ARRET DU 27 Juin 2008
N° 277 / 08
RG 06 / 02008
Jonction avec dossier n° RG 06 / 2194
JUGEMENT
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE
EN DATE DU 4 Juillet 2006
NOTIFICATION
à parties
Copies avocats
le 27 / 06 / 08
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Sécurité Sociale
APPELANT :
M. Azibane X...
...
59760 GRANDE SYNTHE
Représenté par Me MOEHRING substituant Me Michel LEDOUX (avocat au barreau de PARIS)
INTIME :
SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE
1 à 5 rue Luig Cherubini
93200 ST DENIS
Représentée par Me MOUKANAS substituant Me Philippe PLICHON (avocat au barreau de PARIS)
CPAMTS DE DUNKERQUE
2 Rue de la Batellerie- BP 4523
59386 DUNKERQUE CEDEX 1
Représentée par Monsieur Y..., agent de la caisse, régulièrement mandaté
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
C. CHAILLET : PRESIDENT DE CHAMBRE
P. NOUBEL : CONSEILLER
R. DELOFFRE : CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : S. BLASSEL
DEBATS : à l'audience publique du 07 Mai 2008
ARRET : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Juin 2008, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par C. CHAILLET, Président, et par A. GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur Azibane X... a travaillé pour le compte de la société ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE, venant aux droits de la société SOLLAC ATLANTIQUE, venant elle même aux droits de la société USINOR sur le site de DUNKERQUE du 20 avril 1964 au 17 mars 1996 en qualité d'écriqueur.
Il a établi une déclaration de maladie professionnelle le 10 février 2004.
Cette déclaration était complétée d'un certificat médical du 30 janvier 2004 portant diagnostic d'« épaississements pleuraux ».
Le caractère professionnel de la maladie a été reconnu par courrier de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE DUNKERQUE du 28 juin 2004.
Par courrier en date du 19 juillet 2004, la caisse a notifié à Monsieur X... l'attribution d'un taux d'incapacité de 5 % avec octroi d'une indemnité en capital d'un montant de 1 680, 82 euros.
Monsieur Azibane X... a invoqué la faute inexcusable de son employeur le 4 novembre 2004.
La tentative de conciliation organisée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie a échoué et un procès-verbal de non-conciliation a été dressé le 23 novembre 2004.
Par requête reçue par le greffe de cette juridiction en date du 3 décembre 2004, Monsieur X... a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale afin de voir statuer sur l'existence d'une faute inexcusable commise par son employeur.
Par jugement du 4 juillet 2006, le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE a décidé ce qui suit :
Déclare l'action recevable.
Dit que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur X... Azibane est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur, la Société ARCELOR ATLANTIQUE et LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE.
Vu les articles L. 452-1 et suivants du Code de la Sécurité Sociale ;
Fixe au maximum la majoration du capital ou de la rente versée à Monsieur X... Azibane et dit qu'elle suivra automatiquement le taux d'IPP du demandeur en cas d'aggravation de son état de santé dans la limite des plafonds prévus par l'article L. 452-2 du Code de la Sécurité Sociale,
Dit que cette majoration portera intérêt au taux légal à compter du 2 décembre 2004, date de saisine du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale,
Dit que la réparation des préjudices sera avancée par la CPAMTS de DUNKERQUE à la victime et sera imputée au compte spécial des accidents du travail et des maladies professionnelles ;
Fixe la réparation des préjudices de Monsieur X... Azibane de la manière suivante :
Préjudice moral : 3 000 euros avec intérêts légaux à compter de la date du présent jugement.
Déclare inopposable à la Société ARCELOR ATLANTIQUE et LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE la décision de prise en charge et, en conséquence, rejette l'action récursoire de la CPAMTS de DUNKERQUE, tant de la majoration que des indemnités allouées à Monsieur X... Azibane ;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement ;
Condamne la Société ARCELOR ATLANTIQUE et LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE à verser à Monsieur X... Azibane la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
Rejette pour le surplus des demandes.
Dit que le présent jugement sera notifié à chacune des parties dans les formes et délais prescrits par l'article R. 142-27 du Code de la Sécurité Sociale par le Secrétaire du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale désigné conformément à l'article R. 142-15 du même Code.
Ce jugement a été notifié en date du 5 août 2006 à Monsieur X... qui en a interjeté appel limité par courrier recommandé avec accusé de réception expédié au greffe de la Cour en date du 9 août 2006.
