COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 17/ 02/ 2011
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No MINUTE : No RG : 08/ 06846
OFFRE FIVA du 07 Juillet 2008 Arrêt du 5 février 2009 et Arrêt du 30 Septembre 2010
REF : MD/ FB
DEMANDEURS
Madame Chantal X... veuve X... née le 03 Février 1953 demeurant... 59158 FLINES LEZ MORTAGNE
représentée par Me LESNE, administrateur du cabinet de Me Blandine OLIVIER-DENIS, avocat au barreau de VALENCIENNES
Monsieur Mickaël X... né le 12 Décembre 1973 à CONDE SUR L'ESCAUT (59163) demeurant... 59158 FLINES LEZ MORTAGNE
représentée par Me LESNE, administrateur du cabinet de Me Blandine OLIVIER-DENIS, avocat au barreau de VALENCIENNES
DEFENDEUR
FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE ayant son siège social Tour Galliéni II 36 Avenue du Général de Gaulle 93175 BAGNOLET CEDEX
représenté par Me Mario CALIFANO, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Martine DAGNEAUX, Président de chambre Laurence BERTHIER, Conseiller Stéphanie BARBOT, Conseiller--------------------- GREFFIER LORS DES DÉBATS : Cécile NOLIN-FAIT
DÉBATS à l'audience publique du 20 Janvier 2011
Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 17 Février 2011 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Martine DAGNEAUX, Président, et Cécile NOLIN-FAIT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Attendu que Jean-Marie X..., né le 2 avril 1952, porteur de plaques pleurales, diagnostiquées le 24 septembre 2002, pour lesquelles la Caisse primaire d'assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de la maladie et lui a attribué un taux d'incapacité de 5 %, a saisi le FONDS D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE L'AMIANTE (ci après le FIVA) d'une demande d'indemnisation ; que celui-ci lui a offert par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 7 juillet 2007 :
- au titre du préjudice patrimonial : 7 844, 39 euros
-au titre des préjudices extra-patrimoniaux :
*préjudice moral : 17 800, 00 euros
mais n'a pas fait d'offre pour le préjudice physique et le préjudice d'agrément ;
Attendu que par lettre recommandée avec accusé de réception reçue le 8 septembre 2008 Jean-Marie X... et Chantal X... ont contesté l'offre du FIVA ;
Attendu que par arrêt en date du 5 février 2009, la cour a avant dire droit ordonné une mesure d'expertise pour : *déterminer la nature de la pathologie liée à l'amiante dont Jean-Marie X... était atteint et fixer en fonction du barème médical du FIVA le taux d'incapacité en résultant à compter de la date de constatation de cette affection, *dire si son état s'est aggravé depuis cette date et dans l'affirmative fixer la date de l'aggravation et le nouveau taux d'incapacité, *préciser l'incidence de la pathologie due à l'amiante sur les difficultés respiratoires et dyspnée alléguées par Jean-Marie X..., compte tenu des autres pathologies dont il est également atteint, *rechercher si les lésions pleurales sont en lien avec les arrêts de travail et le préjudice professionnel invoqué, *donner son avis sur l'importance du préjudice moral, des souffrances physiques et du préjudice d'agrément, *de manière générale fournir tous éléments d'ordre médical ou de fait de nature à éclairer la cour dans son appréciation des préjudices subis ;
Attendu que l'expert a déposé son rapport le 25 mai 2010 ;
Attendu que par lettre du 11 mai 2010 Chantal X... et Mickaël X..., intervenant volontairement, ont saisi la cour d'une demande de provision à hauteur de 25 644, 39 euros correspondant aux sommes proposées par le FIVA et d'une demande de complément d'expertise en exposant que Jean-Marie X... est décédé le 21 mars 2009 d'une tumeur au cerveau et qu'ils souhaiteraient que soit vérifiée l'imputabilité du décès à la maladie liée à l'amiante dont Jean-Marie X... était atteint ;
Attendu que le FIVA s'y était opposé ;
Attendu que par arrêt du 30 septembre 2010 la cour a débouté Chantal X... et Mickaël X... de leur demande de complément d'expertise et de provision et a ordonné la réouverture des débats pour que ceux-ci concluent au vu du rapport d'expertise ;
