République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 1 SECTION 1
ARRÊT DU 18/05/2015
***
N° de MINUTE : 302/2015
N° RG : 14/03987
Jugement (N° 13/05023)
rendu le 27 Mai 2014
par le Tribunal de Grande Instance de LILLE
REF : MZ/AMD
APPELANTES
SAS LLOYD'S FRANCE
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 2]
SARL MONCEAU PATRIMOINE IMMOBILIER
ayant son siège social [Adresse 2]
[Localité 3]
Société LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD'S
ayant son siège social [Adresse 3]
[Localité 2]
Représentées par Maître Marie Hélène LAURENT, membre de la SELARL ADEKWA, avocat au barreau de DOUAI
Assistées de Maître Manuel RAISON, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉS
Monsieur [G] [V]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 4]
Madame [D] [S] épouse [V]
née le [Date naissance 1] 1976 à [Localité 5]
demeurant [Adresse 1]
[Localité 1]
Représentés et assistés de Maître Alice DHONTE, avocat au barreau de LILLE
DÉBATS à l'audience publique du 16 Mars 2015 tenue par Maurice ZAVARO magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
Maurice ZAVARO, Président de chambre
Bruno POUPET, Conseiller
Véronique FOURNEL, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 18 Mai 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Maurice ZAVARO, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 17 février 2015
***
M. et Mme [V] ont conclu avec la société Monceau patrimoine immobilier un mandat de gestion de projet immobilier le 12 juin 2011 et, le même jour, ont régularisé, par l'intermédiaire de cette dernière, un compromis de vente portant sur un immeuble situé à [Localité 6] ainsi qu'un marché de travaux avec la société Renov décoration, présentée par la société Monceau patrimoine immobilier, portant sur la création de 5 chambres.
La vente a été réitérée le 19 août 2011 date à laquelle les époux [V] ont confié à la société Monceau patrimoine immobilier, assurée auprès de la Lloyd's, un mandat de gestion de l'immeuble.
Les travaux ont été achevés le 2 janvier 2012 avec la réalisation de quatre chambres.
Le 11 février 2013, les époux [V] ont résilié le mandat de gestion et ont saisi le tribunal de grande instance de Lille qui, par jugement du 27 mai 20104 a :
Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Lloyd's ;
Pris acte de l'intervention volontaire des Souscripteurs du Lloyd's ;
Dit que la garantie due par ceux-ci s'étendait à la transaction immobilière, à la gestion de l'immeuble mais non à la gestion des travaux ;
Condamné solidairement la société Monceau patrimoine immobilier et son assureur Les souscripteurs du Lloyd's à leur payer,
° 692,69 € au titre des loyers impayés,
° 10 000 € au titre du manque à gagner à raison des vacances locatives,
° 10 000 € au titre du remboursement des honoraires versés,
° 2000 € en réparation de leur préjudice moral,
° 784,92 € au titre des frais de remplacement de serrures,
° 3000 € au titre des frais irrépétibles ;
Condamné la société Monceau patrimoine immobilier à leur payer 1186,63 € au titre du remboursement de l'échéance de décembre 2011 d'un prêt immobilier,
Débouté les époux [V] de leurs demande en réparation de la perte financière alléguée.
Il a également condamné la société Monceau patrimoine immobilier à transmettre à M. et Mme [V] :
Les baux, états des lieux et attestations d'assurance pour chacun des locataires,
Les relevés de gérance de novembre 2012 à mars 2013,
Les factures et garanties des meubles et appareils électroménagers garnissant les logements,
Les contrats souscrits et les factures d'entretien de l'immeuble,
Les diagnostics ;
Dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 150 € par jour de retard passé ce délai.
Il a enfin ordonné son exécution provisoire.
*
La SAS Lloyd's France, la SARL Monceau patrimoine immobilier, les Souscripteurs du Lloyd's ont régulièrement relevé appel de cette décision.
La SAS Lloyd's France sollicite sa mise hors de cause.
