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16/02/2015 | FRANCE | N°13/04420

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 16 février 2015, 13/04420


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 16/02/2015



***



N° de MINUTE : 89/2015

N° RG : 13/04420



Jugement (N° 11/04588)

rendu le 18 Juillet 2013

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE



REF : MZ/AMD





APPELANTES



SCI SCI KAL

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 5]



SARL CABINET MARECHAL

ayant son siège social [Adresse

2]

[Localité 5]



Représentées par Maître Bernard FRANCHI, membre de la SCP DELEFORGE FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI

Assistées de Maître Delphine CHAMBON, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉS



Monsieur [U] [J] [...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 16/02/2015

***

N° de MINUTE : 89/2015

N° RG : 13/04420

Jugement (N° 11/04588)

rendu le 18 Juillet 2013

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE

REF : MZ/AMD

APPELANTES

SCI SCI KAL

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 5]

SARL CABINET MARECHAL

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 5]

Représentées par Maître Bernard FRANCHI, membre de la SCP DELEFORGE FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI

Assistées de Maître Delphine CHAMBON, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉS

Monsieur [U] [J] [O]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 5]

Madame [A], [P], [L] [N] épouse [O]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 5]

Monsieur [M] [O]

demeurant [Adresse 6]

[Localité 4]

Monsieur [X] [O]

demeurant [Adresse 7]

[Localité 1]

Madame [Z] [O]

demeurant [Adresse 4]

[Localité 3]

Représentés par Maître Virginie LEVASSEUR, membre de la SCP Dominique LEVASSEUR Virginie LEVASSEUR, avocat au barreau de DOUAI

Assistés de Maître Luc-Marie AUGAGNEUR, avocat au barreau de LYON.

SAS SOFRADE

ayant son siège social [Adresse 5]

[Localité 2]

Représentée par Maître Guy SIX, membre de la SELARL DUEL AVOCATS, avocat au barreau de LILLE

Assistée de Maître Laurence CHANTELOT, avocat au barreau de ROANNE

SCP [F]

ayant son siège social [Adresse 3]

[Localité 5]

Représentée par Maître Marie Hélène LAURENT, membre de la SELARL ADEKWA, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Yves LETARTRE, membre de la SELARL ADEKWA, avocat au barreau de LILLE

DÉBATS à l'audience publique du 08 Janvier 2015 tenue par Maurice ZAVARO magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Maurice ZAVARO, Président de chambre

Dominique DUPERRIER, Conseiller

Bruno POUPET, Conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 16 Février 2015 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Maurice ZAVARO, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 05 janvier 2015

***

M. et Mme [O], usufruitiers d'un immeuble à usage commercial et d'habitation, dont les nus-propriétaires sont leurs enfants, [X], [M] et [Z] [O], ont, le 15 mai 1999, renouvelé le bail commercial consenti à la société Orphée, aux droits de laquelle intervient la société Sofrade, sur le rez de chaussée et le sous sol de l'immeuble, à effet du 10 septembre 1999 et échéance du 9 septembre 2008. Un pacte de préférence était stipulé au profit du preneur.

Le 10 janvier 2007 les consorts [O] ont chargé le cabinet Maréchal de rechercher un acquéreur pour cet immeuble. Le 17 ils signaient une promesse synallagmatique de vente au profit de M. [C] avec faculté de substitution pour un prix de 2,2 millions d'euros. Le 13 avril la vente était conclue avec la SCI Kal qui s'était substituée à M. [C]. Celle-ci informait la société Sofrade de sa qualité de bailleur et, le 17 mars 2008, lui notifiait congé sans offre de renouvellement, au motif que la Sofrade n'était pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés à cette adresse, à la date du congé.

La Sofrade a fait assigner la SCI Kal pour contester la validité du congé et M. et Mme [O] ainsi que la SCI Kal pour contester la vente. Les deux procédures n'ont pas été jointes.

