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27/06/2008 | FRANCE | N°06/02511

France | France, Cour d'appel de Douai, 27 juin 2008, 06/02511


ARRET DU
27 Juin 2008



N° 230 / 08



RG N° 06 / 02511







JUGEMENT
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE
EN DATE DU
14 Septembre 2006



NOTIFICATION



à parties



Copies avocats



le 27 / 06 / 08



COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale



-Sécurité Sociale-



APPELANT :



M. Michel

X...




...



59279 LOON PLAGE
Représentant : Me GERONIMI substit

uant Me Michel LEDOUX (avocat au barreau de PARIS)



INTIMEES :



CPAM DE DUNKERQUE
2 Rue de la Batellerie
BP 4523
59386 DUNKERQUE CEDEX 1
Représentée par Mme VANCAYEZEELE, agent de l'organisme régulièrement mandaté



SA ARNO DUNKERQUE
Rou...

ARRET DU
27 Juin 2008

N° 230 / 08

RG N° 06 / 02511

JUGEMENT
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE
EN DATE DU
14 Septembre 2006

NOTIFICATION

à parties

Copies avocats

le 27 / 06 / 08

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale

-Sécurité Sociale-

APPELANT :

M. Michel

X...

...

59279 LOON PLAGE
Représentant : Me GERONIMI substituant Me Michel LEDOUX (avocat au barreau de PARIS)

INTIMEES :

CPAM DE DUNKERQUE
2 Rue de la Batellerie
BP 4523
59386 DUNKERQUE CEDEX 1
Représentée par Mme VANCAYEZEELE, agent de l'organisme régulièrement mandaté

SA ARNO DUNKERQUE
Route des Docks
BP 2074
59140 DUNKERQUE
Représentant : Me Jean Philippe CARLIER (avocat au barreau de DUNKERQUE)

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

N. OLIVIER : PRESIDENT DE CHAMBRE

T. VERHEYDE : CONSEILLER

A. THIEFFRY : CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : S. LOTTEGIER

DEBATS : à l'audience publique du 06 Mai 2008

ARRET : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Juin 2008,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par N. OLIVIER, Président et par A. GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

M. Michel

X...

a été salarié de la SA ARNO DUNKERQUE de 1988 à 1997 en qualité de tuyauteur.

Sur la base d'un certificat médical du 19 juillet 2002 ayant diagnostiqué des plaques pleurales calcifiées bilatérales, M. Michel

X...

a fait une déclaration de maladie professionnelle le 24 septembre 2002. La CPAM de Dunkerque a reconnu le caractère professionnel de la maladie le 18 décembre 2002.

Le 25 février 2003, la CPAM de Dunkerque a fixé le taux d'incapacité permanente partielle de M. Michel

X...

à 5 % et a décidé de lui verser une indemnité en capital.

Saisi par M. Michel

X...

d'une demande en reconnaissance de faute inexcusable à l'encontre de la SA ARNO DUNKERQUE, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille, par jugement en date du 14 septembre 2006, auquel il y a lieu de se reporter pour l'exposé des faits et des prétentions et moyens antérieurs des parties, a débouté M. Michel

X...

de toutes ses demandes.

M. Michel

X...

a fait appel de ce jugement le 11 octobre 2006.

M. Michel

X...

demande à la Cour d'infirmer le jugement frappé d'appel et de :
- dire que son action est recevable ;
- dire que la maladie professionnelle dont il est atteint est due à une faute inexcusable de la SA ARNO DUNKERQUE ;
- fixer au taux légal maximum la majoration de la rente qui lui est allouée par la CPAM de Dunkerque et dire que cette majoration suivra automatiquement l'évolution de son taux d'incapacité permanente partielle ;
- fixer le montant des indemnités dues en réparation de son préjudice extra-patrimonial aux sommes suivantes :
* 16. 000 € au titre des souffrances physiques ;
* 18. 000 € au titre des souffrances morales ;
* 16. 000 € au titre du préjudice d'agrément ;
* les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du 26 novembre 2003 ;
- condamné la SA ARNO DUNKERQUE à payer à M. Michel

X...

la somme de 3. 500 € par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.

