adresse 4]
Madame [I] [V]
née le [Date naissance 2] 1952 à [Localité 2]
Madame [G] [V]
née le [Date naissance 1] 1983
Monsieur [W] [V]
né le [Date naissance 3] 1981
Demeurant ensemble
[Adresse 2]
[Adresse 6]
Monsieur [E] [V]
né le [Date naissance 3] 1981
Demeurant
[Adresse 3]
[Adresse 5]
Représentés et assistés par Me David-Franck PAWLETTA, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE
SAS [H]
Ayant son siège social
[Adresse 8]
[Adresse 7]
Représentée par Me François DELEFORGE, membre de la SCP FRANÇOIS DELEFORGE-BERNARD FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI
Assistée de Me [I] PETITDEMANGE, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS à l'audience publique du 25 Février 2016, tenue par Maurice ZAVARO magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Maurice ZAVARO, Président de chambre
Bruno POUPET, Conseiller
Hélène MORNET, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 Avril 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur Maurice ZAVARO, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 19 février 2016
***
EXPOSE
Aux termes de plusieurs conventions conclues à partir de 1957, [U] [V] et son épouse [G] [N] [T], aux droits desquels se trouvent les appelants, un droit d'exploitation des sables et de l'argile constituant le sol et le sous sol de diverses parcelles situées à [Adresse 9] (Nord) a été concédé à la société Briquetterie et carrière Bar, aux droits de laquelle se trouve la société [H].
Les consorts [V] ont fait délivrer le 12 juin 2009 à la SAS [H], un commandement d'avoir à quitter les parcelles qu'elle occupait aux termes des conventions des 2 octobre 1957, 5 novembre 1962, 6 juillet 1977 et 30 mars 1983.
Par jugement du 19 septembre 2014, le tribunal de grande instance de Douai a :
Constaté que l'autorisation d'exploiter les parcelles avec obligation de remise en état conférée par arrêté du 5 mars 2004, avait expiré le 5 mars 2014 ;
Dit que les conventions des 2 octobre 1957, 5 novembre 1962 renouvelée le 20 mai 2000, 6 juillet 1977 et 30 mars 1983 ont pris fin au plus tard le 5 mars 2014 ;
Dit qu'à défaut pour [H] d'avoir libéré les lieux après signification du jugement, il sera procédé à son expulsion ;
Dit la SAS [H] redevable d'une indemnité mensuelle d'occupation de 3 000 €, du 6 mars 2014 jusqu'à libération effective des lieux ;
Condamné in solidum les consorts [V] à payer à la SAS [H] 5 000 € au titre des frais irrépétibles.
*
Les consorts [V] demandent :
Qu'il soit jugé que les conventions ont pris fin pour défaut d'exploitation, à titre principal le 6 mars 2009, à titre subsidiaire le 5 mars 2014 ;
La condamnation de la SAS [H] à leur payer 207 000 €, du chef de l'indemnité d'occupation, à titre principal et 23 900 € à titre subsidiaire ;
La condamnation de la SAS [H] à restituer les lieux après remise en état conforme aux prescriptions des conventions ;
Son expulsion à défaut d'avoir libéré les lieux ;
Sa condamnation au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 3 000 € à compter du 7 mars 2009 ou à défait du 6 mars 2014 ;
Sa condamnation au paiement d'une astreinte de 10 000 € par jour de retard « en vue de mettre fin à l'ensemble des zones immergées sur les parcelles louées » ;
5 000 € en réparation du préjudice causé par une résistance abusive ;
10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Ils font valoir que les conventions ont été conclues « pour le temps nécessaire à la société Bar pour l'exploitation » des argiles et des sables « sans que cette exploitation puisse durer au-delà ». Ils affirment que l'exploitation a effectivement cessé en mars 2009.
La SAS [H] conclut à l'irrecevabilité des consorts [V] en leur action concernant les conventions des 2 octobre 1957 et 5 novembre 1962 renouvelée le 20 mai 2000 ainsi qu'au rejet de leur demande d'expulsion et en paiement d'une indemnité d'occupation.
Elle sollicite la condamnation de chacun des appelants à payer 2 000 € en réparation du préjudice causé par une procédure abusive ainsi que la même somme par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que l'arrêt de l'exploitation ne pouvait imposer son départ dans la mesure où elle devait encore remettre les lieux en état. Elle expose par ailleurs que son expulsion n'est pas fondée dans la mesure où les lieux ont été d'ores et déjà libérés.
DISCUSSION
Sur la recevabilité des demandes concernant les conventions des 2 octobre 1957 et 5 novembre 1962 renouvelée le 20 mai 2000 :
L'intimé fait valoir qu'une action a été intentée par les consorts [V] qui a donné lieu à un jugement du 9 novembre 2006 et à l'arrêt du 22 janvier 2009. Il expose que la demande qui tendait au constat ou au prononcé de la résiliation des conventions, est la même que celle présentée dans le cadre de la présente instance.