Par jugement du 18 juillet 2013, le tribunal de grande instance de Lille, statuant sur la seconde assignation, a :

Prononcé la nullité de la vente ;

Prononcé la nullité du mandat du 10 janvier 2007 ;

Condamné les consorts [O] à restituer à la SCI Kal 2 200 000 € avec intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts à compter de la vente ;

Dit que le jugement vaudra transfert de propriété de l'immeuble au profit d'[U] [O] pour l'usufruit, d'[X], [M] et [Z] [O] pour la nue-propriété moyennant versement du prix de vente ;

Ordonné la publication du jugement à la conservation des hypothèques de [Localité 5] ;

Condamné la SCI Kal à rembourser aux consorts [O] l'intégralité des loyers perçus du 13 avril 2007 au jour du jugement ;

Condamné la SCI Kal à payer aux consorts [O] 3100 € à titre de restitution des dépôts de garantie des locataires ;

Condamné in solidum les consorts [O] et la SCP [F], notaire ayant reçu l'acte de vente à verser à la SCI Kal 132 000 € au titre des frais de vente avec intérêts au taux légal capitalisés depuis la vente ;

Débouté la société Sofrade de sa demande en dommages et intérêts ;

Débouté la SCI Kal de sa demande d'expertise ;

Condamné les consorts [O] à verser à la SCI Kal 110 000 € au titre des frais de gestion de l'immeuble ;

Débouté les consorts [O] de leur demande de compensation ;

Débouté les consorts [O] de leur demande en dommages et intérêts ;

Dit que la SCP [F] et autre sera tenu de garantir la SCI Kal et le cabinet Maréchal à hauteur de 30% des condamnations prononcées à leur encontre, à l'exclusion du prix de vente ;

Débouté la SCI Kal et le cabinet Maréchal de leur demande en dommages et intérêts ;

Condamné in solidum la SCI Kal, le cabinet Maréchal et la SCP [F] à payer 2000 € aux consorts [O] et 2000 € à la société Sofrade au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La SCI Kal et le cabinet Maréchal soutiennent :

Que les demandes des consorts [O] ne se rattachent pas à la procédure d'origine par un lien suffisant ;

Que la Sofrade se contredit à son détriment ;

Ils concluent en conséquence à l'irrecevabilité de leurs demandes.

Subsidiairement, ils considèrent que la nullité du mandat interdit aux consorts [O] d'invoquer l'article 1596 du code civil, ils contestent le dol et concluent au rejet des prétentions des consorts [O].

Ils estiment que le pacte de préférence dont bénéficiait la société Orphée n'a pas été transmis à la Sofrade qui ne peut s'en prévaloir ; que le pacte ne vaut en toute hypothèse que pour le local loué et non pour l'ensemble plus vaste que constitue l'immeuble dans sa totalité. Ils soutiennent encore que la Sofrade invoque le pacte en toute mauvaise foi et qu'elle avait renoncé à s'en prévaloir. Ils affirment enfin que la demande devait en tout état de cause être dirigée contre les consorts [O], qu'en l'absence de preuve de la connaissance par l'acquéreur de l'existence de ce pacte, la nullité de la vente n'est pas encourue et concluent au rejet des prétentions de la Sofrade.

En cas d'annulation de la vente au profit des consorts [O], la SCI Kal sollicite, outre la restitution du prix :

153 357,54 € au titre des frais de notaire et d'hypothèque ;

184 184 € au titre de la commission ;

859 034 € au titre des intérêts d'emprunt.

Subsidiairement, sur les intérêts, elle demande qu'ils lui soient remboursés jusqu'à restitution effective des sommes dues par les consorts [O], outre la prise en charge d'une somme qui ne pourra être inférieure à 6% du montant du prêt, le tout avec intérêts au taux légal capitalisés.

Elle sollicite ensuite l'attribution des fruits de l'immeuble depuis la vente jusqu'au transfert de propriété et l'indemnisation de la différence entre la valeur locative réelle sur une base annuelle de 200 000 € et les sommes versées par la Sofrade depuis le 9 octobre 2008 avec indexation sur l'indice annuel du cout de la construction.

Elle sollicite en outre, toujours avec intérêts au taux légal capitalisés :

18 507,56 € à parfaire au titre des travaux entrepris sur l'immeuble ;

61 370,90 € à parfaire au titre des impôts et assurances ou 17 915,99 € si elle conserve les fruits ;

4% des loyers et des charges au titre des frais de gestion ;

5% du prix de vente au titre de la valorisation de l'immeuble par son travail ;

Le transfert de propriété devant être subordonné au paiement effectif de ces sommes en cas d'annulation.

