ARRET DU 27 Juin 2008
N° 1046 / 08
RG 06 / 01880
JUGEMENT
Conseil de Prud'hommes de LILLE EN DATE DU 06 Juillet 2006
NOTIFICATION
à parties
le 27 / 06 / 08
Copies avocats
le 27 / 06 / 08
COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
- Prud'Hommes-
APPELANTE :
Association AGEMLAM (ASSOCIATION GENERATIONS MUSICALES DE LAMBERSART)
Mairie de Lambersart
19 Avenue Clemenceau
59130 LAMBERSART
Représentant : Me Bérengère LECAILLE (avocat au barreau de LILLE)
INTIMEE :
Mme Christiane Y...
...
Présente et assistée de Me Martine HADDAD BIJAOUI (avocat au barreau de PARIS)
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE
B. MERICQ : PRESIDENT DE CHAMBRE
A. COCHAUD- DOUTREUWE : CONSEILLER
R. DELOFFRE : CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : S. ROGALSKI
DEBATS : à l'audience publique du 29 Avril 2008
ARRET : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Juin 2008, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par B. MERICQ, Président, et par A. GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA COUR,
FAITS ET PROCÉDURE /
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
1. L'école municipale de musique de Lambersart, relevant de la commune de Lambersart (59), a employé, entre autres membres de son personnel, des agents contractuels vacataires pour assurer l'enseignement de la musique.
L'exploitation de cet établissement d'enseignement a été transférée en 1987 à l'organisme privé Association de Gestion des Oeuvres Sanitaires et Sociales Lambersartoises (Agosslam) puis, à partir du 1er janvier 1995, à l'organisme privé Association Gestionnaire de l'Enseignement Musical Lambersartois (Agemlam).
Christiane Y..., engagée comme professeur de musique (enseignement du piano) à temps partiel par la commune de Lambersart à compter du 6 novembre 1986, a vu son contrat de travail transféré successivement à l'Agosslam (en 1987) puis à l'Agemlam, en application de l'article L. 122-12 du code du travail ; un contrat de travail à effet du 1er janvier 1995 a été souscrit entre l'Agemlam et Christiane Y..., complété chaque année, pour la période 1er octobre de l'année N / 30 septembre de l'année N + 1, d'un avenant consacré au calcul de la rémunération.
2. Saisi par Christiane Y..., qui estimait n'avoir pas été remplie de ses droits en matière de rémunération, le conseil de prud'hommes de Lille a pour l'essentiel, selon jugement rendu le 6 juillet 2006 (n° 05. 1076) auquel il est entièrement fait référence pour l'exposé des données de base du procès et des prétentions et moyens respectifs des parties :
- (dans ses motifs) écarté l'application à la cause du contrat de travail intermittent, dit que l'Agemlam devait appliquer la convention collective Snaecso avec octroi des minima sociaux et des avantages prévus par cette convention outre les avantages de la fonction publique territoriale et décidé que l'Agemlam aurait dû assurer à la salariée vingt heures de travail par semaine,
- condamné l'Agemlam à payer à la salariée un rappel de salaires pour la période 16 avril 1999 / 30 novembre 2005, outre indemnité en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
- ordonné sous astreinte à l'Agemlam de délivrer des fiches de paie rectifiées.
L'Agemlam a relevé appel de ce jugement.
3. Par ses conclusions écrites et observations orales développées à l'audience à fins d'infirmation, l'Agemlam reprend et précise devant la cour l'essentiel de ses moyens de défense de première instance, insistant en substance sur les points suivants :
- le conseil de prud'hommes a statué ultra petita en faisant un raisonnement qui excédait les arguments et explications de la salariée,
- le contrat et le mode de rémunération, celui- ci objet de plusieurs avenants acceptés, sont licites et réguliers, notamment en ce qu'ils appliquent (ou ont appliqué) le statut des assistants territoriaux (ATSEA) et qu'a été mis en oeuvre, d'accord avec la salariée, un lissage de la rémunération sur l'année selon un mécanisme qui est valide, le tout en respect des prescriptions de la convention collective applicable, soit la convention collective n° 3246 de l'animation socioculturelle,
- l'évolution du salaire a été normale, y compris à l'occasion de l'intégration de la prime d'ancienneté, et faite selon un calcul favorable à la salariée,
- le nombre d'heures de travail exécutées ne fait en lui- même pas litige (ce qui rend inopérante la motivation des premiers juges),
- les prescriptions du décret n° 91-859 du 2 septembre 1991 doivent être appliquées seulement pour la détermination du salaire et non pour la durée théorique du travail,
- ainsi la salariée a- t- elle en réalité été remplie de ses droits,
- à titre subsidiaire, un calcul plus exact d'un éventuel rappel de salaires est proposé.