Il a été notifié en date du 7 août 2006 à la CPAM DE DUNKERQUE qui en a interjeté appel par lettre expédiée au greffe de la Cour en date du 7 septembre 2006.
Attendu qu'il convient pour une bonne administration de la justice d'ordonner la jonction des procédures inscrites au répertoire général de la Cour sous les numéros 06 / 2194 et 06 / 2008 ;
Monsieur X... demande à la Cour de :
Déclarer recevable et bien fondé son appel
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
« Dit que la maladie professionnelle dont est atteint Monsieur Azibane X... est la conséquence de la faute inexcusable de son employeur la société SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE ;
Fixé au maximum la majoration du capital ou de la rente accordée au titre de l'article L. 452-2 du même Code et dit que la rente suivra le taux de l'évolution de l'IPP »
Réformer le jugement entrepris sur le dispositif contesté ;
FIxer en conséquence la réparation des préjudices comme suit :
- préjudice causé par les souffrances physiques : 13. 000 euros
- préjudice causé par les souffrances morales : 18. 000 euros
- préjudice d'agrément : 13. 000 euros
Soit un total de : 44. 000 euros
Dire et juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du Code Civil l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de la date de la demande de faute inexcusable présentée à l'organisme de Sécurité Sociale, soit à compter du 22 mars 2004, et à défaut à compter du présent arrêt ;
Condamner, en cause d'appel, la société SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la société SOLLAC ATLANTIQUE à verser à Monsieur Azibane X... la somme de 3. 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
Il fait en substance valoir que :
- les dangers liés à la poussière d'amiante sont connus depuis le début du 20e siècle et cette dangerosité a été reconnue par un certain nombre de textes à partir de 1945.
- l'employeur ne pouvait donc pas ne pas avoir conscience du danger que représentait pour ses salariés l'inhalation de poussière d'amiante.
- or, il résulte de l'enquête menée par la CPAM que dans ses conditions de travail il manipulait quotidiennement de l'amiante sous de multiples formes, le seul fait de l'avoir laissé inhaler de grandes quantités de fibres d'amiante du fait des produits utilisés par l'entreprise sans lui fournir des moyens de protection collective ou individuelle adaptés alors que ces derniers existaient caractérise une faute d'une gravité exceptionnelle commise avec la conscience du danger ou à tout le moins la violation de l'obligation de sécurité de résultat mise à la charge de l'employeur.
- son préjudice physique, tel que mis en évidence par les documents médicaux et les attestations, doit être évalué à la somme de 13 000 euros.
- les perspectives d'aggravation de sa maladie lui occasionnent un préjudice moral qui doit être évalué à la somme de 18 000 euros.
- son préjudice d'agrément, qui correspond à l'atteinte à la qualité de la vie, est mis en évidence par les attestations produites aux débats et justifie une indemnisation d'un montant de 13 000 euros.
La CPAM demande à la Cour de :
Confirmer la décision du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE en ce qui concerne la reconnaissance de la faute inexcusable à l'encontre de Monsieur X....
Infirmer le jugement déclarant l'inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur X....
Dire que l'employeur condamné sera tenu de garantir les conséquences financières de sa faute inexcusable et que la décision lui sera opposable.
Prendre acte qu'une somme de 3 000 euros a déjà été versée par elle.
Elle fait en substance valoir que :
- elle a prévenu l'employeur de toutes les étapes de la procédure et de tous les éléments susceptibles de lui faire grief ainsi que de la date à partir de laquelle la décision sur la prise en charge serait susceptible d'intervenir.
- Les scanners et examens densitométriques, dont il est évident qu'ils ont été fournis au médecin conseil, sont entourés par le secret médical.
- Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Cassation que l'envoi par la CPAM d'un questionnaire à l'employeur peut constituer une modalité d'enquête.
- En l'espèce, un déplacement dans l'usine aurait d'ailleurs été inutile puisqu'il n'y a plus d'amiante dans les locaux.
La SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE demande à la Cour de :
Dire et juger la CPAM et Monsieur X... irrecevables et mal fondés en leur appel.
Les en débouter.
Infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle avait commis une faute inexcusable.
Subsidiairement, confirmer le jugement entrepris sur le quantum.
Subsidiairement encore, ordonner une mesure d'expertise afin de permettre à la Cour d'évaluer les préjudices personnels prévus à l'article L. 452-3 du CSS.
