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04/03/2013 | FRANCE | N°12/00269

France | France, Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 1, 04 mars 2013, 12/00269


République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 04/03/2013



***



N° de MINUTE : 122/2013

N° RG : 12/00269



Jugement (N° 10/00911)

rendu le 27 Octobre 2011

par le Tribunal de Grande Instance de CAMBRAI



REF : PM/AMD





APPELANTE



Madame [IB] [TU] épouse [K]

née le [Date naissance 4] 1943 à [Localité 16]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 10]


r>Représentée par Maître Bernard FRANCHI de la SCP DELEFORGE FRANCHI, avocats au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Vincent BUE, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE



Madame [W], [B] [TU] veuve [IH]

née le [Date naissan...

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D'APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 04/03/2013

***

N° de MINUTE : 122/2013

N° RG : 12/00269

Jugement (N° 10/00911)

rendu le 27 Octobre 2011

par le Tribunal de Grande Instance de CAMBRAI

REF : PM/AMD

APPELANTE

Madame [IB] [TU] épouse [K]

née le [Date naissance 4] 1943 à [Localité 16]

demeurant [Adresse 1]

[Localité 10]

Représentée par Maître Bernard FRANCHI de la SCP DELEFORGE FRANCHI, avocats au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Vincent BUE, avocat au barreau de LILLE

INTIMÉE

Madame [W], [B] [TU] veuve [IH]

née le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 16]

demeurant [Adresse 6]

[Localité 11]

Représentée par Maître Philippe MEILLIER, avocat au barreau d'ARRAS

DÉBATS à l'audience publique du 10 Janvier 2013 tenue par Pascale METTEAU magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Evelyne MERFELD, Président de chambre

Pascale METTEAU, Conseiller

Joëlle DOAT, Conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 04 Mars 2013 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Evelyne MERFELD, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 30 novembre 2012

***

Par jugement rendu le 27 octobre 2011, le tribunal de grande instance de Cambrai a :

ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre M. [BK] [NU] [M] [TU] né le [Date naissance 9] 1912 décédé à [Localité 16] le [Date décès 3] 1985 et Mme [ZT] [DE] [C] née le [Date naissance 8] 1921 décédée à [Localité 13] le [Date décès 5] 2007, et de leurs successions respectives,

désigné pour y procéder M. le président de la chambre des notaires du Nord avec faculté de délégation, sauf Me [U], notaire à Douai, et le juge-commissaire du tribunal de grande instance de Cambrai pour surveiller les opérations et faire rapport en cas de difficultés,

dit que Mme [W] [TU] veuve [IH] est recevable et bien fondée en sa demande de créance de salaire différé pour la période du 11 août 1962 jusqu'au 31 décembre 1964, créance qui devra être calculée sur la base du SMIC, dans les conditions de l'article L321-13 du code rural, à la date la plus proche du partage,

dit que Mme [IB] [TU] épouse [K] est recevable et bien fondée en sa demande de créance de salaire différé pour la période du 16 août 1961 au 19 juin 1965, créance qui devra être calculée sur la base de la valeur du SMIC, dans les conditions de l'article L321-13 du code rural, à la date la plus proche du partage,

dit que Mme [W] [TU] veuve [IH] est recevable et bien fondée en sa demande de reconnaissance d'une créance à l'encontre de la succession de ses parents à hauteur de 365.000 francs, soit 55.643,89 euros, avec intérêt pratiqué par la Caisse Régionale du Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme à la date du 27 mars 1985 outre les intérêts au taux légal en application de l'article 1154 du code civil,

dit que Mme [W] [TU] veuve [IH] est recevable et bien fondée en sa demande d'attribution préférentielle des parcelles par elle louées à savoir :

Terroir d'[Localité 16] :

parcelle cadastrée [Cadastre 29] [Adresse 14] pour 2 ha 67 a 97 ca

parcelle cadastrée [Cadastre 26] [Adresse 19] pour 7 ha 10 a 67 ca

parcelle cadastrée [Cadastre 27] [Adresse 19] pour 32 a11 ca

parcelle cadastrée [Cadastre 28] [Adresse 19] pour 6 ha 44 a 84 ca

terroir de [Localité 24] :

parcelle cadastrée [Cadastre 30] d'une contenance de 9 ha 52 a 90 ca

parcelle cadastrée [Cadastre 31] d'une contenance de 21 a 20 ca

désigné M. [R], expert, avec pour mission de se rendre sur les parcelles ayant fait l'objet de l'attribution préférentielle, procéder à l'évaluation desdites parcelles en tenant compte de leur occupation et des baux existants,

renvoyé les parties devant M. le président de la chambre des notaires du Nord ou son délégataire pour qu'il soit procédé aux opérations de compte, liquidation et partage en tenant compte des dispositions du jugement et en prenant en compte l'estimation des parcelles faites par l'expert sus-désigné,

rejeté la demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage en ce compris les frais d'expertise.

Mme [IB] [TU] épouse [K] a interjeté appel de cette décision le 13 janvier 2012.

RAPPEL DES DONNÉES UTILES DU LITIGE :

M. [BK] [TU], né le [Date naissance 9] 1912, est décédé le [Date décès 3] 1985 à [Localité 16] laissant pour lui succéder sa veuve Mme [ZT] [C], à laquelle il était marié sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts aux termes d'un contrat de mariage reçu le 13 novembre 1942 par Me [NN], notaire à [Localité 17], et ses deux enfants, Mme [W] [TU] veuve [IH] et Mme [IB] [TU] épouse [K].

Mme [ZT] [C], née le [Date naissance 8] 1921, est décédée à [Localité 13] le [Date décès 5] 2007 laissant ses deux filles pour lui succéder.

Par acte d'huissier du 5 juin 2009, Mme [W] [TU] a fait assigner Mme [IB] [TU] devant le tribunal de grande instance de Péronne aux fins notamment d'obtenir l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre les époux [TU]-[C] et de leurs successions respectives, la désignation, à cette fin, du président de la chambre des notaires ou son délégataire, la fixation à son profit d'une créance de salaire différé sur une période de 58 mois et 20 jours, la reconnaissance à l'encontre de la succession et à son profit d'une créance de 55.643,89 euros en application de l'article L 411-74 du code rural, avec intérêts pratiqués par la Caisse Régionale de Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme à la date du 27 mars 1985 et aux fins d'attribution préférentielle de parcelles louées par elle.