Les Souscripteurs du Lloyd's et la société Monceau patrimoine immobilier soutiennent :
Que les griefs invoqués par les époux [V] ne rentrent pas dans le champ de la garantie souscrite par la société Monceau patrimoine immobilier qui se limite à l'activité de gestion locative ;
Que ceux-ci ne démontrent pas l'existence d'une faute et d'un préjudice en découlant, condition impérative de la mise en 'uvre de la garantie des Souscripteurs du Lloyd's.
Ils concluent au rejet des prétentions des époux [V] contre les Souscripteurs du Lloyd's ainsi que contre la société Monceau patrimoine immobilier et sollicitent leur condamnation à payer 5000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [V] concluent à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il a rejeté leur demande d'indemnisation du préjudice financier et en ce qu'il a limité le montant des indemnités allouées.
Ils demandent :
100 000 € au titre de la perte financière ;
22 062,18 € au titre du manque à gagner du fait de la carence locative ;
21 528 € au titre des honoraires versés ;
15 000 € en réparation de leur préjudice moral ;
4650 € au titre de l'astreinte liquidée ;
Une astreinte quotidienne de 300 € au titre des obligations mentionnées dans le jugement ;
5000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE
Sur la demande de la société Lloyd's France :
Le jugement déféré a constaté qu'aucune demande n'était formulée à son encontre. C'est toujours le cas devant cette cour. Il convient de prononcer sa mise hors de cause. L'équité ne commande pas pour autant de lui allouer une somme au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés devant cette cour.
Sur la demande en réparation du préjudice financier :
Les intimés sollicitent 10 000 € en réparation de leur préjudice financier. Ils soutiennent que le mandataire a manqué à son devoir de conseil en leur proposant l'acquisition d'un bien pour un budget total de plus de 270 000 €, qu'ils ont mis en vente un an après l'achèvement des travaux sans trouver acquéreur, alors même que les estimations ne dépassaient pas 210 000 € ; que le mandataire leur a fait perdre la chance de vendre l'immeuble 255 465 €, plus la valeur des meubles ; qu'il est par ailleurs responsable d'un manque de rentabilité globale de l'opération de 460 € par mois en raison de l'aménagement de 4 chambres au lieu des 5 contractuellement prévues.
Le mandataire et son assureur soulignent que l'estimation alléguée est hors rémunération de l'intermédiaire et frais d'acte qui entraient dans le budget global pour plus de 40 000 € et font valoir que la perte est hypothétique dès lors que l'immeuble n'a pas été vendu, que les époux [V] ne tiennent pas compte des aléas du marché immobilier, qu'aucune faute de la société Monceau n'est démontrée dans le processus d'achat qui serait cause du préjudice allégué.
Le jugement déféré a cependant retenu que le mandat de gestion de projet immobilier visait au moins 5 unités de logement et a souligné que seulement 4 chambres avaient été réalisées faute de l'obtention d'un permis de transformer le garage de l'immeuble en une unité d'habitation. Il a rappelé que l'acte d'acquisition de cet immeuble ne mentionnait aucune condition suspensive relative à cette transformation et en a déduit un manquement au devoir de conseil du mandataire engageant sa responsabilité envers le mandant.
Les appelants font valoir que les époux [V] avaient la possibilité de refuser de réitérer la vente au motif d'un défaut de délivrance d'une chose conforme à la convention initiale et que, n'en ayant pas fait usage, ils ont déchargé le mandataire de toute responsabilité.
C'est toutefois uniquement dans le mandat de gestion de projet immobilier qu'est mentionné que le mandataire proposera des biens immobiliers comportant 5 à 15 unités de logement. Le compromis de vente ne vise aucune disposition sur ce point mais indique que l'acquéreur accepte l'immeuble tel qu'il existe.
C'est donc à juste titre que le jugement a retenu que les acquéreurs ne disposaient pas de la possibilité de refuser de réitérer la vente, faute précisément de mention d'une condition suspensive portant sur l'éventualité du refus d'un permis de transformer le garage en chambre.