Dire et juger que la CAISSE PRIMAIRE n'a pas respecté les dispositions d'ordre public du Code de la Sécurité Sociale.
Dire et juger que faute pour la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE DUNKERQUE de produire aux débats les pièces médicales soumises à l'examen de son médecin conseil, l'employeur n'a pas été en mesure de discuter utilement les preuves de la maladie déclarée et de son origine professionnelle, d'une part, et d'autre part, de la créance alléguée par la CAISSE PRIMAIRE.
Dire et juger que la réticence de la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE DUNKERQUE constitue une infraction aux dispositions de l'article 6 de la CEDH.
En conséquence, dire et juger que lui est inopposable la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Monsieur X....
Subsidiairement, enjoindre à la CPAM de produire aux débats sous astreinte définitive de 500 euros, par jour de retard, à compter de l'arrêt à intervenir, les examens radiologiques et tomodensitométriques soumis au médecin conseil de la CPAM et, plus généralement, toute pièce médicale ayant permis à celui- ci d'émettre un avis sur l'origine professionnelle de la maladie.
Plus subsidiairement, commettre tel médecin expert choisi sur la liste nationale des experts, avec mission de se faire remettre le dossier hospitalier de Monsieur X..., et de déterminer la maladie dont celui- ci est atteint et ses causes médicales possibles ; du tout dresser un rapport qui sera déposé au Greffe de la Cour pour être statué ce que de droit.
Elle fait en substance valoir que :
En ce qui concerne la faute inexcusable qui lui est reprochée.
- il résulte de l'arrêt du 14 juin 2007 de la Cour de justice des Communautés Européennes qu'il n'existe aucune obligation de sécurité de résultat à la charge des employeurs.
- Il appartient donc aux salariés de prouver la faute de ces derniers.
- Avant 1977 il n'existait aucune réglementation spécifique à l'amiante.
- Aucun procès-verbal n'a été dressé contre elle au titre des normes prévues depuis 1977.
- Aucune faute n'est donc prouvée à son encontre.
- Compte tenu de sa qualité de simple utilisatrice d'amiante, il n'est aucunement démontré qu'elle ait eu connaissance du risque auquel Monsieur X... était exposé.
En ce qui concerne l'action récursoire de la CPAM.
- l'enquête administrative à laquelle la CPAM est tenue de procéder n'a pas été effectuée, seul un questionnaire ayant été adressé à l'employeur.
- Il est indispensable de pouvoir vérifier que le médecin conseil a effectué les examens prescrits par le tableau n° 30
- Le refus de la CPAM de communiquer ces pièces médicales ne permet pas cette vérification et est en outre contraire à l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'homme.
MOTIFS DE L'ARRET.
SUR LA DEMANDE EN CONSTATATION DE LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR.
Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui- ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.
Attendu que Monsieur Azibane X... a travaillé au sein de la société ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE (ex-SOLLAC ATLANTIQUE, ex-USINOR) dans son établissement de DUNKERQUE du 12 mai 1969 au 30 avril 1998 en qualité d'ouvrier d'aciérie.
Qu'il a notamment occupé les emplois suivants (certificat de travail du 21 janvier 2004) :
Du 20 avril 1964 au 31 mars 1970 : écriqueur (laminoirs TCC) ;
Du 1er avril 1970 au 31 mai 1974 : écriqueur B (laminoirs TCC) ;
Du 1er juin 1974 au 31 mars 1991 : écriqueur comète (laminoirs TCC) ;
Du 1er avril 1991 au 18 mars 1996 : dispense d'activité CGPS 87.
Que le certificat de travail du 6 avril 2004 dispose qu'il a occupé les emplois suivants :
Du 1er juin 1974 au 28 février 1990 : écriqueur comète aux laminoir TCC
Du 1er mars 1990 au 17 mars 1996 : mécanicien eau TCC entretien.
Attendu que l'inspection du travail dans son courrier du 25 mars 2004 à la CPAM DE DUNKERQUE a indiqué que Monsieur X... avait été exposé au risque constitué par les poussières d'amiante :
« Compte tenu des risques inhérents au métier exercé et dans le secteur d'activité de la sidérurgie, je considère que Monsieur Azibane X... a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante au cours de cette période de sa vie professionnelle. »
Que des collègues de travail de Monsieur X... ont attesté des conditions de travail de ce dernier.
