COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 26/02/2008
** *
No de MINUTE : /08No RG : 06/06140
Jugement (No 2005/01089)rendu le 13 Septembre 2006par le Tribunal de Commerce de ROUBAIX TOURCOING
REF : TF/CP
APPELANTES
M. LE MINISTRE DE L'ECONOMIE DES FINANCES ET DE L'INDUSTRIEreprésenté par M. COUZINET Daniel, Directeur Régional de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes du Norddomiciliée en cette qualité 95 boulevard Carnot - B.P. 10219 - 59029 LILLE CEDEX
Représenté à l'audience par Mme Y... Amélie, munie d'un pouvoir en datedu 02.04.2007 entendue en ses explications
S.N.C. PETROVEX prise en la personne de ses représentants légauxayant son siège social 200 rue de la Recherche 59650 VILLENEUVE D ASCQ
Représentée par la SCP COCHEME-KRAUT-LABADIE, avoués à la CourAssistée de Me Thomas DESCHRYVER, avocat au barreau de LILLE
S.A. AUCHAN FRANCE prise en la personne de ses représentants légauxayant son siège social 200 rue de la Recherche 59650 VILLENEUVE D ASCQ
Représentée par la SCP COCHEME-KRAUT-LABADIE, avoués à la CourAssistée de Me Thomas DESCHRYVER, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE
Societé GROUPE ETUDES ENERGIES EAUX DECHETS (G3ED) prise en la personne de ses représentants légauxayant son siège social 4 rue Vico 92270 BOIS COLOMBES
Représentée par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la CourAssistée de Me Anne-Cécile BENOIT, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉMonsieur FOSSIER, Président de chambreMadame NEVE DE MEVERGNIES, ConseillerMadame MARCHAND, Conseiller---------------------GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme J. DORGUIN
DÉBATS à l'audience publique du 24 Janvier 2008, après rapport oral de l'affaire par Monsieur FOSSIERLes parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 26 Février 2008 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur FOSSIER, Président, et Madame NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 décembre 2007
*****
En août 1999, la société Auchan, désireuse de s'implanter sur le marché de la bouteille de gaz domestique, a approché la société en cours de constitution G3ED. Celle ci a établi un document qui décrivait, en plusieurs phases étalées sur plusieurs années, une étude de faisabilité (4 premiers mois), les contacts avec l'administration, avec les fournisseurs et les tests (4 mois suivants), enfin le lancement du produit (10 années à la suite : le marketing, la formation des personnels et la négociation permanente avec l'administration, les enseignes-soeurs, les publicitaires et les fournisseurs).
Par courrier du 31 août 1999, la société AUCHAN a énoncé : "...Nous avons le plaisir de vous confier la partie Etude-de-faisabilité" ... selon votre proposition du 13.8 ... IL s'agit bien de réaliser l'étude de faisabilité, parag.A, dans un délai de quatre mois ...".
Les parties n'ont plus établi d'écrits ultérieurement, mais il est acquis aux débats qu'AUCHAN a honoré plusieurs factures successives de G3ED, relatives à des prestations plus avancées que la seule étude de faisabilité.
Dans un premier temps, G3ED a débuté la mise au point d'un produit innovant, dénommé Auchangaz. Puis PETROVEX, filiale d'Auchan spécialisée dans les carburants et combustibles, a prié G3ED de réorienter ses recherches vers un produit classique mais peu cher, dénommé Ecogaz.
Le 14.11.2003, la DGCCRF (département Consommation-fraudes) faisait connaître à AUCHAN que le produit ECOGAZ pouvait ne pas être conforme à la réglementation interne des gaz de pétrole liquéfiés.
Pour sa part, le Comité Français du Butane et du Propane, regroupant ou représentant certains des concurrents de PETROVEX, a vainement tenté de faire interdire la commercialisation D'ECOGAZ (Arrêt de la Cour d'appel de DOUAI du 7 juin 2004) jugeant la réglementation française invoquée, non conforme au droit communautaire).