Au cas où des restitutions seraient ordonnées, la SCI Kal et le cabinet Maréchal demandent la garantie de la SCP [F] pour toute condamnation en restitution.

Ils concluent encore à la condamnation solidaire de la SCP [F] ainsi que des consorts [O] à les indemniser de leur entier préjudice et de la garantir de la récupération effective de toutes les sommes leur revenant. En tant que de besoin ils demandent la désignation d'un expert pour chiffrer les postes sur lesquels la cour s'estimerait insuffisamment informée.

Ils demandent enfin de « condamner également et solidairement [U] [O] à relever la SCI Kal et le cabinet Maréchal indemne de toute condamnation pécuniaire qui serait prononcée à leur encontre du chef de l'article 1596 du code civil ou par suite de l'application de cet article. »

En cas de transfert de l'immeuble au profit de la société Sofrade, ils demandent qu'il soit jugé que ce transfert emporterait les mêmes conséquences en substituant celle-ci aux consorts [O].

Ils concluent au rejet des prétentions de la SCP [F] et sollicitent :

60 000 € de la société Sofrade et des consorts [O] en réparation d'une procédure abusive et vexatoire ;

30 000 € chacun de tout concluant, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les consorts [O] invoquent leur bonne foi et le dol commis par la SCI Kal. Ils concluent à la confirmation du jugement déféré sauf en ce qu'il les a condamnés à payer 132 000 € plus 110 000 € au titre des frais de vente et de gestion. Ils soutiennent que la SCI Kal, le cabinet Maréchal et la SCP [F] ont engagé leur responsabilité à leur égard et sollicitent leur condamnation in solidum à payer :

184 184 € au titre de la commission indûment perçue par le cabinet Maréchal avec la complicité du notaire, le montant de cette commission étant, dans l'esprit des consorts [O], inclus dans le prix de vente ;

94 804 € en réparation du préjudice résultant du surcoût fiscal consécutif au retard dans la réalisation de la vente ;

961 422 € en réparation du préjudice résultant de la perte de valeur locative ;

100 000 € en réparation de leur préjudice moral ;

50 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Outre la compensation des créances.

Subsidiairement, ils demandent à être garantie par la SCP [F] de toute condamnation prononcée à leur encontre au bénéfice de la SCI Kal.

La SAS Sofrade conclut principalement à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'annulation de la vente et soutient subsidiairement que la vente a été passée en fraude de ses droits. Elle demande alors l'annulation de la vente pour ce motif et demande qu'il soit jugé qu'elle se substituera à la SCI Kal dans l'acquisition des locaux avec toutes conséquences de droit.

Elle considère que la SCP [F] a commis une faute en ne procédant pas à la purge de son droit de préférence et elle demande la condamnation de cette dernière au paiement de 2 419 950 € représentant la perte du fonds de commerce et du droit au bail au cas où elle ne bénéficierait pas du droit de substitution qu'elle réclame.

En tout état de cause elle sollicite 10 000 € au titre des frais irrépétibles.

La SCP [F] conteste sa responsabilité et conclut au rejet des prétentions des consorts [O] de la Sofrade et de la SCI Kal. Elle sollicite 3000 € de chacune de ces parties du chef de ses frais irrépétibles.

SUR CE

Sur la recevabilité des demandes des consorts [O] contre la SCI Kal et le cabinet Maréchal :

L'article 70 du code de procédure civile dispose que « les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. » La SCI Kal soutient que tel n'est pas le cas de la demande des consorts [O] en annulation de la vente sur le fondement de l'article 1596 du code civil, se rattachant à une demande en nullité d'un locataire commercial invoquant la méconnaissance d'un pacte de préférence.

C'est cependant à juste titre que le jugement déféré a retenu que la demande tendant aux mêmes fins que la demande initiale en ce qu'elle tend à obtenir l'annulation d'un seul et même acte de vente au bénéfice d'une des parties au procès, sur un autre fondement, se rattachent à cette demande initiale par un lien suffisant.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit les demandes des consorts [O] recevables.

Sur le mandat :

Le mandat consenti au cabinet Maréchal a été signé par [U] [O] et son épouse ainsi que l'un de leurs enfants, [X] [O], qui s'est porté fort pour [M] et [Z] [O], les deux autres nus-propriétaires. Les appelants concluent à la nullité de cet acte au motif qu'un tel engagement ne vaut que s'il concerne un acte qui ne suppose pas pour sa validité l'accord de tous.