Le jugement a répondu à cet argument que la SAS [H] a effectivement cessé son activité entre 2009 et 2011 alors que dans la précédente instance l'ordonnance de clôture avait été prononcée le 13 novembre 2008, cet événement constituant un élément nouveau postérieur à l'instance et donc de nature à rendre recevable les demandes des consorts [V] sur ce moyen de fait.
La SAS [H] objecte à ce constat que cette cessation d'activité ne modifierait pas la situation reconnue par l'arrêt du 22 janvier 2009 dans la mesure où il fallait encore que l'occupant puisse réaliser les travaux de remise en état des lieux pour se conformer à son obligation légale.
Cette objection est sans portée dans la mesure où elle suppose un examen au fond, incompatible, aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, avec la reconnaissance d'une fin de non recevoir tirée de la chose jugée.
Le jugement sera donc confirmé sur ce point.
Sur la résiliation des conventions :
Le jugement constate que la SAS [H] a cessé toute activité d'exploitation à une date qu'il ne fixe pas mais qui se situerait, suivant ses constatations, entre le 6 mars 2009 et courant 2011 ; que l'arrêté préfectoral du 5 mars 2004 a fixé au 5 mars 2014 la limite de l'autorisation d'exploitation, avec possibilité de renouvellement, non accordée, ni même semble-t-il demandée ; que cette date limite inclus le temps nécessaire à la remise en état du site. Il souligne que les consorts [V] ne peuvent renoncer à exiger la remise en état en contrepartie d'une restitution immédiate. Il en déduit que les conventions ont pris fin, au plus tard, le 5 mars 2014
Les appelants invoquent les termes des conventions, qui prévoient qu'elles sont conclues pour « tout le temps nécessaire à l'exploitation ». Ils font valoir que toute exploitation effective des parcelles visées par les conventions a cessé depuis le 6 mars 2009.
La SAS [H] ne conteste pas expressément ce fait. Elle fait valoir qu'elle était tenue d'une obligation légale de remise en état dont le propriétaire du fonds ne peut le délier. Elle souligne que l'arrêté du 5 mars 2004 a rappelé cette obligation et en a précisé les contours. Elle expose avoir notifié au préfet, le 15 avril 2013, la mise à l'arrêt des travaux d'extraction et le 27 février 2014 son mémoire en réhabilitation suite à l'achèvement des travaux de remise en état du site.
Dans la mesure où elle est de nature à porter atteinte à l'environnement, et donc à causer un dommage collectif, l'exploitation d'une carrière est soumise au contrôle de la puissance publique qui est en droit d'imposer à l'exploitant des contraintes non prévues au contrat conclu entre le propriétaire du fonds et l'exploitant, ou différentes de celles qui y sont stipulées.
C'est à juste titre que le jugement a retenu que les consorts [V] ne pouvaient renoncer à la remise en état du site en contrepartie d'une restitution immédiate. Il sera d'ailleurs observé que les conventions ont intégré cette exigence de respect des prescriptions administratives.
Pour autant, la puissance publique ne peut intervenir dans un contrat de droit privé que pour garantir un intérêt public. Ainsi le fait pour le préfet d'avoir autorisé l'exploitation dans une limite de dix ans, ne contrevient pas aux stipulations contractuelles fixant la fin des conventions à l'expiration du « temps nécessaire à l'exploitation », sauf à tenir compte du délai nécessaire à la réhabilitation du site.
Dès lors, par l'application combinée des stipulations contractuelles et des dispositions préfectorales, c'est à la fin de l'exploitation effective, augmentée du délai nécessaire pour effectuer les travaux de réhabilitation que la date de fin des conventions doit être fixée.
Pour établir la fin de l'exploitation, les consorts [V] communiquent :
Un constat de maître [P], huissier de justice, qui, le 6 mars 2009, constatait que personne ne travaillait sur les parcelles en cause ;
Une page du bulletin de l'entreprise du mois de septembre 2009 qui évoque une nouvelle carrière à [Localité 1], contigüe à celle actuellement en exploitation (objet du présent litige) « bientôt abandonnée » ;
Un courrier de [H] au préfet du Nord du 15 avril 2013, notifiant l'arrêt définitif de toute activité d'extraction sur les parcelles en cause et précisant « la dernière activité de ce type s'étant déroulée durant l'année 2011 » ;
Un rapport de la société Géotope qui, analysant des vues aériennes, constate une absence d'évolution des fronts de taille de la carrière entre 2007 et 2009 et au delà.
Le constat de maître [P] est de peu de portée, l'absence d'activité au jour de sa venue ne permettant pas de conclure à la fin de l'exploitation. En revanche, les mentions portées au bulletin de l'entreprise [H] et le rapport de la société Géotope, permettent de conclure à la fin de toute exploitation effective des parcelles en cause dans les derniers mois de l'année 2009, au plus tard au 31 décembre.
