COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 19 / 06 / 2008
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N° RG : 07 / 01478 et 07 / 4688 JONCTION Jugement du tribunal de grande instance de LILLE du 24 / 04 / 07 Arrêt de la Cour d'appel D'AMIENS du 17 / 10 / 2005 Arrêt de la Cour de Cassation du 06 / 02 / 07
APPELANTES
S. C. P. PANSARD ET GILMANT prise en la personne de ses représentants légaux Ayant son siège social 26 boulevard du Gal de Gaulle 59100 ROUBAIX
Représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour Assistée du Cabinet RAFFIN du barreau de PARIS
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES prise en la personne de ses représentants légaux Ayant son siège social 10 boulevard Alexandre Oyon 72030 LE MANS CEDEX 9
Représentée par la SCP LEVASSEUR-CASTILLE-LEVASSEUR, avoués à la Cour Assistée du Cabinet RAFFIN du barreau de PARIS
INTIMÉS
Monsieur Jean-Marc
X...
né le 13 Avril 1956 à HALLUIN (59250) Demeurant
...
...
59700 MARCQ EN BAROEUL
Représenté par la SCP COCHEME-KRAUT-LABADIE, avoués à la Cour Assisté de Me Philippe LEFEVRE, avocat au barreau de LILLE
Madame Martine
Z...
épouse
X...
Demeurant
...
...
59700 MARCQ EN BAROEUL
Représentée par la SCP COCHEME-KRAUT-LABADIE, avoués à la Cour Assistée de Me Philippe LEFEVRE, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Monsieur FOSSIER, Président de chambre Madame NEVE DE MEVERGNIES, Conseiller Monsieur CAGNARD, Conseiller--------------------- GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame NOLIN
DÉBATS à l'audience publique du 06 Mai 2008, Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 19 Juin 2008 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur FOSSIER, Président, et Madame NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 / 04 / 08
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Monsieur Jean-Marc
X...
a participé à la création de la SARL SUNCLEAR DIFFUSION en 1984, avec pour objet le négoce de matériaux en plastique à destination des professionnels. Cette société, constituée au départ avec des capitaux minima, a connu une croissance très rapide, qui a nécessité une consolidation de ses capitaux avec intervention de partenaires financiers extérieurs. C'est dans ces conditions que, par acte authentique en date du 27 février 1991, Monsieur Jean-Marc
X...
a fait apport à la SA COFIVER, société holding en cours d'immatriculation, notamment de 2 400 actions de la société SUNCLEAR DIFFUSION devenue une SA dans l'intervalle, en recevant en contrepartie 25 001 actions de la SA COFIVER. La plus-value résultant de l'opération d'échange devait être soumise à l'imposition sur le revenu au taux de 16 %. Compte-tenu du développement rapide de la société, l'assiette d'imposition était supérieure à 23 millions de francs. Néanmoins, aux termes des articles 92 et 160 I ter du Code Général des Impôts, il existe une possibilité de report de cette imposition, et même une faculté d'exonération totale si la transmission future des actions de la société holding répond à des conditions précises. Or, une loi DDOEF du 26 juillet 1991, complétée par un décret du mois de décembre de la même année, a réformé le dispositif de report (consistant jusqu'alors dans une demande d'agrément à adresser au Ministère des Finances) et l'a soumis à la triple formalité suivante :
- déclarer la plus-value dans la déclaration d'ensemble des revenus (document CERFA 2042),
- souscrire une déclaration spéciale (document CERFA 2045),
- demander par écrit le report d'imposition.
Le Notaire chargé de la rédaction de l'acte d'apport a établi une demande d'agrément au Ministère pour le report d'imposition. Mais Monsieur Jean-Marc
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n'a pas inclus l'opération dans sa déclaration de revenus, n'a pas établi la déclaration spéciale, n'a pas, enfin, sollicité par écrit le report d'imposition. Dans ces conditions, il a fait l'objet d'un redressement qui lui a été notifié le 4 juillet 1994 pour un montant de l'ordre de 2 millions de francs outre une pénalité de 40 % pour mauvaise foi, et des pénalités de retard. Par jugement du 17 décembre 1998, le Tribunal Administratif de LILLE a rapporté la décision infligeant la pénalité de 40 %.
