COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 22 / 05 / 2008
N° RG : 07 / 07716
Jugement (N° 2006 / 4564) rendu le 11 Octobre 2007 par le Tribunal de Commerce de LILLE
APPELANTE
S. A. S. GUILLAUME IMPRIMEUR prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social 74 rue d'Armentières 59560 COMINES
Représentée par la SCP THERY-LAURENT, avoués à la Cour Assistée de Me HALLOUET, avocat au barreau de BREST
INTIMÉES
S. A. S. U. DHAUSSY IMPRIMEURS prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social Z. I. de la Vignette-1 rue de l'Avenir-59126 LINSELLES
Représentée par la SCP CARLIER-REGNIER, avoués à la Cour Assistée de Maître HAUSMANN et de Maître LE NINIUM, Avocats
S. A. ENTREPRISE E. EPPE prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social Z. I. Savipol 10300 STE SAVINE
Représentée par la SCP CARLIER-REGNIER, avoués à la Cour Assistée de Maître LIETAERT substituant Maître ARNOUX, Avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Monsieur FOSSIER, Président de chambre Madame NEVE DE MEVERGNIES, Conseiller Monsieur CAGNARD, Conseiller--------------------- GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame NOLIN
DÉBATS à l'audience publique du 27 Mars 2008, après rapport oral de l'affaire par Monsieur CAGNARD Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 22 Mai 2008 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur FOSSIER, Président, et Madame NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Au cours du deuxième trimestre 2005, l'actionnaire de référence de la S. A. S. D'HAUSSY IMPRIMEURS (D'HAUSSY), la SA ENTREPRISE E. EPPE (EPPE), a souhaité céder le contrôle de celle-ci. La S. A. S. GUILLAUME était intéressée. Elle a visité ses installations après avoir signé un « engagement strict de confidentialité » lui interdisant d'exploiter les informations recueillies au cours de la discussion et de la visite et de contacter directement ou indirectement des membres de la société D'HAUSSY durant un an à compter de la signature. La société D'HAUSSY a finalement été reprise par une autre société le 1er avril 2006. Fin mars 2006 le chef d'atelier de finition et de personnalisation de la société D'HAUSSY donnait sa démission avec quatre autres salariés. Ils étaient embauchés par la société GUILLAUME. En juillet 2006 la société GUILLAUME mettait en service une nouvelle ligne de finition lui permettant de concurrencer la société D'HAUSSY en se situant sur le même créneau de clientèle.
Sur assignation de la société D'HAUSSY, le tribunal de commerce de Lille, par jugement du 11 octobre 2007, a dit que la société GUILLAUME avait commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société D'HAUSSY en transgressant l'accord de confidentialité du 21 novembre 2005 mais a sursis à statuer sur les autres demandes notamment en réparation de préjudices (coûts supplémentaires engagés au titre des heures supplémentaires et intérim, au titre de l'atteinte à l'image et à la réputation commerciale, au titre de la captation de clientèle et du trouble commercial) en ordonnant une expertise et en condamnant la société GUILLAUME à payer diverses sommes au titre de l'article 700 du NCPC.
La société GUILLAUME a interjeté appel de cette décision le 4 décembre 2007.
La société D'HAUSSY a été autorisée à voir plaider cette affaire à jour fixe.
La société GUILLAUME conclut le 21 mars 2008 à l'infirmation de cette décision et au rejet de toutes les prétentions des sociétés EPPE et D'HAUSSY en les condamnant reconventionnellement à lui payer chacune 50 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 50 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile. Elle conteste avoir reçu des informations confidentielles et soutient que la société D'HAUSSY n'en rapporte aucune preuve. Elle fait valoir que les anciens membres du personnel de la société D'HAUSSY ont été recrutés sur annonces par voie de presse, et parmi de nombreuses candidatures, sans violation de l'engagement de confidentialité sur la notion de « contact ». Elle estime que la société D'HAUSSY ne rapporte pas la preuve d'actes de concurrence déloyale (achat d'une ligne de finition SODEMAL similaire à celle utilisée par la société D'HAUSSY, débauchage de salariés, manoeuvres déloyales). Elle conteste l'existence et la réalité des préjudices invoqués, les conclusions et discussions du rapport DELOITTE consulté par la société D'HAUSSY.
La société EPPE conclut le 19 mars 2008 à la confirmation du jugement, en s'alignant sur les éléments développés par la société D'HAUSSY.