Attendu que dans leurs conclusions soutenues à l'audience, Chantal X... et Mickaël X... demandent à la cour de :
- leur donner acte de leur intervention en qualité d'héritiers de Jean-Marie X... et de ce qu'ils sollicitent au titre de l'action successorale :
*l'entérinement de l'offre du FIVA en date du 7 juillet 2008 en ce qui concerne les préjudices patrimoniaux et la condamnation à hauteur de 9 472, 70 euros,
*la condamnation du FIVA aux sommes de :
~ 30 000 euros pour le préjudice moral, ~ 5 000 euros pour le préjudice d'agrément, ~ 7 000 euros pour le préjudice physique, ~ 5 000 euros pour les frais de déplacement et soins,
*la condamnation du FIVA à leur régler au titre de leur préjudice moral et d'accompagnement :
~ 10 000 euros pour Chantal X..., ~ 8 000 euros pour Mickaël X...,
*la condamnation du FIVA à leur payer à chacun la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
qu'ils invoquent l'anxiété, le stress, l'état dépressif de Jean-Marie X... pour justifier leur demande d'augmentation de l'indemnisation du préjudice moral, les troubles ressentis dans sa vie pour fonder leur demande au titre du préjudice d'agrément, la souffrance physique provenant des plaques sur les poumons ;
Attendu que dans ses conclusions déposées le 12 janvier 2011 et soutenues à l'audience, le FIVA demande à la cour de :
- entériner le rapport d'expertise du docteur Y...,
- en conséquence sur le préjudice fonctionnel prendre acte de ce que les consorts X... ne contestent pas les montants offerts par lui-même le 7 juillet 2008 à hauteur de 7 844, 39 euros,
- rejeter la demande formulée au titre des soins et déplacements,
- sur les préjudice extra-patrimoniaux confirmer l'offre qu'il a faite à Jean-Marie X... le 7 juillet 2008 : ~ 17 800 euros pour le préjudice moral, ~ pas de préjudice physique indemnisable, ~ pas de préjudice d'agrément indemnisable,
- rejeter la demande de Chantal X... et Mickaël X... au titre des préjudices personnels ;
qu'il invoque le rapport d'expertise qui dénie tout lien entre le décès et les lésions pleurales ; qu'il précise que les plaques pleurales n'entraînent dans l'immense majorité des cas aucun retentissement clinique et paraclinique individuel objectivable ; que les nombreux antécédents médicaux de Jean-Marie X... sont exclusivement la cause de son insuffisance respiratoire ; qu'il s'oppose à la demande de remboursement des frais de soins et de déplacement, aucun document n'étant fourni à l'appui de cette demande ;
qu'il ajoute que s'il ne conteste pas la composante psychologique chez les victimes de l'amiante, il convient toutefois de l'apprécier le plus objectivement possible en fonction de la nature même de la maladie et des éléments apportés par la victime ; que l'état antérieur de Jean-Marie X..., sans rapport avec l'amiante, a influé de manière considérable sur son psychisme ; que le préjudice moral de Jean-Marie X... est faible, lié à la seule connaissance d'avoir été exposé à l'amiante et d'avoir un témoignage de cette exposition au niveau de la plèvre ; qu'il conteste la réalité même des souffrances physiques alléguées en notant l'incohérence qui existe entre les attestations de complaisance des consorts X... et les rapports médicaux ; que les pathologies intercurrentes ne peuvent être prises en compte dans l'appréciation du préjudice physique ; qu'il conteste également la réalité du préjudice d'agrément ; que les consorts X... ne font état d'aucune activité particulière dont Jean-Marie X... aurait été privé depuis le diagnostic de sa maladie ;
qu'enfin il s'oppose à l'indemnisation d'un préjudice d'accompagnement, le décès de Jean-Marie X... n'étant pas imputable à l'amiante ;
DISCUSSION
Attendu qu'il convient de constater que Chantal X... et Mickaël X... ont repris l'instance en qualités d'héritiers de Jean-Marie X... ;
Sur le préjudice professionnel
Attendu que le scanner thoracique réalisé le 21 novembre 2002 a mis en évidence la présence de " petites plaques pleurales apicales droites postérieures " et le médecin expert a fixé le taux d'incapacité à 5 %, taux maintenu en janvier 2006 et octobre 2007 après nouveau scanner le 6 janvier 2006 qui n'a pas mis d'évolution en évidence ;