Monsieur Jean-Marc
X...
avait confié à la SCP PANSARD ET GILMANT, cabinet d'expertise comptable de la société SUNCLEAR, le soin de régulariser la déclaration de revenus de son foyer fiscal notamment pour l'année 1991. Par jugement du 24 avril 1997, le Tribunal de Grande Instance de LILLE a, notamment, retenu le principe de la responsabilité de la SCP PANSARD ET GILMANT dans l'absence de réalisation des formalités requises pour le report d'imposition et sursis à statuer sur les autres demandes et notamment sur l'évaluation du préjudice, dans l'attente de l'issue du recours devant le Tribunal Administratif sur le redressement. Par arrêt du 22 janvier 2001, la Cour d'Appel de DOUAI a confirmé ce jugement sur la responsabilité et, évoquant sur le préjudice, le Tribunal Administratif ayant dans l'intervalle statué, condamné la SCP PANSARD ET GILMANT à payer aux époux Jean-Marc
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la somme de 40 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation des désagréments causés par la procédure administrative et par la dépréciation aux yeux des tiers résultant du privilège du Trésor public inscrit sur les actions de la SA COFIVER. Par un premier arrêt du 31 mars 2004, la Cour de Cassation a cassé cet arrêt sur l'estimation du préjudice, en faisant grief à la Cour d'Appel de DOUAI de ne pas avoir retenu une perte de chance, pour les époux Jean-Marc
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, d'obtenir une exonération de toute imposition sur la plus-value ou un nouveau report en 1999, et enfin que la décision du Tribunal Administratif, tout en faisant disparaître la pénalité de 40 %, avait néanmoins laissé subsister les intérêts de retard. Par arrêt du 17 octobre 2005, la Chambre solennelle de la Cour d'Appel d'AMIENS a infirmé en totalité le jugement du Tribunal de Grande Instance de LILLE en jugeant que la SCP PANSARD ET GILMANT n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité envers Monsieur et Madame
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, et en conséquence débouté ces derniers de l'ensemble de leurs demandes.
Par un second arrêt du 6 février 2007, la Cour de Cassation a cassé l'arrêt de la Cour d'Appel d'AMIENS en faisant grief à cette dernière de n'avoir pas retenu " que l'expert-comptable, qui accepte d'établir une déclaration fiscale pour le compte d'un client doit, compte tenu des informations qu'il détient sur la situation de celui-ci, s'assurer que cette déclaration est, en tout point, conforme aux exigences légales ". La Cour Suprême a renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'Appel de DOUAI.
Par déclaration au Greffe en date du 6 mars 2007, la SCP PANSARD ET GILMANT et son assureur la Société à forme mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES ont saisi la Cour d'Appel de DOUAI du recours contre le jugement du Tribunal de Grande Instance de LILLE sur renvoi de la Cour de Cassation. Par déclaration au Greffe en date du 20 juillet 2007, les époux Jean-Marc
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ont saisi la Cour d'Appel de DOUAI aux mêmes fins. Ces deux déclarations de saisine ont été enrôlées séparément. Dans leurs dernières conclusions déposées le 24 janvier 2008, la SCP PANSARD ET GILMANT et la Société à forme mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES demandent à la présente Cour de dire et juger que la SCP PANSARD ET GILMANT n'a commis aucune faute et, subsidiairement, que les époux Jean-Marc
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ne rapportent la preuve d'aucun préjudice. Elles concluent en conséquence au débouté de toutes demandes, et sollicitent enfin condamnation des époux Jean-Marc
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à leur payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
Elles font valoir, à l'appui de leur position et de leurs demandes :
- que la SCP PANSARD ET GILMANT n'a pas été le concepteur de l'opération d'apport, ni n'a été chargée d'une mission de conseil juridique ou fiscal à cet égard, laquelle avait été confiée à Maître
A...
, Notaire, ce que confirme le fait que c'est ce dernier qui a adressé la demande d'agrément à l'Administration fiscale,
- que, chargée de la rédaction de la déclaration de revenus des époux Jean-Marc
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, la SCP PANSARD ET GILMANT n'était pas informée par son client, au moment de l'établissement de cette déclaration générale en février 1992, de l'existence d'une plus-value, ni a fortiori d'une option fiscale de report d'imposition,- sur le préjudice, que celui-ci ne saurait être constitué de l'impôt lui-même, les époux Jean-Marc
X...