La société D'HAUSSY conclut le 4 février 2008 à la confirmation du jugement en faisant valoir que la société GUILLAUME s'est rendue responsable d'actes de concurrence déloyale envers elle, a transgressé ses obligations résultant de l'engagement de confidentialité, a commis des actes de parasitisme et de désorganisation (exploitation abusive d'informations confidentielles, abus lors des pourparlers, commande de la ligne de finition identique alors qu'il n'en existe qu'une seule autre en France dans la région lyonnaise, débauchage d'employés qualifiés alors qu'il n'existe aucune école de formation pour ce type de métier, avec recrutement ciblé et débauchage d'une équipe complète dont un cadre essentiel). Elle demande la réparation de ses préjudices : – 107 310 € au titre des heures supplémentaires effectuées par les salariés et des frais d'intérim – 50 000 € au titre des frais générés par l'embauche et la formation de nouveaux salariés – 1 707 000 € au titre du trouble commercial – 489 000 € au titre de la captation de clientèle – 50 000 € au titre des affaires manquées – 300 000 € au titre de l'atteinte à l'image à la réputation commerciale – 47 000 € au titre des frais exposés pour sa défense. Elle demande également d'interdire à la société GUILLAUME de contacter et d'embaucher, directement ou indirectement, l'un quelconque de ses salariés pendant une durée d'un an à compter du prononcé de l'arrêt sous astreinte de 20 000 € par jour et par infraction constatée, et d'autoriser la publication du dispositif de la décision à intervenir dans au moins deux quotidiens locaux et deux nationaux durant un mois, de condamner la société GUILLAUME en cause d'appel à payer la somme de 100 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute
Le 21 novembre 2005, avant la visite du site industriel de la société D'HAUSSY à Linselles, du 22 novembre 2005, les représentants de la société GUILLAUME ont signé un engagement de confidentialité aux termes duquel ils ne pouvaient utiliser les informations confidentielles qu'aux fins de la stricte évaluation de l'opportunité de réalisation de l'acquisition de la société D'HAUSSY, divulguer aucune information confidentielle à une quelconque personne autre que celles liées à la société et dont la divulgation est absolument essentielle à l'évaluation de l'opportunité de cette acquisition ; ils devaient s'assurer d'un engagement de confidentialité de ces personnes et ne faire aucune copie ou reproduction des informations confidentielles autres que celles qui s'avéreraient nécessaires à l'évaluation du projet d'acquisition ; ils s'engageaient en outre à ne contacter directement ou indirectement aucun des membres du personnel de la société D'HAUSSY. Les informations confidentielles y sont définies comme étant toutes informations sociales, commerciales, financières ou techniques de même que tous documents ou données qui concernent, directement ou indirectement, les affaires, les opérations et transactions de toutes natures de la société D'HAUSSY auxquelles toutes personnes liées à la société GUILLAUME ont eu ou auront accès dans le cadre des pourparlers, que ces informations soient communiquées par écrit, sur un support magnétique, verbalement ou visuellement, et qui ne sont pas partiellement ou intégralement accessibles au public. La société D'HAUSSY expose qu'avant la visite de son site qui a duré près de 2 h 30, s'était tenue une réunion au siège de la société GUILLAUME pendant près de 2 heures, ce qui n'est pas contesté par la société GUILLAUME invoquant seulement une visite plus rapide.