Par ordonnance du 15 avril 2010, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Péronne a renvoyé l'affaire devant le tribunal de grande instance de Cambrai et la décision déférée a été rendue dans ces conditions.

Mme [IB] [TU], dans ses dernières écritures, demande à la cour de :

vu les articles 751, 831, 832 et 1154 du code civil, L321-13 et L321-19, L411-74 du code rural et de la pêche maritime,

infirmer le jugement et statuant à nouveau :

ordonner l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre M. [BK] [TU] et Mme [ZT] [C] et de leurs successions respectives,

désigner, pour y procéder, M. le président de la chambre des notaires du Nord avec faculté de délégation et le juge commissaire pour surveiller les opérations et faire rapport en cas de difficultés,

dire que Mme [W] [TU] veuve [IH] est recevable et bien fondée en sa demande de créance de salaire différé pour la période du 11 août 1962 jusqu'au [Date mariage 7] 1964 seulement, créance qui doit être calculée sur la base du SMIC, dans les conditions de l'article L321-13 du code rural, à la date proche du partage,

dire qu'elle est recevable, en cause d'appel, et bien fondée en sa demande de créance de salaire différé pour la période du 16 août 1961 au 31 décembre 1968, créance qui devra être calculée sur la base du SMIC, dans les conditions de l'article L321-13 du code rural, à la date la plus proche possible du partage,

dire que Mme [W] [TU] veuve [IH] est recevable en sa demande de reconnaissance d'une créance à l'encontre de la succession de ses parents à la seule hauteur de 145.300 francs soit 22.160,98 euros, sans les intérêts pratiqués par la Caisse Régionale du Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme à la date du 27 mars 1985,

dire n'y avoir application de l'anatocisme au taux d'intérêt au taux légal depuis la demande en justice en application de l'article 1154 du code civil,

dire n'y avoir lieu à aucune attribution préférentielle des immeubles,

dire que Mmes [W] et [IB] [TU] se partageront les parcelles en deux lots d'égale valeur,

désigner tout expert foncier à l'effet de procéder à l'évaluation desdites parcelles en tenant compte de leur occupation et des baux existants, en précisant les valeurs occupées ou libres de tout compte occupation,

ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage en ce compris les frais d'expertise,

subsidiairement, ordonner l'attribution préférentielle des immeubles à son profit,

dans tous les cas, condamner Mme [W] [TU] à lui payer la somme d'un euro par application de l'article 1382 du code civil, et de 1.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile,

ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage en ce compris les frais d'expertise.

Elle indique que :

les premiers juges ont accordé, sans raison apparente, une créance de salaire différé à Mme [W] [TU] entre le 1er avril et le 31 décembre 1964 sans tenir compte qu'à compter du [Date mariage 7] 1964, cette dernière avait cessé toute activité sur l'exploitation familiale du fait de son mariage. Les attestations versées aux débats à ce sujet sont de pure complaisance et vexatoires ; elles sont stéréotypées et constituent de simples recopiages. Ces témoignages doivent être écartés des débats car ils ne reprennent pas les mentions exigées par l'article 202 du code de procédure civile. Le témoignage de son ex-conjoint a été rédigé par vengeance, par une personne fragile instable et régulièrement hospitalisée en milieu psychiatrique. En outre, les écritures et signatures sur ces attestations sont dissemblables.

Mme [W] [TU] n'a plus aidé sa famille à compter de son mariage ; c'est au contraire M. [BK] [TU] qui a assisté sa fille sur son exploitation. En outre, il ne peut pas être tenu compte de la période de 30 mois pendant laquelle Mme [W] [TU] prétend avoir aidé son père souffrant, cette aide résultant de l'exécution volontaire d'un devoir moral au sens de l'article 371 du code civil et ne pouvant se confondre avec le calcul d'une créance de salaire différé. En tout état cause il n'est pas justifié que l'aide apportée a dépassé les exigences de piété familiale.

sa propre créance de salaire différé doit concerner la période du 16 août 1961 jusqu'au 31 décembre 1968 contrairement à ce qu'a décidé le tribunal qui l'a arrêtée au 19 juin 1965. Entre 1965 et 1968, elle a continué à travailler sur l'exploitation parentale, même après son mariage, ayant fait l'acquisition d'un véhicule pour se déplacer entre son domicile et [Localité 16]. Il est justifié de ce travail par la production d'une attestation émanant de la MSA, d'une attestation du maire de la commune, de témoignages d'anciens agriculteurs locaux. Son activité agricole était directe et effective et non ponctuelle et relative à des travaux ménagers.

si sa s'ur a bénéficié de l'attribution préférentielle des immeubles à usage agricole, elle avait pourtant renoncé à toute attribution par un courrier du 17 décembre 2008. Elle souhaite obtenir un allotissement en nature en deux parts égales. Mme [W] [TU] s'acquitte avec un retard conséquent des fermages ce qui démontre son inaptitude à assurer la gestion de l'entreprise et à la conserver. Elle dégage d'ailleurs uniquement un résultat de 13.468 euros et rencontre des difficultés financières étant dans l'impossibilité de faire face au financement des parcelles qui pourraient lui être attribuées. Elle prétend à tort présenter une garantie réelle de 18 hectares de terre alors que ces biens sont, en grand nombre, en indivision. Les documents comptables concernant les années 2010 et 2011 rapportent la preuve de la faiblesse du résultat d'exploitation pour 2010 et laissent apparaître des recettes afférentes à des sous-locations alors même que Mme [W] [TU] ne justifie d'aucun successeur potentiel sur son exploitation actuelle et qu'elle est en âge de bénéficier de sa retraite.