Les appelants soutiennent encore que l'obligation de conseil s'appréciant au regard de la capacité et des compétences de son créancier, le mandataire n'avait pas d'obligation particulière envers les époux [V] qui étaient déjà propriétaire d'un bien immobilier, Mme [V] occupant au surplus un emploi de responsable au sein d'un établissement bancaire.
M. et Mme [V] ne sont pas des professionnels de l'immobilier et ils ont fait appel à un professionnel pour les assister, dont le mandat prévoit précisément qu'il les accompagnera dans la rédaction de la promesse de vente et des conditions suspensives éventuelles. L'argument est donc sans portée.
Il en résulte que les acquéreurs se sont retrouvés propriétaires d'un bien aménagé spécifiquement pour la location aux étudiants, chacune des chambres disposant d'un équipement sanitaire, disposant de quatre unités de logement au lieu des cinq prévues contractuellement ce qui diminue indiscutablement la valeur du bien ainsi que la rentabilité financière de l'opération en dehors de toute revente.
Il existe donc un préjudice financier non tributaire des aléas du marché immobilier, directement causé par le manquement du mandataire à ses obligations contractuelles que la cour évalue à 40 000 €.
Sur la demande au titre du manque à gagner en raison des vacances locatives et au titre de la perte des loyers :
Il est demandé 22 062,18 € de ce chef correspondant aux loyers des chambres non louées ainsi que 692,59 € au titre des loyers impayés.
Les appelants contestent les fautes à l'origine du préjudice allégué. Ils soulignent que le mandataire n'était tenu que d'une obligation de moyen et considèrent que la preuve d'un manquement n'est pas rapportée sur ce point. Ils considèrent que les vacances relèvent des aléas du marché locatif.
En ce qui concerne les chambres non louées, s'il est exact que le mandat de gestion n'impose qu'une obligation de moyen, l'article 1993 du code civil dispose que tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion. Le jugement déféré relève, sans être contredit sur ce point, que la société Monceau ne s'est pas acquittée de cette charge à partir de décembre 2012 La preuve d'une éventuelle exécution de l'obligation de moyen incombant au gestionnaire ne dépendait que de lui alors même que la situation de fait démontre une carence objective de celui-ci. C'est donc à juste titre que le jugement a retenu un manquement du mandataire.
C'est également à juste titre qu'il a analysé ce manquement comme n'étant à l'origine que de la perte d'une chance de louer l'ensemble des chambres disponibles et qu'il en a déduit que le préjudice serait réparé par l'allocation de 10 000 €.
En ce qui concerne les loyers impayés, les appelants soutiennent qu'il appartenait aux époux [V] de procéder à la déclaration de sinistre auprès de la compagnie Solly Azar, qui assurait ce risque. Cependant les propriétaires communiquent un courrier électronique de cette compagnie qui confirme que le contrat a été souscrit par l'agence Monceau, que celle-ci est seule habilitée à procéder à cette déclaration et qu'elle ne l'a pas faite.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a alloué aux intimés 692,59 € de ce chef.
Sur le remplacement des serrures ainsi que du bip du garage et sur le remboursement de l'échéance de décembre 2011 du prêt immobilier :
Ce chef de condamnation n'est pas spécifiquement discuté, pas plus que l'absence de restitution de ces équipements ou que leur remplacement par les propriétaires.
La société Monceau s'est engagée à prendre à sa charge l'échéance de décembre 2011 du crédit immobilier par courrier du 5 décembre 2011. Ce chef de condamnation n'est pas spécifiquement discuté par les appelants.
Le jugement sera confirmé sur ces deux points
Sur les honoraires :
Les époux [V] sollicitent 21 528 € à ce titre. Le jugement déféré leur a alloué 10 000 € en soulignant que malgré les fautes commises par elle, la société Monceau avait droit à une partie de sa rémunération compte tenu de la réalisation de l'acquisition et de la mise en location effective de plusieurs chambres.