M. Michel

X...

fait valoir que son action est recevable au motif que la procédure de demande de reconnaissance de faute inexcusable a bien été engagée dans le délai prescrit par le Code de la sécurité sociale. Il considère avoir été exposé au risque d'inhalation d'amiante au cours de sa période de travail chez la SA ARNO DUNKERQUE et que celle-ci aurait dû avoir conscience du danger auquel il était ainsi exposé et n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

De son côté, la SA ARNO DUNKERQUE demande à la Cour de déclarer la demande de M. Michel

X...

irrecevable comme étant prescrite et, subsidiairement, de débouter M. Michel

X...

de toutes ses demandes et, encore subsidiairement, de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie professionnelle par la CPAM de Dunkerque, de dire que les indemnités dues à M. Michel

X...

seront imputées au compte spécial et de débouter cette dernière de son action récursoire.

La SA ARNO DUNKERQUE fait valoir que l'action en reconnaissance de faute inexcusable avait été engagée par M. Michel

X...

non pas contre elle, mais contre la société Ateliers Réunis du Nord et de l'Ouest (A.R.N.O.), aux droits desquels elle ne vient pas, si bien que l'action de M. Michel

X...

est prescrite et, subsidiairement, que cette action est non fondée. Elle fait également valoir, en tout état de cause, que M. Michel

X...

ne démontre pas qu'il aurait été exposé au risque d'inhalation d'amiante au cours de sa période de travail chez elle et qu'elle a pris, dans les limites de la conscience du danger qu'elle pouvait avoir et des connaissances techniques de l'époque, toutes les mesures de protection nécessaires pour en préserver son salarié.

Subsidiairement, la SA ARNO DUNKERQUE considère que la décision de prise en charge par la CPAM de Dunkerque de la maladie professionnelle déclarée par M. Michel

X...

lui est inopposable au motif qu'elle n'a pas été invitée par la CPAM de Dunkerque à prendre connaissance des pièces du dossier et, en toute hypothèse, que la lettre de clôture de l'instruction du dossier ne précisait pas la date à laquelle la Caisse prendrait sa décision. Elle ajoute que M. Michel

X...

ayant été exposé au risque chez plusieurs employeurs, les indemnités qui lui sont dues doivent être inscrites au compte spécial en application de l'article 2 4o de l'arrêté du 26 octobre 1995.

De son côté, la CPAM de Dunkerque s'en rapporte à justice sur la faute inexcusable. Elle demande à la Cour de dire, le cas échéant, que l'employeur condamné sera tenu de la garantir des conséquences financières de sa faute inexcusable. Elle considère en effet que sa décision de prise en charge de la maladie professionnelle déclarée par M. Michel

X...

est opposable à la SA ARNO DUNKERQUE et que l'éventuelle inscription au compte spécial ne fait pas obstacle à son droit de recours contre l'employeur. Elle demande également à la Cour de débouter M. Michel

X...

de sa demande tendant à ce que les intérêts de retard courent à compter de sa demande en reconnaissance de faute inexcusable.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la prescription

Le point de départ du délai de prescription biennal prévu par les articles L. 431-2 et L. 461-1 du Code de la sécurité sociale est en l'espèce le 18 décembre 2002, date à laquelle la CPAM de Dunkerque a décidé de prendre en charge la maladie déclarée par M. Michel

X...

au titre de la législation professionnelle.

M.

X...

a saisi la CPAM de Dunkerque par courrier du 26 novembre 2003 d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable dirigée contre la société les Ateliers Réunis du Nord et de l'Ouest représentée par Me GOUPIL en sa qualité de liquidateur judiciaire.

Un procès-verbal de non-conciliation a été établi le 25 février 2004.

M.

X...

a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille par courrier du 4 mars 2004 en dirigeant toujours sa demande contre la société les Ateliers Réunis du Nord et de l'Ouest.

Par courrier daté du 28 septembre 2004, M.

X...

informait le tribunal des affaires de sécurité sociale qu'il sollicitait " uniquement la mise en cause de la société ARNO DUNKERQUE ".