à titre subsidiaire, elle présente également une demande d'attribution préférentielle dans la mesure où elle a également exploité les parcelles en cause et qu'elle remplit toutes les conditions d'une telle attribution. Elle dispose d'une capacité certaine dans le domaine agricole et de la possibilité de poursuivre l'exploitation des lieux par l'installation en double activité de son fils qui est actuellement expert-comptable.

elle conteste l'existence d'une créance qui découlerait de l'application de l'article L411-74 du code rural dans la mesure où il n'est pas justifié de l'encaissement par les défunts de la somme alléguée. Si Mme [W] [TU] justifie qu'elle a contracté un prêt, celui-ci n'a pas d'objet et il est postérieur à la conclusion du bail à ferme qui lui a été consenti par ses parents. Il n'est pas démontré que le matériel agricole acquis par Mme [W] [TU] a été surévalué. Selon le rapport de M. [OA], expert agricole, daté du 29 mars 1984, seul deux postes prohibés sont réductibles au sens de l'article L411-74 du code rural pour un montant de 22.160,98 euros. Accorder le surplus (pour un montant total de 365.000 francs) à Mme [W] [TU] à titre de créance dans le cadre de la succession de ses parents conduirait à ce qu'elle ait bénéficié gratuitement de l'exploitation familiale, des matériels, stocks et récoltes en cours.

elle s'oppose à l'anatocisme dans la mesure où sa s'ur cache la réalité de la situation à la juridiction dans le but d'obtenir l'intégralité de la succession. La capitalisation des intérêts est exclue dans la mesure où elle est une créancière fautive dans le cadre de l'introduction de la demande et qu'elle est responsable du retard dans l'introduction de l'instance.

s'agissant du taux d'intérêt prescrit par l'article L411-74 du code rural, il correspond à celui d'une simple banque commerciale, sans contrôle particulier d'une autorité indépendante. Un tel taux ne saurait s'appliquer à des sommes déclarées indues par la justice sans violer le droit du débiteur au respect de ses biens alors même que les taux pratiqués par une banque commerciale font toujours l'objet de négociations en fonction du client. La prescription applicable à l'action en répétition devrait être celle de l'article 1304 du code civil, l'article L411-74 étant obsolète et inapplicable.

l'action visée par l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime sanctionne le cédant qui a perçu des fonds à l'occasion de la conclusion d'un bail d'une manière perpétuelle, par une prescription sans fin ce qui entraîne une rupture du juste équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général. La prééminence du droit exige que le point de départ ou d'expiration des délais de prescription soit clairement défini. Cet article n'est donc pas conforme au protocole n°1 de la convention européenne des droits de l'homme.

elle a subi dans le cadre de la présente procédure du fait des différentes attestations calomnieuses, fausses ou manquant totalement d'objectivité notamment de son conjoint, produites dans le but de la déshériter, un préjudice moral qui doit être réparé par l'allocation d'un euro à titre de dommages et intérêts.

Dans ses dernières conclusions, Mme [W] [TU] veuve [IH] sollicite de confirmer le jugement en ce qu'il :

- a ouvert les opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre les époux [TU]-[C] et de leurs successions respectives,

- a désigné M. le président de la chambre des notaires du Nord ou son délégataire pour ce faire et le juge commissaire du tribunal de grande instance de Cambrai pour surveiller les opérations et faire rapport en cas de difficultés,

- lui a accordé l'attribution préférentielle de droit des parcelles sises sur le terroir d'[Localité 16] cadastrées section [Cadastre 29], [Cadastre 26], [Cadastre 27] et [Cadastre 28] et sur le terroir de [Localité 24] cadastrées section [Cadastre 30] et [Cadastre 31],

- a désigné expert pour l'estimation de ces parcelles en vue du partage,

- l'a reconnue créancière, vis-à vis de la succession, de la somme de 55.643,89 euros avec intérêts au taux pratiqué par la Caisse Régionale de Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme à compter du 27 mars 1985 jusqu'à parfait règlement.

Relevant appel incident, elle demande de l'infirmer concernant sa demande de créance de salaire différé, de lui reconnaître, à ce titre, une créance à valoir que la succession de ses parents du 11 août 1962 au 31 décembre 1964, plus 30 mois supplémentaires, cette créance devant être calculée sur la base horaire du SMIC, dans les conditions de l'article L321-13 du code rural et de la pêche maritime, à la date la plus proche du partage, de l'infirmer en ce qu'il a reconnu à Mme [IB] [TU] une créance de salaire différé sur la succession de ses parents du 16 août 1961 au 19 juin 1965, de débouter cette dernière de sa demande à ce titre et de dire que les frais et dépens de l'instance seront portés en frais privilégiés de partage.

Elle indique justifier de sa participation à l'exploitation agricole parentale sans participation aux bénéfices ni aux pertes de celle-ci par la production de différentes attestations et relève qu'aucune plainte pénale n'a été déposée par Mme [IB] [TU] à l'encontre de ces témoignages. Elle précise qu'elle a assumé l'ensemble des travaux de l'exploitation de ses parents pendant 30 mois à l'occasion de la maladie de son père, étant précisé que celui-ci ne lui a cédé son entreprise que le 31 décembre 1984 en lui consentant notamment un bail à ferme sur les terres qu'il avait acquises. Elle ajoute que le fait que son intervention ait été conditionnée par la maladie de son père ne fait pas obstacle à la reconnaissance d'une créance de salaire différé dans la mesure où son intervention n'a pas été faite dans le cadre du devoir d'aliments dû par l'enfant à son père (M. [BK] [TU] percevait des indemnités journalières et son revenu était assuré indépendamment des revenus de l'exploitation) mais qu'elle a permis la pérennisation de l'exploitation de son père au profit, aujourd'hui, de l'ensemble des membres de l'indivision. Elle fait valoir, par ailleurs, que malgré son mariage, elle a continué à participer à l'exploitation agricole parentale en 1964 alors qu'elle travaillait, en plus, sur sa propre exploitation et employait des salariés saisonniers. Elle conteste que son père ait pu l'aider dans sa propre exploitation.

S'agissant de la créance de salaire différé revendiquée par sa s'ur, elle affirme que cette dernière ne démontre en rien sa participation à l'exploitation parentale et que l'attestation de la MSA à ce sujet n'est pas probante. Elle ajoute qu'après son mariage en 1965, Mme [IB] [TU] a déménagé pour aller habiter à [Localité 21], à 34 km d'[Localité 16], ce qui exclut, compte tenu de l'absence de moyens de transport et de la naissance de son fils en 1966, qu'elle ait pu aider ses parents sur leur exploitation. Par ailleurs, elle fait valoir que Mme [IB] [TU] n'a jamais participé aux travaux de la ferme mais qu'elle faisait des activités ménagères, conformes à son diplôme qui n'est pas un brevet agricole.

