COUR D'APPEL DE DOUAI CHAMBRE 2 SECTION 2 ARRÊT DU 09/11/2006 No RG : 05/00586 Tribunal de Grande Instance de LILLE du 18 Janvier 2005 REF :
TF/CP APPELANTS Maître Dominique X... es qualités de liquidateur judiciaire de M. Jean-Pierre Y... ... Représenté par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour Assisté de Me Jean-Jacques TAISNE, avocat au barreau de CAMBRAI Monsieur Jean-Pierre Y... ... Représenté par la SCP DELEFORGE FRANCHI, avoués à la Cour Assisté de Me Jean-Jacques TAISNE, avocat au barreau de CAMBRAI Bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 5917800205/007076 du 06/09/2005 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de DOUAI INTIMÉE CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL NOR DE FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux ayant son siège social 10 avenue Foch - BP 369 - 59020 LILLE Représentée par la SCP MASUREL-THERY-LAURENT, avoués à la Cour Assistée de Me Martine MESPELAERE, avocat au barreau de LILLE COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ Monsieur FOSSIER, Président de chambre, Monsieur ZANATTA, Conseiller, Madame NEVE DE MEVERGNIES, Conseiller, GREFFIER LORS DES DÉBATS : Madame NOLIN. DÉBATS à l'audience publique du 28 Septembre 2006, après rapport oral de l'affaire par M. FOSSIER, Président de chambre. Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe. ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 09 Novembre 2006 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Monsieur FOSSIER, Président, et Madame NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.ORDONNANCE DE CLÈTURE DU : 30 juin 2006
Par actes des 18.5.1998, 05.1.1990 et 24.10.1990 (vus), M.
Jean-Pierre Y... s'est porté caution solidaire du remboursement de trois emprunts contractés par son fils Jacky auprès de la banque Crédit Agricole du Nord de la France pour financer sa profession, respectivement à hauteur de 100.000, 75.000 et 100.000 francs (soit environ 52.000 euros au total).
Par acte authentique du 22 juin 1992 (vu), la même banque a consenti à M. Jean-Pierre Y... une ouverture de crédit en compte courant pour un montant maximal de 500.000 francs (76.244,51 euros), rémunérée au taux PIBOR à trois mois, augmenté de deux pour cent l'an. L'emprunteur a consenti au prêteur une hypothèque conventionnelle.
Le 2 février 1995, M. Jacky Y... a été admis au bénéfice de la liquidation judiciaire. Il est décédé peu après. La liquidation a aussi été ouverte pour M. Jean-Pierre Y... selon jugement du TGI de Lille en date du 9 mai 2003, Maître X... étant nommé liquidateur.
La banque avait dès l'ouverture de la procédure collective contre le débiteur cautionné Jacky Y..., requis jugement, daté du 13 novembre 1995 (vu), contre la caution Jean-Pierre Y..., et avait obtenu la liquidation de sa créance de ce chef à pleine hauteur de ses demandes (268.980, 79 francs, soit 79.578, 69 euros, outre intérêts ordinaires et majorés, et frais). Le même jugement a aussi liquidé la créance du Crédit agricole au titre de l'ouverture de crédit et d'un compte courant (respectivement 61.552, 32 euros et 21.778, 37 euros). Monsieur Jean-Pierre Y... n'avait pas constitué avocat. La banque a requis une hypothèque judiciaire pour avoir sûreté et garantie de son paiement (vu).
Le Crédit Agricole a en outre, dans le délai de la loi et avec succès (ordonnance du juge commissaire en date du 18.1.2005 ; vue), produit au passif de M. Jean-Pierre Y... pour la somme totale qu'énonçait le jugement du 13.11.1995.
Maître X... a interjeté appel de cette ordonnance et a en outre formé tierce opposition incidente, donc devant la Cour pour la première fois, par conclusions du 2.2.2006, contre le jugement du 13.11.1995.