ne démontrant pas qu'ils se seraient trouvés dans les conditions d'une exonération totale d'imposition de la plus-value, c'est-à-dire une transmission totale des parts sociales à titre gratuit ; par ailleurs, ils ne démontrent pas même avoir subi un préjudice dans le fait d'avoir payé l'impôt de façon prématurée, dès lors que la fiscalité sur les plus-values ne cesse de se faire plus lourde d'année en année ; enfin, il ne serait rapporté la preuve d'aucun frais supporté au titre de la procédure fiscale et de la constitution de garantie, aucun justificatif n'étant produit sur ce point. Les époux Jean-Marc
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, dans leurs dernières conclusions déposées le 16 octobre 2007, demandent la confirmation du jugement déféré quant au principe de la responsabilité de la SCP PANSARD ET GILMANT et, sur le préjudice, condamnation solidaire de la SCP PANSARD ET GILMANT et de son assureur la Société à forme mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à leur payer les sommes de :
-320 513, 79 € à titre de dommages-intérêts correspondant à la perte d'une chance,
-15 000 € pour les frais liés à la procédure engagée devant le Tribunal Administratif et à la constitution de sûreté au profit de l'Etat,
-10 000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Ils se prévalent, à cette fin, notamment des éléments suivants :
- la SCP PANSARD ET GILMANT, chargée de l'établissement de leur déclaration de revenus, était par ailleurs parfaitement au courant de l'opération d'échange de titres à laquelle elle a même participé ainsi qu'ils en justifient par plusieurs pièces,
- dans ces conditions, elle est bien responsable de l'omission des formalités nécessaires pour le report d'imposition ainsi que l'a jugé la Cour de Cassation,
- sur le préjudice, ils font état d'une perte de chance de bénéficier d'une exonération totale de l'imposition, exposant que leur intention était notamment une transmission successorale d'un patrimoine professionnel au moindre coût fiscal, et estiment en conséquence leur préjudice à 95 % de l'imposition et de la majoration de la CSG soit 337 382, 94 €, c'est-à-dire 320 513, 79 €.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la procédure
Il y a lieu de joindre les deux instances nées des deux déclarations de saisine de la Cour, dès lors qu'elles sont fondées sur le même arrêt de la Cour de Cassation du 6 février 2007 et se rapportent toutes deux au même jugement déféré qui est celui du Tribunal de Grande Instance de LILLE du 24 avril 1997. Dès lors, il ne peut y avoir qu'un seul et même jugement en application de l'article 367 du Code de Procédure Civile.
Sur le fond
# sur la responsabilité de la SCP PANSARD ET GILMANT
La SCP PANSARD ET GILMANT reconnaît, dans ses conclusions, avoir été chargée notamment de l'établissement de la déclaration de revenus du foyer fiscal des époux Jean-Marc
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pour l'année 1991, déclaration opérée en février 1992. Au début de l'année 1991 était intervenue l'opération d'échanges de titres ayant généré la plus-value qui adonné lieu au redressement fiscal et qui est l'objet du litige. Pour pouvoir obtenir le bénéfice d'un report de l'imposition sur cette plus-value, voire le cas échéant d'une exonération de cette imposition si les conditions en étaient remplies, il aurait fallu :
- que cette plus-value fasse l'objet des revenus déclarés dans l'imprimé général utilisé à cette fin (CERFA 2042),
- qu'elle fasse l'objet en outre d'une déclaration spéciale sur un imprimé CERFA 2045,
- que les époux Jean-Marc
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sollicitent encore par écrit de l'Administration fiscale le report d'imposition.
Or, aucune de ces trois formalités n'a été réalisée dans le délai nécessaire.
Ainsi que l'a énoncé la Cour de Cassation dans son dernier arrêt rendu dans le cadre du présent litige, l'expert-comptable, qui accepte d'établir une déclaration fiscale pour le compte d'un client doit, compte-tenu des informations qu'il détient sur la situation de celui-ci, s'assurer que cette déclaration est, en tout point, conforme aux exigences légales. Dans le cas présent, la SCP PANSARD ET GILMANT fait valoir tout d'abord qu'elle n'était chargée d'aucune mission d'ordre fiscal ; cette affirmation est fausse dès lors que l'établissement d'une déclaration de revenus est bien une opération d'ordre fiscal puisque la déclaration en cause est précisément destinée à l'administration fiscale en vue de l'établissement de l'assiette de l'impôt sur le revenu de la personne concernée ; dans ce cadre, il appartenait à ce professionnel d'inclure dans la déclaration qu'il devait opérer, la totalité des revenus perçus par son client, de manière à mettre ce dernier en conformité avec les obligations déclaratives qui étaient les siennes en qualité de contribuable. Ensuite, la SCP PANSARD ET GILMANT fait état de la possible responsabilité d'autres intervenants que sont le Notaire ou d'autres conseillers des époux Jean-Marc
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; mais ce moyen est inopérant pour l'exonérer de la responsabilité qui peut être la sienne à l'égard de ses clients, quant à l'exécution par elle de la mission qui lui était contractuellement confiée.