Elle précise être agricultrice et mettre en valeur l'ensemble des biens immobiliers dépendant de l'indivision de sorte qu'elle estime être fondée, en application de l'article 832 du code civil, à solliciter l'attribution préférentielle de ces parcelles de terre. Elle souligne qu'elle demande l'attribution de terres représentant une surface de 26 ha 29 a 69 ca de sorte que cette attribution est de droit. Elle ajoute qu'elle est d'autant plus importante qu'à défaut de cette opération, son exploitation, qui fait 63 hectares, serait démembrée. Elle affirme démontrer sa capacité financière pour l'éventuelle acquisition des biens dont elle sollicite l'attribution. Elle conteste ne pas régler régulièrement ses fermages ou les taxes AFR. Elle rappelle que si elle avait renoncé à se prévaloir de l'attribution préférentielle dans un courrier adressé au notaire en décembre 2008, cette renonciation était conditionnée au fait que certaines de ses demandes soient acceptées, ce qui n'a pas été le cas de sorte que l'action en partage a dû être engagée. Elle en conclut que cette proposition transactionnelle ne peut lui être opposée actuellement. Elle indique son accord pour que les biens qui lui seraient attribués soient évalués libres d'occupation puisque, dans ce cas, elle cumulerait la qualité de preneur et de propriétaire.

Elle s'oppose à la demande d'attribution préférentielle formulée à titre reconventionnel par l'appelante soulignant que celle-ci ne justifie pas d'une participation à la mise en exploitation des biens dépendant de la succession et qu'elle a exercé toute sa vie professionnelle en qualité d'aide ménagère et non en qualité d'agricultrice. Elle ajoute qu'il existe une unité économique avec son exploitation agricole, entreprise qui doit être préservée.

Elle explique qu'elle s'est vue consentir un bail à ferme sur les parcelles, propriétés de ses parents, notamment par un acte notarié reçu le 14 février 1985 par Me [NH] et qu'en contrepartie de la passation de ce bail, ces derniers ont sollicité le versement d'une somme de 365.000 francs qu'elle a financée par la souscription d'un prêt auprès du Crédit Agricole, prêt débloqué le 27 mars 1985, soit moins de trois semaines après la signature du bail. Elle affirme que cette somme a été payée en contravention de l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime et qu'elle est donc fondée à solliciter la répétition de ce montant, étant précisé qu'elle est toujours titulaire d'un bail sur les parcelles litigieuses. Elle demande que cette somme porte intérêts au taux pratiqué par la Caisse Régionale du Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme à compter du 27 mars 1985 date du déblocage du prêt et la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du code civil. Elle souligne que le matériel qui lui a été cédé par son père était vétuste et sans valeur, que les terres étaient dépourvues de tout amendement régulier et produisait un rendement inférieur à celui des agriculteurs voisins et qu'ainsi, il ne peut être retenu que la somme de 364 000 francs qu'elle a payée reposait sur une cause licite. Elle demande que l'attestation de Mme [A], avec laquelle elle entretenait de très mauvaises relations soit écartée des débats puisque ne constituant pas un témoignage objectif. Elle conteste le rapport de M. [OA], document qu'elle n'a pas signé et qui n'a pas la force probante au regard de l'estimation du matériel qui a été effectuée, compte-tenu des attestations qu'elle produit aux débats concernant l'état de ce matériel. Elle relève, par ailleurs, qu'il est difficile de retenir une valeur des stocks et des valeurs en terre qui sont chiffrées par cet expert alors même que M. [BK] [TU] avait cessé son activité au 1er octobre 1984 après la levée de la récolte.

Elle ajoute qu'aucune faute pouvant justifier le refus de l'anatocisme prévu à l'article 1154 du code civil n'est caractérisée à son encontre alors qu'elle ne fait que solliciter l'application de l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime. Elle précise que les intérêts dont elle sollicite l'application sont prévus par la loi et que la banque Crédit Agricole n'a aucun intérêt commercial à l'affaire. Elle ajoute qu'il n'est pas précisé en quoi l'article L411-74 serait contraire à la Convention européenne des Droits de l'Homme alors même qu'il n'institue pas une action perpétuelle mais une action recevable tout le long du contrat de bail même renouvelé, action qui devient irrecevable au terme de ce bail. Elle précise que les intérêts ne peuvent pas être calculés que sur la quote-part indivise à attribuer à chaque ayant-droit puisqu'elle doit être remboursée avant tout partage et que ce n'est qu'en cas d'insuffisance d'actif que chacun des héritiers pourra être tenu à hauteur de sa part indivise.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage :

Mme [W] [TU] et Mme [IB] [TU] s'accordent sur la nécessité d'ouvrir les opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre M. [BK] [TU] et Mme [ZT] [C] et de leurs successions respectives.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné l'ouverture des ces opérations, désigné le président de la chambre des notaires du Nord ou son délégataire, à l'exception de Me [U] (notaire déjà intervenu pour la déclaration de succession à la demande de Mme [IB] [TU]) pour y procéder et le juge commissaire du tribunal de grande instance de Cambrai pour faire rapport en cas de difficultés.

Sur la demande de créance de salaire différé présentée par Mme [W] [TU] :

Selon l'article L321-13 du code rural, les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de 18 ans, participent directement et effectivement à l'exploitation sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu à paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers. Le taux annuel du salaire sera égal pour chacune des années de participation à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur, soit au jour du partage consécutif au décès de l'exploitant, soit au plus tard à la date de règlement de la créance, si ce règlement intervient du vivant de l'exploitant.

Il appartient à Mme [W] [TU] qui prétend à une telle créance de justifier qu'elle a, à compter de ses 18 ans, travaillé, sans être rémunérée et sans être associée aux résultats, sur l'exploitation agricole de ses parents.

Mme [W] [TU] est née le [Date naissance 2] 1944 et a donc atteint l'âge de 18 ans le 11 août 1962.

Elle s'est mariée le [Date mariage 7] 1964.