Attendu que le docteur Y..., nommé comme expert par la cour d'appel de Douai dans son arrêt du 5 février 2009 a également retenu ce taux de 5 % en indiquant que l'évolution scanographique des images pleurales se caractérise par la stabilité sur les différents scanners ;
Attendu que compte tenu de ces éléments, l'offre du FIVA de verser au titre du déficit fonctionnel une indemnisation fondée sur la croissance de la valeur du point de rente en fonction de la gravité des conséquences de l'atteinte à l'intégrité de la victime répare intégralement le préjudice subi ; que le montant de l'indemnisation due à Chantal et Mickaël X... calculée, sur la base d'une indemnité de 434 euros par an, sous forme d'arriérés entre le 25 septembre 2002 (lendemain du certificat médical initial) et le 30 juin 2008 puis sous forme de rente capitalisée à l'aide de l'euro de rente calculé en fonction de l'âge de Jean-Marie X... s'élève donc à :
- pour les arriérés du 25 septembre 2002 au 30 juin 2008 :
*du 25 septembre 2002 au 31 décembre 2002 : 434x98/ 365 = 116, 53euros *du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2007 : 434x5 = 2 170, 00 euros *du 1er janvier 2008 au 30 juin 2008 : 434/ 2 = 217, 00 euros-à compter du 1er juillet 2008 : 434x16, 058 = 6 969, 17 euros total 9 472, 70 euros
Attendu que l'article 53 IV de la loi du 23 décembre 2000 prévoit que le FIVA doit dans l'offre d'indemnisation qu'il fait à la victime indiquer l'évaluation retenue pour chaque chef de préjudice ainsi que le montant des indemnités qui lui reviennent compte tenu des prestations énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d'autres débiteurs du chef du même préjudice ;
Attendu que les prestations énumérées à l'article 29 de la loi du 5 juillet 1985 doivent être déduites, poste par poste, sur les seules indemnités versées par le FIVA réparant les préjudices qu'elles ont pris en charge et pour les postes de préjudice personnel, à la condition que soit établi que la prestation a indemnisé, effectivement, préalablement et de manière incontestable un tel poste de préjudice ;
Attendu que l'indemnité offerte par le FIVA au titre de l'incapacité fonctionnelle répare la réduction du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant d'une atteinte à l'intégrité corporelle d'une personne ; qu'il s'agit donc de l'indemnisation d'un chef de préjudice personnel et non d'un préjudice patrimonial, le FIVA indemnisant distinctement la perte de gains et le préjudice économique ;
Attendu qu'il résulte des articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985 et de l'article L434-2 du code de la sécurité sociale que la rente versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnise d'une part les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité et d'autre part le déficit fonctionnel permanent ; qu'en l'absence de perte de gains professionnels ou d'incidence professionnelle, cette rente indemnise nécessairement le poste de préjudice personnel du déficit fonctionnel permanent ;
Attendu que Chantal X... et Mickaël X..., même s'ils demandent dans le dispositif de leurs conclusions l'allocation de la somme de 9 472, 70 euros, ne contestent pas dans la motivation de celles-ci la déduction de ce montant de l'indemnité versée par la Caisse primaire d'assurance maladie, soit 1 628, 31 euros, de sorte qu'il reste dû au titre du préjudice fonctionnel la somme de 7 844, 39 euros ;
que Chantal X... et Mickaël X... doivent donc être déboutés de leur recours sur ce point ;
Sur le préjudice physique
