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27/06/2008 | FRANCE | N°06/00633

France | France, Cour d'appel de Douai, 27 juin 2008, 06/00633


ARRET DU 27 Juin 2008

N° 278 / 08ss

RG 06 / 00633

JUGEMENT
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE
EN DATE DU 28 Février 2006

NOTIFICATION

à parties

Copies avocats

le 27 / 06 / 08

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale

- Sécurité Sociale

APPELANTE :

SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la Société SOLLAC ATLANTIQUE
1 à 5, rue Luigi Cherubini
93200 ST DENIS
Représentant : Me Philippe PLICHON (avocat au barreau de PARIS) substitué par Me MO

UKANAS

INTIMES :

Mme Josette Z... veuve A..., ayant droit de Monsieur Alfred A...


...

59153 GRAND FORT PHILIPPE

M. Fabien A..., ayant...

ARRET DU 27 Juin 2008

N° 278 / 08ss

RG 06 / 00633

JUGEMENT
Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE
EN DATE DU 28 Février 2006

NOTIFICATION

à parties

Copies avocats

le 27 / 06 / 08

COUR D'APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale

- Sécurité Sociale

APPELANTE :

SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la Société SOLLAC ATLANTIQUE
1 à 5, rue Luigi Cherubini
93200 ST DENIS
Représentant : Me Philippe PLICHON (avocat au barreau de PARIS) substitué par Me MOUKANAS

INTIMES :

Mme Josette Z... veuve A..., ayant droit de Monsieur Alfred A...

...

59153 GRAND FORT PHILIPPE

M. Fabien A..., ayant droit de Monsieur Alfred A..., agissant tant en son nom personnel que celui de son fils mineur Romain A...

...

59820 GRAVELINES

Mme Nathalie A... épouse C..., ayant droit de Monsieur Alfred A..., agissant tant en son nom personnel de celui de sa fille mineure Lucie C...

...

59240 DUNKERQUE

Mme Jocelyne A... épouse D..., ayant droit de Monsieur Alfred A..., agissant tant en son nom personnel que celui de ses filles mineures Suzie, Joséphine et Justine D...

...

59279 LOON PLAGE

Mme Cathy A..., ayant droit de Monsieur Alfred A..., agissant tant en son nom personnel que celui de ses filles mineures Manon et Marine B...

...

59380 WARHEM

M. Sylvain A..., ayant droit de Monsieur Alfred A...

...

59153 GRAND FORT PHILIPPE

Mlle Marie A..., ayant droit de Monsieur Alfred A...

...

59820 GRAVELINES

Mlle Emilie C..., ayant droit de Monsieur Alfred A...

...

...

59140 DUNKERQUE

Mlle Julie A...- B..., ayant droit de Monsieur Alfred A...

...

59279 LOON PLAGE

Tous représentés par la la SCP MICHEL LEDOUX ET ASSOCIES (avocats au barreau de PARIS) substitué par Me MOEHRING

CPAMTS DE DUNKERQUE
2 Rue de la Batellerie
BP 4523
59386 DUNKERQUE CEDEX 1
Représentée par M. Benoît X..., régulièrement mandaté

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS ET DU DELIBERE

C. CHAILLET : PRESIDENT DE CHAMBRE

P. NOUBEL : CONSEILLER

R. DELOFFRE : CONSEILLER

GREFFIER lors des débats : S. BLASSEL

DEBATS : à l'audience publique du 07 Mai 2008

ARRET : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Juin 2008, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile, signé par C. CHAILLET, Président, et par A. GATNER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur Alfred A... a travaillé pour le compte de la société SOLLAC ATLANTIQUE (ci- après SOLLAC) sur le site de DUNKERQUE du 2 novembre 1964 au 21 octobre 1992 en qualité de monteur, préparateur de travaux et contremaître.

Il a établi une déclaration de maladie professionnelle le 21 janvier 2003.

Cette déclaration était complétée d'un certificat médical initial du 7 janvier 2002 portant diagnostic de « plaques pleurales calcifiées bilatérales et diffuses ».