Elle verse aux débats :

une attestation de Mme [CS] selon laquelle elle a aidé ses parents en participant aux travaux agricoles, sans rémunération. Mme [CS] précise être arrivée à [Localité 16] en 1960 et avoir toujours, depuis cette date, habité la commune. Mme [IB] [TU] ne saurait donc prétendre qu'elle n'a pas pu être témoin des faits dont elle atteste et elle est mal venue à affirmer, sans aucun élément, que Mme [CS] habitait [Localité 15] à l'époque des faits.

une attestation de M. [V] qui précise que l'aide apportée par Mme [W] [TU] a duré même après son mariage

une attestation de Mme [B] [T] qui ajoute que cette aide s'est également déroulée quand M. [BK] [TU] était malade.

les attestations de M. [Y] [S], M. [P] [H], Mme [E] [UA] qui vont dans le même sens.

Mme [IB] [TU] ne précise pas en quoi ces attestations ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 202 du code civil dans la mesure où elles sont manuscrites, datées et signées, où elles indiquent les noms, prénoms, date et lieu de naissance des témoins, où elles mentionnent qu'elles sont destinées à être produites en justice et sont accompagnées d'une pièce d'identité. En tout état de cause, Mme [IB] [TU] n'indique pas en quoi les éventuelles irrégularités auraient pu lui causer grief.

Ces attestations, circonstanciées et précises, qui ne sont pas uniquement un « recopiage » d'un modèle, n'ont donc pas à être écartées des débats.

Elles permettent d'affirmer que Mme [W] [TU] a travaillé sur l'exploitation de ses parents, aux travaux agricoles, à compter de sa majorité et jusqu'en 1964.

Cependant, elles sont très peu précises quant à la participation de Mme [W] [TU] à l'exploitation parentale après son mariage et encore plus floues s'agissant de l'aide apportée pendant la maladie de M. [BK] [TU]. Seul M. [J] fait état d'une période de 30 mois. M. [F], arrivé sur l'exploitation de Mme [W] [TU] en juillet 1984, explique que « suite à la cession de M. [BK] [TU], âgé de 72 ans et ne pouvant plus exercer son exploitation dû à son artériosclérose qui date de 1970 et à son cancer du pancréas qu'il a eu en avril 1984 » mais n'apporte aucun détail sur un éventuel travail de Mme [W] [TU] sur l'exploitation de son père à cette période.

Dès lors, Mme [W] [TU], qui supporte la charge de la preuve, ne justifie pas qu'elle a, après son mariage et pendant trente mois avant la cessation d'activité de son père, effectivement participé à l'exploitation agricole parentale d'une manière plus que ponctuelle et occasionnelle. En particulier, aucun élément ne permet de dire que M. [TU], malgré son état de santé, n'a pas pu assumer, jusqu'à la cession de son exploitation, les travaux qui devaient y être effectués. Au contraire, il ressort des attestations de Mme [AU] [A] et de M. [X] [IH] que c'est M. [BK] [TU] qui aidait sa fille dans son exploitation agricole située à [Localité 23].

En conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que Mme [W] [TU] était fondée en sa demande de créance de salaire différé mais il sera infirmé quant à la période concernée qui sera limitée au [Date mariage 7] 1964.

Sur la demande de créance de salaire différé présentée par Mme [IB] [TU] :

A l'appui de sa demande, Mme [IB] [TU] verse aux débats une attestation de la MSA selon laquelle elle a été inscrite à ce régime social entre le 16 août 1961 (date de ses 18 ans) et le 31 décembre 1968 en qualité d'aide familial mineur. Cette seule attestation ne permet pas d'établir la participation effective et directe de Mme [IB] [TU] aux travaux agricole sur l'exploitation de ses parents, étant établie suite à de simples déclarations faites en 2001 (soit près de 30 ans après les faits).

Elle produit également une attestation de M. [HV] [O], qui était agriculteur à [Localité 16], selon laquelle elle a aidé ses parents en rendant de nombreux services tels que l'aide pendant la moisson, les betteraves, les endives, les animaux de la ferme. M. [Z] [G] confirme une participation aux travaux agricoles, à titre gratuit jusqu'en 1965, au moins. M. [D] [N] précise que Mme [IB] [TU] a fait la traite des vaches, le suivi des animaux outre l'arrachage et la mise en couche des endives jusqu'à son mariage. Les attestations de M. [HY] [I], Mme [ZG] [TU] sont rédigées dans des termes similaires.

Même si Mme [CS], dans son attestation, précise n'avoir jamais vu Mme [IB] [TU], qui suivait des cours par correspondance, participer aux travaux des champs, de même que M. [V], Mme [B] [T], M. [Y] [S], M. [P] [H] et Mme [E] [UA], il n'en demeure pas moins que la preuve d'une participation de Mme [IB] [TU] à l'activité agricole de l'exploitation de ses parents est rapportée, la description de ses activités dans les champs et avec les animaux telle que faite par MM. [O] et [G] notamment étant particulièrement précise et circonstanciée et ne décrivant pas une simple aide aux travaux ménagers ou une aide aux travaux agricoles ponctuelle.

Il est justifié de cette participation jusqu'au mariage de Mme [IB] [TU]. Aucun élément, à l'exception de l'attestation de la MSA qui n'a que peu de valeur probante sur ce point, ne permet d'établir que l'aide non rémunérée a duré après ce mariage et ce d'autant que M. [HV] [CI], ex-époux de Mme [IB] [TU], affirme qu'à compter de 1965, son épouse n'a plus travaillé, que le couple s'est installé à [Localité 21], que sa femme a eu son premier enfant en 1966 et que le couple est parti dans le Cher en 1968. Cette attestation contient des propos crédibles, relate des éléments objectifs et l'écriture, qui ne comporte qu'une seule rature, est parfaitement lisible, avec une signature semblable à celle figurant sur la pièce d'identité.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a accordé à Mme [IB] [TU] une créance de salaire différé pour la période du 16 août 1961 au 19 juin 1965, date de son mariage.