Elle soutient encore qu'au moment de la déclaration fiscale établie par elle en février 1992, elle n'avait pas connaissance de l'existence d'une plus-value tirée de l'opération d'échange de titres. Or, il résulte des pièces du dossier que cette dernière opération, en elle-même, ne lui était pas étrangère. En effet, elle reconnaît tout d'abord être " intervenue dans l'opération d'apport de titres (...) pour mettre Monsieur
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en relation avec certains investisseurs et (...) définir comptablement le mode de calcul de la parité des actions ". En outre, les époux Jean-Marc
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versent au dossier d'une part un courrier d'un investisseur (leur pièce no 17) qui confirme que c'est la SCP PANSARD ET GILMANT qui les sa mis en relation, d'autre part, des projets de pactes d'actionnaires et de promesses d'achats d'actions rédigés par la SCP PANSARD ET GILMANT, accompagnés d'un courrier de cette dernière en date du 26 novembre 1990. Il en ressort que la SCP PANSARD ET GILMANT était non seulement au courant du projet de consolidation de la société SUNCLEAR par la recherche d'investisseurs extérieurs, mais a participé activement à sa réalisation, ce même si d'autres missions de conseil ont pu être confiées à d'autres personnes. En outre, étant par ailleurs l'expert-comptable de la SA SUNCLEAR, elle ne peut prétendre avoir ignoré que cette dernière avait fait l'objet d'une croissance rapide et que l'opération partait d'un faible capital pour parvenir, précisément, à une consolidation financière par l'intervention de partenaires financiers ; enfin, compte tenu de la nature des conventions pour lesquelles elle a élaboré des projets, elle ne pouvait davantage ignorer que Monsieur Jean-Marc
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entendait continuer à contrôler l'entreprise en prenant une participation majoritaire au capital de la holding ; compte-tenu de l'ensemble de ces éléments, il était manifeste, aux yeux du professionnel qu'était cet expert-comptable, que l'opération, quelles qu'en soient les modalités exactes, allait constituer une plus-value au profit de Monsieur Jean-Marc
X...
. Dans ces conditions, même si la SCP PANSARD ET GILMANT n'a pas été impliquée plus précisément dans la réalisation de l'opération ni n'en a, par conséquent, connu les détails définitifs, les époux Jean-Marc
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ne soutenant pas par ailleurs l'en avoir davantage informée, il appartenait néanmoins à ce professionnel, compte tenu des informations qu'il détenait, de demander à son client les informations nécessaires pour, à ce sujet, se faire confirmer l'existence de cette plus-value et son montant, de manière à pouvoir, en toute hypothèse, l'intégrer dans la déclaration fiscale générale ; par ailleurs, au vu des informations qu'il aurai dû ainsi recueillir, il lui revenait, dans l'exercice de son devoir d'information et de conseil auquel est tenu tout professionnel envers son client, d'examiner avec ce dernier, en lui fournissant les explications nécessaires, les possibilités légales en vigueur lui permettant soit de reporter l'imposition correspondante, soit de conserver toute chance d'en obtenir l'exonération si les conditions venaient à sen trouver réunies. En ne le faisant pas, ce qui n'est pas contesté puisqu'aucune déclaration n'a été établie, pas même celle du montant de la plus-value dans la déclaration générale des revenus, la SCP PANSARD ET GILMANT a engagé sa responsabilité envers son client. La SCP PANSARD ET GILMANT fait encore valoir qu'il n'y aurait aucun lien de causalité entre sa faute telle qu'elle est alléguée, et le préjudice des époux Jean-Marc
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tel qu'il est aussi allégué, dès lors que Monsieur Jean-Marc
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aurait pu, selon elle, obtenir de l'administration fiscale une régularisation de sa situation, " l'administration et les juridictions administratives ayant fait preuve de tolérance sur le non-respect des obligations déclaratives résultant de la loi de 1991 ". Elle laisse entendre, ainsi, que en ne relevant pas appel du jugement du Tribunal Administratif du 17 décembre 1998, Monsieur Jean-Marc
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aurait commis une " négligence fautive ". Or, en cela, l'expert-comptable se contente de simples affirmations puisqu'il n'étaie son propos d'aucune pièce justificatif de ce qu'il allègue. Par ailleurs, l'on voit mal comment la juridiction administrative d'appel pouvait, en l'absence des formalités prescrites, juger autrement que celle de première instance c'est-à-dire que l'imposition sur la plus-value était réellement due. Cet argument est donc totalement inopérant pour exonérer la SCP PANSARD ET GILMANT de sa responsabilité, en particulier quant au lien de causalité entre cette responsabilité et le préjudice.
Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a retenu le principe de la responsabilité de l'expert-comptable dans l'omission de ces diverses formalités.
# sur le préjudice
* sur la perte de chance
Les époux Jean-Marc
X...
font valoir qu'ils ont payé, à défaut de report de l'imposition, une somme totale de 337382, 94 € consistant dans l'imposition sur la plus-value outre la majoration de la CSG. Or, contrairement à ce qu'ils annoncent dans leurs conclusions, ces chiffres ne sont pas établis par les pièces qu'ils produisent, dès lors que le bordereau de situation fiscale en date du 8 novembre 2004 (leur pièce n° 27), s'il établit qu'ils se sont acquittés de la totalité de ce qu'ils devaient notamment pour l'impôt sur le revenu de 1991, fait état de sommes globales (comprenant vraisemblablement les sommes dues sur leurs revenus déclarés) qui sont sans rapport avec celles qu'ils annoncent (impôt dû pour cette année 1991 de 558 061, 73 €, majoration pour 55 806, 10 €, etc...). En revanche, ils produisent par ailleurs dans leur dossier la notification de redressement du 4 juillet 1994 (leur pièce 8) qui fait état, en page 10, d'un rappel de droits pour l'année 1991 de 2 309 127 F outre 138 323 F de rappel de CSG soit une somme totale de 2 447 450 F c'est-à-dire 373 111, 35 €. Cette somme peut donc être prise en compte, à défaut d'autre justificatif et en l'absence de contestation de la SCP PANSARD ET GILMANT sur ce point, comme la base de l'imposition outre majorations qu'ils ont été amenés à acquitter sur la plus-value réalisée sur l'opération.
Sur cette base, ils ne soutiennent pas que le report de l'imposition, à laquelle ils auraient eu droit si les formalités adéquates avaient été accomplies, leur aurait apporté un avantage financier quelconque de nature à réduire le montant de l'impôt qu'ils auraient eu à acquitter. Le seul préjudice qu'ils invoquent, à cet égard, est la perte d'une chance d'avoir pu bénéficier de l'exonération de cette imposition. Or, une telle exonération suppose, pour être acquise, que les titres acquis dans le cadre de l'échange et objets de la plus-value aient été, par la suite, cédés à titre gratuit. A cet égard, les époux Jean-Marc
X...
se contentent d'affirmer, mais sans en rapporter aucune preuve, que leur intention dans l'opération d'échange de titres était double, d'une part la consolidation financière de la société par l'intégration de partenaires financiers au capital, d'autre part la transmission de leur patrimoine à moindre coût fiscal. Or, la SCP PANSARD ET GILMANT fait justement remarquer, sans être démentie sur ce point, qu'au moment de l'opération projetée en 1991 les époux Jean-Marc
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étaient parents de jeunes enfants et que l'on se trouvait dans un stade de développement important de l'entreprise. Ces deux éléments conjugués révèlent suffisamment que les époux
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ne pouvaient, alors, avoir un réel projet de transmission familiale immédiat ou à court terme d'un patrimoine professionnel conséquent (la plus value représentant alors plusieurs dizaines de millions de francs) à leurs enfants qui n'étaient pas en âge de le gérer, et alors qu'eux-mêmes, à l'inverse, à l'âge d'une pleine maturité de leur productivité et de leur expérience professionnelle, voyaient le fruit de leur travail se développer dans des proportions dépassant probablement leurs espérances. La réalité de la situation d'alors est confirmée par la présentation de la genèse du projet d'échange de titres contenu dans les conclusions des époux Jean-Marc
X...