Le caractère professionnel de la maladie a été reconnu par la CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE DUNKERQUE le 9 septembre 2003.

Un taux d'IPP de 5 % a été attribué à Monsieur A... par cette dernière.

Monsieur Alfred A... a invoqué la faute inexcusable de son employeur le 24 février 2004.

La tentative de conciliation organisée par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie a échoué, un procès- verbal de non- conciliation étant dressé le 8 juillet 2004.

Par requête reçue par le greffe de cette juridiction en date du 16 juillet 2004, Monsieur A... a saisi le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE afin de voir statuer sur l'existence d'une faute inexcusable commise par son employeur.

Monsieur Alfred A... est décédé le 4 mai 2005.

Par jugement du 28 février 2006, Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE a décidé ce qui suit :

- Déclare opposable à la SA SOLLAC ATLANTIQUE, aux droits de laquelle vient la Société ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE, la décision de la CPAMTS de DUNKERQUE de reconnaître le caractère professionnel de la maladie déclarée par Monsieur Alfred A... le 21 janvier 2003.
- Déclare recevable la demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur introduite par Monsieur Alfred A... et poursuivie par ses ayants droit.
- Dit que la maladie professionnelle dont Monsieur Alfred A... a été atteint est la conséquence d'une faute inexcusable de son employeur, la SA SOLLAC ATLANTIQUE, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la Société ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE.
- Fixe au maximum la majoration de la rente et dit que les arrérages seront versés aux Consorts A....
- Fixe comme suit l'indemnisation du préjudice personnel de Monsieur Alfred A... :

- Pretium doloris : 5 000 €

- Préjudice moral : 10 000 €

- Préjudice d'agrément : 5 000 €

- Dit que la CPAMTS de DUNKERQUE fera l'avance de ces sommes pour le compte de l'employeur.
- Dit que la Société ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE sera tenue de garantir la CPAMTS de DUNKERQUE des sommes versées aux Consorts A... au titre du présent jugement.
- Condamne la Société ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE à payer aux Consorts A... la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
- Rejette toutes autres demandes.
Dit que le présent jugement sera notifié à chacune des parties dans les formes et délais prescrits par l'article R. 142-27 du Code de la Sécurité Sociale par le Secrétaire du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale désigné conformément à l'article R. 142-15 du même Code.

Ce jugement a été notifié en date du 21 mars 2006 à la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE qui en a interjeté appel par courrier expédié le même jour au greffe de la Cour d'Appel.

Il a été notifié en date des 17 mars et 20 mars 2006 aux consorts A... qui en ont interjeté appel incident par lettre recommandée avec accusé de réception expédiée au greffe de la Cour en date du 28 juin 2006.

La SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE demande à la Cour de :

Dire et juger les consorts A... irrecevables et mal fondés en leur appel. Les en débouter.

Dire et juger la Société ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE recevable et bien fondée en son appel.

Infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la Société ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE avait commis une faute inexcusable.

Subsidiairement, ordonner une mesure d'expertise afin de permettre à la Cour d'évaluer les préjudices personnels prévus à l'article L. 452-3 du CSS.

Dire et juger que la Caisse Primaire n'a pas respecté les dispositions d'ordre public du Code de la Sécurité Sociale.

Dire et juger que, faute pour la caisse primaire de produire aux débats les pièces médicales soumises à l'examen de son médecin conseil, l'employeur n'a pas été en mesure de discuter utilement les preuves de la maladie déclarée et de son origine professionnelle, d'une part, et d'autre part, de la créance alléguée par la Caisse primaire.

Dire et juger que la réticence de la Caisse Primaire constitue une infraction aux dispositions de l'article 6 de la CEDH.
En conséquence, dire et juger inopposable à la Société ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Monsieur A....