Que Monsieur Gabriel B...a ainsi attesté ce qui suit :
« J'ai travaillé de 1966 à 1989 en équipe avec Monsieur X... Azibane pour SOLLAC DK, il y avait de l'amiante sans sécurité.
Nous n'avions aucune information concernant la dangerosité de ce produit, les travaux étaient effectués sans aucune protection collective ni individuelle spécifique à l'amiante. »
Que Monsieur Fernando C... confirme :
« J'ai travaillé de janvier 1968 à avril 1983 à la société USINOR SOLLAC DUNKERQUE en compagnie de Monsieur X... Azibane.
Les travaux consistaient à l'écriquage et entretien des fours.
L'amiante y était très utilisé.
Nous n'avions aucune information concernant la dangerosité de ce produit (bleus de travail, tabliers de protection, masque, guêtres en amiante).
Les travaux étaient effectués sans aucune protection collective ni individuelle spécifique à l'amiante. »
Que Monsieur Jean D... écrit :
« J'ai travaillé avec Monsieur Azibane X... au train à bande sur les fours pendant 10 ans à SOLLAC.
De 1964 à 1974 nous étions en contact avec l'amiante journellement sans que quelqu'un nous prévienne des dangers et sans protection. »
Que plusieurs autres salariés ont attesté dans le même sens, ainsi Messieurs Djilali E..., Jacques F..., Jean- Paul G..., Said H..., Antonio I..., Edouard K... .
Qu'il ressort de ces différents témoignages que Monsieur X... a été exposé quotidiennement à l'amiante dans son activité professionnelle sur le site de DUNKERQUE entre 1964 et 1991.
Attendu qu'en France la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante a dès 1945 été inscrite dans le tableau n° 25 consacré aux maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières siliceuses et amiantifères (ordonnance du 2 août 1945 faisant référence au cardage, à la filature et au tissage de l'amiante).
Que par la suite, le décret du 31 août 1950 a instauré le tableau n° 30 des maladies professionnelles consacré à l'asbestose, lequel contenait une liste simplement indicative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie et ne fixait par ailleurs aucun seuil d'exposition en deçà duquel le risque n'existait pas.
Que le fait que le tableau n° 30 des affections respiratoires liées à l'amiante ait été créé dès 1945 et qu'il ait été complété à plusieurs reprises a eu pour conséquence que, quelle que fût la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé était dès cette époque tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de cette fibre.
Que ces dispositions réglementaires étaient à l'époque la concrétisation des observations internationales ainsi que des travaux de scientifiques français comme ceux des Professeurs DHERS et DESOILLE (1930) et la publication de tels documents dans les revues spécialisées traitant de la médecine du travail.
Que dès 1955 l'enquête de Richard DOLL sur les maladies professionnelles des travailleurs de l'amiante en Grande- Bretagne confirma l'existence d'un risque de cancer du poumon.
Qu'en 1964 fut organisé à CAEN un Congrès International sur l'asbestose, auquel assistaient les médecins du travail des principales entreprises françaises utilisant de l'amiante et la majorité des professeurs de médecine directement concernés par les problèmes de santé au travail.
Qu'au cours de ce congrès le Professeur WAGNER a exposé les résultats d'études menées en Afrique du Sud sur la relation entre l'exposition à l'amiante et le mésothéliome, travaux formalisés depuis 1960.
Que le premier cas de mésothéliome en France fut décrit lors de la séance de l'académie de Médecine du 9 février 1965 par le Professeur TURIAF.
Qu'en 1967, une note de l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), rappelant le retard pris par la France dans le domaine de l'exposition à l'amiante, dressait un état des lieux des mesures déjà prises dans d'autres pays.
Qu'en 1973, le Bureau International du Travail (BIT) soulignait, au sujet du risque du cancer broncho-pulmonaire, qu'il n'existait aucun seuil d'exposition minimal de protection.