4. De son côté, par ses conclusions écrites et observations orales développées à l'audience, Christiane Y...reprend ses moyens de première instance et, procédant à un nouveau calcul de ses droits (qu'elle actualise au 31 mars 2008), forme appel incident pour une plus exacte appréciation de sa situation.
Si elle admet que la motivation du jugement déféré ne peut être reprise, notamment en ce qu'il est constant qu'elle n'est pas employée à temps complet, elle soutient en substance que :
- le conseil de prud'hommes n'a pas statué ultra petita,
- sa prétendue acceptation des conditions de rémunération n'est pas caractérisée,
- le lissage de la rémunération sur l'année procède d'un système illicite car contraire à la loi de mensualisation du 19 janvier 1978 ainsi qu'à l'article L. 223-15 du code du travail,
- l'intégration de la prime d'ancienneté, celle- ci due à partir de septembre 1998, a été mal effectuée,
- des dommages- intérêts propres à réparer le préjudice subi du fait de la mauvaise application persistante par l'Agemlam du contrat de travail doivent lui être alloués.
DISCUSSION :
1. Plusieurs points doivent être tranchés en préalable :
- le conseil de prud'hommes de Lille n'a pas statué ultra petita dès lors que, même à admettre qu'il a adopté un raisonnement erroné, il a alloué à la salariée demanderesse, en rappel de salaires, une somme n'excédant pas sa demande,
- la salariée sollicite un rappel de salaires qui, même si les antécédents en sont expliqués dès l'année 1995, est calculé à partir du 15 avril 1999 : aucun élément de la demande n'est ainsi atteint par la prescription quinquennale,
- il est constant que la salariée a été employée à temps partiel ; les revendications qu'elle formule sont fondées non pas sur un hypothétique temps complet qu'elle aurait assuré ou que l'Agemlam aurait dû lui permettre d'assurer mais sur un temps partiel dont il convient de définir l'ampleur en rapport avec le temps complet éventuellement applicable.
2. Le contrat de travail à effet du 10 janvier 1995 souscrit entre l'Agemlam et la salariée ne relève pas du régime du contrat de travail à durée indéterminée intermittent tel que prévu par les articles L. 212-4-12 et suivants (devenus après recodification L. 3123-31 et suivants) du code du travail dans leur rédaction issue de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 en ce que ce régime n'existait pas au moment de sa souscription.
Il ne relève pas plus du régime du contrat de travail intermittent tel que prévu à la convention collective de l'animation pour les filières scolaires et périscolaires dès lors que ce régime n'a été créé que par un avenant du 19 mai 2000 étendu par arrêté du 1er mars 2001 ; la circonstance que l'Agemlam a, dans son avenant de calcul de rémunération établi à partir de l'année 2001 / 2002, intégré une " indemnité d'intermittence " (dont d'ailleurs le mode de calcul n'est pas indiqué) est sans portée particulière.
3. Le contrat de travail à effet du 1er janvier 1995 aurait pu être examiné comme relevant du régime du temps partiel annualisé tel qu'institué par les articles L. 212-4-2 et suivants du code du travail dans leur rédaction issue de la loi no 93-1313 du 20 décembre 1993 (dispositif abrogé par la loi du 19 janvier 2000), mais il se constate en premier lieu que ce régime n'est pas explicitement invoqué par l'Agemlam dans le cadre du présent procès, en sorte que les conditions de son application éventuelle n'ont pu être discutées contradictoirement.