La société D'HAUSSY prétend que, déjà au siège de la société GUILLAUME, différents sujets stratégiques et confidentiels ont été abordés et des documents ont été remis portant sur les marchés, l'organisation, les éléments financiers et comptables, le développement. La société GUILLAUME conteste qu'une quelconque information à caractère confidentiel lui ait été communiquée. La société D'HAUSSY ne rapporte aucune preuve, ni même commencement de preuve, de la confidentialité des informations et documents qui ont pu être fournis. S'agissant de la visite du site industriel, la société D'HAUSSY précise qu'il s'est agi d'une visite détaillée du matériel et de l'organisation au cours de laquelle il a été demandé aux ouvriers et conducteurs de machines de fournir les explications techniques et de répondre aux questions de la délégation de la société GUILLAUME, permettant ainsi à celle-ci de disposer rapidement d'un ensemble d'informations essentielles et confidentielles sur son activité et notamment sur les conditions d'exploitation des lignes de finition. La société GUILLAUME conteste avoir reçu des informations confidentielles. Il est évident qu'au cours de cette visite la société GUILLAUME a pu apprécier l'organisation et le fonctionnement des machines mises en oeuvre par la société D'HAUSSY, de marque SODEMAL. Cependant, il y a lieu de relever que, même si une activité de marketing direct avec mise en oeuvre de lignes de finition et de personnalisation constitue pour la société GUILLAUME une orientation nouvelle, cette société est expérimentée en matière d'imprimerie, justifie être en recherche active en vue de cette évolution depuis 2003 et avoir eu des contacts suivis avec des fabricants de matériel approprié (SODEMAL, SCHEFFER) auprès desquels elle avait déjà pu obtenir toutes informations techniques utiles, alors que la société D'HAUSSY ne démontre pas que ce type d'activité fasse appel à un savoir-faire particulièrement sophistiqué nécessitant, en dehors d'une main-d'oeuvre qualifiée, l'emploi de secrets de fabrication. La société D'HAUSSY reproche également à la société GUILLAUME d'avoir débauché cinq de ses salariés. Il est constant que M. Tayeb
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, agent de maîtrise, chef d'atelier, M. David
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, aide conducteur, M. François
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, aide conducteur, M. Ludovic
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, aide conducteur, et M. Jimmy
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, opérateur, tous anciens employés de la société D'HAUSSY ont été embauchés par la société WEB FISHING, filiale de la société GUILLAUME, respectivement le 2 mai 2006 en qualité de directeur technique, les trois suivants le 17 juillet 2006 en qualité de conducteurs de ligne, et le dernier en février 2007 en qualité d'aide conducteur, étant précisé que celui-ci avait quitté la société D'HAUSSY le 16 juin 2006 et avait effectué des missions intérimaires avant d'être embauché par la société GUILLAUME à l'issue d'une mission qu'il y avait effectuée en janvier 2007. S'agissant des quatre premiers, la société GUILLAUME justifie avoir fait paraître différentes annonces dans la presse locale (la Voix du Nord, Nord-Eclair, éditions de la métropole lilloise, Passe-Partout éditions de Mouscron et Tournai en Belgique) les 12, 19 et 26 février 2006, 7 et 14 mai 2006, 17 mai 2006 aux fins de pourvoir ces emplois. Rien ne démontre que ces personnes aient été approchées autrement par la société GUILLAUME qui par ailleurs, à la suite de ces annonces, a recruté M. Vincent
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le 4 avril 2006 en qualité de chef de projet informatique personnalisation, étant ancien chef d'équipe programmation de la société VECTAMAIL à Villeneuve-d'Ascq, M. Samir
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le 19 juin 2006 en qualité de chef d'équipe impression, étant auparavant conducteur chargé de la formation et du management sur chaîne de finition et personnalisation chez V. PRINT, M. Christophe
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le 18 avril 2006 en qualité d'opérateur informatique personnalisation étant ancien salarié de la société V. PRINT au service personnalisation. La société GUILLAUME justifie également avoir reçu d'autres candidatures à la suite de ces annonces ainsi que des candidatures spontanées. Il ne peut être reproché à la société GUILLAUME d'une part d'avoir recherché de la main-d'oeuvre qualifiée pour des postes en relation directe avec la nouvelle ligne de finition qu'elle voulait mettre en place, d'autre part de l'avoir fait sur un bassin d'emploi qui, certes, est celui de la société D'HAUSSY, mais est aussi le sien ainsi que celui d'autres sociétés concurrentes directes sur la même région, notamment les sociétés V. PRINT et DECOSTER MAILING DIRECT, étant relevé que deux anciens employés de la société V. PRINT ont été embauchés par la société GUILLAUME. Quant aux rémunérations prétendument attractives, seule celle de M.
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s'avère nettement supérieure à celle qui était la sienne au sein de la société D'HAUSSY. Cependant il convient de la rapprocher de la fonction qui lui a été confiée par la société GUILLAUME, de directeur technique, alors qu'il était seulement chef d'atelier, classé dans la catégorie agent de maîtrise aux termes de sa fiche de paye, conforme au salaire d'un agent de maîtrise, et sans incompatibilité avec le fait qu'il cotise à des organismes auxquels sont affiliés les cadres. Il y a lieu d'ailleurs d'observer à ce titre que la durée de son préavis dans la société D'HAUSSY n'a été que d'un mois, ce qui est totalement inhabituel pour un cadre, surtout occupant un poste « clé » comme le soutient la société D'HAUSSY qui, de surcroît, l'a dispensé d'effectuer son préavis sur site à partir du 7 avril 2006. La désorganisation prétendue de la société D'HAUSSY à la suite du départ de ses employés, étant rappelé que M.