L'appelant et opposant invoque dans ses dernières écritures (27.6.2006) :- le défaut d'information de la caution dans les conditions de l'art. L 313-22 du C.mon.fin., tant avant qu'après avoir obtenu un titre contre ladite caution, ce qui conduira la Cour à déchoir le Crédit Agricole de son droit à des intérêts et à voir ordonner la production d'un décompte dûment apuré par la banque ; la banque intimée rétorque (conclusions du 29.6.2006) que son décompte lui-même n'est pas contesté, qu'il a été entériné par le tribunal depuis 1995, que l'obligation d'information des cautions cesse à la délivrance d'un titre exécutoire par un tribunal- à cette fin, le droit de former tierce opposition contre les jugements intervenus contre le débiteur avant sa liquidation, dès lors que l'intéressé n'avait pas occupé à la procédure ; le Crédit Agricole fait valoir que Me X... occupe en l'instance pour une partie, Monsieur J.-P. Y..., dont il est le représentant légal, et qu'à ce titre, il n'a accès qu'à la voie de l'appel, qui est aujourd'hui fermée contre le jugement du 13.11.1995 (réputé contradictoire et régulièrement signifié).- subsidiairement, le droit de voir réduire la clause pénale réclamée par le Crédit agricole sous couvert de "majoration conventionnelle du taux d'intérêt", Monsieur Jean-Pierre Y... ayant payé plus de 212.000 euros depuis les débuts de l'exécution des actes litigieux ; la banque fait valoir qu'une majoration conventionnelle d'intérêts n'est pas une clause pénale accessible au pouvoir modérateur des juges- de même, la prescription des intérêts échus depuis plus de cinq ans ; le Crédit agricole rétorque que le point de départ de cette prescription n'est pas précisé par Me X..., que ce
ne peut être ni antérieur à la clôture des comptes, ni postérieur au jugement du 13.11.1995.- en tout cas, le bénéfice d'une somme de 1.500 euros pour frais à Maître X..., ès qualités ; la banque réclame de même 2.000 euros pour résistance abusive et 2.000 euros pour frais.
Par voie d'appel incident, la Crédit agricole reproche à l'ordonnance frappée d'appel d'avoir omis de mentionner les intérêts futurs. SUR QUOI LA COUR Recevabilité de l'appel
Attendu que l'appel du liquidateur contre les ordonnances d'admission au passif est recevable ;
Que si la créance litigieuse est fondée sur un titre antérieurement délivré et devenu définitif, le bien fondé de l'appel du liquidateur dépend de la recevabilité de sa tierce opposition incidente contre le jugement dont il s'agit ; Recevabilité de la tierce opposition incidente
Attendu que l'opposition, qu'elle émane d'un tiers ou d'une partie, nécessite en premier lieu la preuve d'un préjudice qui, pour n'être pas exactement superposable à l'intérêt pour agir que requiert toute action en justice, est acquis en l'espèce ;
Qu'en effet, l'admission de la créance du Crédit Agricole au passif de M. J.-P. Y... en exécution du jugement du 13 novembre 1995 grèverait d'autant les chances des autres créanciers, que le liquidateur défend, d'être remplis de leurs droits ;
Attendu qu'en second lieu, le liquidateur n'a le droit de former tierce opposition, qu'autant qu'il représente d'autres intérêts que ceux des parties à l'instance terminée par le jugement du 13 novembre 1995 ;
Que tout liquidateur représente non seulement le débiteur mais en outre les créanciers, dans l'addition de leurs intérêts individuels et au-delà, dans leur intérêt collectif ;
Qu'il est très anciennement jugé (Req., 8 juill. 1850), et sans solution de continuité depuis (Civ. 13 déc. 1864 ; Com. 6 mars 1968), que le débiteur représente lui-même les intérêts de ses créanciers dans toute instance engagée contre lui par l'un de ces créanciers, en sorte qu'en l'espèce, les créanciers que Me X... prétend désormais défendre par la voie de sa tierce opposition incidente étaient réputés partie à l'instance close le 13 novembre 1995 ;
Que les auteurs justifient cette solution tantôt par le besoin de sécurité juridique (Z..., DP 95.2.193), le délai de tierce opposition étant long, voire indéfini si elle est faite de manière incidente, tantôt par la nature variable du droit de gage des créanciers (A..., ED Proc.civ.) ;