Par courrier daté du 9 novembre 2004, reçu le 12, il a saisi la CPAM de Dunkerque de la même demande, mais en la dirigeant cette fois contre la société ARNO DUNKERQUE et un procès-verbal de non-conciliation a été établi le 18 mai 2005.

Cette dernière saisine est bien intervenue avant l'expiration du délai biennal de prescription qui avait commencé à courir le 18 décembre 2002 et le tribunal des affaires de sécurité sociale était déjà saisi lorsque le procès-verbal de non-conciliation est intervenu : la demande de M.

X...

dirigée contre la société ARNO DUNKERQUE est donc bien recevable et le jugement frappé d'appel sera confirmé sur ce point.

Sur la faute inexcusable

1) Sur les conditions de travail de M. Michel

X...

et l'exposition aux risques

Michel

X...

soutient avoir été exposé au risque au cours de la période de 1983 à 1987 au cours de laquelle il travaillait pour la société Ateliers Réunis du Nord et de l'Ouest (A.R.N.O.), puis de 1987 à 2002, au cours de laquelle il a travaillé pour la société ARNO DUNKERQUE.

Les motifs par lesquels les premiers juges ont estimé que la société ARNO DUNKERQUE ne pouvait être tenue de l'éventuelle faute inexcusable commise par la société Ateliers Réunis du Nord et de l'Ouest pour la période antérieure à 1987 sont pertinents et ne font d'ailleurs l'objet d'aucune critique de la part de Michel

X...

.

Ce dernier a produit aux débats plusieurs attestations d'anciens collègues de travail relatant son exposition régulière au risque d'inhalation de poussières d'amiante non seulement à l'occasion des périodes de travail antérieures à 1988, date de son embauche par la société ARNO DUNKERQUE, mais également postérieures à cette date : il en est ainsi notamment pour les attestations établies par MM. Jacques

B...

, Christian

C...

, Gérard

D...

et Claude

E...

.

Ces attestations, qui décrivent le contenu du travail de M.

X...

qui le mettait régulièrement en contact avec des matériels contenant des isolations en amiante (tuyauteries vapeur, chaudières, échappements, joints) établissent suffisamment l'exposition au risque au cours de la période de travail chez la société ARNO DUNKERQUE.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers ce dernier d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la Sécurité Sociale lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

2) Sur le fait que l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé M. Michel

X...

En France, dès 1945, la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante a été inscrite dans le tableau n° 25 consacré aux maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières siliceuses et amiantifères (ordonnance du 2 août 1945, faisant référence au cardage, à la filature et au tissage de l'amiante).
Par la suite, le décret n° 50-1082 du 31 août 1950 a instauré le tableau n° 30 des maladies professionnelles consacré à l'asbestose professionnelle, lequel contenait une liste simplement indicative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie, et ne fixait par ailleurs aucun seuil d'exposition, en deçà duquel le risque n'existait pas.

Le fait que le tableau n° 30 des affections respiratoires liées à l'amiante ait été créé dès 1945 et qu'il ait été complété à plusieurs reprises, a eu pour conséquence que, quelle que fût la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé, était dès cette période tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de cette fibre.

Ces dispositions réglementaires étaient à l'époque la concrétisation des observations internationales ainsi que des travaux de scientifiques français comme ceux des Professeurs DHERS et DESOILLE (1930) et la publication de tels documents dans les revues spécialisées traitant de la Médecine du Travail.
Puis, dès 1955, l'enquête de Richard DOLL sur les maladies professionnelles des travailleurs de l'amiante en Grande Bretagne confirma l'existence d'un risque de
cancer du poumon.

En 1964 fut organisé à Caen un Congrès International sur l'asbestose, auquel assistaient les médecins du travail des principales entreprises françaises utilisant de l'amiante et la majorité des professeurs de médecine directement concernés par les problèmes de santé au travail. Au cours de ce congrès, le Professeur WAGNER exposa les résultats d'études menées en Afrique du Sud sur la relation entre l'exposition à l'amiante et le mésothéliome, travaux formalisés depuis 1960.

Le premier cas de mésothéliome en France fut décrit lors de la séance de l'Académie Nationale de Médecine du 9 février 1965, par le Professeur TURIAF.