Sur les demandes d'attribution préférentielle :

Selon l'article 831 du code civil, le conjoint survivant ou tout héritier

copropriétaire peut demander l'attribution préférentielle par voie de partage, à charge de soulte s'il y a lieu, de toute entreprise ou partie d'exploitation agricole, commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ou quote-part indivise d'une telle entreprise, même formée pour une part de bien dont il était déjà propriétaire ou copropriétaire avant le décès, à l'exploitation de laquelle il participe ou a participé effectivement. L'article 832 précise que l'attribution préférentielle visée à l'article 831 est de droit pour toute exploitation agricole qui ne dépasse pas les limites de superficie fixées par décret en conseil d'État, si le maintien dans l'indivision n'a pas été ordonné.

Il ressort de l'arrêté du 22 août 1975 que, concernant les terres situées dans le secteur de Ponthieu, plateau Picard Nord, cette superficie maximale a été fixée à 56 hectares. Les terres dont l'attribution préférentielle est sollicitée et qui appartiennent à l'indivision existant entre Mmes [TU] sont d'une surface de 26 hectares, 29 ares et 69 centiares de sorte que la demande présentée est faite dans le cadre d'une attribution préférentielle de droit.

Chacune des deux s'urs sollicite l'attribution préférentielle. En cas de pluralité de demandes, conformément aux termes de l'article 832-1 du code civil, il convient de prendre en compte l'aptitude des différents postulants par le biais d'une appréciation à faire en tenant compte de l'avenir de l'exploitation et en considération des personnes qui postulent effectivement à l'attribution.

En l'espèce, si Mmes [TU] justifient toutes deux avoir participé aux travaux sur l'exploitation agricole de leurs parents avant leur mariage, Mme [IB] [TU], malgré son diplôme relatif aux «travaux agricoles» n'a pas poursuivi une profession liée à l'agriculture au contraire de sa s'ur qui a racheté, en 1984, l'exploitation de son père et qui exploite actuellement encore les terres litigieuses sur lesquelles elle dispose de baux (elle allègue un bail verbal sur les parcelles [Cadastre 32] et [Cadastre 33] situées sur le territoire d'[Localité 16] actuellement parcelle [Cadastre 28] ; en tout état de cause, un contrat de bail à ferme lui a été accordé par sa mère et sa s'ur sur cette parcelle le 4 mai 2000) outre d'autres parcelles dont environ 9 hectares dont elle est propriétaire en indivision avec ses enfants et 9 hectares dont elle est pleinement propriétaire.

Il ne ressort d'aucun élément que les fermages dus par Mme [W] [TU] n'ont pas été régulièrement payés. Aucun retard de paiement n'est justifié depuis 2009.

En outre, Mme [W] [TU] rapporte la preuve d'un bénéfice net comptable de son exploitation à hauteur de 14.295 euros en 2009 et de 20.2129 euros en 2010, résultat qui a atteint 32.753 euros en 2011. Elle justifie poursuivre son activité agricole encore actuellement et investir notamment dans l'achat de matériel. Dès lors, les difficultés financières alléguées ne sont pas établies.

Il ne saurait être prétendu que Mme [W] [TU] a renoncé à solliciter cette attribution préférentielle puisque, si elle a indiqué dans un courrier du 17 décembre 2008 qu'elle accepterait de renoncer à une telle demande, ce n'était que sous diverses conditions. Or, il apparaît que ses conditions n'ont pas été acceptées puisque la présente procédure a été introduite.

En conséquence, alors que Mme [IB] [TU] ne rapporte la preuve d'aucune activité personnelle dans le domaine agricole depuis de nombreuses années, qu'elle n'a pas d'expérience dans la gestion d'une entreprise agricole et que son fils exerce la profession d'expert-comptable sans qu'il soit justifié qu'il ait une quelconque compétence en matière agricole, il convient de faire droit à la demande d'attribution préférentielle présentée par Mme [W] [TU] ce qui permettra à cette dernière de préserver l'intégrité de l'exploitation qu'elle met actuellement en valeur.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur la créance à l'égard de la succession invoquée par Mme [W] [TU] :

Selon l'article L411-74 du code rural, « sera puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30.000 euros ou de l'une de ces deux peines seulement, tout bailleur, tout preneur sortant ou tout intermédiaire qui aura, directement ou indirectement, à l'occasion d'un changement d'exploitant, soit obtenu ou tenté d'obtenir une remise d'argent ou de valeurs non justifiée, soit imposé ou tenté d'imposer la reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci. Les sommes indûment perçues sont sujettes à répétition. Elles sont majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux pratiqué par la Caisse Régionale de Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme. En cas de reprise de biens mobiliers à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale de ceux-ci, l'action en répétition peut être exercée dès lors que la somme versée a excédé ladite valeur de plus de 10 %. L'action en répétition exercée à l'encontre du bailleur demeure recevable pendant toute la durée du bail initial et des baux renouvelés qui lui font suite ainsi que, en cas d'exercice du droit de reprise, pendant un délai de dix-huit mois à compter de la date d'effet du congé ».

Mme [IB] [TU] prétend que ce texte instituerait une prescription perpétuelle entraînant une inégalité de traitement, une violation du protocole n°1 de la convention européenne des droits de l'homme aux termes duquel toute personne physique ou morale a le droit au respect de ses biens.

Il est cependant faux de prétendre qu'il existe une prescription perpétuelle du fait de l'article L411-74 du code rural dans la mesure où l'action devient irrecevable au terme du bail s'il n'est pas renouvelé. Cet article n'a pas plus pour objet de priver un bailleur de son droit de propriété mais poursuit un objectif d'intérêt général de politique agricole visant à faciliter l'installation des exploitants. Il s'applique, en outre, sans distinction à tout exploitant agricole, étant précisé que les parties ont toujours la faculté de s'y soustraire en signant un bail cessible. Dès lors, il ne saurait être prétendu qu'il existe une inégalité de traitement ou une atteinte aux droit de propriété.

Par ailleurs, il existe une prescirption spéciale prévue par ce texte de sorte que les dispositions de l'article 1304 du code civil ne sont pas applicables (cet article concernant, en outre, les actions en nullité et non en répétition de fonds indument payés).

L'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime est donc applicable et il interdit le versement d'une somme d'argent au bailleur par le preneur d'un bail rural lors de l'entrée de ce dernier dans les lieux, sans contrepartie justifiée.