Surtout, la signature effective du contrat de travail a été précédée de négociations au cours desquelles l'Agemlam a, notamment, adressé à chaque salarié concerné une lettre datée du 29 octobre 1995 qui indique, entre autres dispositions :
" Vos représentants ont été reçus et des assurances écrites leur ont été données en ce qui concerne (...) l'application de l'article L. 223-15 du Code du travail et ce dès fin juin 1995. "
Cette référence explicite à l'article L. 223-15 (devenu après recodification L. 3141-29) du code du travail implique que les périodes non travaillées (du moins en ce qu'elles dépassent la durée légale des congés payés) doivent recevoir une indemnisation conforme à ce texte, ce qui est incompatible avec le temps partiel annualisé qui aboutit, entre autres conséquences, à ce que la rémunération de la période d'inactivité soit assurée par le fractionnement du salaire : ainsi le régime du temps partiel annualisé doit- il être considéré, même si le contrat de travail fait référence à une " annualisation du temps de travail ", comme ayant été exclu par les parties du champ contractuel.
4. Le raisonnement proposé par la salariée demanderesse quant à la rémunération qui aurait dû lui être servie est fondé en premier lieu sur l'article L. 223-15 (devenu L. 3141-29) du code du travail.
Il a été dit supra que l'Agemlam s'était engagée à respecter cette disposition par son courrier du 23 octobre 1995.
Or il se constate que le système de rémunération pratiqué par l'Agemlam repose pour l'essentiel sur la répartition sur 12 mois, et pas seulement sur la période d'activité, du salaire qu'elle a déterminé en fonction des seules semaines d'activité (en tout 35 semaines, l'établissement étant fermé systématiquement en période de vacances scolaires) : il en résulte que le paiement de la salariée pendant la période d'inactivité a été exclusivement assuré par le fractionnement du salaire correspondant à la seule période d'activité et non par le versement, en sus de ce salaire, de l'indemnité spécifique prévue à l'article L. 223-15 du code du travail.
Ainsi la méthode pratiquée par l'Agemlam est- elle contraire aux dispositions légales.
5. Par ailleurs, la salariée soutient que sa rémunération aurait dû être calculée en tenant compte des critères (grille, déroulement de carrière) énoncés au statut des assistants territoriaux spécialisés d'enseignement artistique (ATSEA) tel que créé par le décret n° 91-859 du 2 septembre 1991.
Ce raisonnement doit être suivi en ce que :
- le courrier déjà cité de l'Agemlam en date du 23 octobre 1995 indique entre autres dispositions : " nous avons tenu compte de vos observations sur l'actualisation des salaires suivant l'évolution de la fonction publique et votre carrière sera celle du cadre d'emploi des assistants territoriaux spécialisés d'enseignement artistique ",
- l'article 3 du contrat de travail consacré à la rémunération indique que celle- ci est " calculée sur la grille des assistants territoriaux spécialisés d'enseignement artistique ",
- l'article 4 du contrat de travail, consacré aux conditions particulières, indique que " chaque année, en septembre, les salaires seront actualisés suivant l'évolution de la fonction publique, et la carrière sera celle du cadre d'emploi des assistants territoriaux spécialisés d'enseignement artistique ".
6. Il se déduit de l'application en la cause du statut ATSEA que le temps partiel effectué par la salariée demanderesse doit, pour ce qui est du calcul de la rémunération à servir, être comparé au temps complet d'un ATSEA.
Or ce temps complet est de 20 heures par semaine (article 2 du décret du 2 septembre 1991).
Le temps complet de 20, 50 heures invoqué par l'Agemlam n'est pas pertinent... et moins encore celui de 24 heures, ici invoqué par référence au statut d'un professeur dans la convention collective de l'animation alors, d'une part, que le statut prééminent à prendre en considération en la cause est celui d'ATSEA, d'autre part, que le statut de professeur à temps complet de 24 heures n'a été institué à la convention collective de l'animation qu'en 1998, soit postérieurement au contrat de travail.
7. Le raisonnement de la salariée quant au déroulement de carrière d'un ATSEA qui aurait dû lui être appliqué est encore pertinent.
Le déroulement qu'elle a reconstitué doit être pleinement accepté en ce qu'il respecte les textes et qu'il se fonde, notamment, sur le fait que l'Agemlam n'a jamais organisé de système régulier d'évaluation.