En 1967, une note de l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), rappelant le retard pris par la France dans le domaine de l'exposition à l'amiante, dressait un état des lieux des mesures déjà prises dans d'autres pays que la France.

En 1973, le Bureau International du Travail (BIT) soulignait, au sujet du risque de cancer broncho pulmonaire, qu'il n'existait aucun seuil d'exposition minimal de protection.

Toujours à propos de ce risque cancérigène, une note de l'INRS de 1976 établissait une revue bibliographique sur le pouvoir cancérogène des amiantes et des matériaux fibreux, et débutait par l'observation suivante : « Depuis 15 ans environ, l'attention a été attirée sur l'amiante, déjà connue pour ses propriétés fibrosantes (asbestose), comme agent étiologique des cancers humains : carcinome bronchique, mésothéliome pleural, péritonéal et peut-être certains cancers du tractus gastro-intestinal ».

Dans son rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France (1998) le Professeur GOT s'est exprimé de la façon suivante :

« Dès le début du siècle et les premiers développements de l'usage industriel de l'amiante, le risque d'asbestose a été identifié (en France par AURIBAULT en 1906). Il y a là, à mes yeux, une évidence. Les moyens de prévention qui sont relativement simples ont été constamment sous-développés depuis. Lutter contre l'empoussièrement a un coût. mais c'est techniquement réalisable avec des méthodes qui étaient disponibles il y a cinquante ans, au moment où de nombreuses victimes actuelles de l'amiante débutaient leur exposition à des niveaux d'empoussièrement dangereux, souvent dès l'âge de 14 ans.

Le risque de développer un cancer, en particulier pleural, est bien identifié depuis une quarantaine d'années (DOLL, en 1955 pour le cancer broncho-pulmonaire-WAGNER, en 1960 pour le mésothéliome).

En France les écrits de TURIAF (1965) n'ont pas été des textes à diffusions réduites. Les revues où il les publiait étaient les plus diffusées de la presse médicale ».

Par conséquent, l'employeur ne pouvait pas ne pas avoir conscience du danger que représentait l'inhalation de poussière d'amiante par ses salariés qui, comme M. Michel

X...

, étaient quotidiennement exposés à ce matériau, cette connaissance des risques devant s'apprécier objectivement par rapport à ce que doit connaître un employeur dans son secteur d'activité.

3) Sur le fait que l'employeur n'a pas pris les mesures nécessaires pour préserver M. Michel

X...

du danger auquel il était exposé M. Michel

X...

n'a bénéficié d'aucune mesure de protection respiratoire efficace, en dépit de l'existence de textes légaux et réglementaires qui avaient pour objet de prévenir les dangers consécutifs à l'inhalation de poussières en général parmi lesquelles figuraient naturellement les poussières d'amiante :

• la loi du 12 juin 1893 « concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels » (article 2) ;

• le décret du 10 juillet 1913 modifié à plusieurs reprises, le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 puis le 15 novembre 1973 par un décret portant règlement d'administration publique pour l'exécution des dispositions du Livre II du Code du travail en ce qui concerne les mesures générales de protection et de salubrité applicables à tous les établissements assujettis (article 6) ;

• le décret du 13 décembre 1948 prescrivait, en cas d'impossibilité de mettre en place des équipements de protection collectifs, le port de masques et de dispositifs individuels appropriés.

Le décret du 17 août 1977 est venu compléter le dispositif existant en fixant des seuils de concentration moyenne en fibres d'amiante (à l'origine, 2 fibres / cm3), dans les établissement où le personnel était exposé à l'action des poussières d'amiante, et en prévoyant un dispositif de contrôle de l'atmosphère et de protection des salariés (protections collectives ou individuelles).
Les dispositions de ce décret étaient applicables aux établissements soumis aux dispositions de l'article L 231-1 du Code du travail, c'est-à-dire aux établissements industriels, commerciaux et agricoles et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, « pour les parties des locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et d'élimination de l'amiante et de tout produit ou objet susceptible d'être à l'origine d'émission de fibres d'amiante » (article 1er).
Cette réglementation était donc applicable à l'employeur.