Toutefois la ratification de l'acte passé par le porte fort est survenue en ce que les personnes pour qui leur frère s'est porté fort ont ratifié la promesse de vente consentie à l'acquéreur présenté par le mandataire, comprenant mention de la commission due à ce dernier de sorte que la nullité de l'acte n'est pas encourue pour ce motif.

Les consorts [O] demande condamnation in solidum de la SCI Kal, du cabinet Maréchal et de la SCP [F] à leur payer 184 184 €, correspondant à la commission indûment perçue par le cabinet Maréchal. Le mandat stipule un prix de 2,2 millions d'euros, rémunération de l'intermédiaire à la charge de l'acquéreur. Le compromis de vente mentionne un prix de 2,2 millions d'euros plus 132 000 € à titre de provision pour frais d'acte et des frais de négociation à la charge de l'acquéreur de 154 000 €. L'acte authentique vise un prix de 2,2 millions d'euros que les vendeurs ont intégralement perçu, la commission ayant été versée par l'acquéreur de sorte que leur demande en au titre de la commission n'est pas fondée. Le jugement déféré sera confirmée sur ce point.

Sur la nullité fondée sur la méconnaissance des dispositions de l'article 1596 du code civil :

L'article 1596 du code civil dispose que : « Ne peuvent se rendre adjudicataires, sous peine de nullité, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées (') les mandataires, des biens qu'ils sont chargés de vendre ».

Il est constant que le cabinet Maréchal, géré par [R] [T], a reçu des consorts [O] mandat de rechercher un acquéreur de l'immeuble en cause. Une promesse synallagmatique de vente a été conclue avec M. [C], qui prévoyait une faculté de substitution. M. [C] a fait jouer cette possibilité au bénéfice de la SCI Kal, gérée par [R] [T]. C'est donc à juste titre que le jugement déféré a constaté qu'il existait une interposition de personnes morales, prohibée par l'article 1596 du code civil étant observé au surplus :

Que le capital de la SCI Kal est détenu entièrement, directement ou par l'intermédiaire d'une société Fipage dont ils sont les uniques actionnaires, par [R] et [W] [T], propriétaires du cabinet Maréchal, les trois sociétés ayant la même adresse ;

Qu'il importe peu que [E] [T], titulaire de 45,5 % des parts du cabinet Maréchal, ne soit pas associé de la SCI Kal ni de société Fipage dont les parts sont entièrement détenues par [R] et [W] [T], propriétaires à eux deux de 50% des parts du cabinet Maréchal.

La nullité prévue par l'article 1596 du code civil est relative. L'article 1338 du même code dispose que « L'acte de confirmation ou ratification d'une obligation contre laquelle la loi admet l'action en nullité ou en rescision n'est valable que lorsqu'on y trouve la substance de cette obligation, la mention du motif de l'action en rescision, et l'intention de réparer le vice sur lequel cette action est fondée. A défaut d'acte de confirmation ou ratification, il suffit que l'obligation soit exécutée volontairement après l'époque à laquelle l'obligation pouvait être valablement confirmée ou ratifiée. La confirmation, ratification, ou exécution volontaire dans les formes et à l'époque déterminées par la loi, emporte la renonciation aux moyens et exceptions que l'on pouvait opposer contre cet acte, sans préjudice néanmoins du droit des tiers. »

La SCI Kal et le cabinet Maréchal soutiennent que les consorts [O] avaient connaissance de l'identité de l'acquéreur et qu'ils ont, en signant l'acte malgré l'information dont ils disposaient, renoncé à se prévaloir de la nullité.

Les consorts [O] contestent avoir été valablement et complètement informés de l'interposition de personnes morales dissimulant l'identité de l'acquéreur définitif et du mandataire chargé de trouver un acquéreur.