où, bien qu'ils citent un " objectif (...) de transmission successorale d'un patrimoine professionnel au moindre coût ", l'ensemble des aspects qu'ils mettent en avant concerne exclusivement la croissance rapide de la société et la nécessité d'une consolidation financière par intervention de partenaires, alors qu'à l'inverse, ils ne fournissent strictement aucun élément explicatif quant à un possible projet de transmission familiale de l'entreprise. Il en résulte que, dans ces conditions, la perspective d'une réelle transmission à titre gratuit des parts sociales ainsi acquises, si elle pouvait exister dans son principe dans l'esprit des époux Jean-Marc
X...
ce qui est légitime et que personne n'a qualité à leur contester, était cependant soumis à un important aléa tenant principalement au temps qui allait s'écouler avant toute réalisation concrète en ce sens, facteur qui ne pouvait que minorer dans des proportions importante la chance effective qu'un tel projet se concrétise, eu égard à tous les événements pouvant marquer, au fil du temps qui passe, le cours de l'existence tant de l'entreprise objet de cette transmission que des personnes concernées en particulier ses bénéficiaires. En conséquence, le préjudice tenant à la perte d'une chance, pour les époux Jean-Marc
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, de réaliser cette transmission à titre gratuit et, dès lors, à être exonérés de l'imposition sur la plus-value réalisée en 1991, ne saurait être estimé à plus de 35 % de l'imposition et de la CSG acquittées, soit 373 111, 35 € x 35 % = 130 588, 97 € arrondis à 130 500 €.
Ce préjudice est bien la conséquence directe de la faute commise par la SCP PANSARD ET GILMANT dans l'accomplissement de sa mission, dès lors qu'en ne remplissant pas correctement la déclaration de revenus, et en n'informant pas son client des formalités à accomplir pour solliciter un report d'imposition et pour se placer dans les conditions lui permettant de bénéficier, le cas échéant, d'une exonération de cette imposition, elle a privé ce dernier de la chance d'obtenir cette exonération telle qu'elle vient d'être estimée, privation de chance qui constitue précisément son préjudice.
* sur la demande au titre des frais
Les époux Jean-Marc
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soutiennent avoir dû exposer des frais devant le Tribunal Administratif et d'autres liés à la constitution d'une sûreté au profit de l'Etat. Ils demandent à ce titre la somme de 15 000 €, mais ils ne fournissent aucun justificatif de ces frais, puisqu'ils ne produisent aucune pièce pour en établir ni la réalité, ni le montant. Ils ne peuvent, en conséquence, qu'être déboutés de cette demande en application de l'article 1315 du Code Civil.
Il apparaît inéquitable de laisser à la charge des époux Jean-Marc
X...
tout ou partie des frais exposés dans le cadre de la présente et des autres instances qui l'ont précédée, et non compris dans les dépens ; il y a donc lieu de leur allouer la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile. La Société à forme mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, qui ne conteste pas assurer la SCP PANSARD ET GILMANT pour les conséquences de sa responsabilité civile professionnelle, sera condamnée in solidum avec son assurée au paiement des sommes allouées aux époux Jean-Marc
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, en application des dispositions de l'article L. 124-3 du code des assurances.
La SCP PANSARD ET GILMANT et la Société à forme mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, qui succombent principalement en leur appel, devront supporter les dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 696 du Nouveau Code de Procédure Civile. Pour les mêmes motifs, aucune considération d'équité ne conduit à faire application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile en leur faveur. Les dépens de la procédure devant la Cour de Cassation ont déjà été liquidés par cette dernière Juridiction.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au Greffe après en avoir délibéré conformément à la loi,
PRONONCE la jonction des instances enrôlées sous les numéros 07 / 1478 et 07 / 4688 et dit qu'elles porteront toutes deux désormais le seul numéro 07 / 1478.
CONFIRME le jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité contractuelle de la SCP PANSARD ET GILMANT à l'égard de Monsieur Jean-Marc
X...
et de Madame Martine
Z...
épouse
X...
.
L'INFIRME pour le surplus et, statuant à nouveau, et évoquant sur le préjudice :
CONDAMNE in solidum la SCP PANSARD ET GILMANT et la Société à forme mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES à payer à Monsieur Jean-Marc
X...
et de Madame Martine
Z...
épouse
X...
:
- la somme de 130 500 € à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice,
- celle de 6 000 € en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
REJETTE toutes les autres demandes.
CONDAMNE in solidum la SCP PANSARD ET GILMANT et la Société à forme mutuelle MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES aux dépens de première instance et d'appel, avec droit de recouvrement direct, au profit de la SCP COCHEMÉ-KRAUT-LABADIE, avoués associés, selon les dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile.