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03/05/2007 | FRANCE | N°06/00372

France | France, Cour d'appel de Douai, Ct0094, 03 mai 2007, 06/00372


COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 03 / 05 / 2007
* * *

No RG : 06 / 00372 jonction avec dossier RG No 06 / 00528
Jugement (No 2004 / 1933) rendu le 20 Septembre 2005 par le Tribunal de Grande Instance d'AVESNES SUR HELPE

REF : EM / VD
APPELANTS Madame Colette X... épouse Y... née le 10 Octobre 1958 à VALENCIENNES (59300) Demeurant...-Résidence " Les Peupliers " 59139 WATTIGNIES

représentée par Me QUIGNON, avoué à la Cour assistée de Me PINCHON, avocat au barreau de SAINT QUENTIN

Intimé dans procédure no 06 / 528 Mo

nsieur Guy X... né le 27 Avril 1955 à LE QUESNOY (59530) Demeurant... 59138 PONT SUR SAMBRE

repré...

COUR D'APPEL DE DOUAI
TROISIÈME CHAMBRE
ARRÊT DU 03 / 05 / 2007
* * *

No RG : 06 / 00372 jonction avec dossier RG No 06 / 00528
Jugement (No 2004 / 1933) rendu le 20 Septembre 2005 par le Tribunal de Grande Instance d'AVESNES SUR HELPE

REF : EM / VD
APPELANTS Madame Colette X... épouse Y... née le 10 Octobre 1958 à VALENCIENNES (59300) Demeurant...-Résidence " Les Peupliers " 59139 WATTIGNIES

représentée par Me QUIGNON, avoué à la Cour assistée de Me PINCHON, avocat au barreau de SAINT QUENTIN

Intimé dans procédure no 06 / 528 Monsieur Guy X... né le 27 Avril 1955 à LE QUESNOY (59530) Demeurant... 59138 PONT SUR SAMBRE

représenté par la SCP CONGOS-VANDENDAELE, avoués à la Cour ayant pour conseil la SCP JP STERLIN-C STERLIN, avocats au barreau d'AMIENS

INTIMÉES Madame Madeleine A... veuve B... prise en sa qualité d'héritière de Maître Jean B... Demeurant... 59530 LE QUESNOY

représentée par la SCP MASUREL-THERY-LAURENT, avoués à la Cour ayant pour conseil la SCP DEFOSSEZ GILLARDIN VEINAND DEMORY, avocats au barreau d'AVESNES-SUR-HELPE

APPELANTE INCIDENTE Madame Sylvie X... épouse C... née le 27 Avril 1964 à VALENCIENNES (59300) Demeurant 64 Place Saint Antoine 84120 PERTUIS

représentée par la SCP CONGOS-VANDENDAELE, avoués à la Cour ayant pour conseil la SCP JP STERLIN-C STERLIN, avocats au barreau d'AMIENS

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Madame MERFELD, Présidente de chambre Monsieur VERGNE, Président de chambre Madame BERTHIER, Conseillère---------------------GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mademoiselle HAINAUT