Subsidiairement, enjoindre à la CPAM de produire aux débats sous astreinte définitive de 500 € par jour de retard, à compter de l'arrêt à intervenir, les examens radiologiques et tomodensitométriques soumis au médecin conseil de la Caisse et, plus généralement, toute pièce médicale ayant permis à celui- ci d'émettre un avis sur l'origine professionnelle de la maladie.

Plus subsidiairement, commettre tel médecin expert choisi sur la liste nationale des experts, avec mission de se faire remettre le dossier hospitalier de Monsieur A..., et de déterminer la maladie dont celui- ci est atteint et ses causes médicales possibles ; du tout, dresser un rapport qui sera déposé au Greffe de la Cour pour être statué ce que de droit.

Elle fait en substance valoir que :

En ce qui concerne la faute inexcusable qui lui est reprochée.

- Il résulte de l'arrêt du 14 juin 2007 de la Cour de justice des Communautés Européennes qu'il n'existe aucune obligation de sécurité de résultat à la charge des employeurs.
- Il appartient donc aux salariés de prouver la faute de ces derniers.
- Avant 1977, il n'existait aucune réglementation spécifique à l'amiante.
- Aucun procès-verbal n'a été dressé contre elle au titre des normes prévues depuis 1977.
- Aucune faute n'est donc prouvée à son encontre.
- Compte tenu de sa qualité de simple utilisatrice d'amiante, il n'est aucunement démontré qu'elle ait eu connaissance du risque auquel Monsieur A... était exposé.

En ce qui concerne l'action récursoire de la CPAM.

- l'enquête administrative à laquelle la CPAM est tenue de procéder n'a pas été effectuée, seul un questionnaire ayant été adressé à l'employeur.
- Il est indispensable de pouvoir vérifier que le médecin conseil a effectué les examens prescrits par le tableau n° 30.
- Le refus de la CPAM de communiquer ces pièces médicales ne permet pas cette vérification et est en outre contraire à l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'homme.
- La CPAM n'a pas respecté le délai de 15 jours qu'elle lui a imposé pour prendre connaissance des pièces du dossier.

Les consorts A... demandent à la Cour de :

- Déclarer recevable et bien fondé le recours des ayants droit de Monsieur Alfred A... ;
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
« Dit que la maladie professionnelle dont Monsieur Alfred A... a été atteint est la conséquence d'une faute inexcusable de son employeur, la SA SOLLAC ATLANTIQUE, aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la Société ARCELOR ATLANTIQUE ET LORRAINE ;
Fixé au maximum la majoration de la rente et dit que les arrérages seront versés aux Consorts A.... »
- Réformer le jugement entrepris sur le dispositif contesté ;
- Fixer la réparation des préjudices personnels de la victime au titre de l'action successorale comme suit :
Ÿ Préjudice causé par les souffrances physiques : 15. 000 euros
Ÿ Préjudice causé par les souffrances morales : 20. 000 euros
Ÿ Préjudice d'agrément : 15. 000 euros
Soit un total de : 50. 000 euros
- Dire et juger qu'en vertu de l'article 1153-1 du Code Civil, l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter de la date de la demande de faute inexcusable présentée à l'organisme de Sécurité Sociale, soit à compter du 24 février 2004 et, à défaut, à compter du présent arrêt ;
- Condamner, en cause d'appel, la société ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE, venant aux droits de la société SOLLAC ATLANTIQUE, à verser aux ayants droit de Monsieur Alfred A... la somme de 3. 500 € sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Ils font en substance valoir que :