8. Enfin, une prime d'ancienneté aurait dû être servie à compter de 1998, ce qui est un fait constant en ce que, sur les avenants de rémunération établis à compter de l'année 1999 / 2000, l'Agemlam a indiqué qu'elle intégrait une prime d'ancienneté.
Or la salariée démontre que cette intégration d'une prime d'ancienneté a été faite de manière irrégulière car passant par une diminution du salaire horaire pour parvenir, après calcul de la prime, à un salaire de base globalement inchangé.
Cette pratique de l'Agemlam ne peut être considérée comme justifiée.
9. À ce stade du raisonnement, il se constate que tous les moyens et arguments proposés par la salariée pour voir recalculer, à partir du 15 avril 1999, la rémunération qui aurait dû lui être servie et, après comparaison avec la rémunération effectivement perçue, déterminer le rappel de salaires à recevoir sont pertinents.
Les calculs qu'elle opère, spécialement en utilisant les grilles applicables en matière d'ATSEA, doivent être acceptés.
Pour sa part, l'Agemlam, en ce qu'elle réfute le statut ATSEA (au profit du statut de professeur tel qu'issu de la convention collective de l'animation) ou qu'elle invoque un temps complet de 20, 50 heures, voire de 24 heures, ou qu'elle défend l'annualisation du salaire telle qu'elle l'a pratiquée, tous moyens que la cour rejette, ne convainc pas de la pertinence de ses calculs de rémunération.
Il y a lieu en conséquence de faire droit à la réclamation, y compris actualisation telle qu'opérée au 31 mars 2008.
Il n'est expressément pas réclamé de congés payés y afférents.
Les intérêts au taux légal courent à compter de la réception par l'employeur de la convocation en conciliation (22 avril 2004) pour les créances nées antérieurement à cette date et à compter de la date normale d'exigibilité pour les créances nées postérieurement.
10. L'Agemlam s'est trouvée confrontée, pour la détermination de la rémunération à servir à chacun des professeurs qu'elle employait, à des difficultés de tous ordres (par exemple : coexistence de professeurs bénéficiant chaque année de classes renouvelées, pour le piano ou le solfège, et de professeurs assurant au contraire des classes à effectifs variables d'une année sur l'autre- cas d'un professeur ayant refusé le contrat de travail à durée indéterminée car il entendait continuer à bénéficier d'un statut d'intermittent du spectacle- problème de l'égalité de droits à assurer entre des professeurs revendiquant un statut d'ATSEA et de professeurs ne relevant que de la convention collective de l'animation) qui excluent sa mauvaise foi.
Même le fait qu'elle a persisté dans ses calculs dits erronés par le présent arrêt ne peut être considéré comme fautif en ce que de nombreux courriers sont produits aux débats qui révèlent les tentatives de négociation pour trouver des solutions acceptables par tous.
Les dommages- intérêts réclamés sur le fondement de l'article 1147 du code civil ne sont pas dus.
11. Les éléments de la cause justifient l'octroi à la salariée demanderesse d'une somme de 2. 000, 00 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, pour l'ensemble du procès.
PAR CES MOTIFS :
Statuant par dispositions nouvelles tant confirmatives que réformatives et supplétives :
- condamne l'association Agemlam à payer à Christiane Y...la somme de 48. 311, 13 € bruts (quarante-huit mille trois cent onze euros et treize cents) à titre de rappel de salaires sur la période 15 avril 1999 / 30 mars 2008 ;
- précise que les intérêts au taux légal courent à compter du 22 avril 2004 pour les créances nées antérieurement à cette date et à compter de la date normale d'exigibilité pour les créances nées postérieurement ;
- ordonne à l'association Agemlam de délivrer à Christiane Y...des fiches de paie rectifiées, conformes au présent arrêt, n'y ayant lieu en l'état à prononcé d'une astreinte ;
- condamne l'association Agemlam à payer à Christiane Y...la somme de 2. 000, 00 € (deux mille euros) en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, pour la totalité de l'instance ;
- rejette toutes autres prétentions plus amples ou contraires ;
- condamne l'association Agemlam aux entiers dépens de la première instance et de l'instance d'appel.