Que toujours à propos de ce risque cancérigène, une note de l'INRS de 1976 établissait une revue bibliographique sur le pouvoir cancérigène des amiantes et des matériaux fibreux et débutant par l'observation suivante : « Depuis 15 ans environ, l'attention a été attirée sur l'amiante, déjà connue pour ses propriétés fibrosantes (asbestose), comme agent étiologique des cancers humains : carcinome bronchique, mésothéliome pleural, péritonéal et peut- être certains cancers du tractus gastro- intestinal. »
Que dans son rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France (1998), le Professeur GOT s'est exprimé de la façon suivante : « Dès le début du siècle et les premiers développements de l'usage industriel de l'amiante, le risque d'asbestose a été identifié en France par AURIBAULT en 1906. Il y a là, à mes yeux, une évidence. Les moyens de prévention qui sont relativement simples ont été constamment sous- développés depuis. Lutter contre l'empoussièrement a un coût, mais c'est techniquement réalisable avec des méthodes qui étaient disponibles il y a cinquante ans, au moment où de nombreuses victimes actuelles de l'amiante débutaient leur exposition à des niveaux d'empoussièrement dangereux souvent dès l'âge de 14 ans. Le risque de développer un cancer, en particulier pleural, est bien identifié depuis une quarantaine d'années (DOLL en 1933 pour le cancer broncho- pulmonaire, WAGNER en 1960 pour le mésothéliome). En France, les écrits de TURIAF (1963) n'ont pas été des textes de diffusion réduite. Les revues où il les publiait étaient les plus diffusées de la presse médicale. »
Que par conséquent l'employeur ne pouvait donc pas ne pas avoir conscience du danger que représentait l'inhalation de poussière d'amiante par ses salariés qui, comme Monsieur Azibane X..., étaient quotidiennement exposés à ce matériau, cette connaissance des risques devant s'apprécier objectivement par rapport à ce que doit connaître un employeur dans son secteur d'activité.
Attendu que pendant la période d'emploi de Monsieur Azibane X... étaient applicables un certain nombre de textes légaux et réglementaires qui avaient pour objet de prévenir les dangers consécutifs à l'inhalation de poussières en général parmi lesquelles figuraient naturellement les poussières d'amiante :
- la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels (article 2).
- le décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 puis le 15 novembre 1973 par décrets d'administration publique pris pour l'exécution des dispositions du Livre II du Code du travail en ce qui concerne les mesures générales de protection et de salubrité applicables à tous les établissements assujettis (article 6).
- le décret du 13 décembre 1948 qui prescrivait, en cas d'impossibilité de mise en place des équipements de protection collectifs, le port de masques et de dispositifs individuels appropriés.
Que le décret du 17 août 1977 est venu compléter le dispositif existant en fixant des seuils de concentration moyenne en fibres d'amiante (à l'origine 2 fibres par cm cube) dans les établissements où le personnel était exposé à l'action des poussières d'amiante et en prévoyant un dispositif de contrôle de l'atmosphère et de protection des salariés (protections collectives ou individuelles).
Que les dispositions de ce décret étaient applicables aux établissements soumis aux dispositions de l'article L. 231-1 du Code du travail, c'est- à- dire aux établissements industriels, commerciaux et agricoles et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, « pour les parties des locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et d'élimination de l'amiante et de tout produit ou objet susceptible d'être à l'origine de l'émission de fibres d'amiante » (article 1er).
Que cette réglementation était donc applicable à la société SOLLAC ATLANTIQUE.
Attendu qu'il résulte des attestations produites aux débats par Monsieur X... que l'employeur n'a mis en oeuvre aucune des mesures de protection prévues par les textes qui viennent d'être énumérés.
Que cette carence a un lien direct avec la maladie professionnelle contractée par Monsieur X....
Qu'en conséquence de tout ce qui précède, il s'ensuit que la société SOLLAC ATLANTIQUE, aux droits de laquelle vient la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE, n'a pas respecté l'obligation de sécurité de résultat dont elle était tenue à l'égard de Monsieur X..., et qu'elle a donc commis au détriment de ce dernier un manquement caractérisant sa faute inexcusable.
Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ses dispositions décidant que la maladie professionnelle affectant Monsieur X... est la conséquence de la faute inexcusable de la SAS SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE.
SUR LA DEMANDE EN MAJORATION DE LA RENTE OU DU CAPITAL REVENANT A MONSIEUR X....
Attendu qu'aux termes des deux premiers alinéa de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime, qui s'est vu accorder une indemnité en capital, reçoit une majoration ne pouvant excéder le montant de ladite indemnité, et celle ayant obtenu le bénéfice d'une rente reçoit une rente majorée ne pouvant excéder soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité, soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale.