- les dangers liés à la poussière d'amiante sont connus depuis le début du 20e siècle et cette dangerosité a été reconnue par un certain nombre de textes à partir de 1945.
- l'employeur ne pouvait donc pas ne pas avoir conscience du danger que représentait pour ses salariés l'inhalation de poussières d'amiante.
- or il résulte de l'enquête menée par la CPAM que, dans ses conditions de travail, il manipulait quotidiennement de l'amiante sous de multiples formes ; le seul fait de l'avoir laissé inhaler de grandes quantités de fibres d'amiante du fait des produits utilisés par l'entreprise sans lui fournir des moyens de protection collective ou individuelle adaptés alors que ces derniers existaient caractérise une faute d'une gravité exceptionnelle commise avec la conscience du danger ou à tout le moins la violation de l'obligation de sécurité de résultat mise à la charge de l'employeur.
- le préjudice physique de Monsieur A..., tel que mis en évidence par les documents médicaux et les attestations, doit être évalué à la somme de 15 000 €.
- les souffrances morales occasionnées par la certitude de son décès prochain lui ont occasionné un préjudice moral qui doit être évalué à la somme de 20 000 €.
- son préjudice d'agrément, qui correspond à l'atteinte à la qualité de la vie, est mis en évidence par les attestations produites aux débats et justifie une indemnisation d'un montant de 15 000 €.

La CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE DUNKERQUE demande à la Cour de :

- Confirmer la décision du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de LILLE.
- Déterminer selon la jurisprudence habituelle de la Cour les préjudices extrapatrimoniaux de Monsieur A....
- Dire que l'employeur condamné sera tenu de garantir les conséquences financières de sa faute inexcusable et que la décision lui sera opposable.
- Rejeter la demande tendant à dire que les sommes dues porteront intérêts à compter de la demande en faute inexcusable de l'employeur en vertu de l'article 1153-1 du code civil.
- Rejeter la demande visant à la condamnation de la caisse sous astreinte à 500 € par jour de retard des examens radiologiques et tomodensitométriques soumis au médecin conseil.
- Rejeter la demande d'expertise médicale formulée par l'employeur quant à la mise en oeuvre d'une expertise visant à déterminer la maladie dont l'assuré est atteint et ses causes médicales possibles.

Elle fait en substance valoir que :

- elle a prévenu l'employeur de toutes les étapes de la procédure, de tous les éléments susceptibles de lui faire grief et de la date à partir de laquelle la décision pourrait intervenir.
- Les scanners et examens densitométriques, dont il est évident qu'ils ont été fournis au médecin conseil, sont entourés par le secret médical.
- Il résulte de la jurisprudence de la Cour de Cassation que l'envoi par la CPAM d'un questionnaire à l'employeur peut constituer une modalité d'enquête.
- En l'espèce, un déplacement dans l'usine aurait d'ailleurs été inutile puisqu'il n'y a plus d'amiante dans les locaux.

MOTIFS DE L'ARRET

SUR LA DEMANDE EN CONSTATATION DE LA FAUTE INEXCUSABLE DE L'EMPLOYEUR

Attendu qu'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui- ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise et que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L. 452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

Attendu que Monsieur Alfred A... a travaillé au sein de la société SOLLAC ATLANTIQUE, établissement de DUNKERQUE du 2 novembre 1964 au 20 octobre 1992.

Que plusieurs collègues de travail de Monsieur A... ont attesté des conditions de travail de ce dernier.

Qu'ainsi Monsieur Bernard I... a indiqué :

« J'ai travaillé de 1971 à 1995 à la société USINOR DUNKERQUE en compagnie de Monsieur A... Alfred.
Les travaux consistaient à intervenir sur différentes machines et dans toute l'usine.
Nous faisions de la mécanique, chaudronnerie...
L'amiante y était très utilisé.
Nous n'avions aucune information concernant la dangerosité de ce produit, les travaux étaient effectués sans aucune protection collective ni individuelle spécifique à l'amiante.

Que Monsieur Max J... a attesté dans le même sens que :

« Je déclare avoir travaillé avec Monsieur A... Alfred aux équipes d'intervention à USINOR DUNKERQUE à l'époque du 5 octobre 1964 au 9 octobre 1990 en tant que mécanicien d'entretien et ensuite surveillant de travaux.
Notre travail consistait à faire des travaux d'entretien et de réparation dans tous les secteurs d'USINOR où l'on manipulait de l'amiante, et notamment aux fours PITS où l'on enlevait et remettait des boudins d'amiante autour des conduits de réchauffement des fours, les joints en plaque d'amiante sur toutes les tuyauteries.
Je puis vous affirmer que nous n'avons jamais été avertis de la nocivité de l'amiante et que nous n'avions ni masque ni aspirateur pour faire ces travaux.
Lors des visites médicales annuelles, le médecin ne nous a jamais fait part des dangers auquel on s'exposait. »