Que cette prohibition de principe de la tierce opposition a été étendue par la jurisprudence au syndic de faillite dès avant les réformes de 1967 et 1985 (Paris, 3 fév. 1834 ; 24 déc. 1849) ; qu'elle a été approuvée par la doctrine majoritaire (B..., Rép.D.proc.civ;, 1956, no 184 et 250 - C... D..., Traité, no 547), essentiellement parce que si lesdits organes représentent les créanciers, ils représentent aussi le débiteur et ne peuvent donc échapper à l'autorité de chose jugée opposable à leur représenté, conformément à la théorie générale de la représentation légale ; en sorte que cette jurisprudence semble devoir s'étendre aux organes du redressement et d la liquidation après les réformes ;
Attendu que ce principe d'irrecevabilité de la tierce opposition des créanciers (ou de leur représentant futur, ou du représentant futur du débiteur), apparemment fondé sur les raisons les plus solides, connaît quatre exceptions en théorie, dont deux sont étrangères aux faits de la cause (la fraude, la garantie réelle assortissant une créance), et dont les deux autres sont implicitement invoquées par Maître X... : l'allégation de moyens propres, û qui tiendrait ici à
la position du liquidateur qui transcende la somme des intérêts des créanciers û , la négligence du débiteur dans sa défense jusqu'au jugement frappé de tierce opposition ;
Attendu, s'agissant de l'allégation de moyens propres, que Maître X... n'en apporte pas la preuve ; qu'il ne peut se contenter d'invoquer la position générale des liquidateurs, la notion de "moyen propre" s'appréciant de manière concrète, créancier par créancier, et tenant généralement à des considérations de droit des personnes ou de la famille, ou des circonstances particulières de naissance de la dette ;
Attendu, s'agissant de la négligence du débiteur, qu'il est constant que Monsieur Y... n'a pas occupé à la procédure qui s'est terminée par le jugement du 13 novembre 1995 et que seul le créancier demandeur, le Crédit Agricole, a pu faire valoir une argumentation ; qu'en pareil cas, la tierce opposition des autres créanciers ou du représentant légal ultérieurement nommé du débiteur pourrait devenir à nouveau recevable s'il était démontré que le débiteur a omis d'opposer au demandeur une exception commune qui lui aurait permis de faire échec à la demande (Req., 25 nov. 1903) ; qu'en effet, en ce cas, le débiteur cesserait d'apparaître comme le plausible représentant de ses créanciers dans la procédure engagée contre lui ; Que pour faire la preuve û là encore, nécessairement concrète û de cette exception qui aurait permis de faire échec à la demande, Maître X... invoque le défaut d'information de la caution après le jugement de 1995, l'excès de la clause pénale, la prescription des intérêts échus après le 18 janvier 2000 (cinq ans avant la production au passif) ; qu'aucun de ces moyens n'aurait en quoi que ce soit permis, en 1995 de faire échec à la demande, les griefs invoqués étant postérieurs au jugement critiqué et ne remettant pas en cause
la dette telle que réclamée par le Crédit Agricole à l'époque ;
Attendu que du tout, il résulte que la tierce opposition de Maître X... n'est pas recevable ; et que partant, son appel apparaît infondé, foi étant dû au titre du 13 novembre 1995 ; Demande reconventionnelle du Crédit Agricole du Nord
Attendu que le premier juge a omis les intérêts, pourtant visés dans la déclaration de créance du 8 août 2003 ;
Qu'il faut réparer cette omission ; Accessoires
Attendu que Maître X..., ès qualités, supportera les dépens d'appel ;
Qu'au titre des frais exposés pour le présent appel et non compris dans les dépens, la partie condamnée aux dépens paiera à l'autre par application de l'article 700 NCPC la somme de 1.000 euros ;
Attendu que le Crédit agricole n'est pas fondé à reprocher à Me X... une résistance abusive alors que le débat soulevé devant la Cour par l'appelant est d'une authentique difficulté et ne repose sur aucun artifice ;PAR CES MOTIFSLa Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe, en dernier ressort, Déclare recevable mais mal fondé l'appel de Maître X... contre l'ordonnance du juge commissaire du Tribunal de grande instance de Lille en date du 18 janvier 2005, la tierce opposition incidente étant irrecevable ;
En conséquence confirme ladite ordonnance (sauf en ce qui concerne les intérêts);
Y additant, dit que les intérêts sont dus selon la déclaration de créances du 8 août 2003.
Condamne Maître X..., ès qualités, à payer à la Caisse Régionale de Crédit Agricole du Nord de la France la somme de 1.000 euros pour frais irrépétibles de procédure et condamne le même aux dépens
d'appel ; Déboute la CRCAMNF de sa demande de dommages et intérêts ;Accorde aux avoués constitués, le bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile .
LE GREFFIER
LE PRÉSIDENT
C. Nolin
T. Fossier