Qu'il résulte du texte précité que la majoration de la rente et du capital alloué à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle consécutif à une faute inexcusable de l'employeur est calculée en fonction de la réduction de la capacité dont celle- ci reste atteinte et que dès lors la majoration doit suivre l'évolution du taux d'incapacité de la victime.
Qu'il résulte également de la combinaison du texte précité et des articles L. 434-2 et L. 453-1 du code de la sécurité sociale que seule la faute inexcusable du salarié est de nature à limiter la majoration de la rente à laquelle il est en droit de prétendre en raison de la faute inexcusable de son employeur ;
Attendu qu'en l'espèce le salarié n'a commis aucune faute.
Qu'il convient donc de confirmer les dispositions du jugement fixant au maximum la majoration du capital ou de la rente accordée au titre de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale et disant qu'elle suivra automatiquement le taux d'IPP du demandeur en cas d'aggravation de son état de santé dans les limites des plafonds prévus par l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale.
SUR LES INDEMNITES REVENANT A MONSIEUR X....
Attendu qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la victime d'une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l'employeur a le droit de demander à celui- ci, indépendamment de la majoration de rente qu'elle perçoit en vertu de l'alinéa précédent, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.
Attendu que Monsieur X... est atteint de la maladie professionnelle prévue au tableau n° 30 et consistant dans des épaississements pleuraux.
Que la CPAM lui a reconnu de ce chef une incapacité de 5 %.
Que compte tenu de la nature des lésions, du taux d'incapacité reconnu à la victime, des documents médicaux et des attestations qu'elle verse aux débats, la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour, réformant partiellement le jugement et statuant à nouveau du chef des demandes ayant donné lieu aux dispositions infirmées, fixer ainsi qu'il suit le montant des réparations à allouer à Monsieur X... :
- 5 000 euros au titre du pretium doloris.
- 16 000 euros au titre du préjudice moral.
- 5 000 euros au titre du préjudice d'agrément.
Que les sommes revenant à Monsieur X... porteront intérêts au taux légal à la date du présent arrêt, la fixation à une date antérieure n'étant pas justifiée.
SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE DUNKERQUE.
Attendu qu'aux termes de l'article R. 441-11 paragraphe 2 du Code de la sécurité sociale :
En cas de réserves de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la CPAM hors le cas de l'enquête prévue à l'article L. 442-1, envoie avant décision à l'employeur et à la victime un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés.
Qu'il résulte de ce texte et de l'article D. 461-9 du Code précité que la CPAM n'est pas tenue de procéder à une enquête administrative mais que l'envoi à l'employeur d'un questionnaire peut constituer une modalité de l'enquête.
Qu'il résulte également des textes précités et de l'article R. 442-5 alors applicable que l'avis du médecin conseil de la caisse est indépendant de la procédure d'enquête administrative et qu'il peut être émis avant la clôture de cette dernière.
Attendu qu'en l'espèce la CPAM a adressé un questionnaire à l'employeur et ne peut donc se voir reprocher de ne pas avoir diligenté d'enquête administrative.
Que de surcroît, une enquête a bien été diligentée par la caisse puisque cette dernière a auditionné tant Monsieur X... que deux de ses collègues de travail et que l'enquête en question a été transmise à l'employeur par courrier du 10 juin 2004.
Qu'il convient d'ailleurs de relever que la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE, tout en soutenant le contraire, reconnaît elle- même qu'une enquête administrative a bien été diligentée par la CPAM puisqu'elle écrit en page 5 de ses conclusions soutenues à l'audience que Monsieur X... a été « entendu dans le cadre de l'enquête administrative » et en page 8 de ses conclusions que « la seule pièce médicale portée à sa connaissance est un avis intermédiaire du médecin conseil qui intervient le 29 mars 2004, c'est- à- dire à une date où l'enquête administrative est en cours ».
Qu'il s'ensuit que le moyen tiré de l'absence d'enquête administrative et développé par la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE au soutien de sa demande d'inopposabilité de la décision de la CPAM manque à la fois en droit et en fait.
Attendu enfin qu'aux termes de l'article R. 441-13 du Code de la sécurité sociale :
« Le dossier constitué par la CPAM doit comprendre :
1o la déclaration d'accident et l'attestation de salaire.
2o les divers certificats médicaux.
3o les constats faits par la CPAM.
4o les informations parvenues à la CPAM de chacune des parties.
5o les éléments communiqués par la CPAM régionale.
6o éventuellement le rapport de l'expert technique.