A compter de cette date il appartenait à la société [H] de remettre les lieux en l'état, ce qu'elle a fait, suivant ses propres dires en 10 mois, de sorte que c'est au 31 octobre 2010 que doit être fixée la date du terme des conventions, dès lors que la SAS [H] avait l'obligation d'exécuter les travaux la mettant en conformité avec les prescriptions de la puissance publique dans les meilleurs délais et qu'elle ne peut opposer son inertie au propriétaire du fonds étant observé par ailleurs que si l'autorité administrative pouvait l'autoriser à poursuivre son exploitation dans un délai donné, cette autorisation ne valait, sur ce point, que dans la limite des conventions conclues avec ce propriétaire.
Sur l'obligation de remise en état et la libération des lieux :
L'arrêté prévoyant les conditions dans lesquelles la société [H] est autorisée à poursuivre son exploitation fixe les modalités de remise en état du site. Cette société est tenue de respecter les injonctions de la puissance publique de sorte que les consorts [V] ne peuvent demander d'autres modalités de remise en état du site.
Les parties s'opposent notamment sur la question du plan d'eau. L'arrêté du 5 mars 2004 prévoit expressément la création d'un plan d'eau de 16 ha et 20 m de profondeur maximale.
Un rapport de l'inspection des installations classées du 23 juin 2014 atteste de la remise en état des lieux selon les prescriptions réglementaires. Toutefois un rapport de visite du 1er avril 2015, établi par la même inspection des installations classées, dresse le constat, concernant « Flines 1 » (c'est-à-dire les parcelles en cause) de l'inondation d'une partie de la piste de circulation au niveau de la parcelle A[Cadastre 1] appartenant aux consorts [V] ainsi qu'une buse placée à 24,93 m alors qu'elle devait l'être à 24 m au plus.
La société [H] soutient que l'incident est dû à une défaillance de son système de pompage mais le fait que la buse qui dessert l'exutoire du plan d'eau soit placée un mètre environ au dessus du niveau préconisé par l'administration doit avoir joué un rôle dans l'inondation constatée.
Il ne s'agit cependant là que d'une question de parfait achèvement des travaux qui ne remet pas en cause le constat effectué par l'administration le 23 juin 2014 et, l'affirmation relative à la libération effective des lieux par la SAS [H] n'étant démentie que du fait de la non remise en état des lieux conformément aux stipulations contractuelles, il convient de retenir que les lieux ont été libérés à cette date dans la mesure où les consorts [V] sont mal fondés dans leur réclamation, les prescriptions préfectorales s'imposant à tous et dès lors que le parfait achèvement des travaux ne suppose pas un maintien de l'occupation du site par la société [H]. C'est donc cette date du 23 juin 2014 qui sera retenue comme date de l libération effective des lieux.
L'indemnité d'occupation peut donc être liquidée sur la base de 3 000 € par mois, justement arbitrée par le tribunal, du 1er octobre 2010 au 23 juin 2014 soit à 128 300 €.
Il convient de réformer le jugement en ce qu'il ordonne la libération des lieux, qui ne sont plus occupés, l'expulsion de la société [H] ainsi qu'une indemnité d'occupation pour l'avenir.
Sur les demandes en dommages et intérêts :
Les parties se sont opposées dans le cadre de conventions complexes qui n'ont pas été conclues ni exécutées avec la plus grande rigueur. La situation était compliquée par le fait que s'agissant d'une installation classée, la puissance publique pouvait légitimement interférer dans les rapports contractuels, et même qu'il était de son devoir de le faire.
Il en résulte que l'abus allégué n'est pas caractérisé. Les demandes en dommages et intérêts seront donc rejetées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en ce qu'il déclare les consorts [V] recevables en leurs demandes fondées sur l'arrêt définitif d'exploitation des parcelles litigieuses en 2009 ;
Le réforme pour le surplus ;
Dit que les conventions des 2 octobre 1957, 5 novembre 1962 renouvelée le 20 mai 2000, 6 juillet 1977 et 30 mars 1983 ont pris fin le 1er octobre 2010 ;
Condamne la SAS [H] à payer aux consorts [V] une indemnité d'occupation de 128 300 € pour la période du 1er octobre 2010 au 23 juin 2014 ;
Rejette les demandes :
En restitution des lieux après remise en état conforme aux prescriptions conventionnelles ;
En paiement d'une indemnité d'occupation après le 23 juin 2014 ;
En vue de mettre fin aux zones immergées sur les parcelles louées, sous astreinte ;
En dommages et intérêts
Condamne la SAS [H] à payer aux consorts [V] 10 000 € au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel ;
La condamne aux dépens de première instance et d'appel.
Le Greffier,Le Président,
D. VERHAEGHEM. ZAVARO