Que de même Monsieur Jules K... a déclaré :

« Je certifie avoir travaillé avec A... Alfred de 1965 à 1987 à USINOR DUNKERQUE dans des endroits fortement chargés par l'amiante, mais comme nous n'avions jamais été informés des dangers de l'amiante, nous avons toujours travaillé sans protection (nous ne connaissions même pas l'existence de ces protections).

Qu'ont attesté dans le même sens Messieurs Raymond L..., Paul M..., Charles N..., Roger O... .

Qu'il résulte de tout ce qui précède que Monsieur A... a été exposé aux poussières d'amiante pendant toute sa période d'activité au service de la société SOLLAC.

Attendu qu'en France la fibrose pulmonaire consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante a dès 1945 été inscrite dans le tableau n° 25 consacré aux maladies professionnelles consécutives à l'inhalation de poussières siliceuses et amiantifères (ordonnance du 2 août 1945 faisant référence au cardage, à la filature et au tissage de l'amiante).

Que par la suite, le décret du 31 août 1950 a instauré le tableau n° 30 des maladies professionnelles consacré à l'asbestose, lequel contenait une liste simplement indicative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie et ne fixait par ailleurs aucun seuil d'exposition en deçà duquel le risque n'existait pas.

Que le fait que le tableau n° 30 des affections respiratoires liées à l'amiante ait été crée dès 1945 et qu'il ait été complété à plusieurs reprises a eu pour conséquence que, quelle que fut la pathologie concernée et les incertitudes scientifiques de l'époque, tout entrepreneur avisé était dès cette époque tenu à une attitude de vigilance et de prudence dans l'usage, alors encore licite, de cette fibre.

Que ces dispositions réglementaires étaient à l'époque la concrétisation des observations internationales ainsi que des travaux de scientifiques français comme ceux des Professeurs DHERS et DESOILLE (1930) et la publication de tels documents dans les revues spécialisées traitant de la médecine du travail.

Que dès 1955 l'enquête de Richard DOLL sur les maladies professionnelles des travailleurs de l'amiante en Grande- Bretagne confirma l'existence d'un risque de cancer du poumon.

Qu'en 1964 fut organisé à CAEN un Congrès International sur l'asbestose, auquel assistaient les médecins du travail des principales entreprises françaises utilisant de l'amiante et la majorité des professeurs de médecine directement concernés par les problèmes de santé au travail.

Qu'au cours de ce congrès, le Professeur WAGNER a exposé les résultats d'études menées en Afrique du Sud sur la relation entre l'exposition à l'amiante et le mésothéliome, travaux formalisés depuis 1960.

Que le premier cas de mésothéliome en France fut décrit lors de la séance de l'académie de Médecine du 9 février 1965 par le Professeur TURIAF.

Qu'en 1967, une note de l'Institut National de Recherche et de Sécurité (INRS), rappelant le retard pris par la France dans le domaine de l'exposition à l'amiante, dressait un état des lieux des mesures déjà prises dans d'autres pays.

Qu'en 1973, le Bureau International du Travail (BIT) soulignait, au sujet du risque du cancer broncho-pulmonaire, qu'il n'existait aucun seuil d'exposition minimal de protection.