Il peut à leur demande être communiqué à l'assuré, à ses ayants droit et à l'employeur et à leurs mandataires.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire. »
Qu'il résulte de ce texte que la teneur de l'examen densitométrique mentionné au tableau n° 30 B des maladies professionnelles et celle des clichés radiologiques, qui constituent un élément du diagnostic, n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse.
Que le moyen en sens contraire soutenu par la société SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE ne peut donc également qu'être rejeté.
Attendu enfin que la décision du médecin conseil a clairement indiqué la nature et l'origine de la maladie de Monsieur X... puisqu'il y est indiqué que cette dernière relève du tableau n° 30 B des maladies professionnelles et que le médecin a émis un avis favorable à sa prise en charge par la CPAM.
Que contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, cet avis médical a fourni une information suffisante à l'employeur.
Qu'en conséquence de tout ce qui précède, il convient de dire que le moyen retenu par le Tribunal et ceux développés par la société SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE ne sont pas de nature à justifier l'inopposabilité à son encontre de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur X....
Qu'il convient en conséquence de réformer le jugement déféré en ses dispositions déclarant inopposable à la Société ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE la décision de prise en charge de la maladie de Monsieur X... et rejetant l'action récursoire de la CPAMTS de DUNKERQUE, tant au titre de la majoration que des indemnités allouées à Monsieur Azibane X..., et statuant à nouveau du chef des demandes ayant donné lieu aux dispositions infirmées, de dire que la décision en question est opposable à la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE et que les majorations des indemnités et les dommages et intérêts revenant à la victime en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale seront récupérées auprès de l'employeur par la CPAM DE DUNKERQUE.
SUR LES DEMANDES SUBSIDIAIRES DE LA SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE EN PRODUCTION SOUS ASTREINTE DES PIECES MEDICALES SOUMISES AU MEDECIN DE LA CPAM ET EN DESIGNATION D'EXPERT.
Attendu qu'il vient d'être jugé qu'était opposable à la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE la décision de prise en charge par la CPAM de la maladie professionnelle de Monsieur X....
Qu'il ne reste donc plus aucune demande à juger.
Qu'il s'ensuit que les demandes en production de pièces et en mesure d'instruction présentées respectivement à titre subsidiaire et encore plus subsidiaire par la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE sont dépourvues de tout objet.
Qu'il convient donc de débouter cette dernière de ces demandes.
SUR LES DEPENS ET LES FRAIS IRREPETIBLES
Attendu qu'en ce qui concerne la charge des frais irrépétibles, il convient de confirmer les dispositions du jugement déféré et, y ajoutant, de condamner la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE à une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS.
La Cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,
Ordonne la jonction des procédures inscrites au répertoire général de la Cour sous les numéros 06 / 2008 et 06 / 2194,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf à :
réformer le jugement déféré en ses dispositions déclarant inopposable à la société ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE la décision de prise en charge de la maladie de Monsieur X... et rejetant l'action récursoire de la CPAMTS de DUNKERQUE, tant au titre de la majoration que des indemnités allouées à Monsieur Azibane X..., et statuant à nouveau du chef des demandes ayant donné lieu aux dispositions qui viennent d'être infirmées, dire que la décision en question est opposable à la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE et que les majorations des indemnités et les dommages et intérêts revenant à la victime en application des articles L. 452-2 et L. 452-3 du Code de la sécurité sociale seront récupérées auprès de l'employeur par la CPAM DE DUNKERQUE.
Porter les sommes lui revenant au titre de son préjudice moral à 16 000 euros (seize mille euros).
Réformer le jugement en ses dispositions déboutant Monsieur X... de sa demande au titre de l'indemnisation de ses souffrances physiques et, statuant à nouveau de ce chef, lui accorder à ce titre la somme de 5 000 euros (cinq mille euros).
Réformer le jugement en ses dispositions déboutant Monsieur X... de sa demande au titre de l'indemnisation de son préjudice d'agrément et, statuant à nouveau de ce chef, lui accorder à ce titre la somme de 5 000 euros (cinq mille euros).
Réformer le jugement en ce qui concerne le point de départ des intérêts au taux légal et dire que les sommes revenant à Monsieur X... au titre de l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale produisent des intérêts au taux légal à compter de la date du présent arrêt.
Et, ajoutant au jugement,
Condamne la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE à régler à Monsieur X... la somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles d'appel.