DÉBATS à l'audience publique du 08 Mars 2007, Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 Mai 2007 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Madame MERFELD, Présidente, et Madame AMBROZIEWICZ, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
OBSERVATIONS ÉCRITES DU MINISTÈRE PUBLIC : Visa du 21 février 2007
ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 15 février 2007
Sur le rapport de Madame MERFELD, Présidente de chambre.
Les époux F... exploitaient un domaine agricole siuté à BOUSSIÈRES SUR SAMBRE.
Par actes reçus le 1er mars 1983 par Maître Jean B..., notaire à LE QUESNOY, Madame Bernadette G... veuve X... et ses enfants Monsieur Guy X..., Madame Colette X... épouse Y... et Mademoiselle Sylvie X... d'une part et Madame Bernadette X... épouse Z... d'autre part, ont consenti à Monsieur Michel H... des baux à ferme sur diverses parcelles de terre dépendant de cette exploitation.
Suivant acte sous seing privé du même jour Madame Bernadette G... veuve X... et ses enfants ont vendu à Monsieur H... les moyens d'exploitation, qualifiés d'avoiement de ferme, pour le prix de 750. 000 F (114. 336,76 €) dont 46. 333,37 € pour les fumures et arrières fumures.
Se prévalant des dispositions de l'article L 411-74 du code rural qui prohibe, à l'occasion d'un changement d'exploitant, toute remise d'argent ou de valeurs non justifiée et toute reprise de bien mobilier à un prix ne correspondant pas à la valeur vénale, Monsieur H... a obtenu, par jugement rendu le 14 décembre 1999 par le Tribunal Paritaire des Baux Ruraux de MAUBEUGE, la condamnation de Guy, Colette et Sylvie X... à lui restituer la somme de 46. 333,37 € au titre des fumures et arrières fumures avec intérêts au taux de 10 % l'an à compter du 1er mars 1983 et à lui payer une indemnité de 304,90 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Suivant acte d'huissier du 10 septembre 2004 Monsieur Guy X..., Madame Colette X... épouse Y... et Madame Sylvie X... épouse C... ont fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance d'AVESNES-SUR-HELPE Madame Madeleine A... veuve B..., en sa qualité d'héritière de Maître Jean B... pour faire juger que Maître B... a commis une faute engageant sa responsabilité professionnelle dans la rédaction de l'acte du 1er mars 1983 et voir Madame B... condamnée à leur payer la somme de 46. 333,37 € en principal avec intérêts au taux de 10 % l'an à compter du 1er mars 1983, la somme de 304,90 € à titre de dommages et intérêts et une indemnité procédurale sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Ils soutenaient qu'en sa qualité de professionnel du droit, Maître B... ne pouvait ignorer les dispositions des articles L 411-74 et suivants du code rural qui prohibent le paiement d'avoiement de ferme concernant les fumures et arrières fumures et qu'en conséquence il avait failli à son obligation de conseil engageant ainsi sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil.
Le Tribunal les a déboutés de leurs demandes par jugement du 20 septembre 2005 et les a condamnés à verser à Madame B... une somme de 1. 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Pour statuer ainsi les premiers juges ont considéré :-que les éventuels manquements d'un notaire à ses obligations professionnelles s'apprécient au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention,-que dès lors si le notaire est certes un juriste professionnel qui ne saurait commettre une erreur de droit, il ne saurait lui être imputé le grief de ne pas avoir prévu une évolution ultérieure du droit et notamment un revirement de jurisprudence,-qu'à cet égard Madame Madeleine A... veuve B... justifie qu'antérieurement à l'arrêt rendu le 7 décembre 1983 par la troisième chambre civile de la Cour de Cassation la jurisprudence validait la pratique coutumière, particulière à la Flandre et à la région du Nord, qui faisait payer par le fermier entrant au fermier sortant, sans le concours du bailleur, une indemnité dite de " fumures et d'arriéré de fumures ",-qu'elle justifie encore que cette jurisprudence, initiée par un arrêt rendu le 19 décembre 1952 par la chambre sociale de la Cour de Cassation au bénéfice d'un preneur sortant contre le propriétaire bénéficiaire de la reprise, avait été confirmée par la suite et un certain nombre d'arrêts de la Cour d'Appel de DOUAI en avaient permis l'application au fermier entrant,-que dès lors il apparaît que la cession des fumures et arrières fumures telle que prévue dans l'acte sous seing privé du 1er mars 1983 était, à cette date, autorisée par la jurisprudence et notamment par celle de la Cour d'Appel de DOUAI,-que ce n'est que dans son arrêt en date du 7 décembre 1983 et donc postérieurement à la rédaction de l'acte litigieux par Maître B... que la Cour de Cassation a opéré un revirement de jurisprudence en assimilant les fumures et arrières fumures aux indemnités pour améliorations culturales qui ne sont, en principe, pas cessibles car elles rentrent très exactement dans le contenu du droit au bail et appartiennent à ces prérogatives de protection du preneur qui relèvent de l'ordre public du statut du fermage,-qu'il s'ensuit que faute d'établir, ni même soutenir que ce revirement de jurisprudence était raisonnablement prévisible à la date de rédaction de l'acte litigieux ou encore que la question étant controversée, Monsieur Guy X..., Madame Colette X... épouse Y... et Madame Sylvie X... épouse C... ne rapportent pas la preuve d'un manquement de Maître Jean B... à ses obligations professionnelles et en particulier à son devoir de conseil.

Monsieur Guy X... a interjeté appel de ce jugement le 18 janvier 2006. Madame Colette X... épouse Y... a, à son tour, relevé appel le 26 janvier 2006.
Le conseiller de la mise en état a joint ces deux recours par ordonnance du 2 février 2006.
Vu les conclusions signifiées le 17 mai 2006 par Monsieur Guy X... et Madame Sylvie X... épouse C..., appelante incidente, qui demandent à la Cour d'infirmer le jugement et de condamner Madame Madeleine A... veuve B..., prise en sa qualité d'héritière de Maître Jean B..., à leur payer la somme de 46. 333,37 € avec intérêts au taux de 10 % l'an à compter du 1er mars 1983, la somme de 1. 500 € à titre de dommages et intérêts et la somme de 1. 500 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Vu les conclusions signifiées le 3 octobre 2006 par Madame Colette X... épouse Y... qui demande à la Cour d'infirmer le jugement, de retenir la responsabilité du notaire et de condamner Madame B... à lui payer les sommes susvisées,
Vu les conclusions signifiées le 26 juillet 2006 par Madame Madeleine A... veuve B... qui demande à la Cour de confirmer le jugement et de condamner les consorts X... à lui verser une somme complémentaire de 1. 000 € sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Vu la communication du dossier à Monsieur le Procureur Général qui y a apposé son visa,
SUR CE :
Attendu qu'il convient tout d'abord d'observer que la perception par les consorts X... de la somme de 46. 333,37 € au titre des fumures et arrières fumures étant illicite au regard des dispositions de l'article L 411-74 du code civil, les appelants ne peuvent, sans autrement caractériser le dommage subi, intégrer cette somme dans le préjudice dont ils demandent réparation ; que le remboursement d'un indu n'est pas, en soi, un préjudice indemnisable ;
***
Attendu que s'il est vrai que l'acte portant cession de l'avoiement de ferme du 1er mars 1983 est un acte sous seing privé et non un acte authentique il ne peut être soutenu que Maître B... est resté étranger à cette cession alors qu'il résulte du reçu qu'il a établi le même jour qu'il a personnellement reçu le prix de cession ; qu'il doit en être déduit qu'il a prêté son ministère à cette opération ;
***
Attendu qu'au soutien de leur appel les consorts X... font valoir :-que la prohibition du pas de porte résulte d'une loi de 1967,-que l'arrêt du 7 décembre 1983 ne constitue pas un revirement de jurisprudence ; que dès 1981 et plus précisément le 10 février 1981 la Cour de Cassation a jugé que les fumures et arrières fumures qui ont un effet susceptible de se prolonger après le départ du preneur sont des améliorations culturales,-que le notaire connaissait nécessairement l'illégalité et les aléas liés à l'opération litigieuse ;

Attendu que l'appréciation d'une éventuelle faute du notaire est fonction de la connaissance qu'il pouvait légitimement avoir du droit positif au jour de l'acte dressé et de l'interprétation jurisprudentielle des dispositions légales ;
Attendu que la pratique d'indemnisation des fumures et arrières fumures par l'exploitant entrant à l'exploitant cédant correspondait à un usage ancien dans le Nord de la France qui a été validé par la chambre de l'agriculture et la jurisprudence des juridictions du Nord, notamment la Cour d'Appel de DOUAI ;
Que la Cour de Cassation a longtemps toléré cette pratique, faisant application aux fumures et arrières fumures de la réglementation découlant de l'article L 415-2 du code rural ;
Que cependant cette pratique a parfois permis d'imposer au preneur entrant le paiement d'un pas de porte prohibé et que c'est ainsi que par arrêt du 27 mars 1985 rendu au visa de l'article L 411-74 du code rural la Cour de Cassation y a mis fin au motif que les fumures et arrières fumures dont l'effet est susceptible de se prolonger après le départ du preneur ne peuvent constituer que des améliorations culturales dont l'indemnisation est à la charge du bailleur ;
Attendu qu'avant cet arrêt du 27 mars 1985 et donc à la date du 1er mars 1983 où l'acte litigieux a été rédigé la jurisprudence de la Cour d'Appel de DOUAI, dans le ressort de laquelle officiait Maître B..., admettait la pratique coutumière qui faisait payer par le fermier entrant au fermier sortant, sans le concours du bailleur, une indemnité dite " de fumure et d'arrière fumure " ;
Qu'avant le 27 mars 1985 aucun arrêt de la Cour de Cassation n'était venu sanctionner cette jurisprudence au visa de l'article L 411-74 du code rural qui résulte effectivement, comme le soutiennent les appelants, d'une loi du 12 juillet 1967 ;

Qu'au contraire un arrêt de la 3ème chambre de la Cour de Cassation du 9 avril 1974 réservait expressément l'hypothèse d'un " usage local " ;
Attendu que les consorts X... soutiennent que dès 1981 et plus précisément dans un arrêt du 10 février 1981 puis le 20 janvier 1982, la Cour de Cassation a jugé sans équivoque que les fumures et arrières fumures étaient des améliorations culturales,
Que cependant s'il existait effectivement dès 1981 une incertitude sur le régime juridique des fumures et arrières fumures, la question ne se posait alors qu'au regard du mode d'évaluation de l'indemnité et non de la détermination du débiteur de cette indemnité ;
Attendu que rien dans les arrêts cités par les appelants ne peut être considéré comme l'amorce de l'évolution jurisprudentielle du 27 mars 1985 puisque si la Cour de Cassation y affirmait effectivement que les fumures et arrières fumures étaient des améliorations culturales elle n'en tirait aucune conséquence quant à l'incidence de cette qualification sur l'usage constant reconnu et appliqué dans la région du Nord de la France qui permettait aux parties de convenir d'une indemnité payée par le preneur entrant au titre des fumures et arrières fumures ;
Attendu que dès lors c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu qu'il n'était pas établi que le revirement de jurisprudence était prévisible à la date de rédaction de l'acte litigieux (1er mars 1983), ni même que la question était alors controversée et en conséquence en ont déduit qu'aucun manquement à ses obligations professionnelles et notamment à son devoir de conseil ne pouvait être reproché à Maître B... ;
Que le jugement doit être confirmé ;
Attendu que les consorts X... seront condamnés in solidum à verser à Madame B... une somme de 1. 000 € au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
La Cour,
Statuant en audience publique et contradictoirement,
Confirme le jugement,
Condamne les consorts X... aux dépens d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP MASUREL-THERY-LAURENT, avoués,
Les condamne en outre in solidum à verser à Madame B... une somme de 1. 000 Euros par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile en cause d'appel.

La Greffière, La Présidente,
S. AMBROZIEWICZ E. MERFELD


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Douai
Formation : Ct0094
Numéro d'arrêt : 06/00372
Date de la décision : 03/05/2007

Références :

Décision attaquée : Tribunal de grande instance d'Avesnes-sur-Helpe, 20 septembre 2005


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.douai;arret;2007-05-03;06.00372 ?
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