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a commencé à travailler pour la société GUILLAUME le 2 mai 2006, que MM.
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François et Ludovic n'y sont entrés que le 17 juillet 2006 et M.
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en février 2007, ne résulte d'aucune des explications et pièces produites par la société D'HAUSSY. En effet, d'une part, elle n'a embauché qu'une seule personne le 3 juillet 2006, les quatre autres l'ayant été en octobre et décembre 2006, et, d'autre part, si elle a fait appel à de la main-d'oeuvre intérimaire, rien n'établit que c'était inhabituel lors de la période d'été et il apparaît que cette main-d'oeuvre lui a permis de faire face à la situation alors que rien ne justifie qu'il s'agissait de main-d'oeuvre qualifiée. De surcroît, comme le fait observer justement la société GUILLAUME sans être contredite, la société D'HAUSSY n'a perdu que quatre employés entre mai et juillet 2006 sur 200 que comptent ses effectifs et alors qu'elle dispose de sept lignes de finition sur chacune desquelles travaillent trois équipes qui ne comprennent pas que des aide conducteurs.
En ce qui concerne, enfin, la commande d'une machine de marque SODEMAL, comparable à celle utilisée par la société D'HAUSSY, il convient de retenir avec la société GUILLAUME que ce type de matériel est dans le commerce, utilisé par d'autres sociétés comme DUPLISTYLE en France, V. PRINT en Belgique, que si dans une attestation, relevée par le tribunal, M. L... de la société SODEMAL indiquait que la société GUILLAUME a commandé dès le mois de janvier 2006 « une ligne de finition grande laize ayant les mêmes caractéristiques aux lignes installées chez D'HAUSSY permettant de produire une grande partie de la gamme de produits réalisés par D'HAUSSY », cette même personne atteste le 27 février 2008 avoir rencontré le PDG de la société GUILLAUME à plusieurs reprises depuis 1995 afin d'aborder l'éventuelle commande d'une chaîne de finition off ligne et lui avoir à cet effet donné plusieurs études, présentations et plans spécifiques, et avait attesté le 12 mars 2007 avoir réalisé le projet de la société GUILLAUME « de façon spécifique afin de répondre aux contraintes et spécificités techniques de l'imprimerie GUILLAUME. En conséquence la configuration technique de cette ligne est unique et n'a jamais fait l'objet d'une installation identique chez un de nos autres clients ». De surcroît il n'est pas établi que la société GUILLAUME réalise exactement les mêmes produits que la société D'HAUSSY, qu'elles aient les mêmes clients, même si certains sont communs, et sans que le fait de démarcher certains clients de la société D'HAUSSY soit fautif.
Dans ces circonstances la société D'HAUSSY et la société EPPE ne démontrent pas l'existence d'une faute de la société GUILLAUME à leur égard, constitutive de faits qualifiables de concurrence déloyale. Le jugement déféré doit donc être infirmé en toutes ses dispositions et leurs demandes rejetées.
Sur les autres demandes
La société GUILLAUME ne démontre pas le caractère abusif de l'action intentée par la société D'HAUSSY. Il n'y a donc pas lieu de lui attribuer des dommages et intérêts.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société GUILLAUME le montant de ses frais irrépétibles fixés à 10 000 € que les sociétés D'HAUSSY et EPPE seront condamnées in solidum à lui payer.
Les dépens de première instance d'appel seront supportés in solidum par la société D'HAUSSY et la société EPPE.
PAR CES MOTIFS La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions
Statuant à nouveau,
Déboute les sociétés D'HAUSSY IMPRIMEURS et ENTREPRISE E. EPPE de toutes leurs demandes
Condamne in solidum les sociétés D'HAUSSY IMPRIMEURS et ENTREPRISE E. EPPE à payer à la société GUILLAUME le somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile
Condamne in solidum les sociétés D'HAUSSY IMPRIMEURS et ENTREPRISE E. EPPE aux entiers dépens de première instance et d'appel
Accorde aux avoués constitués le bénéfice de l'article 699 du Code de Procédure Civile.