Le projet d'acte définitif mentionne que l'acquéreur est la SCI Kal dont le gérant est M. [T], domicilié à la même adresse que le cabinet Maréchal dont, au moins, [U] [O] savait qu'il était également géré par [R] [T]. Ce dernier a au surplus signé le 13 avril 2007, soit le jour même de la réitération de la vente en la forme authentique, en qualité de « représentant de l'indivision [O] » et « à l'intention de Mrs [T] », un document ainsi rédigé : « Je vous confirme être parfaitement informé que vous êtes les associés de la SCI Kal qui acquiert l'immeuble (') et que ceci ne me pose aucun problème notamment en ce qui concerne le mandat que nous vous avons signé en son temps pour la vente de ce bien. »

Cependant, quoi qu'il en soit de la connaissance par les consorts [O] du fait que ce sont les consorts [T], ayant reçu mandat de rechercher un acquéreur, qui se portaient acquéreurs de l'immeuble, on ne peut déduire de ce seul fait que l'acte n'encourt pas la nullité prévue par l'article 1596 du code civil. En effet la confirmation d'un acte nul exige à la fois la connaissance du vice l'affectant et l'intention de le réparer. La réalisation de ces conditions ne peut résulter de la seule connaissance, avant la conclusion de l'acte, de l'identité de dirigeants de la société mandataire et de la société acquéreur. Et c'est à juste titre que le jugement déféré relève que les éléments communiqués n'attestent pas de ce que les consorts [O] avaient à la fois conscience de la nullité édictée par l'article 1596 du code civil et une volonté non équivoque d'y renoncer qui n'est pas démontrée, même par le courrier cité ci-dessus. Le fait que l'identité des mandataires et des acquéreurs ne posait aucun problème à Octave Bourrée n'induit en rien qu'il n'ignorait pas que ce fait constitue un cas de nullité de la vente. Enfin un tel courrier ne saurait valoir confirmation de l'acte susceptible d'être annulé, une telle confirmation ne pouvant être formalisée que postérieurement à la signature de l'acte en cause.

De même l'attestation de maître [S], notaire rédacteur de l'acte, si elle affirme que l'attention des vendeurs a été attirée sur la personne de l'acquéreur substitué et « le mécanisme institué par les dispositions de l'article 1596 du code civil » n'établit en rien une renonciation non équivoque à la nullité prévue par ce texte. Il sera observé au surplus que sa valeur probante est faible en ce qu'elle émane d'une des parties au procès, qu'elle est contredite par les consorts [O] et qu'intrinsèquement elle est de peu de portée en ce que si le notaire affirme avoir « attiré l'attention des vendeurs » le seul élément avancé pour étayer cette affirmation est la signature par le seul [U] [O] du courrier évoqué ci-dessus.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé l'annulation de la vente.

Sur les effets de l'annulation de la vente :

L'annulation de la vente, qui entraîne l'anéantissement rétroactif du contrat, impose de replacer les parties dans la situation qui aurait été la leur si l'acte n'avait jamais existé. Cela implique le retour de l'immeuble dans le patrimoine des vendeurs suivant les modalités arrêtées par le jugement déféré et la restitution du prix qu'ils ont perçu, soit 2 200 000 €.

La SCI Kal demande en outre à être remboursée des frais de notaires et droits d'hypothèque, du montant de la commission, des intérêts d'emprunt. Ils demandent en outre à conserver les fruits de l'immeuble, c'est-à-dire les loyers.

L'article 549 du code civil prévoit que « le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de bonne foi. Dans le cas contraire, il est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique » et l'article 550 du même code précise que « le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices. »  Il cesse d'être de bonne foi du moment où ces vices lui sont connus.

En leur qualité de professionnels de l'immobilier et de mandataires habituels, les consorts [T] ne pouvait ignorer qu'ils ne pouvaient agir en qualité de mandataire du vendeur et se porter acquéreur. Aucune information n'est donnée sur M. [C], domicilié à [Localité 6], signataire de la promesse en qualité d'acquéreur. Les consorts [T] n'établissent pas avoir pratiqué la moindre démarche publique pour trouver un acquéreur de sorte que l'on peut en conclure que celui-ci les dissimulait dès l'origine. Par ailleurs les circonstances de la ratification par [U] [O] seul, le jour même de la signature de l'acte authentique, ne permet pas de conférer à ce document toute la portée qu'il aurait dû avoir. Il résulte de ce faisceau d'indice que l'acquéreur connaissait non seulement la difficulté théorique causée par l'article 1596 du code civil, mais encore la difficulté pratique découlant de la nécessité d'informer les vendeurs de la nullité et de s'assurer de leur intention expresse de la réparer, qu'il avait conscience de l'absence d'engagement certain des vendeurs sur ce point, de sorte qu'il n'ignorait pas le vice entachant le titre translatif de propriété ce qui suffit à retenir qu'il n'est pas de bonne foi, au sens de l'article 550 du code civil.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point également ainsi qu'en ce qu'il condamné la SCI Kal à rembourser aux consorts [O] l'intégralité des loyers perçus du 13 avril 2007 au jour du jugement.

Les frais accessoires de la vente, frais de notaire et d'hypothèque, de commission et les frais financiers, ne constituent pas des restitutions dans la mesure où s'ils ont été dépensés par l'acquéreur, ils n'ont pas été reçus par le vendeur. Il s'agit là de réparations qui ne peuvent être dus qu'à l'acquéreur de bonne foi de sorte qu'il convient de rejeter la demande de ce chef. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il condamné les consorts [O] à verser à la SCI Kal 132 000 € et confirmé en ce qu'il a rejeté les autres demandes.

Sur le coût des travaux, les frais et la valorisation du bien :

Les améliorations apportées à la vente entre la vente et la restitution sont indemnisables. La SCI Kal justifie avoir dépensé :

18 507,56 € au titre des travaux effectués dans l'immeuble,

61 370,90 € au titre des impôts et frais d'assurance.

Il convient de condamner les consorts [O] à payer ces sommes qui ne relèvent ni des restituions ni des réparations ni des fruits du bien, mais qui constituent des dépenses de gestion faites pour le propriétaire et qui sont remboursables même dans la situation d'espèce. Ces sommes n'étaient pas demandées en première instance.

La SCI Kal présente une demande complémentaire à hauteur de 110000 €, au titre de la valorisation de l'immeuble par son travail. Elle n'apporte cependant aucun élément de nature à établir la réalité et l'ampleur de cette valorisation de sorte qu'il convient de rejeter ce chef de demande. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Il sera confirmé en revanche en ce qu'il a rejeté la demande d'expertise qui, si elle était admise, reviendrait à suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.

Sur les demandes des consorts [O] :

Outre le paiement de la commission de l'intermédiaire, demande étudiée ci-dessus, les consorts [O] sollicitent :

94 804 € en réparation du préjudice résultant du surcoût fiscal consécutif au retard dans la réalisation de la vente ;

961 422 € en réparation du préjudice résultant de la perte de valeur locative ;

100 000 € en réparation de leur préjudice moral.

Ils invoquent en premier lieu la modification du régime fiscal  des plus values qui est aujourd'hui moins favorable qu'en 2007. C'est à juste titre que le jugement déféré a souligné que l'évolution du régime fiscal ne peut caractériser un préjudice indemnisable étant observé en outre que le préjudice ainsi causé relève du choix délibéré des consorts [O] de mettre en 'uvre une nullité relative dans un contexte qui ne leur était pas préjudiciable.

Pour cette même raison ainsi que parce qu'ils n'établissent en rien avoir subi une perte de valeur locative, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté la demande de ce chef.

Enfin le préjudice moral allégué n'est pas davantage indemnisable dans la mesure où la faute retenue, au sens de l'article 550 du code civil, ne permet pas de caractériser un fait dommageable en rapport causal avec le trouble allégué. La probité de M. [O] n'est nullement mise en cause par la méconnaissance des dispositions de l'article 1596 du code civil et les conséquences du défaut de purge des droits du locataire sont débattues. Le jugement sera encore confirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

Sur les demandes de la SCI Kal contre le notaire :

Au cas où des restitutions seraient ordonnées, la SCI Kal demande la garantie de la SCP [F] pour toute condamnation en restitution. Il a été fait droit à cette demande à hauteur de 30%, sauf pour ce qui concerne la restitution du prix, aux motifs pertinents que le notaire, tenu d'assurer l'efficacité des actes qu'il instrumente et de conseiller les parties, a manqué à ses obligations mais que la SCI Kal avait elle-même commis une faute justifiant que la garantie du notaire soit limitée.

La cour confirmera ce chef de la décision sauf à condamner le notaire à garantir l'acquéreur du montant des sommes à sa charge (hors prix de l'immeuble) à hauteur de 50 %. En effet si la mauvaise foi de l'acquéreur a été retenue au sens de l'article 550 du code civil, il convient d'observer que même face à un professionnel de l'immobilier, le notaire est, qui reste le professionnel de l'acte, tenu à un devoir de conseil, que l'opération envisagée n'était pas illicite à condition de la conduire en toute transparence et de s'assurer du consentement éclairé des intéressés.

Par ailleurs les frais de la vente engagés en vain, justifiés à hauteur de 157 197,54 € et retenus dans les limites de la demande, soit 153 357,54 € constituent un préjudice certain qui doit être indemnisé dans les mêmes conditions. Il convient donc de condamner la SCP [F] à payer à la SCI Kal 76 678,77 €.

Tel n'est le cas ni du montant de la commission qui n'était pas due compte tenu de l'annulation du mandat examiné plus haut, ni du préjudice financier allégué. En effet l'emprunteur bénéficiera du capital emprunté et le seul chef de préjudice indemnisable serait le coût d'immobilisation de ce capital pendant la période comprise entre la vente et la restitution du prix, qui n'est pas chiffré.

Sur la demande de la SCI Kal au titre d'une procédure abusive :

Le jugement sera encore confirmé sur ce point, l'absence d'abus résultant de ce qui précède.

Sur la fin de non recevoir opposée aux demandes de la société Sofrade :

Nul ne peut se contredire au détriment d'autrui toutefois le fait pour un locataire pensant bénéficier d'un pacte de préférence de revendiquer sur l'immeuble le droit qu'elle pense détenir puis de ne présenter cette demande qu'à titre subsidiaire en constatant que le vendeur de l'immeuble invoque un moyen d'annulation de la vente, ne caractérise pas une contradiction dommageable.

Il convient en conséquence de rejeter la fin de non recevoir invoquée à l'encontre de la société Sofrade. Sa demande principale ayant été reçue, celles qu'elle présente à titre subsidiaire sont sans objet.

Sur les frais irrépétibles :

L'équité ne commande pas d'allouer des sommes au titre des frais irrépétibles et ne l'imposait pas davantage en première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Dit les demandes de la société Sofrade recevables ;

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :

Condamné in solidum les consorts [O] et la SCP [F], notaire ayant reçu l'acte de vente à verser à la SCI Kal 132 000 € au titre des frais de vente avec intérêts au taux légal capitalisés depuis la vente ;

Condamné les consorts [O] à verser à la SCI Kal 110 000 € au titre des frais de gestion de l'immeuble ;

Débouté la SCI Kal de sa demande en paiement des dépenses effectuées pour l'immeuble ;

Dit que la SCP [F] et autre sera tenu de garantir la SCI Kal et le cabinet Maréchal à hauteur de 30% des condamnations prononcées à leur encontre, à l'exclusion du prix de vente ;

Condamné in solidum la SCI Kal, le cabinet Maréchal et la SCP [F] à payer 2000 € aux consorts [O] et 2000 € à la société Sofrade au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

L'infirme sur ces cinq points ;

Déboute la SCI Kal de ses demandes en paiement de 153 357,54 € au titre des frais de notaire et d'hypothèque présentée contre les consorts [O] ;

Condamne les consorts [O] à payer à la SCI Kal :

18 507,56 € au titre des travaux effectués dans l'immeuble,

61 370,90 € au titre des impôts et frais d'assurance ;

Avec intérêts au taux légal depuis le jour de la vente ;

Dit que les intérêts produiront eux-mêmes intérêts dès lors qu'ils seront dus pour une année entière ;

Condamne la SCP [F] à garantir la SCI Kal à hauteur de 50% des condamnations prononcées à son encontre, à l'exclusion du prix de vente ;

La condamne à payer à la SCI Kal 76 678,77 € ;

Dit n'y avoir lieu d'allouer des sommes au titre des frais irrépétibles exposés en appel pas plus qu'en première instance ;

Condamne in solidum la SCI Kal, le cabinet Maréchal et la SCP [F] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du code civil.

Le Greffier,Le Président,

Delphine VERHAEGHE.Maurice ZAVARO.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 13/04420
Date de la décision : 16/02/2015

Références :

Cour d'appel de Douai 1A, arrêt n°13/04420 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2015-02-16;13.04420 ?
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