Les appelants soutiennent que ce préjudice n'est pas justifié en son montant.
Toutefois le mandat de gestion du projet immobilier mentionne des honoraires de 29 900 € TTC et les intimés soulignent qu'ils ne présentent pas de réclamation du chef du mandat de gestion de l'immeuble.
Il découle de ce qui précède que le mandataire, même s'il a déployé son activité en faveur du mandant, a manqué à ses obligations, compromettant la rentabilité financière de l'opération. Toutefois le préjudice ainsi causé a été réparé de sorte que les parties sont replacées dans la situation qui aurait été la leur s'ils n'avaient pas commis de faute. Il en résulte que la demande en restitution des honoraires versés n'est pas fondée.
Sur la garantie des Souscripteurs du Lloyd's :
Les Souscripteurs du Lloyd's soutiennent n'assurer la société Monceau qu'au titre de son activité de gestion locative.
Le contrat qu'ils communiquent mentionne, au titre des garanties, les activités de transaction et gestion immobilière.et précise en son article premier que « les assureurs garantissent l'assuré (') contre les conséquences pécuniaires qu'il peut encourir » dans l'exercice de son activité « A - Lorsqu'il se livre ou participe à des opérations d'achat, de vente, d'échange, de location (') B ' Lorsqu'il prête son concours à des opérations de gestion immobilière. »
Les différents chefs de préjudice indemnisés relèvent soit de la participation à une opération d'achat d'immeuble, soit d'opérations de gestion immobilière c'est donc à juste titre que le jugement déféré a retenu que la garantie de l'assureur couvrait tous les chefs de condamnation, à l'exception du remboursement d'une échéance de l'emprunt immobilier qui ne découlait que du retard pris dans l'exécution des travaux, risque non couvert par la police.
Sur la demande au titre de l'astreinte :
Le jugement a ordonné la remise sous une astreinte de 150 € par jour de retard passé un délai d'un mois à compter de la signification, des baux, états des lieux et attestations d'assurance pour chacun des locataires, des relevés de gérance de novembre 2012 à mars 2013, des factures et garanties des meubles et appareils électroménagers garnissant les logements, des contrats souscrits et des factures d'entretien de l'immeuble, des diagnostics. Cette obligation était assortie, comme l'ensemble du jugement, de l'exécution provisoire. Le jugement ne prévoit pas que le tribunal se réserve le pouvoir de liquider l'astreinte.
Il résulte de l'article L131-3 du code des procédures civiles d'exécution que l'astreinte est liquidée par le juge de l'exécution. L'article R131-3 du même code ajoute que l'incompétence est relevée d'office.
Il convient en conséquence de rejeter la demande de la liquidation de l'astreinte. Le jugement étant confirmé en ce qu'il ordonne la remise des documents sous astreinte, il n'y a pas lieu de statuer à nouveau sur ce point.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Prononce la mise hors de cause de la SAS Lloyd's France ;
Dit n'y avoir lieu de lui allouer une somme au titre des frais irrépétibles ;
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :
Condamné solidairement la société Monceau patrimoine immobilier et son assureur Les souscripteurs du Lloyd's à leur payer 10 000 € au titre du remboursement des honoraires versés,
Débouté les époux [V] de leurs demande en réparation de leur perte financière ;
L'infirme sur ces deux points ;
Condamne solidairement la société Monceau patrimoine immobilier et son assureur Les souscripteurs du Lloyd's à payer à M. et Mme [V] 40 000 € en réparation de leur préjudice financier ;
Y ajoutant,
Rejette la demande de liquidation de l'astreinte ;
Dit n'y avoir lieu de statuer à nouveau sur ce point ;
Condamne solidairement la société Monceau patrimoine immobilier et son assureur Les souscripteurs du Lloyd's à payer à M. et Mme [V] 5000 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel ;
Les condamne aux dépens d'appel.
Le Greffier,Le Président,
Delphine VERHAEGHE.Maurice ZAVARO.