CHAMBRE 8 SECTION 1
ARRÊT DU 13 / 09 / 2007 * * * No RG : 05 / 05958 Jugement (No 2004 / 425) rendu le 08 Septembre 2005 par le Tribunal de Grande Instance de CAMBRAI REF : CP / VC APPELANTE
S. A. BANQUE COMMERCIALE MARCHE NORD EUROPE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège ayant son siège social : 4 place Richebé- 59000 LILLE
Représentée par la SCP LEVASSEUR- CASTILLE- LEVASSEUR, avoués à la Cour Assistée de Me DE BERNY, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉS
Monsieur Gauthier Y... demeurant : ...
Représenté par Me QUIGNON, avoué à la Cour Assisté de Me DUFFROY, avocat au barreau de CAMBRAI
Monsieur François Y... demeurant : ...
Représenté par Me QUIGNON, avoué à la Cour Assisté de Me DUFFROY, avocat au barreau de CAMBRAI
Madame Audrey Y... demeurant : ...
Représentée par Me QUIGNON, avoué à la Cour Assistée de Me DUFFROY, avocat au barreau de CAMBRAI
Monsieur Dominique Y... demeurant : ...
Représenté par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour Assisté de Me Jean- Jacques TAISNE, avocat au barreau de CAMBRAI
DÉBATS à l'audience publique du 12 Juin 2007, tenue par Madame PAOLI magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 NCPC). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme DESBUISSONS COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ
M. SCHAFFHAUSER, Président de chambre Mme PAOLI, Conseiller M. BOUGON, Conseiller
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 13 Septembre 2007 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par M. SCHAFFHAUSER, Président et Mme DESBUISSONS, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 10 MAI 2007
***** FAITS ET PROCÉDURE
Le 8 juillet 1999 la société (sa) BANQUE COMMERCIALE MARCHÉ NORD EUROPE anciennement dénommée Banque du Crédit Mutuel Nord Entreprises (ci après dénommée BCMNE) consent à la société (sarl) FINANCIÈRE TABARY un prêt d'un montant de 2. 500. 000 francs cautionné par Monsieur Dominique Y... suivant acte du 7 novembre 2000.
Suivant acte notarié du 4 septembre 2002 Monsieur Dominique Y... fait donation aux enfants issus de son union avec Madame Christine B..., union dissoute par décision de divorce du 1er février 1996, Monsieur François Y..., Monsieur Gauthier Y... et Madame Audrey Y... (ci- après dénommés les Consorts Y...) de la nue propriété de deux immeubles situés à Cucq et à Hargicourt.
Suivant jugement du 16 mai 2003 le Tribunal de Commerce de Saint Quentin prononce le redressement judiciaire de la société (sarl) FINANCIÈRE TABARY. La première période d'observation de quatre mois a été renouvelée une fois mais aucun plan n'ayant pu être mis en place, la liquidation judiciaire de la société est intervenue selon jugement en date du 28 novembre 2003.
Suivant assignation des 16 février 2004 la société (sa) BANQUE COMMERCIALE MARCHÉ NORD EUROPE fait citer Monsieur Dominique Y..., Monsieur François Y..., Monsieur Gauthier Y... et Madame Audrey Y... afin que le Tribunal de Grande Instance de Cambrai la déclare recevable et bien fondée en son action paulienne sur le fondement de l'article 1167 du code civil, déclare la donation reçue par Maître C..., notaire, le 4 septembre 2002 publiée d'une part à la conservation des hypothèques de Montreuil sur Mer le 16 octobre 2002 (volume 2002 P no 4734) et d'autre part à la conservation des hypothèques de Saint Quentin les 11 octobre et 20 novembre 2002 (volume 2002 P no 3217) inopposable à la Banque commerciale marché Nord Europe, juge qu'à son égard Monsieur Dominique Y... est propriétaire entièrement des immeubles situés à Cucq cadastré section BE 358 et BE 359 et à Hargicourt cadastré section B 1049, B 1050 et B 1051 avec publication du jugement à la conservation des hypothèques et condamnation solidaire des quatre défendeurs, outre aux dépens, à lui payer une somme de 3. 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Suivant jugement contradictoire du 8 septembre 2005 le Tribunal de Grande Instance de Cambrai déboute la société (sa) BANQUE COMMERCIALE MARCHÉ NORD EUROPE de l'ensemble de ses demandes et la condamne, outre aux dépens, à verser à Monsieur Dominique Y... une somme de 700 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à Monsieur François Y..., Monsieur Gauthier Y... et Madame Audrey Y... une somme totale de 450 euros en application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
La société (sa) BANQUE COMMERCIALE MARCHÉ NORD EUROPE a interjeté appel de cette décision le 11 octobre 2005.
La SA BCMNE, dans ses dernières écritures du 4 mai 2007, soutient que les conditions de l'action paulienne sont réunies en l'espèce.
Elle indique que l'intérêt familial allégué par les intimés est un habillage. La Banque tire du caractère gratuit de la donation, la conscience que les Consorts Y... avaient de l'appauvrissement frauduleux de leur père.
De ces mêmes éléments ainsi que de la circonstance que 5 ans après son remariage M. Dominique Y... n'ait toujours pas changé de régime matrimonial, la Société BCMNE en déduit là encore l'intention frauduleuse de ce dernier qui a organisé son insolvabilité.
Elle tire de divers indicateurs économiques et financiers (chiffre d'affaire, trésorerie, TVA...) et d'opération juridique (licenciements, contrats de leaseback...), parfaitement connus du chef d'entreprise, M. Y..., le mobile purement économique de la donation faite par ce dernier à ses enfants.
Aux termes de ses conclusions, elle demande donc à la Cour d'infirmer le jugement entrepris et de :
déclarer la donation reçue par Me C..., notaire à SAINT QUENTIN, du 4 septembre 2002, publiée à la conservation des Hypothèques de MONTREUIL SUR MER, le 16 octobre 2002, volume 2002 P no4734, inopposable à la BANQUE COMMERCIALE MARCHE NORD EUROPE, juger à l'égard de la BANQUE COMMERCIALE MARCHE NORD EUROPE que M. Dominique Y... est propriétaire entièrement de la maison d'habitation située à CUCQ, BE 358 et BE 359 ; déclarer la donation reçue par Me C..., Notaire à SAINT QUENTIN du 4 septembre 2002 publiée à la Conservation des Hypothèques de SAINT QUENTIN le 11 octobre 2002, volume 2002 P no3217 avec rectificatif publié le 20 novembre 2002, inopposable à la BANQUE COMMERCIALE MARCHE NORD EUROPE ; juger qu'à l'égard de la BANQUE COMMERCIALE MARCHE NORD EUROPE, M. Dominique Y... est propriétaire entièrement de la maison et des terrains situés à HARGICOURT B 1049, B 1050 et B 1051 ; dit que le jugement sera publié à la Conservation des Hypothèques et que M. le greffier en chef délivrera expédition pour la publication ; dire que pour les besoins de la publication, les nues propriétés sont évaluées à :
. CUCQ : 106. 714 €. HARGICOURT : 48. 021 €
condamner M. Dominique Y... à payer à la BANQUE COMMERCIALE NORD EUROPE la somme de 3. 000 € de dommages- intérêts pour résistance abusive ; condamner les intimés à lui payer la somme de 3. 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile outre les dépens.
Les Consorts Y... concluent le 15 septembre 2006 à la confirmation du jugement et l'allocation de la somme de 2. 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Ils contestent toute fraude de leur part et soutiennent que cette donation a un intérêt purement et exclusivement familial lié au remariage de leur père.
Dans ses écritures du 16 mai 2007, M. Dominique Y... conclut à la confirmation du jugement et l'allocation d'une indemnité de procédure d'un montant de 3. 000 € en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Il constate que les conditions de l'action paulienne puissent être remplies en l'espèce.
Il excipe de l'intérêt purement familial de cette donation lié à son remariage et ce en raison de l'existence d'enfants issus d'une première union qu'il souhaitait ainsi protéger ; il conteste qu'il puisse s'inférer de l'absence de changement de régime matrimonial depuis son remariage l'inexistence ou la fausseté de ce motif. Il tire l'absence d'intention frauduleuse de sa part de la concomitance du remariage et de la donation et de ce qu'elle n'est pas faite en pleine propriété mais uniquement en nu- propriété ainsi que de son ignorance jusqu'en octobre 2002 de la situation très obérée de l'entreprise dont les résultats étaient pourtant très bon en 2001.
SUR CE,
L'article 1167 du code civil dispose que les créanciers " peuvent ainsi, en leur nom personnel, attaquer les actes faits par le débiteur en fraude de leurs droits ".
Les parties sont opposées sur l'élément essentiel et constitutif du bien fondé de l'action paulienne : la fraude paulienne et plus précisément sur la connaissance que le débiteur, M. Dominique Y..., pouvait avoir du préjudice qu'il occasionnait à son créancier, la Société BCMNE, en consentant à ses enfants, les Consorts Y..., une donation.
1. La société BCMNE soutient que le seul motif qui soutendait la donation du 4 septembre 2002 était la volonté de M. Dominique Y... de faire sortir de son patrimoine ses biens immobiliers en raison de la situation économique et financière catastrophique de son entreprise qui non seulement préexistait à la date de la donation mais qu'il n'ignorait pas.
Elle tire ce moyen principalement de la diminution des déclarations mensuelles de TVA et donc du chiffre d'affaire, de la dégradation de la trésorerie de l'entreprise qui se traduit notamment par un débit croissant du compte courant de la société, tous éléments constituants pour un chef d'entreprise diligent autant d'indicateurs alarmants qu'il se devait de prendre en compte sans attendre le bilan comptable en octobre 2002 mais surtout qu'il ne pouvait ignorer ; elle soutient à cet égard que les subterfuges de gestion (licenciement du comptable et conclusion d'un contrat de lease- back) témoignent de cette connaissance. Elle en conclut dès lors que M. Dominique Y... avait nécessairement conscience et connaissance du préjudice qu'il causait à son créancier pour son appauvrissement qui ne permettait plus à ce dernier d'exercer efficacement sur son patrimoine la garantie que la banque avait prise en lui demandant un engagement de caution solidaire.