Il ressort des pièces produites que :

- M. [BK] [TU] a cessé toute activité agricole le 1er octobre 1984

- selon acte notarié du 14 février 1985 reçu par Me [NH], un bail à ferme a été accordé par M. et Mme [TU] [C] à Mme [W] [TU] sur différentes parcelles situées à [Localité 16], [Localité 18] et [Localité 24] (soit une surface totale de 19 hectares, 71 ares et 27 centiares).

- Mme [W] [TU] a contracté à cette période, un prêt de 364.000 francs, débloqué le 27 mars 1985 soit un peu plus d'un mois après la passation du bail.

- M. [Z] [L] atteste qu'il s'est porté caution pour ce prêt 'correspondant à la reprise de matériel agricole de la ferme [BK] [TU] au profit de Mme [W] [IH]. Une batteuse de 20 ans et le reste pareil. Ce matériel a été surévalué pour obtenir un prêt plus important à la banque (.....) Par contre, il n'a pas été possible d'évaluer les arrières fumures puisque les pailles étaient brûlées chaque année depuis de nombreuses années'.

- M. [F] décrit le matériel de l'exploitation rachetée en 1984 comme particulièrement vétuste et en mauvais état.

Mme [W] [TU] rapporte la preuve, par ces éléments, qu'elle a réglé à l'occasion de la reprise de l'exploitation de son père, une somme de 364.000 francs, opération qui a été réalisée par la passation du contrat de bail à ferme portant sur les parcelles précédemment exploitées par M. [BK] [TU], étant précisé que le prêt souscrit par Mme [W] [TU] l'a été un peu plus d'un mois après la passation de ce contrat de bail.

Il ressort néanmoins des attestations produites que du matériel a été cédé dans le cadre de la cession de l'exploitation.

Mme [IB] [TU] verse aux débats une évaluation des éléments de l'exploitation de M. et Mme [TU] 'en vue de sa cession à leur fille Mme [W] [TU]' par M. [OA], expert agricole et foncier, datée du 29 mars 1984, probablement faite à la demande des exploitants. Le matériel de ferme a été évalué 150.600 francs, les stocks 41.846 francs, les arrière-fumures 43.194 francs, les valeurs en terre 52.318 francs et le fonds cultural 102.106 francs. Il doit être relevé que la liste du matériel dressée par l'expert correspond aux éléments décrits par M. [F] comme ayant appartenu à M. [BK] [TU]. Bien que ce matériel soit décrit par M. [F] comme étant vétuste, Mme [W] [TU] ne rapporte aucune preuve que les tracteurs, moissonneuse-batteuse, remorque, benne et épandeur cédés ont été surévalués par cet expert en vue de dissimuler l'existence de sommes réglées au titre d'arrière-fumures (qui figurent dans l'estimation de M. [OA]).

Dans la mesure où la cession de l'entreprise agricole est intervenue non pas en mars 1984 mais en octobre 1984, date à laquelle M. [TU] a cessé son activité (avec conclusion du bail à ferme en février), il n'existait plus, à cette période postérieure aux récoltes, de valeurs en terre de sorte que sur la somme de 364.000 francs finallement fixée pour la cession de l'exploitation, seule celle de 105.600 francs avait une contrepartie réelle, à savoir la cession du matériel. Dans la mesure où Mme [W] [TU] ne justifie pas que le matériel a été surévalué d'au moins 10%, l'action en répétition n'est pas ouverte pour cette somme.

Pour le surplus, la demande en répétition de l'indû, dirigée contre les bailleurs qui ont perçu les fonds litigieux lors du changement d'exploitant est fondée et Mme [W] [TU] dispose à l'égard des successions de ses parents d'une créance de 258.400 francs (364.000-105.600 francs), soit 39.392,83 euros. Il sera précisé que ces sommes doivent être remboursées sur l'actif successoral, avant tout partage, de sorte que la condamnation ne peut être prononcée pour seulement la quote part susceptible d'être, en cas d'insuffisance de l'actif successoral, mise à la charge de Mme [IB] [TU].

En conséquence, le jugement déféré sera réformé en ce sens.

Sur les intérêts :

Selon l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime, les sommes objets de la répétition sont majorées d'un intérêt calculé à compter de leur versement et égal au taux pratiqué par la Caisse Régionale de Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme.

Le taux d'intérêts applicable est, selon cette loi, certes fixé au regard du taux pratiqué par un établissement commercial, et n'est pas contrôlé par une autorité étatique particulière ; cependant, le Crédit Agricole n'a aucun intérêt dans la présente procédure et ne dépend d'aucune des deux parties. L'intérêt commercial de cette banque, qui ne sera pas bénéficiaire du paiement, est donc sans aucun lien avec la présente procédure et il ne saurait être prétendu que l'application du taux d'intérêts pour les prêts à moyen terme peut constituer une violation du droit au respect des biens de Mme [IB] [TU]. En outre, ce taux est parfaitement déterminé et déterminable annuellement de sorte que les dispositions de l'article L411-74 du code rural ne sont pas inapplicables.

Les intérêts sur la somme de 39.392,83 euros sont donc dûs à compter du 27 mars 1985, date du paiement, au taux du Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme.

L'article 1154 du code civil prévoit que les intérêts échus peuvent produire des intérêts, ou par demande en justice, ou par convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière.

Mme [IB] [TU] ne rapporte pas la preuve d'une faute de sa soeur ayant fait obstacle au remboursement des fonds indûment payés ni d'un retard de cette dernière quant à son action en répétition alors même que Mme [W] [TU] ne fait qu'user d'un droit qui est prévu par l'article L411-74 du code rural et de la pêche maritime.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit qu'il serait fait application des dispositions de l'article 1154 du code civil. Cette capitalisation sera faite par année entière à compter de la demande en justice présentée par Mme [W] [TU] dans ses écritures du 25 janvier 2011 (il n'est pas justifié d'une demande plus ancienne alors que la demande de capitalisation ne figurait pas dans l'acte introductif d'instance).

Sur la demande de dommages et intérêts présentée par Mme [IB] [TU] :

Mme [IB] [TU] ne rapporte la preuve d'aucune faute de sa s'ur dans le cadre de la présente procédure, pas plus qu'elle ne justifie du caractère calomnieux ou faux des attestations produites.