Ainsi, à l'époque de l'embauche de M. Michel

X...

, et a fortiori à partir de 1977, l'employeur se devait d'appliquer des mesures de prévention et de protection contre un risque connu depuis bien des années et parfaitement identifié.

En l'espèce, si la SA ARNO DUNKERQUE établit qu'elle avait bien pris des mesures de protection de ses salariés au regard du risque d'inhalation de poussières d'amiante, elle n'a cependant pas justifié que ces mesures avaient été suffisantes, ni surtout prises dès le début de la période de travail et d'exposition au risque de M. Michel

X...

.

En tout état de cause, la SA ARNO DUNKERQUE ne justifie d'aucune mesure de protection particulière avant, au mieux, l'année 1988, alors que M. Michel

X...

avait commencé à travailler pour elle en mars 1987.

En conclusion, il est donc établi que l'employeur de M. Michel

X...

, en ne respectant l'obligation de sécurité de résultat qu'il avait à son égard, a commis un manquement caractérisant sa faute inexcusable, le fait que les pouvoirs publics aient tardé à décider l'interdiction totale de l'amiante, après une période d'utilisation dite " contrôlée ", n'étant en aucun cas exonératoire de la responsabilité propre de l'employeur à l'égard de son salarié.

Sur les conséquences de la reconnaissance de la faute inexcusable

La faute inexcusable étant reconnue, la majoration de rente prévue par la loi allouée à M. Michel

X...

doit être fixée à son montant maximum.

Il résulte par ailleurs des dispositions de l'article L. 452-2 alinéas 2 et 3 du Code de la Sécurité sociale que la majoration de la rente et du capital alloué à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle consécutifs à la faute inexcusable de son employeur est calculée en fonction de la réduction de capacité dont celle-ci demeure atteinte et que cette majoration doit suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime.

Sur l'indemnisation du préjudice subi par M. Michel

X...

Il résulte des pièces produites aux débats par M. Michel

X...

, né en 39, que ce dernier est atteint de plaques pleurales calcifiées bilatérales, la date de la première constatation médicale de cette pathologie remontant au 19 juillet 2002. Son taux d'I. P. P. a été fixé à 5 %. M. Michel

X...

justifie par des attestations de ses proches et d'amis qu'il ne peut plus s'adonner à ses loisirs habituels, en raison des conséquences de sa maladie.

Au vu de ces éléments, les différents postes de son préjudice doivent être indemnisés comme suit :

* 5. 000 € au titre des souffrances physiques ;
* 16. 000 € au titre des souffrances morales ;
* 4. 000 € au titre du préjudice d'agrément.

En application de l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la CPAM de Dunkerque est tenue de faire l'avance de ces sommes à M. Michel

X...

.

Par application de l'article 1153-1 du Code civil, les intérêts au taux légal sur ces sommes courront à compter de la date du présent arrêt, aucun motif ne justifiant de retenir une date antérieure.

Sur l'opposabilité de la décision de prise en charge par la CPAM de Dunkerque de la maladie professionnelle de M. Michel

X...

Il résulte de l'article R. 441-11 du Code de la sécurité sociale que la caisse primaire d'assurance maladie, avant de se prononcer sur le caractère professionnel d'un accident ou d'une maladie, doit informer l'employeur de la fin de la procédure d'instruction, des éléments recueillis susceptibles de lui faire grief, de la possibilité de consulter le dossier et de la date à laquelle elle prévoit de prendre sa décision.

En l'espèce, par courrier daté du 5 décembre 2002, la CPAM de Dunkerque a informé la société " ARNO " que l'instruction du dossier était terminée et qu'elle pouvait, préalablement à la prise de décision, venir consulter les pièces du dossier pendant un délai de 10 jours à compter de la date d'établissement du courrier.

Ce courrier a été envoyé à " ARNO route des Docks BP 2074 53736 DUNKERQUE ", adresse qui correspond bien à celle de la SA ARNO DUNKERQUE, et qui figure par exemple dans le courrier que cette dernière avait envoyé à la CPAM de Dunkerque en cours d'instruction du dossier le 15 octobre 2002.