Que toujours à propos de ce risque cancérigène, une note de l'INRS de 1976 établissait une revue bibliographique sur le pouvoir cancérigène des amiantes et des matériaux fibreux et débutant par l'observation suivante : « Depuis 15 ans environ, l'attention a été attirée sur l'amiante, déjà connu pour ses propriétés fibrosantes (asbestose), comme agent étiologique des cancers humains : carcinome bronchique, mésothéliome pleural, péritonéal et peut- être certains cancers du tractus gastro- intestinal. »

Que dans son rapport sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France (1998), le Professeur GOT s'est exprimé de la façon suivante : « Dès le début du siècle et les premiers développements de l'usage industriel de l'amiante, le risque d'asbestose a été identifié en France par AURIBAULT en 1906. Il y a là, à mes yeux, une évidence. Les moyens de prévention qui sont relativement simples ont été constamment sous- développés depuis. Lutter contre l'empoussièrement a un coût, mais c'est techniquement réalisable avec des méthodes qui étaient disponibles il y a cinquante ans, au moment où de nombreuses victimes actuelles de l'amiante débutaient leur exposition à des niveaux d'empoussièrement dangereux souvent dès l'âge de 14 ans. Le risque de développer un cancer, en particulier pleural, est bien identifié depuis une quarantaine d'années (DOLL en 1933 pour le cancer broncho- pulmonaire, WAGNER en 1960 pour le mésothéliome). En France, les écrits de TURIAF (1963) n'ont pas été des textes de diffusion réduite. Les revues où il les publiait étaient les plus diffusées de la presse médicale. »

Que par conséquent l'employeur ne pouvait donc pas ne pas avoir conscience du danger que représentait l'inhalation de poussière d'amiante par ses salariés qui, comme Monsieur Alfred A..., étaient quotidiennement exposés à ce matériau, cette connaissance des risques devant s'apprécier objectivement par rapport à ce que doit connaître un employeur dans son secteur d'activité.

Attendu que pendant la période d'emploi de Monsieur Alfred A... étaient applicables un certain nombre de textes légaux et réglementaires qui avaient pour objet de prévenir les dangers consécutifs à l'inhalation de poussières en général parmi lesquelles figuraient naturellement les poussières d'amiante :

- la loi du 12 juin 1893 concernant l'hygiène et la sécurité des travailleurs dans les établissements industriels (article 2).
- le décret du 10 juillet 1913 modifié le 13 décembre 1948, le 6 mars 1961 puis le 15 novembre 1973 par décrets d'administration publique pris pour l'exécution des dispositions du Livre II du Code du travail en ce qui concerne les mesures générales de protection et de salubrité applicables à tous les établissements assujettis (article 6).
- le décret du 13 décembre 1948 qui prescrivait, en cas d'impossibilité de mise en place des équipements de protection collectifs, le port de masques et de dispositifs individuels appropriés.

Que le décret du 17 août 1977 est venu compléter le dispositif existant en fixant des seuils de concentration moyenne en fibres d'amiante (à l'origine 2 fibres par cm cube) dans les établissements où le personnel était exposé à l'action des poussières d'amiante et en prévoyant un dispositif de contrôle de l'atmosphère et de protection des salariés (protections collectives ou individuelles).

Que les dispositions de ce décret étaient applicables aux établissements soumis aux dispositions de l'article L. 231-1 du Code du travail, c'est- à- dire aux établissements industriels, commerciaux et agricoles et leurs dépendances, de quelque nature que ce soit, publics ou privés, « pour les parties des locaux et chantiers où le personnel est exposé à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et à l'inhalation de poussières d'amiante à l'état libre dans l'atmosphère, notamment dans les travaux de transport, de manipulation, de traitement, de transformation, d'application et d'élimination de l'amiante et de tout produit ou objet susceptible d'être à l'origine de l'émission de fibres d'amiante » (article 1er).

Que cette réglementation était donc applicable à la société SOLLAC ATLANTIQUE.

Attendu qu'il résulte des attestations produites aux débats par Monsieur A... que l'employeur n'a mis en oeuvre aucune des mesures de protection prévues par les textes qui viennent d'être énumérés.

Que cette carence a un lien direct avec la maladie professionnelle contractée par Monsieur A....

Qu'en conséquence de tout ce qui précède, il s'ensuit que la société SOLLAC ATLANTIQUE, aux droits de laquelle vient la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE, n'a pas respecté l'obligation de sécurité de résultat dont elle était tenue à l'égard de Monsieur A... et qu'elle a donc commis au détriment de ce dernier un manquement caractérisant sa faute inexcusable.

Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ses dispositions décidant que la maladie professionnelle affectant Monsieur A... est la conséquence de la faute inexcusable de la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE venant aux droits de la SA SOLLAC ATLANTIQUE.

SUR LA DEMANDE EN MAJORATION DU CAPITAL REVENANT A MONSIEUR A....

Attendu qu'aux termes des deux premiers alinéa de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime qui s'est vu accorder une indemnité en capital reçoit une majoration ne pouvant excéder le montant de ladite indemnité et celle ayant obtenu le bénéfice d'une rente reçoit une rente majorée ne pouvant excéder soit la fraction du salaire annuel correspondant à la réduction de capacité soit le montant de ce salaire dans le cas d'incapacité totale.

Qu'il résulte également de la combinaison du texte précité et des articles L. 434-2 et L. 453-1 du code de la sécurité sociale que seule la faute inexcusable du salarié est de nature à limiter la majoration de la rente à laquelle il est en droit de prétendre en raison de la faute inexcusable de son employeur ;

Attendu qu'en l'espèce le salarié n'a commis aucune faute.

Qu'il convient donc de confirmer les dispositions du jugement fixant au maximum la majoration du capital accordée au titre de l'article L. 452-2 du Code de la sécurité sociale et ordonnant le versement des arrérages aux Consorts A....

SUR L'INDEMNISATION DU PREJUDICE DE MONSIEUR A... AU TITRE DE L'ARTICLE L. 452-3 DU CODE DE LA SECURITE SOCIALE.

Attendu qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale, la victime d'une maladie professionnelle due à la faute inexcusable de l'employeur a le droit de demander à celui- ci, indépendamment de la majoration de rente qu'elle perçoit en vertu de l'alinéa précédent, la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d'agrément ainsi que du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

Attendu que Monsieur A... était atteint de la maladie professionnelle prévue au tableau n° 30 et consistant dans des plaques pleurales calcifiées, bilatérales et diffuses.

Que la CPAM lui a reconnu de ce chef une incapacité de 5 %.

Que compte tenu de la nature des lésions, du taux d'incapacité reconnu à la victime, des documents médicaux et des attestations qu'elle verse aux débats, il apparaît justifié de confirmer le jugement en ses dispositions portant sur l'indemnisation des souffrances physiques de Monsieur A... et de son préjudice d'agrément et de porter à la somme de 16 000 € l'indemnisation devant lui revenir au titre de son préjudice moral.

Que les sommes revenant à Monsieur A... porteront intérêts au taux légal à la date du jugement déféré.

SUR L'ACTION RECURSOIRE DE LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE DUNKERQUE.

Attendu qu'aux termes de l'article R. 441-11 paragraphe 2 du Code de la sécurité sociale :

En cas de réserves de la part de l'employeur ou si elle l'estime nécessaire, la CPAM, hors le cas de l'enquête prévue à l'article L. 442-1, envoie avant décision à l'employeur et à la victime un questionnaire portant sur les circonstances ou la cause de l'accident ou de la maladie ou procède à une enquête auprès des intéressés.

Qu'il résulte de ce texte et de l'article D. 461-9 du Code précité que la CPAM n'est pas tenue de procéder à une enquête administrative mais que l'envoi à l'employeur d'un questionnaire peut constituer une modalité de l'enquête.

Qu'il résulte également des textes précités et de l'article R. 442-5 alors applicable que l'avis du médecin conseil de la caisse est indépendant de la procédure d'enquête administrative et qu'il peut être émis avant la clôture de cette dernière.

Attendu qu'en l'espèce la CPAM a adressé un questionnaire à l'employeur et ne peut donc se voir reprocher de ne pas avoir diligenté d'enquête administrative.

Que de surcroît, une enquête a bien été diligentée par la caisse puisque cette dernière a auditionné tant Monsieur A... que deux de ses collègues de travail.

Qu'il s'ensuit que le moyen tiré de l'absence d'enquête administrative et développé par la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE au soutien de sa demande d'inopposabilité de la décision de la CPAM manque à la fois en droit et en fait.

Attendu qu'aux termes de l'article R. 441-13 du Code de la sécurité sociale :

« Le dossier constitué par la CPAM primaire doit comprendre :

1° la déclaration d'accident et l'attestation de salaire.
2° les divers certificats médicaux.
3° les constats faits par la CPAM.
4° les informations parvenues à la CPAM de chacune des parties.
5° les éléments communiqués par la CPAM régionale.
6° éventuellement le rapport de l'expert technique.

Il peut à leur demande être communiqué à l'assuré, à ses ayants droit et à l'employeur et à leurs mandataires.
Ce dossier ne peut être communiqué à un tiers que sur demande de l'autorité judiciaire. »

Qu'il résulte de ce texte que la teneur de l'examen densitométrique mentionné au tableau n° 30 B des maladies professionnelles et celle des clichés radiologiques, qui constituent un élément du diagnostic, n'a pas à figurer dans les pièces du dossier constitué par les services administratifs de la caisse.

Que le moyen en sens contraire soutenu par la société SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE ne peut donc également qu'être rejeté.

Attendu enfin que la caisse a avisé l'employeur par courrier du 26 août 2003 reçu par lui le lendemain qu'il disposait d'un délai de 10 jours à compter de la date d'établissement du courrier (et non de 15 jours comme le soutient la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE) pour venir consulter les pièces du dossier.

Que ce délai expirait donc le 5 septembre.

Qu'en prenant sa décision le 9 septembre 2003, la caisse a donc respecté le délai qu'elle avait indiqué à l'employeur pour prendre communication des éléments du dossier.

Que le moyen soutenu en sens contraire par la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE, et dont elle ne tire d'ailleurs aucune conséquence juridique, manque donc en fait.

Qu'en conséquence de tout ce qui précède, il convient de dire que la société SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE ne fait valoir aucun moyen de nature à justifier l'inopposabilité à son encontre de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle de Monsieur A....

Qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ses dispositions déclarant opposable à l'employeur la décision de la CPAMTS de DUNKERQUE de reconnaître le caractère professionnel de la maladie professionnelle affectant Monsieur A... et décidant que la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE devra garantir la CPAM des sommes mises à la charge de cette dernière.

SUR LES DEMANDES SUBSIDIAIRES DE LA SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE EN PRODUCTION SOUS ASTREINTE DES PIECES MEDICALES SOUMISES AU MEDECIN DE LA CPAM ET EN DESIGNATION D'EXPERT.

Attendu qu'il vient d'être jugé qu'était opposable à la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE la décision de prise en charge par la CPAM de la maladie professionnelle de Monsieur A....

Qu'il s'ensuit que les demandes en production de pièces et en mesure d'instruction présentées respectivement à titre subsidiaire et encore plus subsidiaire par la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE sont dépourvues de tout objet.

Qu'il convient donc de débouter cette dernière de ces demandes.

SUR LES FRAIS IRREPETIBLES

Attendu qu'il apparaît justifié de confirmer le jugement en ses dispositions portant sur les frais irrépétibles et d'accorder aux consorts A... la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS.

La Cour, statuant par arrêt contradictoire rendu en audience publique par sa mise à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf à porter à la somme de 16 000 € (seize mille euros) l'indemnisation de Monsieur A... au titre de son préjudice moral.

Et y ajoutant,

Dit que les sommes accordées au titre de l'article L. 452-3 du Code de la sécurité sociale portent intérêts au taux légal à compter de la date du jugement déféré.

Condamne la SAS ARCELOR MITTAL ATLANTIQUE ET LORRAINE à régler aux Consorts A... la somme de 2 000 € (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles d'appel.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Numéro d'arrêt : 06/00633
Date de la décision : 27/06/2008
Sens de l'arrêt : Autre

Références :

Décision attaquée : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Lille


Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2008-06-27;06.00633 ?
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