A l'effet du 15 janvier 2006, AUCHAN et PETROVEX ont mis fin à la mission de G3ED.
Par jugement du 13 septembre 2006, le tribunal de commerce de ROUBAIX a dit que la rupture de la relation commerciale avec G3ED avait été brutale et a condamné AUCHAN et PETROVEX à payer à G3ED la somme de 466.204 euros; pitre 15.000 euros pour frais. La DGCCRF a été déboutée de ses propres demandes.
La SNC PETROVEX et la SA AUCHAN sont appelantes principales. Elles dénient l'existence d'un contrat datant de 1999, à plus forte raison pour une durée de 12 ans, opposable aux deux sociétés, suffisamment et définitivement précis et invocable par G3ED qui, à l'époque, n'existait pas. Les appelantes font ensuite valoir que loin d'être fautive, la rupture de 2005 sanctionnait l'échec de G3ED, et avait été précédée d'un préavis suffisant au regard des rares éléments comptables connus sur G3ED. Subsidiairement, les appelantes estiment que la somme de 299.128,56 euros est le maximum de ce à quoi pourrait prétendre G3ED. Les appelantes réclament 10.000 euros pour frais de procédure.
La DGCCRF (département Concurrence) réclame 10.000 euros pour trouble aux règles de la concurrence.
La SARL G3ED demande la confirmation dans le principe mais réclame 1.327.032 euros en principal et 20.000 euros pour frais.
SUR QUOI LA COUR
1o - Sur le lien contractuel et sur la personnalité de G3ED
Attendu que la lettre du 31 août 1999, mentionnée par la cour dans l'exposé du litige, constitue, au rebours de ce que prétendent les appelantes, un document contractuel, car il consacre la rencontre des volontés concordantes d'un prestataire et d'Auchan ;
Que ce document ne souffre pas des obscurités ou des insuffisances que dénonce Auchan et ne s'assimile pas à une simple proposition, mais vise au contraire de manière claire la "confiance" et une partie d'une "proposition", qui vaut pollicitation ;
Attendu que de même, il importe peu que G3ED ait été une société en cours de constitution, car une telle entité a, de jurisprudence constante, la possibilité de prendre des engagements pour le futur, dès lors que le cocontractant connaît la situation juridique ;
Qu'en l'espèce, Auchan et Petrovex ne peuvent pas faire plaider qu'elles ignoraient que G3ED fût pour quelque temps encore démunie de la personnalité juridique ;
Attendu qu'ensuite, le contrat du 31 août 1999 s'est trouvé augmenté dans son champ et ses effets, par le paiement de prestations successives par Auchan ou Petrovex à G3ED ;
Qu'en effet, en matière commerciale en tout cas, il est permis aux parties de ne pas formaliser leurs rapports d'affaires, même pour des montants importants, et que le paiement de factures de services vaut, jusqu'à preuve contraire, démontsration d'un accord sur la nature de ce service et sur son prix ;
Qu'en l'espèce, Auchan ne fait pas état d'une protestation possible sur l'étendue et le coût des initiatives de G3ED ; qu'au contraire, les factures présentées ont été régulièrement honorées, sans remarques particulières, jusqu'à l'orée du procès lui-même ;
Attendu que l'ensemble contractuel ainsi édifié par les parties a couvert la période allant de septembre 1999 à octobre 2004, date à laquelle Auchan et Petrovex ont cessé d'oeuvrer avec G3ED et de lui payer quoi que ce soit ;
Qu'a contrario, Auchan et Petrovex n'ont pas accepté, ni dans le courrier (expressément restrictif) du 31.8.1999, ni implicitement par des paiements ultérieurs, les prestations que G3ED avait proposées sur un plus long terme et constituant la part la plus significative de "l'assistance au lancement et au développement" ;
2o - Sur les conditions de la rupture
Attendu que d'un commun accord, les parties sont convenues que G3ED n'avait pas eu la capacité de développer Auchangaz de manière convaincante ;
Attendu qu'après ce premier échec, l'avis de la DGCCRF, rendu en novembre 2003, suffit à démontrer que G3ED n'a pas su atteindre les objectifs seconds auxquels elle était assignée ;