Ce courrier a été reçu par la SA ARNO DUNKERQUE le 6 décembre 2002 et la CPAM de Dunkerque a pris en charge la maladie déclarée par M. Michel

X...

au titre de la législation professionnelle par décision datée du 18 décembre 2002, si bien que la SA ARNO DUNKERQUE ne peut pas sérieusement soutenir que ce courrier ne lui était pas destiné.

Par ce courrier, la SA ARNO DUNKERQUE a été nécessairement avisée de la date à partir de laquelle la CPAM de Dunkerque envisageait de prendre sa décision, en l'occurrence à l'expiration du délai imparti pour la consultation des pièces du dossier, et mise en mesure de connaître les éléments susceptibles de lui faire grief en venant consulter ces pièces, étant précisé que la SA ARNO DUNKERQUE n'a pas exercé ce droit de consultation et a eu en l'espèce un délai suffisant pour le faire.

La décision de la CPAM de Dunkerque est donc opposable à la SA ARNO DUNKERQUE

Par application de l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, CAISSE pourra récupérer auprès de l'employeur le montant des sommes dont elle est tenue de faire l'avance à M. Michel

X...

en réparation de son préjudice du fait de la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.

Sur l'inscription des dépenses au compte spécial

Il n'est pas contesté que M. Michel

X...

a été exposé au risque auprès de plusieurs employeurs et que, dès lors, les dépenses résultant tant de la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, que du fait que celle-ci est due à la faute inexcusable commise par la SA ARNO DUNKERQUE doivent être inscrites au compte spécial prévu par l'article D. 242-6-3 du Code de la sécurité sociale et en application de l'article 2 4° de l'arrêté ministériel du 16 octobre 1995.

Cependant, même dans ce cas, la CPAM de Dunkerque, qui est tenue de faire l'avance des sommes allouées à M. Michel

X...

en réparation de son préjudice personnel du fait de la faute inexcusable commise par la SA ARNO DUNKERQUE, conserve contre cette dernière le recours prévu par l'article L. 452-3 alinéa 3 du Code de la sécurité sociale.

Enfin, il y a lieu de condamner la SA ARNO DUNKERQUE à payer à M. Michel

X...

qui a exposé des frais non compris dans les dépens, notamment des honoraires d'avocat, la somme de 1. 000 € par application de l'article 700 du Code de procédure civile

DÉCISION DE LA COUR :

• confirme le jugement frappé d'appel en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de M. Michel

X...

;

• l'infirme pour le surplus et, statuant à nouveau :

- dit que la maladie professionnelle dont M. Michel

X...

est atteint est due à une faute inexcusable de la SA ARNO DUNKERQUE ;
- fixe au taux légal maximum la majoration de la rente servie par la CPAM de Dunkerque et dit que cette majoration suivra le taux d'incapacité permanente partielle reconnu à M. Michel

X...

;
- déclare opposable à la SA ARNO DUNKERQUE la décision de la CPAM de Dunkerque de prise en charge de la maladie déclarée par M. Michel

X...

au titre de la législation professionnelle ;
- fixe le montant des indemnités dues à M. Michel

X...

en réparation de son préjudice extra-patrimonial aux sommes suivantes :
* 5. 000 € (cinq mille euros) au titre des souffrances physiques ;
* 16. 000 € (seize mille euros) au titre des souffrances morales ;
* 4. 000 € (quatre mille euros) au titre du préjudice d'agrément ;
* les intérêts au taux légal sur ces sommes à compter du présent arrêt ;
- dit que la CPAM de Dunkerque devra avancer ces sommes à M. Michel

X...

et qu'elle pourra exercer contre la SA ARNO DUNKERQUE le recours prévu par l'article L. 452-3 alinéa 3 du Code de la sécurité sociale ;
- dit que les sommes allouées à M. Michel

X...

doivent être inscrites au compte spécial prévu par l'article D. 242-6-3 du Code de la sécurité sociale.
- condamne la SA ARNO DUNKERQUE à payer à M. Michel

X...

la somme de 1. 000 € (mille euros) par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Numéro d'arrêt : 06/02511
Date de la décision : 27/06/2008

Références :

Décision attaquée : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-06-27;06.02511 ?
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