COUR D'APPEL DE DOUAI
CHAMBRE 2 SECTION 2
ARRÊT DU 28 / 06 / 2007
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No de MINUTE : / 07 No RG : 06 / 03867
Ordonnance du Président du tribunal de commerce de VALENCIENNES du 11 mars 2005 Arrêt rendu le 29 Juin 2005 par la Cour d'appel de DOUAI Arrêt de la Cour de Cassation du 7 juin 2006
REF : TF / CP
Renvoi après cassation
APPELANTS
Monsieur Géry X... né le 28 Octobre 1952 à FELLERIES (59740) demeurant ... 59300 VALENCIENNES
Représenté par la SCP MASUREL-THERY-LAURENT, avoués à la Cour Assisté de la SCP BRUNET CAMPAGNE GOBBERS, avocats au barreau de BETHUNE
Madame Bernadette Y... épouse X... née le 07 Mai 1951 à SEMERIES (59440) demeurant ... 59300 VALENCIENNES
Représentée par la SCP MASUREL-THERY-LAURENT, avoués à la Cour Assistée de la SCP BRUNET CAMPAGNE GOBBERS, avocats au barreau de BETHUNE
SA SEGUREL et FILS prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social Route de l'Epicier 78550 MAULETTE HOUDAN
Représentée par la SCP MASUREL-THERY-LAURENT, avoués à la Cour Assistée de Maître PERRIN, Avocate au barreau de PARIS
INTIMÉE
SAS PRODIM prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social Zone Industrielle-Route de Paris-14120 MONDEVILLE
Représentée par la SCP CARLIER-REGNIER, avoués à la Cour Assistée de Me Bertrand CHARLET, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Monsieur FOSSIER, Président de chambre Madame NEVE DE MEVERGNIES, Conseiller Monsieur DELENEUVILLE, Conseiller---------------------GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame NOLIN
DÉBATS à l'audience publique du 24 Mai 2007, après rapport oral de l'affaire par Monsieur FOSSIER Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.
ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 Juin 2007 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur FOSSIER, Président, et Mme J. DORGUIN, Greffier, présent lorsqu'il a été rendu auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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Les époux X... ont signé avec la société PRODIM un contrat d'approvisionnement daté du 15 mai 1992, et prenant effet au 3 novembre 1988, selon mention manuscrite non contestée ; ce contrat a été conclu pour une durée de cinq années et se renouvelait par tacite reconduction par périodes d'un an, sauf dénonciation faite au moins six mois avant l'échéance.
Ils ont également conclu, le 22 janvier 1998, une convention de franchise pour l'enseigne SHOPI ; cet accord leur imposait d'utiliser l'enseigne officielle et le matériel publicitaire définis par le franchiseur, et précisait, en son article 5 : « le présent accord est conclu pour une durée de sept années pleines et entières, il se renouvellera ensuite par tacite reconduction par période de quatre ans à défaut de dénonciation par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception, sous réserve d'un préavis de six mois ».
Les franchisés ont écrit à la société PRODIM le 26 juin 2003, par lettre recommandée avec accusé de réception, en ces termes : « c'est par la présente que je tiens à vous informer de la non reconduction systématique de mon contrat d'approvisionnement à échéance de celui-ci. En effet il sera reconduit d'année en année si tel est mon souhait ou il ne le sera pas du tout ».
La Société (devenue SAS) Prodim a alors répondu que le contrat d'approvisionnement en cause ne la concernait plus depuis le 1er octobre 1999, ni la société LOGIDIS depuis le 1er mai 2002, et invitait les époux X... à s'adresser à une société CSF.
M. et Mme X... ont alors transmis à cette société CSF une lettre recommandée avec accusé de réception, reçue le 28 juin 2004, ainsi libellée : « Par contrat du 22 janvier 1998, j'ai souscrit un contrat d'approvisionnement avec la société PRODIM dans le cadre de mon exploitation d'un fonds de commerce sis à LA SENTINELLE. J'ai déjà eu l'occasion, le 26 juin 2003, de vous indiquer que je n'entendais pas reconduire les termes de ce contrat. Je vous réitère ce jour mon souhait de non reconduction à échéance du 22 janvier 2005 ».
Les franchisés ont encore écrit à la société PRODIM, le 25 juin 2004, également par lettre recommandée avec accusé de réception, pour exposer qu'un contrat de franchise avait été souscrit le 22 janvier 1998 et qu'ils avaient écrit en juin 2003 au sujet de la non reconduction du contrat d'approvisionnement sur « ses bases initiales » ; ils y affirmaient leur intention d'utiliser « ce préavis contractuel » pour obtenir une renégociation.
A la diligence de PRODIM, il a été constaté par officier public que l'enseigne SHOPI a été déposée dès le 26 janvier 2005, puis, remplacée par une enseigne COCCINELLE (société des Etablissements Segurel, qui intervient volontairement aux débats).
Par ordonnance rendue le 11 mars 2005 par le juge des référés du Tribunal de commerce de VALENCIENNES, qui a constaté le trouble manifestement illicite subi par la SAS PRODIM du fait du retrait de l'enseigne SHOPI du point de vente des époux X..., il a été ordonné à ces derniers de la réapposer et de respecter toutes les obligations résultant du contrat de franchise signé le 22 janvier 1998, sous astreinte de 1. 500 Euros par jour de retard, en les condamnant à payer à la société adverse la somme de 1. 500 Euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Par arrêt en date du 29 juin 2005, la Cour d'appel de Douai, ch. 2 sec. 1, a considéré que si la violation d'un contrat en cours constitue un trouble manifestement illicite, ce n'est pas le cas lorsque l'un des contractants soutient que les faits litigieux sont intervenus après une résiliation régulière dudit contrat, lorsque les éléments de la procédure ne permettent pas d'écarter ce moyen. La Cour a donc : Infirmé l'ordonnance ; Rejeté la demande principale de la société PRODIM ; Débouté la société PRODIM de sa demande en paiement de dommages et intérêts.
Par arrêt du 7 juin 2006, la Cour de cassation, Chambre commerciale, financière et économique, a cassé cet arrêt du 29 juin 2005, en énonçant : " En écartant l'existence d'un trouble manifestement illicite en considération d'un simple doute sur la résiliation du contrat dont la violation était dénoncée, alors qu'il lui incombait de trancher en référé la contestation même sérieuse, en examinant la réalité de cette résiliation, la cour d'appel a violé l'article 873 al. 1 du Nouveau Code de Procédure Civile ".
Au vu de cet arrêt de cassation, les parties ont saisi la Cour de Douai autrement composée et ont conclu à nouveau.
Les époux X..., appelants, demandent (21 fév. 2007) à la Cour d'appel de porter l'appréciation requise par la Cour de cassation et en l'occurrence, de dire que la volonté des appelants de quitter le réseau Shopi a été exprimée régulièrement, avant que PRODIM ne constate les faits dont elle se plaint. Subsidiairement, les appelants réclament que l'astreinte soit considérablement réduite. Ils chiffrent à 6. 000 euros leurs frais de procédure.
La SAS PRODIM conclut (8. 3. 07) à la confirmation et demande à la Cour de porter l'astreinte à 3. 000 euros par jour de retard. L'intimée réclame 5. 000 euros pour frais de procédure. L'intimée estime d'abord que l'évidence de la résiliation, condition pour échapper à la compétence du juge des référés sur la dépose de l'enseigne litigieuse, n'est pas démontrée par les appelants, en sorte que la Cour d'appel doit se conformer à l'attente de la Cour de cassation ; ensuite, que si le contrat d'approvisionnement doit être considéré comme résilié au vu des courriers envoyés par les époux X..., en revanche le contrat de franchise n'est visé que par un seul courrier, qui en propose non la résiliation mais la renégociation.
La société anonyme SEGUREL, intervenante volontaire en cause d'appel, demande (3. 1. 07) l'infirmation de l'ordonnance de référé, de sorte de ne pas avoir à subir des actions futures dont Prodim est coutumière en pareille occurrence. Elle réclame 3. 000 euros à Prodim pour frais irrépétibles.
Selon ce qu'autorise l'article 455 du Nouveau Code de Procédure Civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l'exposé de leurs moyens.
SUR QUOI, LA COUR,
-Pouvoirs du juge des référés
Attendu que saisi sur le fondement du trouble manifestement illicite, le juge des référés a le pouvoir de trancher une contestation sérieuse, en l'occurrence la réalité de la résiliation du contrat de franchise dont la violation est dénoncée par Prodim ;
-Résiliation du contrat de franchise
Attendu que le contrat d'approvisionnement rétroactif du 15 mai 1992 (pièce no 3), s'il a été conclu avec la SNC PRODIM tout comme le contrat de franchise (pièce no 2), s'en distingue en droit et en fait ;
Que d'abord, l'approvisionnement a débuté en 1988 alors que l'enseigne Shopi n'a été concédée aux époux X... qu'en 1998 ;
Qu'ensuite, l'approvisionnement auprès de PRODIM n'est pas exclusif mais seulement prioritaire (art. 1), en sorte qu'il est loisible, au moins théoriquement, à la succursale de rechercher des produits auprès de divers fournisseurs ;
Qu'aucune autre disposition dudit contrat, notamment pas ses articles 9 et 10 relatifs aux conditions et aux effets d'une rupture, n'établissent de lien avec le sort de l'enseigne ;
Que réciproquement, le contrat de franchise, qui mêle des considérations morales ou économiques à de véritables prescriptions de portée juridique, n'évoque en revanche nulle part les conditions d'approvisionnement du détaillant et ne vise (art. 1-2) qu'à protéger une enseigne et une marque ;
Qu'à cette fin, Prodim se réserve par exemple de maîtriser l'aménagement du magasin, de veiller (art. 2-5) à ce que les rayons ne soient pas vides et à ce que les niveaux de prix correspondent aux habitudes des clients de l'enseigne (art. 311), autant de précautions qui relèvent de la propriété incorporelle et sont sans rapports nécessaires avec la matérialité de ce qui est mis en vente ;
Attendu qu'en somme, les deux contrats n'apparaissent pas interdépendants dans leur économie ni dans leur cause juridique ;
Attendu que de ce qui précède, il s'évince que la résiliation d'un des deux contrats n'entraîne pas nécessairement la résiliation de l'autre et que les parties doivent distinguer, à peine de se priver des effets recherchés, leurs intentions propres à chaque engagement ;
Attendu qu'en l'espèce, les époux X... ont littéralement résilié, par courrier du 28 juin 2004 dont les termes ont été rappelés intégralement plus haut, le contrat d'approvisionnement, en s'adressant d'ailleurs à CSF, venue aux droits de la SNC PRODIM pour l'exécution de cette convention précise ;
Qu'ils ont exactement à la même époque, envoyé à PRODIM en tant que franchiseur, un courrier distinct, ce qui démontre que le couple de commerçants avait compris que les deux conventions n'étaient pas juridiquement liées ;
Attendu enfin que celui de ces deux courriers qui était relatif au contrat de franchise, ne peut s'analyser en une lettre de résiliation ;
Qu'en effet, sans même s'arrêter à la maladresse bien compréhensible d'un courrier adressé par des commerçants non juristes, il n'est pas possible d'y (pièce no 7) voir une résiliation quand y figurent les mots " meilleure proposition ", " poursuite de nos relations ", " accueil réservé à la présente " ;
Attendu que du tout, il faut déduire que les époux X... ont entendu se libérer de leur obligation de se fournir prioritairement en produits du groupe Prodim, mais n'a pas entendu, ou pas valablement, se libérer de leur franchise, laquelle continue donc de produire tous ses effets ;
Qu'en acceptant que la société Segurel les prennent sous leur enseigne, ils ont occasionné un trouble manifestement illicite à Prodim, et doivent procéder à la régularisation de leur situation, dans les conditions que le premier juge a très exactement évaluées, sans qu'il soit besoin d'augmenter l'astreinte ;
-Intervention volontaire de la société Segurel
Attendu que si la société Prodim dispose, sous toutes réserves d'usage, d'une action délictuelle contre la société Segurel (Com. 11 oct. 1971), la société Segurel ne justifie pas en revanche ici d'un intérêt qui lui soit propre, dans un litige relatif à des contrats auxquels elle est étrangère et dont l'application ne lui a pas causé préjudice ;
Que d'ailleurs, interpellée sur ce point par les écritures de Prodim, Ségurel ne fait état que de craintes d'une action future, pour le cas où Prodim serait éconduite par la Cour ; qu'il s'agit d'une intervention volontaire dite " de jactance ", destinée à forcer un adversaire potentiel à se déclarer avant que celui-ci y ait un intérêt concret ;
Qu'une telle intervention est irrecevable ;
-Accessoires
Attendu que les époux X... et la société Ségurel supporteront les dépens d'appel ;
Qu'au titre des frais exposés pour le présent appel et non compris dans les dépens, les deux parties condamnées aux dépens paieront à l'autre par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile la somme de 3. 000 euros chacune ;
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue au Tribunal de commerce de Valenciennes le 11 mars 2005 ;
Déclare irrecevable l'intervention volontaire de la SA Segurel, faute d'intérêt ;
Condamne les époux X... et la SA Segurel solidairement aux dépens d'appel et à payer à la SAS Prodim chacun la somme de 3. 000 (trois mille) euros pour frais irrépétibles de procédure exposés devant la Cour, soit 6. 000 euros au total ;
Accorde aux avoués constitués, le bénéfice de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.