Qu'il faut considérer, au vu des pièces fournies par les appelantes, que les prestataires de certains concurrents ont, quant à eux, réussi à mettre au point une bouteille d'un nouveau genre, légère et sûre (Butagaz) ; que d'autres encore (Intermarché, Leclerc) ont pu s'en tenir à une bouteille classique en diminuant les prix et sans encourir les reproches de l'administration française ;
Attendu que pour contredire de telles énonciations de fait, et revenant sur les termes d'un précédent arrêt de cette cour, l'intimée critique la réglementation qui a été opposée par la DGCCRF ; que ce moyen n'est pas opérant, Auchan et Petrovex ne pouvant prendre le risque, surtout dans un marché débutant, de contrarier les pouvoirs publics ;
Attendu que du tout, il résulte que la rupture est intervenue pour de justes motifs et ne peut pas donner lieu à une indemnisation pour cause d'abus ;
Attendu qu'en revanche, même si elle intervient sans abus, la rupture doit être notifiée selon des modalités qui tiennent compte de l'ancienneté de la relation commerciale et de la dépendance du partenaire ;
Qu'il n'en est autrement que dans le cas, non avéré en l'espèce, d'une faute caractérisée dudit partenaire ;
Attendu sur ce point que, comme il a été dit, la relation a duré quatre ans environ, et n'était pas nécessairement destinée à durer davantage ;
Que G3ED, constituée pour répondre à la demande d'Auchan, était dans une situation de dépendance, qu'Auchan et Petrovex feignent vainement d'avoir ignorée ; que cependant, sa structure était très légère et les investissements modestes, selon les affirmations d'Auchan non contredites par G3ED ;
Que dans ce contexte, un préavis de cinq mois aurait été acceptable ;
Attendu que G3ED pouvait prétendre à un fixe de 3.048 euros par mois et à 0.14 euros sur chacune des 5.000 bouteilles vendues chaque mois à cette époque ;
Attendu qu'une somme de vingt mille euros réparera la brutalité formelle de la rupture ;
3o - Sur les demandes de la Direction de la concurrence
Attendu que si l'article L 442-6-III du Code de commerce, qui prévoit l'action ou l'intervention de la Direction de la concurrence en la matière, n'exclut pas la seule brutalité de la rupture, même si celle-ci n'est pas abusive, le préjudice subi par la collectivité est faible en pareil cas, s'agissant d'un manquement formel plus que d'une volonté de troubler les règles d'une saine concurrence ;
Que le ministre de l'Economie ne peut donc prétendre à plus de 4.000 euros de ce chef ;
4o - Accessoires
Attendu que le premier jugement a fait une application disproportionnée de l'article 700 Code de Procédure Civile contre Auchan et Petrovex ;
Qu'une somme de 6.000 euros suffisait à répéter les frais de conseil et de défense exposés par la demanderesse ;
Attendu que bien fondées en leur appel, Auchan et Petrovex recevront répétition de leurs frais à hauteur de 5.000 euros (intérêt du litige élevé, avocat spécialisé, conclusions juridiques et documentées) ;
Que les sommes se compenseront ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu à Roubaix le 13 septembre 2006, sauf sur le principe des frais irrépétibles et sur les dépens ;
Statuant à nouveau,
Dit que la SNC Petrovex et la SA Auchan ont rompu sans abus mais brutalement la relation commerciale qu'elles avaient avec la SARL G3ED ;
En conséquence, condamne la SNC Petrovex et la SA Auchan solidairement à payer :
- à la SARL G3ED, la somme principale de 20.000 (vingt mille) euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation de première instance ; et celle de 1.000 (mille) euros pour frais irrépétibles de procédure après compensation ;
- à l'Etat français (Ministère chargé de la concurrence), la somme de 4.000 (quatre mille) euros ;
Condamne les intimés solidairement aux dépens d'appel ;
Dit qu'il sera fait application de l'article 699 du Code de Procédure Civile au profit des avoués constitués en la cause.