Sa demande de dommages et intérêts doit donc être rejetée.

Sur la demande d'expertise :

Les parties s'accordent pour qu'une expertise soit ordonnée pour

déterminer la valeur des terres faisant l'objet d'une attribution préférentielle. Il sera fait droit à cette demande et le jugement confirmé sur ce point. Il sera précisé que les parcelles pour lesquelles Mme [W] [TU] dispose d'un bail devront être évaluées libres d'occupation, cette dernière cumulant alors la qualité de preneur à bail et d'attributaire.

Cependant, le premier juge ne pouvait se dessaisir de son pouvoir juridictionnel au profit du notaire pour que celui-ci fixe, dans le cadre des opérations de partage, la valeur des parcelles, même en précisant que ce dernier devrait tenir compte de l'estimation de l'expert. Dès lors, le jugement sera infirmé sur ce point et il sera prévu qu'à défaut d'accord des parties sur l'évaluation des parcelles, après le dépôt du rapport d'expertise, celles-ci pourront ressaisir le tribunal pour fixation de la valeur de ces biens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Les parties succombant partiellement en leurs prétentions, les dépens

de première instance et d'appel seront employés en frais privilégiés de partage.

Il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge des frais exposés et non compris dans les dépens. Les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel seront rejetées et le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire :

CONFIRME le jugement en ce qu'il a :

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la communauté ayant existé entre M. [BK] [NU] [M] [TU] né le [Date naissance 9] 1912 décédé à [Localité 16] le [Date décès 3] 1985 et Mme [ZT] [DE] [C] née le [Date naissance 8] 1921 décédée à [Localité 13] le [Date décès 5] 2007, et de leurs successions respectives,

- désigné pour y procéder M. le président de la chambre des notaires du Nord avec faculté de délégation, sauf Me [U], notaire à Douai, et le juge-commissaire du tribunal de grande instance de Cambrai pour surveiller les opérations et faire rapport en cas de difficultés,

- dit que Mme [W] [TU] veuve [IH] est recevable et bien fondée en sa demande de créance de salaire différé, créance qui devra être calculée sur la base du SMIC, dans les conditions de l'article L321-13 du code rural, à la date la plus proche du partage,

- dit que Mme [IB] [TU] épouse [K] est recevable et bien fondée en sa demande de créance de salaire différé pour la période du 16 août 1961 au 19 juin 1965, créance qui devra être calculée sur la base de la valeur du SMIC, dans les conditions de l'article L321-13 du code rural, à la date la plus proche du partage,

- dit que Mme [W] [TU] veuve [IH] est recevable et bien fondée en sa demande d'attribution préférentielle des parcelles par elle louées à savoir :

Terroir d'[Localité 16] :

parcelle cadastrée [Cadastre 29] [Adresse 14] pour 2 ha 67 a 97 ca

parcelle cadastrée [Cadastre 26] [Adresse 19] pour 7 ha 10 a 67 ca

parcelle cadastrée [Cadastre 27] [Adresse 19] pour 32 a11 ca

parcelle cadastrée [Cadastre 28] [Adresse 19] pour 6 ha 44 a 84 ca

terroir de [Localité 24] :

parcelle cadastrée [Cadastre 30] d'une contenance de 9 ha 52 a 90 ca

parcelle cadastrée [Cadastre 31] d'une contenance de 21 a 20 ca

- désigné M. [R], expert, avec pour mission de se rendre sur les parcelles ayant fait l'objet de l'attribution préférentielle, procéder à l'évaluation desdites parcelles en tenant compte de leur occupation et des baux existants,

- renvoyé les parties devant M. le président de la chambre des notaires du Nord ou son délégataire pour qu'il soit procédé aux opérations de compte, liquidation et partage en tenant compte des dispositions du jugement,

- rejeté la demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'emploi des dépens en frais privilégiés de partage en ce compris les frais d'expertise.

PRECISE que dans le cadre de l'expertise, M. [R] devra évaluer les parcelles pour lesquelles Mme [W] [TU] bénéficie d'un bail comme libres d'occupation;

L'INFIRME en ce qu'il a dit que :

- la créance de salaire différé due à Mme [W] [TU] serait calculée sur la période du 11 août 1962 jusqu'au 31 décembre 1964 ;

- dit que Mme [W] [TU] veuve [IH] est recevable et bien fondée en sa demande de reconnaissance d'une créance à l'encontre de la succession de ses parents à hauteur de 365.000 francs, soit 55.643,89 euros, avec intérêt pratiqué par la Caisse Régionale du Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme à la date du 27 mars 1985 outre les intérêts au taux légal en application de l'article 1154 du code civil,

- dit que le notaire devrait prendre en compte l'estimation des parcelles faites par l'expert.

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

DIT que la créance de salaire différé due à Mme [W] [TU] sera calculée sur la période du 11 août 1962 au [Date mariage 7] 1964 ;

DIT que Mme [W] [TU] dispose d'une créance à l'égard des successions de ses parents pour un montant de 39.392,83 euros, somme qui portera intérêts au taux pratiqué par le Crédit Agricole pour les prêts à moyen terme, à compter du 27 mars 1985 ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts selon les modalités prévues par l'article 1154 du code civil à compter du25 janvier 2011 ;

DIT qu'à défaut d'accord des parties sur la valeur des parcelles attribuées, elles pourront ressaisir le tribunal de grande instance de Cambrai afin que la difficulté soit tranchée ;

DEBOUTE Mme [IB] [TU] de sa demande de dommages et intérêts ;

DIT que les dépens d'appel seront employés en frais privilégiés de partage;

AUTORISE s'ils en ont fait l'avance sans en avoir reçu provision Me MEILLIER et FRANCHI, avocats, à recouvrer les dépens d'appel selon les modalités prévues par l'article 699 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

Le Greffier,Le Président,

Delphine VERHAEGHE.Evelyne MERFELD.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Chambre 1 section 1
Numéro d'arrêt : 12/00269
Date de la décision : 04/03/2013

Références :

Cour d'appel de Douai 1A, arrêt n°12/00269 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-03-04;12.00269 ?
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