Cependant ces affirmations et déductions sont insuffisantes à établir la fraude et la connaissance de celle- ci que M. Y... pouvait avoir.
2. En effet, M. Dominique Y... ne conteste pas les difficultés que son entreprise connaissait mais qu'elles sont apparues postérieurement à la donation et qu'elles étaient de nature conjoncturelle pour être liées au ralentissement de l'activité économique et aux conséquences de deux gros impayés.
Il ressort effectivement des analyses des économistes spécialisés dans le secteur du véhicule industriel dans lequel s'inséraient les activités de M. Y... (cf l'Observatoire du véhicule industriel) que ce secteur, après des années 2000- 2001 fastes, connaissait un fort ralentissement en 2002- 2003 mais que la reprise était espérée pour 2004 ; par ailleurs, si M. Dominique Y... ne justifie pas des deux impayés importants expliquant que dans le conteste difficile de 2002 il dépose le bilan, cette affirmation, conjuguée et compatible avec, d'une part, la date de cessation des paiements fixée au 31 décembre 2002 soit en tout état de cause postérieurement à la donation et, d'autre part, avec la décision du Tribunal de commerce et de l'administrateur judiciaire de prolonger la période d'observation ouverte par le jugement de redressement judiciaire du 16 mai 2003 afin d'élaborer un plan de continuation. De plus, M. Dominique Y... qui avait procédé courant 2001 à des restructurations de son entreprise par le licenciement de personnel ou la conclusion d'un contrat de lease- back pensait manifestement avoir remédié aux difficultés structurelles que pouvait connaître son entreprise de manière à lui permettre de faire face au ralentissement annoncé. Dans ce contexte, la diminution du chiffre d'affaire et / ou le débit en compte courant apparaissaient manifestement temporaire et n'étaient pas de nature à laisser craindre à M. Dominique Y... qu'il ne pourrait assumer ses engagements tant personnel que de chef d'entreprise.
Son optimisme et sa croyance dans ses facultés à assumer des engagements financiers se traduit d'ailleurs dans l'achat le 22 décembre 2001 d'un des deux immeubles en litige objet de la donation. Cet optimisme était également manifestement partagé par l'appelante puisque celle- ci, qui envisageait en février 2001 de demander à M. Dominique Y... un cautionnement hypothécaire, n'y a manifestement pas donné de suites sans s'expliquer sur ses raisons alors que le notaire requis avait effectivement établi l'acte demandé. Il convient également d'observer que la banque, qui ne le conteste pas, a accepté, courant 2002, de financer l'acquisition de matériels (voiture, camionnette, tracteur) et que l'entreprise a exécuté son engagement financier en s'acquittant du remboursement du prêt bien après l'ouverture de la procédure collective.
Il suit de ce qui précède que la conscience de la fraude que pouvait avoir M. Dominique Y... au moment de la donation apparaît difficilement caractérisée.
3. Par ailleurs, il est incontestable que M. Dominique Y... a trois enfants d'une première union, âgés respectivement de 22, 27 et 28 ans au moment où il refait sa vie et se remarie le 31 août 2002. La concomitance entre ce remariage et la donation du 4 février 2002, dans le contexte sus- rappelé, ainsi que la circonstance que celle- ci intervienne non pas en pleine propriété mais uniquement en usufruit atteste non pas d'une volonté de M. Dominique Y... de frauder mais bien de préserver les intérêts respectifs de ses créanciers et de ses enfants, le désir d'un prix de préserver ses enfants apparaissant tout à fait légitime. Enfin il ne peut être reproché à M. Dominique Y... d'être demeuré lié à sa nouvelle épouse dans le cadre d'un régime matrimonial de séparation de bien eu égard aux difficultés de son entreprise et à l'actuelle procédure.
4. Le motif familial apparaît donc comme déterminant de l'acte litigieux du 4 septembre 2002. Le jugement sera confirmé et la SA BCMNE sera déboutée de ses demandes.
5. La SA BCMNE qui succombe dans ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel ainsi que celle d'une indemnité de procédure de 1. 200 € au profit des Consorts Y... et de 1. 800 € au profit de M. Dominique Y....
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement ;
DÉBOUTE la SA BANQUE COMMERCIALE MARCHE NORD EUROPE de ses demandes en dommages- intérêts ;
CONDAMNE la SA BANQUE COMMERCIALE MARCHE NORD EUROPE à payer, en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à :
Monsieur Dominique Y... la somme de 1. 800 € ; M. Gauthier Y..., M. François Y... et Mme Audrey Y... la somme de 1. 200 € ;
CONDAMNE la SA BANQUE COMMERCIALE MARCHE NORD EUROPE aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.