Attendu que si les membres de la famille de Jean-Marie X... relatent que celui-ci était vite essoufflé et fatigué, il convient d'observer que l'expert, qui est un professionnel à la différence des proches de Jean-Marie X..., a indiqué dans son rapport déposé le 19 mai 2010 que " les plaques pleurales, extrêmement limitées ne surface et en épaisseur ne peuvent expliquer la gêne respiratoire alléguée. Cette dernière est secondaire à une insuffisance respiratoire chronique obstructive sévère post tabagique. L'insuffisance respiratoire chronique obstructive explique les perturbations des explorations fonctionnelles respiratoires, les anomalies gazométriques et la nécessité d'avoir eu recours à une oxygénothérapie nocture ainsi qu'à une réadaptation respiratoire. La présence d'un emphysème, essentiellement de type centrolobulaire, détruisant près de 70 % du volume pulmonaire est le stigmate de cette insuffisance respiratoire chronique obstructive. En raison du caractère extrêmement limité des lésions pleurales et de leur absence de retentissement sur la fonction ventilatoire, elles ne peuvent être reconnues à l'origine des arrêts de travail et du préjudice professionnel invoqué " ;
que l'expert a retenu qu'en l'absence de douleur pouvant être rattachée à une cause pleurale, les souffrances endurées étaient nulles ; que c'est donc à juste titre que le FIVA refusé d'indemniser le préjudice physique ;
Sur le préjudice moral
Attendu que l'annonce de la présence de plaques pleurales, même si celles-ci ne dégénéreront pas nécessairement, a incontestablement créé pour Jean-Marie X... un préjudice lié à l'anxiété entraînée par la pose de ce diagnostic alors que celui-ci était âgé de 50 ans ; que quand bien même il existait des affections intercurrentes, l'angoisse résultant de la connaissance de l'exposition à l'amiante et des risques en découlant justifie que le montant de l'indemnisation du préjudice moral soit relevé par rapport à l'offre du FIVA ; qu'il convient d'allouer à ce titre une somme de 19 300 euros ;
Sur le préjudice d'agrément
Attendu que l'expert indique que " la limitation des activités de loisirs (bricolage, jardinage, promenade des chiens) est secondaire à la gêne respiratoire consécutive à la destruction emphysémateuse des deux poumons et est sans rapport avec la maladie professionnelle ; qu'il n'est apporté aucun élément médical qui contredirait ces conclusions claires et précises ; que dans ces conditions c'est à raison que le FIVA a refusé toute indemnisation de ce chef ;
Sur les frais de déplacement et de soins
Attendu que Chantal et Mickaël X... ne justifient pas que des soins en lien avec la pathologie due à l'exposition à l'amiante seraient restés à la charge de Jean-Marie X... ; qu'ils ne montrent pas davantage avoir dû exposer des frais de déplacement en raison de l'existence des plaques pleurales ; qu'ils doivent donc être déboutés de leur demande à cet égard ;
Sur le préjudice moral et d'accompagnement de Chantal X... et Mickaël X...
Attendu que c'est à juste titre que le FIVA fait observer que le décès de Jean-Marie X... étant sans lien avec la présence de plaques pleurales, Chantal X... et Mickaël X... ne sauraient obtenir du Fonds l'indemnisation du préjudice moral qu'ils ont subi du fait du décès de Jean-Marie X... et du préjudice d'accompagnement de celui-ci dans les mois de souffrance, sans lien avec la maladie professionnelle liée à l'exposition à l'amiante ;
Sur la demande d'indemnité pour frais irrépétibles
Attendu qu'il parait inéquitable de laisser à la charge de Chantal X... et Mickaël X... les frais irrépétibles non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu de leur allouer la somme de 500 euros à se partager entre eux ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Constate que Chantal X... et Mickaël X... ont repris l'instance en qualités d'héritiers de Jean-Marie X... ;
Déboute Chantal X... et Mickaël X... de leur recours à l'encontre de l'offre d'indemnisation que le FIVA a faite le 7 juillet 2008 au titre du préjudice fonctionnel et de l'absence d'offre au titre des préjudices physique et d'agrément ;
Alloue à Chantal X... et Mickaël X... la somme de 19 300 euros au titre du préjudice moral subi par Jean-Marie X... ;
Déboute Chantal X... et Mickaël X... de leur demande de remboursement de frais de soins et déplacement ;
Alloue à Chantal X... et Mickaël X... la somme de 500 euros (à se partager entre eux) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laisse les dépens à la charge du FIVA en ce compris les frais d'expertise (600 euros selon ordonnance de taxe du 31 mai 2010).